Dans ce moment particulier de notre vie politique où le renouvellement des pratiques se trouve érigé en vertu cardinale, une métamorphose du Parlement est un impératif. Jean-Jacques Urvoas livre des propositions concrètes, imaginées « à droit constant », pour que l’Assemblée nationale soit la quille de stabilité permettant la réussite du quinquennat en préservant les acquis de la Ve République.
Que sera la XVe législature de la Ve République ? Après une élection présidentielle au déroulement imprévisible et au dénouement spectaculaire, comment se comportera la majorité qui s’installera au Palais Bourbon ? Dans ce moment particulier de notre vie politique où le renouvellement des pratiques se trouve érigé en vertu cardinale, le Parlement saura-t-il se métamorphoser ?
Tout concourt, en effet, à ce que le théâtre parlementaire s’engage sur la voie de mutations profondes, au risque, s’il n’y consentait pas, de se marginaliser durablement ou de se déprécier profondément. Dans l’opinion, son image n’est guère valorisée et, même au plus haut sommet de l’État, les critiques à son encontre sont sévères. C’est par exemple François Hollande qui, dans une intervention du 6 octobre 2016 lors d’un colloque à l’Assemblée nationale, affirmait que l’« un des enseignements que je tire […] est qu’il y a un décalage de plus en plus flagrant entre le temps exigé par le mode d’élaboration de la loi et la rapidité attendue par les citoyens ». C’est encore l’actuel président qui dans son programme faisait part de son intention d’entamer « une rénovation du fonctionnement parlementaire en limitant le nombre de mois pendant lesquels le parlement légifère, et en réservant plus de temps à l’évaluation et au contrôle de l’action du gouvernement ».
Les mois qui viennent seront donc décisifs. Personne ne peut plus ignorer les commentaires moqueurs résultant de la découverte de certaines séances publiques où le pathétique le dispute au ridicule et révélateurs de psychodrames paraissant aussi dérisoires qu’artificiels. Les citoyens de ce vieux royaume si friands de politique et pourtant si rompus aux jeux électoraux ne comprennent plus les rites parlementaires, leur complexité et leur lenteur.
Dès lors, soit l’Assemblée nationale choisit de s’adapter sans altérer ses constitutionnelles fonctions, soit elle subira les conséquences d’une rénovation drastique des pratiques politiques engagées ces derniers mois au risque d’y perdre le rôle éminent qui est le sien de pilier démocratique.
Par ailleurs, cette rénovation va devoir s’enclencher alors même qu’un grand nombre de parlementaires seront de jeunes ou de nouveaux élus. Cette caractéristique, par définition éphémère, tous leurs prédécesseurs l’ont connue. Ils vont, comme l’écrit Pierre Mazeaud, découvrir que cette institution n’est pas « la plus accueillante » et que « tout y est incertain, problème, inconnu ». Ils auront donc tout à la fois à intégrer les règles du jeu mais aussi à en imaginer de nouvelles.
Heureusement, par construction, le droit parlementaire contient une part conséquente dans l’application des textes laissée aux pratiques et à la liberté des acteurs. Élu d’opposition pendant cinq années et ayant usé de tous les arcanes du Règlement pour conduire ses combats parlementaires, élu de la majorité, président de la commission des lois et soutien aussi indéfectible qu’exigeant du gouvernement pendant presque quatre ans puis ministre pendant quinze mois, l’auteur en a expérimenté bien des aspects. Il eut même le privilège d’en mesurer les vastes opportunités et d’en tester les limites en cherchant à naviguer sans jamais effleurer d’écueil.
C’est en s’appuyant sur cette expérience qu’ont été élaborées les propositions qui suivent. Toutes ne servent qu’une seule ambition : que l’Assemblée nationale soit la quille de stabilité permettant la réussite du quinquennat en préservant les acquis de la Ve République. L’histoire récente a montré qu’une majorité absolue en début de législature ne préservait pas des secousses parlementaires aussi préjudiciables que répétitives. Or rien ne serait pire que de voir l’instabilité renaître et menacer la conduite des réformes.
Il faudra donc entamer une modernisation rapide, ce qui impose de ne pas attendre une hypothétique révision constitutionnelle ou même une plus modeste évolution organique. C’est le principal mérite des évolutions suggérées : toutes peuvent s’appliquer à droit constant dans la mesure où le droit parlementaire permet un processus coutumier.
Comme l’alpiniste a besoin d’un piolet pour avancer, la Constitution et le Règlement de l’Assemblée seront donc les seuls outils indispensables à cette rénovation hardie des pratiques parlementaires.
Ces dernières porteront d’abord sur le vote de la loi, en dessinant une adaptation de la séance plénière recentrée sur l’essentiel. Le rôle des commissions sera ensuite appréhendé afin de le renforcer dans le processus législatif. Puis ce sont les fonctions de contrôle qui seront étudiées en prônant un élargissement prétorien basé sur les expériences conduites durant la législature qui vient de s’achever. Enfin, nous nous pencherons sur le très sensible domaine de la déontologie, en suggérant de nouvelles avancées qui viendraient conforter les progrès déjà réalisés mais qui n’ont sans doute pas été perçus par nos concitoyens à leur juste valeur.
