Présidentielle : l’effet du débat télévisé dans les intentions de vote

Qui sont les gagnants et les perdants suite du débat télévisé du 20 mars dernier ? Quelles évolutions sociologiques note-t-on depuis le débat dans les électorats des différents candidats ? Analyse de Chloé Morin pour l’Observatoire de l’opinion.

Afin d’évaluer l’impact potentiel du premier débat télévisé – et sachant qu’il est évidemment impossible d’isoler ce débat des multiples autres facteurs, tels que le meeting de Benoît Hamon à Bercy ou le rassemblement organisé à Paris par Jean-Luc Mélenchon, qui auraient pu orienter le débat public et peser sur les intentions de vote – nous avons demandé à OpinionWay de cumuler plusieurs vagues de son rolling quotidien. Les données présentées ici proviennent de la comparaison d’un cumul d’intentions de vote réalisées la semaine précédent le débat, avec un cumul d’intentions de vote réalisées depuis le débat. Les chiffres présentés résultent donc d’une moyenne sur plusieurs jours, ce qui explique par exemple que Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon soient à peu près au même niveau en moyenne sur l’ensemble de l’électorat, alors même qu’en date du 24 mars le premier accusait un retard de 1 à 3 points sur le second. 

Première conclusion, s’agissant des tendances générales : les deux perdants sont incontestablement Benoît Hamon et Marine Le Pen. Le premier perd en effet jusqu’à 3 points durant la semaine qui a suivi le débat dans le Rolling Ifop (et un point lorsqu’on compare la moyenne de son score la semaine précédent le débat à la moyenne de la semaine le suivant, chez OpinionWay). Marine Le Pen a quant à elle perdu 1,5 point chez l’Ifop, et jusqu’à 3 points chez OpinionWay. 

Deuxième conclusion : on note un regain d’intérêt pour la campagne depuis le débat (64% des Français se déclarent intéressés, +4 points par rapport à la semaine précédente), et une diminution de la proportion de Français jugeant la campagne de mauvaise qualité (79%, -5 points). Par conséquent, on enregistre une baisse significative de la part de Français déclarant vouloir s’abstenir ou voter blanc (8%, -7 points entre les deux périodes). Pour autant, les incertitudes pesant sur le choix des électeurs restent élevées pour la plupart des candidats, et la part de Français se déclarant sûrs de leur choix demeure stable sur les quinze derniers jours (58%). 

On notera cependant que ces données ne recoupent pas totalement celles recueillies par d’autres instituts, l’Ifop enregistrant par exemple une augmentation de 5 points des certitudes de choix au cours de la semaine suivant le débat. Ces divergences entre instituts montrent qu’il n’existe pas de tendance affirmée sur ce point.

De manière générale, nous pouvons souligner quelques évolutions sociologiques intéressantes:

  • Chez les personnes gagnant moins de 2 000 euros par mois, Marine Le Pen enregistre une baisse de 7 points et François Fillon de 3 points (il n’en obtient plus que 10%, contre 33% pour Marine Le Pen). C’est essentiellement Jean-Luc Mélenchon (+4) qui progresse dans cette catégorie depuis le débat, alors que Benoît Hamon et Emmanuel Macron restent globalement stables.
  • Alors que les retraités constituent l’essentiel de son socle électoral (composé pour moitié de plus de 65 ans), François Fillon a perdu du terrain auprès d’eux depuis le débat (-7 points, à 34% – soit à peine deux points de plus que le score obtenu par Nicolas Sarkozy en 2012 chez les retraités). Emmanuel Macron continue à consolider son assise auprès de ce segment électoralement décisif, au point de concurrencer le candidat de la droite (29%, soit seulement 5 points de moins que le candidat LR).
  • François Fillon obtient un score exceptionnellement faible chez les catégories populaires (9%) et notamment chez les ouvriers (3%). Ni Emmanuel Macron ni Benoît Hamon ne parviennent à percer significativement dans l’électorat ouvrier, et si Jean-Luc Mélenchon y obtient un score égal à son niveau moyen (13%), il est encore très loin de concurrencer Marine Le Pen. Celle-ci consolide encore son avantage à la faveur du débat et des affaires touchant le candidat de la droite (60%, +5 en quinze jours, ce qui représenterait un doublement de son score du premier tour de 2012 dans cet électorat – elle en obtenait alors 29% des suffrages). Globalement, les partis dits « de gouvernement », si l’on y inclut En Marche !, réunissent moins du quart des suffrages exprimés par les ouvriers. 

On note donc un approfondissement de la rupture sociologique entre CSP+ (59% convergent vers Benoît Hamon, Emmanuel Macron, ou François Fillon) et les CSP- (57% votent soit Jean-Luc Mélenchon soit Marine Le Pen). 

Enfin, notons que la déclaration d’abstention reste à ce stade élevée au second tour, et significativement supérieure en cas de duel François Fillon/Marine Le Pen (36%, en progression de 3 points entre l’avant et l’après-débat) qu’en cas de duel Emmanuel Macron/Marine Le Pen (18%, stable entre les deux périodes de référence). Même si les seconds tours n’ont aucune valeur prédictive et ne sont habituellement pas commentés ici, cet élément déclaratif est intéressant à titre d’illustration du désarroi d’une partie des électeurs de gauche qui ne se reconnaissent ni dans un duel François Fillon/Marine Le Pen, ni dans un duel Emmanuel Macron/Marine Le Pen. C’est aussi le signe – mais il sera intéressant de voir ce qu’il en est lorsque les électeurs seront réellement « au pied du mur » – que la simple hypothèse d’une victoire du Front national ne suffit plus à rallier massivement la gauche au candidat de droite ou la droite à un candidat qui se réclame des deux bords politiques. 

 

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