Alors qu’une nouvelle administration se met en place à Washington et que sa politique au Moyen-Orient demeure encore en partie inconnue, même si le « pivot asiatique » devrait être réaffirmé, Farid Vahid s’interroge sur ce que pourrait être l’évolution du rôle de la France – et de l’Union européenne – au Moyen-Orient.
Avec ses décisions unilatérales comme le retrait de l’accord de Paris ou encore du JCPoA1Plan d’action global commun ou Accord sur le nucléaire signé le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran et les pays du P5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne., l’administration Trump a démontré une fois de plus la nécessité pour la France et l’Union européenne d’une souveraineté stratégique à l’international. L’élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis a été accueillie favorablement par la France et l’UE, soulagées après quatre années de mandat américain houleuses. Sans céder à l’angélisme, il convient pour la France de réaliser que ce nouveau mandat s’accompagne d’un retour des États-Unis à une politique multilatérale et donc d’une nécessaire réflexion sur le rôle qu’elle souhaite jouer dans le monde. Nous nous attacherons à livrer quelques éléments de réflexion sur ce qu’il pourrait être au Moyen-Orient.
Alors que certains prônent un désengagement de la France, il nous semble que cela n’est pas dans son intérêt et que cette vision occulte l’interdépendance du monde dans lequel nous vivons, où il n’est pas réaliste de se penser dégagé des affaires de ses voisins méditerranéens. La confrontation entre les États-Unis et la Chine pour le leadership mondial l’illustre. Au Moyen-Orient, la vision américaine pour résoudre les conflits en Afghanistan, en Irak ou la situation iranienne a montré ses limites. En ce qui concerne la Chine, l’influence économique croissante de ce pays non démocratique soulève des inquiétudes. La France, quant à elle, peut tirer son épingle du jeu.
Alors qu’au début du siècle précédent, les États-Unis n’avaient aucune influence culturelle dans la région, de jeunes Iraniens ayant étudié en France ont, à leur retour en Iran, joué un rôle décisif dans la révolution constitutionnelle qui a conduit à la naissance du premier Parlement iranien en octobre 1906. Aujourd’hui même, et ce malgré la révolution de 1979, les textes de Victor Hugo ou encore d’André Gide sont enseignés à l’école de la République islamique d’Iran.
Cette tradition française d’accueil et de formation des élites intellectuelles au XXe siècle mais également de protection des minorités, entités nécessaires à l’équilibre du riche mais fragile écosystème proche et moyen-oriental, est une base solide, et le réseau diplomatique et culturel français qui en est l’héritier est un atout majeur. Ainsi, l’influence culturelle française est une réalité mais en déclin aujourd’hui avec une perte de vitesse de la francophonie et une accentuation de l’influence culturelle américaine via leur soft power.
Tout cet héritage est une chance mais engendre également une responsabilité.
Il ne s’agit pas ici de défendre une quelconque ingérence politique de changement des institutions mais de mettre en avant le rôle culturel et intellectuel que pourrait endosser davantage la France dans l’accompagnement des sociétés civiles des pays de la région dans leur quête vers plus de liberté, de démocratie et d’émancipation. Dans ce contexte, le renforcement des échanges et des coopérations universitaires avec les pays du Moyen-Orient, notamment par le biais de Campus France, est une nécessité. Si les universités américaines restent d’une grande attractivité pour les étudiants internationaux, la France peut profiter de sa proximité géographique et culturelle avec les pays du Proche et Moyen-Orient pour attirer les étudiants de ces pays, à condition de simplifier les démarches administratives. Si des difficultés subsistent également dans le domaine de la recherche, comme le montre l’arrestation arbitraire de Fariba Adelkhah à Téhéran, il est cependant important de ne pas céder aux pressions.
L’inauguration le 8 novembre 2017 du Louvre d’Abu Dhabi est une parfaite illustration du potentiel culturel de la France au Moyen-Orient. Le savoir-faire français dans certains domaines, telle que la protection du patrimoine, est également apprécié par les acteurs régionaux.
En outre, la France a toujours défendu une vision diplomatique du « parler à tout le monde » permettant de se positionner dans des arbitrages. La France a en effet cette capacité, que peu de pays – européens notamment – possèdent, à réunir autour d’une même table les différents protagonistes d’un conflit et à les faire dialoguer pour trouver des solutions. En effet, il n’est par exemple pas possible de trouver une sortie à la crise syrienne sans négocier avec l’Iran et l’Arabie Saoudite ou de trouver une solution à la crise politique libanaise sans dialoguer avec l’ensemble des parties prenantes. Encore une fois, les initiatives de l’administration de Donald Trump au Moyen-Orient, notamment en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien, ont révélé la nécessité d’une alternative diplomatique. Quand les États-Unis ont pu conclure des accords de normalisation entre plusieurs pays arabes et Israël, la France et l’Europe n’ont pas été en mesure de réaliser des actions concrètes sur ce dossier.
Ce plaidoyer n’est pas un naïf recyclage d’une prétendue mission de la France des Lumières mais répond également aux intérêts stratégiques français. Aujourd’hui, les défis majeurs qui touchent les pays proche et moyen-orientaux ont des conséquences importantes en Europe ; le terrorisme, la crise migratoire engendrée par l’instabilité et faisant pression sur les frontières européennes, mais également l’influence de certains pays sur les structures islamiques alors que nous sommes en plein débat sur l’avenir de l’islam de France. Les visites d’Emmanuel Macron à Beyrouth et à Bagdad en 2020, ou encore son initiative de médiation entre Téhéran et Washington quand il a invité le ministre des Affaires étrangères iranien en marge du sommet du G7 à Biarritz en 2019, montrent la volonté française de retrouver une place politique et diplomatique importante au Moyen-Orient. La coopération avec les pays de la région, bien qu’elle puisse être souvent compliquée, est une nécessité. Ce sont autant de défis à relever pour la France et l’Union européenne.
La crise syrienne, la situation politique au Liban, la guerre au Yémen ou encore le dossier nucléaire iranien, sans oublier le néo-ottomanisme turc, font parfaitement écho aux propos du général de Gaulle qui parlait d’un vol vers « l’Orient compliqué » avec des « idées simples ». Force est de constater que la situation n’en est pas moins complexe aujourd’hui. Il est donc primordial de posséder les outils adéquats pour la réflexion autour de ces sujets. Cela passe nécessairement par la recherche et le développement des centres de réflexion et des think tanks.
La politique étrangère de l’Union européenne doit apporter une réponse à ces multiples défis et la France prendre la place de leader qui découle de sa tradition historique et de sa vision particulière en la matière. L’opposition catégorique de la France à une éventuelle intervention militaire alliée contre l’Irak en 2003 était un moment fort de la diplomatie française à l’égard du Moyen-Orient, mais aussi de son indépendance stratégique vis-à-vis de Washington. Mais pour être indépendante, l’Europe doit s’en donner les moyens. Le cas du dossier nucléaire iranien est emblématique des difficultés de la diplomatie française et européenne. Face à l’extraterritorialité du droit américain ou à la puissance économique de la Chine, l’Union européenne se doit de développer de nouveaux outils permettant de consolider sa souveraineté stratégique. Sans cela, la France et l’Europe pourraient se voir marginalisées sur la scène internationale.
- 1Plan d’action global commun ou Accord sur le nucléaire signé le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran et les pays du P5+1 (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie et Allemagne.