Alléger la séance publique tout en la densifiant
Le Constituant de 2008 espérait qu’en accroissant les pouvoirs des commissions, la discussion dans l’hémicycle se concentrerait sur les temps forts (amendements importants, explications de vote, votes solennels). On en est loin.
Bien que n’ayant pas retrouvé la puissance dont elles disposaient sous la IVe République, les commissions sont devenues le « four où se cuit le pain législatif ». Dans chaque séance, le texte soumis à débat y est décortiqué, tous les articles sont analysés, des dizaines d’amendements sont déposés dont de nombreux sont adoptés, modifiant ainsi souvent en profondeur la version gouvernementale. Sous l’autorité d’un président renforcé, le rapporteur a gagné une responsabilité cruciale puisqu’il est devenu le principal interlocuteur du ministre et de l’opposition. Le tout se déroulant dans une ambiance caractérisée par la modération des propos et un louable esprit de conciliation, sans que le fait majoritaire ne disparaisse pour autant. À l’évidence, les députés ont su modifier leurs habitudes de travail en vue de pleinement s’approprier l’article 42 de la Constitution, qui dispose depuis 2008 que « la discussion […] porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie ».
En revanche, l’organisation de la séance publique est demeurée inchangée. Dans la majorité des cas, elle se résume à une reprise des échanges noués en commission. Les amendements qui ont été battus sont systématiquement redéposés, les sujets tranchés sont remis en cause et les compromis qui ont été tissés font l’objet de nouvelles querelles.
Ainsi, dans le cadre des travaux de la commission des lois durant la session 2015-2016, sur les 2 627 amendements qui furent déposés lors de l’étude de 13 projets de lois, 1 108 furent adoptés – ce qui n’empêcha pas qu’en séance, 2 795 nouveaux amendements furent enregistrés (et seulement 589 adoptés)… Et que dire des débats dont la durée ne cesse de s’allonger, tout comme d’ailleurs le nombre de jours de séance ! Si la XIIIe législature en comptabilisa 624, la XIVe parvient à un total de 664.
C’est donc sur le déroulement de la séance publique qu’il faut intervenir puisque c’est de son organisation que résulte l’impression d’immobilisme parlementaire souvent dénoncée. En effet, contrairement à une idée reçue, le processus législatif n’est pas plus long en France que dans les autres pays européens. Il faut en moyenne dans notre pays 150 jours pour adopter un projet de loi, hors lois de finances, lois de financement de la sécurité sociale et conventions internationales. C’est une performance qui se compare avantageusement à celles relevées au Royaume-Uni (164 jours), en Italie (180 jours), et plus encore aux Pays-Bas (environ 400 jours) ou en Suisse (481 jours). Cette durée est aussi comparable à celle que l’on observe en Irlande (147 jours), en Belgique (149 jours) et en Allemagne (156 jours). En réalité, seuls les parlements monocaméraux ont une procédure législative significativement plus rapide : Hongrie (34 jours), Danemark (64 jours), Suède (72 jours) et Norvège (86 jours).
La solution n’est pas plus dans la proposition de « faire de la procédure accélérée la procédure d’examen des textes législatifs par défaut ». En effet, telle est déjà la règle puisque la totalité des projets de lois – hors traités internationaux – adoptés au cours de la session 2016-2017 l’a été en procédure accélérée. Lors de la session 2015-2016, le taux s’élevait à près de 90 % et à 97 % en 2014-2015. Pour les propositions de loi, la proportion est certes inférieure, mais elle a tout de même été portée de 0 à plus de 50 % en dix ans. Si l’objectif est d’accélérer le temps législatif, cette option n’est donc pas la plus convaincante…
La solution se trouve bien plus sûrement dans un certain nombre de dispositions constitutionnelles qui, si elles étaient conjuguées, permettraient de donner à la séance publique un nouveau visage.
La première figure à l’article 41 de la Constitution, qui comporte une procédure de protection du domaine réglementaire en fonction de laquelle le gouvernement ou le président de l’Assemblée peut opposer l’irrecevabilité à un amendement ne relevant pas du domaine de la loi. Un deuxième levier exploitable résulte de la seconde phrase de l’article 44 de la Constitution, qui dispose que le « [droit d’amendement] s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les Règlements des assemblées… ». Cette rédaction, issue de la révision de 2008, introduit une souplesse en autorisant le filtrage des amendements, or nul n’a jamais proposé de faire usage de cette faculté. Une dernière disposition intéressante se trouve à l’article 45 qui traite des « cavaliers législatifs », ces articles additionnels qui n’ont pas leur place dans le texte où le législateur a souhaité les faire figurer.
L’utilisation combinée de ces trois outils ouvre la voie à l’introduction dans l’hémicycle du « kangourou » qu’appelait de ses vœux Claude Bartolone dans un colloque qui s’est tenu le 7 décembre 2016 sur « Le parlement et le temps ». Il s’agit d’un dispositif britannique qui permet au speaker de « sauter » certains amendements (et sous-amendements) pour ne retenir que les plus représentatifs des diverses opinions exprimés dans le débat . Dans les faits, en séance publique, le speaker en question utilise largement le pouvoir discrétionnaire dont il dispose afin de ne pas soumettre au débat des amendements dont il considère qu’ils ont déjà été arbitrés en commission.
Dans la même optique, l’auteur de ses lignes avait remis au goût du jour en février 2013 au sein de la commission des lois la « jurisprudence Barbemolle » – qui renvoie à une pièce de Georges Courteline (« Un client sérieux ») dans laquelle le magistrat Barbemolle prononçait un réquisitoire contre un accusé qu’il avait défendu en tant qu’avocat. Cette jurisprudence avait été initiée par Jean Foyer alors qu’il présidait la même commission et qu’il était confronté à des amendements répétitifs. Il avait alors invoqué Courteline en s’écriant : « Nous ne serons pas des Barbemolle ! » et refusa que l’on revienne sur un sujet déjà traité. Par convention, la commission admit alors la pertinence de cette pratique. La reprise de celle-ci, durant la dernière législature, a de même évité à maintes reprises, par approbation tacite des commissaires aux lois, que les débats ne s’enlisent en raison du dépôt d’amendements quasi identiques.
Demain, sur ce fondement constitutionnel, il pourrait être parfaitement possible pour le président de l’Assemblée nationale de décider, après une information faite en conférence des présidents et sur la base de critères qui auraient été diffusés, l’instauration de pratiques nouvelles destinées à recentrer la séance publique sur l’essentiel tout en la rendant plus dynamique, lui donnant ainsi un rôle plus conforme à l’intention du constituant.
Le dépôt de certains amendements pourrait ainsi être refusé par une application rigoureuse de l’article 45. D’autres pourraient être mis aux voix sans qu’ils soient précédés d’une présentation. La Constitution n’impose en effet nullement une prise de parole formelle, mais seulement le respect de la liberté inhérente à chaque député de déposer une modification au texte. Quant aux amendements répétitifs de suppression, ils pourraient être défendus par un seul parlementaire et non par chacun des signataires, puis mis aux voix immédiatement après. Un temps considérable serait ainsi gagné et personne ne regretterait cette multitude d’amendements de portée insignifiante.
De même, il est parfaitement concevable que soient exclus de la discussion des amendements dépourvus de toute portée normative, conformément à la méthode adoptée par le président du Sénat depuis le 1er octobre 2015. Et si cela se révélait absolument impossible à l’Assemblée, alors il suffirait de renvoyer leur discussion à la fin du texte. En effet, les débats connaissent un rythme très cadencé : au début, la lenteur est de mise, car beaucoup de députés sont présents et veulent intervenir voire bavarder, mais en fin de texte, les volontaires sont moins nombreux et tout s’accélère. En évacuant les débats inutiles à la fin de l’étude du texte, des heures précieuses ne seraient pas gâchées.
Il devrait encore être possible de dissuader le gouvernement, comme l’auteur de ses lignes l’avait fait sur son blog puis par courrier au Premier ministre en juillet 2015, de déposer en séance et hors délai des amendements portant articles additionnels. Certes, rien n’interdit cette pratique mais elle est profondément irrespectueuse des droits du Parlement et génératrice de dysfonctionnements pour l’Assemblée.
En effet, en dévoilant tardivement l’écriture d’un texte, le gouvernement court-circuite le rapporteur, place les députés de la majorité devant le fait accompli en les contraignant à approuver aveuglément un texte sans être en capacité d’en enrichir le contenu – à moins de prendre le risque d’une épreuve de forces. Ils se trouvent dès lors dans l’obligation d’adhérer à une démarche avec la frustration de n’avoir pu en discuter avec le ministre concerné, tout en devant subir la vive critique de l’opposition qui s’insurge à juste titre contre les conditions dégradées du travail parlementaire. L’idéal serait donc, demain, que la majorité fasse part au ministre de son intention, conformément à la « doctrine » adoptée par la commission des lois lors de la dernière législature, de s’opposer par principe aux articles additionnels que, sauf coordinations nécessaires, le gouvernement pourrait en séance plénière introduire sur ses propres projets.
De plus, il faudra encore veiller à ne pas laisser les débats se poursuivre en séances de nuit au-delà du raisonnable. Censées disparaître à la suite de l’instauration, en 1995, de la session ordinaire unique, ces séances de nuit se sont pourtant rapidement banalisées. Ainsi, entre le début de la législature en juin 2012 et novembre 2014, sur 234 séances de nuit, 126 d’entre elles – soit plus de la moitié – ont pris fin après une heure du matin et parfois au bout de la nuit. Il fut donc décidé de préciser dans le Règlement que ces séances « prolongées » ne seraient plus envisageables « que pour achever une discussion en cours » (article 50, alinéa 4), car il est « illusoire de croire qu’on peut bien légiférer à 4 heures du matin ».
Cette règle a été respectée si l’on prend comme référence la période 2015-2016 (sessions ordinaires et extraordinaires). Sur les 56 séances qui se sont prolongées après minuit, 45 se sont terminées vers 1 heure ; 9 ont dépassé ce délai pour permettre à la lecture de s’achever, et 2 autres, légèrement, sans que ce but ait été atteint – dans un cas, l’entorse à la règle était due à une suspension de séance qui avait duré plus longtemps que prévu. Il faut saluer cette rigueur retrouvée et souhaiter qu’elle perdure, tant est prégnante la tentation du gouvernement de ne pas imposer trop souvent aux différents ministres une présence sur plusieurs jours dans l’hémicycle. Si cette pression devait redevenir intense, il conviendrait alors simplement de rappeler que la condition première pour qu’une séance se déroule est qu’elle soit présidée… Sans président, pas de séance. Et aucun moyen de contrainte n’existe ni dans la Constitution, ni dans la loi organique, ni dans le Règlement pour permettre au pouvoir exécutif de s’assurer que le président de l’Assemblée soit effectivement présent.
Renforcer les commissions dans leur rôle législatif et associer les citoyens
La préoccupation d’efficacité, la volonté d’éviter l’écueil que représenterait l’absence de majorité stable et le désir de bénéficier d’une formation des lois plus rapide qu’aujourd’hui peut conduire à s’intéresser à nouveau à la faculté dont disposent les commissions permanentes de l’Assemblée nationale d’adopter directement les textes législatifs qui leur sont soumis. En effet, dans la mesure où la séance publique connaîtrait l’évolution évoquée, il faut parallèlement privilégier le rôle délibérant des commissions afin de préserver leur climat moins passionné et surtout plus propice à la négociation.
Il existe dans le Règlement une «procédure d’examen simplifiée » qui peut être engagée par la conférence des présidents à la demande du président de l’Assemblée, du gouvernement, du président de la commission saisie au fond ou du président d’un groupe (un droit d’opposition est ouvert symétriquement à ces mêmes autorités). Dans ce cas, il n’y a pas de discussion générale, seuls les articles faisant l’objet d’amendements sont appelés et mis aux voix. Il n’y a pas non plus d’intervention sur les articles et, sur chaque amendement, outre le gouvernement, peuvent seuls intervenir l’un des auteurs, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et un orateur contre. À défaut d’amendements, l’ensemble du texte est immédiatement mis aux voix.
Cette procédure s’applique dans les faits principalement aux projets de loi autorisant la ratification d’un traité ou l’approbation d’un accord international. Elle est toujours précédée d’un examen du texte en commission où est réalisé l’essentiel du travail. Pourquoi l’Assemblée n’irait-elle pas plus loin en décidant de s’inspirer de l’article 47 ter du Règlement du Sénat ? Là encore, il faudra veiller à la mise en place d’une pratique parlementaire novatrice, en attendant l’adoption d’une éventuelle réforme de la loi organique du 15 avril 2009 susceptible de supprimer les freins existants.
Dans le but de dégager parallèlement des moyens pour les commissions, il serait opportun de revoir en le réduisant le volume des rapports préalables à la discussion en séance publique. Au fil du temps, les rapports que signent les parlementaires ont gagné en consistance au point de mobiliser considérablement les administrateurs de l’Assemblée pour un profit législatif moindre. Il serait donc de bonne politique d’engager un mouvement arrière, limitant le périmètre de ces rapports à des commentaires sur les articles et à un tableau comparatif mettant en regard les textes en vigueur ou de référence, ainsi qu’éventuellement le projet initial du gouvernement.
Par contre, il faut regretter que la possibilité offerte aux groupes minoritaires ou d’opposition de joindre une contribution écrite aux rapports publiés en première lecture n’ait été que peu exploitée. Cette initiative visait à donner une plus grande place aux arguments de l’opposition qui n’apparaissent dans le cas contraire que par le canal du compte-rendu des débats de la commission et par celui des amendements déposés.
En parallèle de ce renforcement, l’Assemblée doit intégrer la volonté de nombre de citoyens d’être associés au processus législatif. De fait, des sites se sont multiplié qui leur fournissent le recensement d’initiatives locales ou nationales permettant de réfléchir, d’innover ou de proposer en dehors des cadres de la politique traditionnelle. Via ces innombrables supports, l’espace numérique est devenu une nouvelle agora où s’échangent des connaissances et des informations. Dès lors, Internet est plus désormais qu’un simple outil : il est aussi devenu l’un des lieux de l’expression démocratique, d’autant plus vivant que selon l’Insee, en 2012, 78 % des personnes âgées de 15 ans ou plus et résidant en France métropolitaine déclaraient détenir un accès à Internet à leur domicile – et dans 97 % des cas, une connexion haut débit. Aussi comment concevoir que l’Assemblée nationale se prive de ce flux ascendant de l’expression citoyenne ?
C’est pour tenter de répondre à ce défi que plusieurs parlementaires ont conduit différentes expérimentations, notamment Dominique Raimbourg dès 2013, à l’occasion de la réforme pénale avec la plateforme numérique « Parlement et citoyens » ou Olivier Faure et Vito Marinèse qui ont proposé de créer un « droit d’amendement citoyen », présenté comme la « naissance d’une démocratie collaborative ». Ce « mécanisme d’interaction progressif » a été repris dans les suggestions d’expérimentation du groupe de travail co-présidé par Claude Bartolone et Michel Winock dans le but de constituer une sorte de « réserve » à amendements, dans laquelle les députés seraient libres de « puiser ».
Il s’agit de permettre aux électeurs de déposer des amendements sur une plateforme hébergée par l’Assemblée, lesquels seraient débattus dans l’hémicycle de la même manière que ceux rédigés par les députés. Un soutien minimum pourrait être exigé afin d’effectuer un premier tri (de l’ordre par exemple de 45 000 signatures électroniques).
L’initiative n’emporte cependant pas la conviction. D’abord parce que les premières tentatives démontrent que les contributions relèvent plus de l’indignation sporadique que de la contribution réfléchie. Ensuite parce que ce sont les citoyens qui ont les positions les plus tranchées qui ont tendance à se manifester au détriment des plus modérés. Enfin parce que l’identité et la représentativité des contributeurs étant difficilement contrôlables, le dévoiement par des communicants d’influence est éminemment plausible.
Pour autant, il serait préjudiciable de se priver des possibilités offertes par Internet d’associer les citoyens dans des conditions logistiques et de coût optimaux. C’est pourquoi il pourrait être utile de revisiter l’ancestral droit de pétition, devenu au fil des décennies, une branche morte du Règlement de l’Assemblée nationale, à l’utilité nulle, dont la seule vocation est de maintenir la fiction d’une forme de démocratie directe.
Rappelons que le chapitre VIII du Règlement organise, à travers cinq articles, une procédure d’examen des pétitions adressées au président de l’Assemblée nationale. Son premier exercice remonte au 8 décembre 1788 où, dans un contexte de foisonnement de textes prérévolutionnaires, le docteur Joseph-Ignace Guillotin prit l’initiative d’une « Pétition des citoyens domiciliés à Paris », adressée au Parlement de Paris. Si son objet était de dresser un véritable projet politique pour la délégation du Tiers aux États généraux, ce fut la première fois qu’était employé en France le mot « pétition » dans son sens contemporain.
Par la suite, cet outil de démocratie semi-directe fut codifié et son usage se révéla intensif. Ainsi de 1839 à 1847, la Chambre des députés enregistra de 500 à 850 pétitions par an. De 1902 à 1919, de 1900 à 3500 dossiers furent numérotés par la Chambre lors de chaque législature (soit 500 à 900 par an). Mais sous la Ve République, ce droit, antérieurement jugé indispensable, est devenu inutile au point de tomber quasiment en désuétude. Ainsi depuis 1958, l’Assemblée nationale n’enregistre que de 50 à 300 pétitions par législature (soit de 10 à 60 par an). De fait, 52 seulement ont été reçues sous la XIVe législature contre 69 lors des cinq années précédentes. La baisse est notamment très sensible depuis une trentaine d’années : environ 13 en moyenne par an au cours des sept dernières législatures (1986-2017) contre plus de 58 par an au cours des sept premières (1958-1986).
Parmi les causes de désaffection pour cet outil, sans doute peut-on évoquer l’existence de procédures alternatives, comme la sollicitation d’un parlementaire pour qu’il pose une question écrite, le développement du recours au Médiateur puis au Défenseur des droits, dont la compétence est sensiblement plus large, mais aussi le fait que le Constituant a consacré son principe en faisant du Conseil économique, social et environnemental le principal destinataire des pétitions.
Dans tous les cas, la procédure d’examen traduit une perte d’intérêt pour ce mécanisme. Si pendant longtemps, la commission qui les étudiait était un organe spécifique dont les membres étaient très souvent renouvelés, sous la IVe République, cette fonction fut confiée à une commission permanente dont les attributions étaient plus larges et le renouvellement annuel. Puis sous la Ve République, la commission des lois fut désignée comme compétente, sa dénomination officielle ne faisant pourtant plus explicitement référence aux pétitions. Il n’y a donc plus guère à s’y intéresser que les députés présents lors de la réunion de commission dédiée à cette procédure, là où dans le passé les pétitions étaient étudiées en séance publique. Bref, l’on est passé « de l’affaire de tous, tout le temps, à la responsabilité de quelques-uns, rarement ».
Concrètement, la commission des lois désigne un rapporteur qui joue seul ce rôle tout au long de la législature. Sous la dernière, c’était Françoise Descamps-Crosnier qui assumait cette responsabilité. Comme elle l’avait fait à intervalles réguliers, elle présenta pour la dernière fois ses travaux le 22 février 2017 et, sur les 52 pétitions enregistrées, proposa d’en classer 51 pour n’en transmettre qu’une seule – au ministre de l’Agriculture. La possibilité de soumettre une pétition à l’Assemblée nationale, conformément à l’article 148 al. 3 du Règlement de l’Assemblée nationale, n’a pas plus été exploitée sous la XIVe législature qu’elle ne l’a été depuis la VIIIe…
Pour l’essentiel, les pétitions étudiées ces cinq dernières années étaient à l’initiative d’associations activistes très conservatrices (« Droit de naître », « SOS Éducation », « Sauvegarde Retraites », « L’Union de l’homme et de la femme pour l’enfant », « Contribuables associés », « Ligue de défense des conducteurs ») et traitaient d’enjeux sociétaux ou de sujets d’actualité : IVG, euthanasie, mariage pour tous, sortie du nucléaire, persécution des chrétiens d’Orient, cause animale, sécurité routière, soutien ou plus souvent rejet d’un texte de loi récemment adopté.
Au vu de ce bilan, si la vivacité d’une institution se mesure à l’intensité des polémiques que suscitent ses différentes formes d’appropriation, alors il apparaît qu’en France le droit de pétition à l’endroit du Parlement est mort. Il peut pourtant constituer un instrument d’intervention précieux pour les citoyens, leur permettant de concurrencer per se les actions ou les acteurs autorisés. Et ce serait tout l’intérêt de l’Assemblée nationale que de lui redonner vie en créant un espace sur son site destiné à accueillir des initiatives « non sollicitées directement par le système politique ».
Chaque jour en effet, des dizaines de pétitions sont mises en ligne sur des sites et signées par des centaines de citoyens. Qu’il soit apprécié comme une nouvelle forme d’action citoyenne ou stigmatisé comme la forme la plus simpliste de l’engagement, ce phénomène s’amplifie alors même que si son caractère opérationnel reste à démontrer, sa dimension commerciale est avérée. La plupart des plateformes d’accueil repose sur un même modèle économique : gratuit pour les particuliers qui veulent déposer une pétition, et payant pour les organisations caritatives en quête de visibilité, lesquelles se voient par exemple facturer des bannières de publicité.
L’Assemblée nationale ne peut plus ignorer ces mobilisations en ligne. Indépendamment de leur caractère instable, elles traduisent une envie puissante de citoyens qui ne parviennent pas à s’intégrer à d’autres espaces de participation d’influer sur l’action publique. Un espace dédié pourrait donc être ouvert sur le site de l’Assemblée, qui permette à celle-ci d’être ainsi saisie par voie de pétition sur les grandes thématiques de l’action publique. À l’image du processus en vigueur à la Chambre des Communes britannique depuis juillet 2015, la pétition, pour être publiée, devrait préalablement être signée par au moins cinq personnes. Et à partir de la date de sa mise en ligne s’ouvrirait un délai de publication de six mois au cours duquel les signatures pourraient être recueillies. Une fois atteint un seuil significatif de signatures (au Royaume Uni, 10 000), la commission compétente, la validité juridique de l’initiative vérifiée, se prononcerait par un avis sur la question soulevée et sur les suites qu’elle entend y donner. Il ne serait en effet plus pertinent, dans cette perspective, que la commission des lois soit seule en charge de l’examen des pétitions. À titre d’exemple, pas plus de 40 % de celles traitées sous la XIVe législature relevaient en réalité de son périmètre de compétences.
Accroître les pouvoirs de contrôle
Si le terme est habituellement utilisé au singulier, la réalité du contrôle parlementaire est en fait plurielle. Il peut ainsi prendre la forme d’un questionnement ou d’une mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, de l’évaluation d’une politique publique ou de l’audition d’un responsable administratif, de questions orales ou de missions d’information, de commissions d’enquête ou de pouvoirs spéciaux des commissions des finances, de résolutions ou de questions écrites.
Appréciée à l’aune de l’étendue de ces dimensions, cette fonction de contrôle du Parlement a, ces dernières années, sensiblement progressé. Elle l’a fait d’autant plus que le Conseil constitutionnel, en 2009, s’est simplement contenté de rappeler que cette mission « doit s’exercer selon des modalités temporaires, destinées à un simple rôle d’information et sans jamais adresser d’injonction au gouvernement ». Il n’est donc pas interdit de penser que l’usage des modalités en question, plus soutenu sans être moins efficace, crée une situation qui appelle de nouvelles avancées.
Par exemple, il est indispensable de faire évoluer la procédure des « questions au gouvernement » qui se tiennent deux fois par semaine, le mardi et le mercredi, de 15 heures à 16 heures. Depuis leur naissance en 1974, leur contenu et leur déroulement a prospéré par convention et il doit donc être possible de poursuivre dans cette voie.
En l’état, l’exercice est sclérosé. Les questions des députés sont rarement originales et les ministres répondent sans grand risque puisqu’ils sont certains de pouvoir compter sur une majorité présente et approbatrice par principe. Certes, chacun des protagonistes en tire bénéfice. Le député est satisfait de pouvoir valoriser sa prestation dans sa circonscription, et le ministre peut aisément développer les axes de son action dans un domaine qui, bien que présenté comme « la priorité absolue du gouvernement », n’en souffre pas moins d’un pénalisant déficit de publicité. Mais le fait est que la séance se déroule dans un brouhaha indescriptible et vire régulièrement à la foire d’empoigne, au point que l’image que renvoie l’Assemblée s’en trouve profondément altérée. L’une d’entre elles est d’ailleurs restée tristement célèbre : le mardi 17 novembre 2015, quatre jours après les attentats meurtriers de Paris et de Saint-Denis, alors que les trois jours de deuil national n’étaient toujours pas achevés, la première séance de questions au gouvernement ne fut qu’une suite de huées, de vociférations et de prises de parole polémiques.
Pourtant, un an auparavant, en 2014 – après Bernard Accoyer et Jean-Louis Debré qui, en leur temps, avaient eux aussi alerté sur cette dégradation dont témoignait la réception fréquente de lettres de téléspectateurs affligés par l’indiscipline de leurs élus –, c’est Claude Bartolone qui, dans un courrier adressé à l’ensemble des parlementaires, avait déjà stigmatisé ces séances qui «ont continué de donner lieu à des allées et venues incessantes, à des invectives, des provocations, des attitudes outrancières et indignes». Mais rien n’avait pour autant changé.
À l’origine, ces questions avaient été imaginées sur le modèle britannique des très dynamiques Prime Minister’s Questions, et conçues comme un outil de nature à « améliorer le contrôle et l’information du Parlement » et à « renforcer la vie démocratique de notre pays ». À l’évidence, l’objectif n’a jamais été réellement atteint.
Pour autant, désormais intégrées à la Constitution dont l’article 48 prévoit qu’une séance au moins leur soit dédiée par semaine, y compris en session extraordinaire, elles constituent un indispensable espace de confrontation politique au « potentiel de viralité assez important ». De surcroît, la joute politique nécessite une part de théâtralisation qui permet aux différents protagonistes de mettre en scène leurs priorités, leurs réformes et leurs succès. C’est même au fond la vocation de l’hémicycle, lieu d’aboutissement et de mise en lumière d’un travail parlementaire qui s’est déroulé en amont. Reste que le paradoxe est notoire puisque le seul moment où la plupart des députés se pressent sur leurs bancs est celui où rien de décisif ne se décide !
Pour tenter de faire évoluer cette procédure, il est proposé de raccourcir la séance du mardi d’environ 30 minutes et de la réserver à un échange entre le Premier ministre et les différents présidents de groupe. L’exercice gardera ainsi son intérêt en garantissant la capacité pour les protagonistes de réagir à l’actualité, il gagnera par ailleurs en intensité en raison de la qualité des intervenants – donnant ainsi raison à l’ancien Premier ministre britannique, Benjamin Disraeli, qui remarquait déjà en 1844: « Nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition ».
Quant à la séance du mercredi, elle pourrait connaître deux évolutions destinées à lui donner plus de contenu tout en lui garantissant sans doute aussi un déroulement bien plus calme ! La première consisterait à prévoir que les thèmes des questions soient transmis au gouvernement afin que celui-ci puisse apporter une réponse précise. En effet, le ministre découvre en séance le questionnement du parlementaire de l’opposition et, la plupart du temps, le souci de l’apparence l’emportant, il se contente alors d’énoncer des généralités, laissant les observateurs sur leur faim.
La seconde viserait à réserver justement ces questions à l’opposition, celles de la majorité étant volontiers marquées au sceau de la complaisance et leur seul intérêt étant bien souvent de valoriser l’image de leur auteur, ce qui ne leur confère somme toute qu’une efficacité très limitée en termes de contrôle parlementaire… Une telle évolution serait conforme à celle observée depuis l’origine. En effet, depuis quarante-trois ans, ce rendez-vous hebdomadaire ne cesse de bénéficier aux membres de l’opposition. Ainsi, depuis la conférence des présidents du 28 juin 2012, la parité des quinze questions posées inscrite dans le Règlement, à l’article 133, est respectée. L’évolution suggérée passerait donc, une fois vérifiée que l’expérience est concluante, par une adaptation règlementaire.
Enfin, il n’est pas proposé de retenir l’hypothèse pourtant régulièrement avancée, y compris par l’auteur, d’un droit de réplique, afin de stimuler l’échange. Cette possibilité a existé en juillet 1981 mais fut supprimé dès novembre 1983, les présidents des groupes ayant le souci de permettre au plus grand nombre possible de leurs collègues de s’exprimer. Jean Foyer avait en 1991 réclamé sa réintroduction, estimant que « plus qu’un moyen de contrôle aux mains de l’opposition, la procédure [des questions] est pour le gouvernement un moyen de se faire valoir. Seule la restauration du droit de réplique permettrait de redresser la situation. Peut-être ». En réalité, il suffit d’observer la mise en œuvre de ce droit au Sénat où il est pratiqué depuis le 13 mai 2015 pour se convaincre de son inefficacité. En effet, dans la quasi-totalité des cas, le sénateur, qui n’a pas consommé son temps initial dans l’énoncé de la question, anticipe la réponse du ministre et rédige préalablement le contenu de son droit de réplique. On assiste donc à deux exercices aussi dépourvus d’intérêt que de spontanéité. Le sénateur continue à lire sa question, bridant ainsi sa capacité d’improvisation, et dans la foulée de la réponse du ministre, tenant à des généralités généralement conclues par un bon mot afin de susciter l’adhésion de ses seuls soutiens, le sénateur reprend la lecture de sa conclusion sans réellement intégrer l’échange qui vient d’avoir lieu. Un exercice parfaitement congelé, donc, bien éloigné d’un contrôle parlementaire digne de ce nom…
Pour accroître encore le contrôle, il faut aussi accepter définitivement le postulat que si en matière législative, c’est la logique majoritaire qui très logiquement prévaut, en matière de contrôle, la règle doit être celle de l’égalité entre ceux qui soutiennent et ceux qui s’opposent. C’est elle qui, avec le temps long de la réflexion que permettent les missions d’information, nourrit le consensus.
Georges Pompidou l’avait théorisé le premier, le 6 juillet 1966 dans Le Monde, en reconnaissant que « si le travail législatif s’analyse en substance en un dialogue entre le gouvernement et la majorité, l’exercice du contrôle est d’abord un dialogue permanent entre le gouvernement et l’opposition ». La formule vaut encore aujourd’hui, sous réserve que l’on admette que le contrôle ne saurait être en toutes circonstances une expression déguisée de l’opposition et que les députés de la majorité veuillent bien concéder que le dialogue ne peut se réduire à un monologue.
Le contrôle doit en effet être un stimulant car, ainsi que l’écrivait le député Louis Bardou sous la IIIe République, « qui n’est pas contredit s’abandonne ». C’est cette considération qui anima l’auteur de ses lignes au moment de la proclamation de l’état d’urgence déclaré le 14 novembre 2015, au lendemain des attentats qui venaient de frapper notre pays. Lors des débats du 18 novembre 2015 à la commission des lois, il avait déposé un amendement proposant d’insérer un nouvel article 4-1 dans la loi du 3 avril 1955 qui disposait que : « L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le gouvernement pendant l’état d’urgence. Ils peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures ». Cet amendement fut adopté et, ce faisant, intégré dans le texte qui fut débattu en séance publique le lendemain.
C’est lors de la réunion de la même commission du mercredi 18 novembre 2015 que furent définies les modalités qu’allait revêtir ce contrôle. Ainsi une veille continue fut mise en place afin d’évaluer la pertinence des mesures adoptées et de formuler, le cas échéant, des recommandations. L’ensemble des outils du contrôle parlementaire furent mobilisés, la commission faisant même usage pour la première fois de la faculté ouverte par l’article 5 ter de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires de se doter des prérogatives d’une commission d’enquête : contrôles sur place, déplacements, questionnaires, auditions, demandes de transmission de pièces. Des indicateurs furent en outre institués et actualisés chaque semaine en vue de recenser les mesures exceptionnelles permises telles que, par exemple, les assignations à résidence, perquisitions, remises d’armes, interdictions de circuler, dissolutions d’associations, fermetures d’établissement ou interdictions de sites Internet. Les suites administratives et judiciaires de ces mesures ainsi que les recours formés à leur encontre furent également recensés.
Ce contrôle fut qualifié d’« innovant tant dans sa temporalité que dans la méthode utilisée » par Julia Schmitz, maîtresse de conférences en droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, dès lors qu’il s’agissait d’une action permanente et « en temps réel ». Pour leur part, les professeurs Olivier Beaud et Cécile Guérin-Bargues saluèrent « une démarche ambitieuse » qui « constitue un progrès réel ».
Cela souligne aussi combien, si les parlementaires en décident, le contrôle peut constituer « un pouvoir presque sans entrave » contrairement à la fonction législative. Le cas d’espèce que représente l’état d’urgence souligne à quel point ces activités de contrôle sont susceptibles de se déployer dans un espace de liberté constitutionnelle qui n’est en rien comparable avec le cadre législatif. En effet, si la loi du 3 avril 1955 a été modifiée pour prévoir un droit spécifique d’information du Parlement, pour l’organisation concrète du contrôle, ce sont des moyens qui préexistaient qui ont été sollicités, assortis – l’auteur le reconnaît – d’une pression réelle et constante de sa part sur le gouvernement.
Ne pas disposer d’informations, c’est donc être contraint à l’inaction. C’est pourquoi il faut étendre les prérogatives d’investigation dont bénéficient les rapporteurs des commissions d’enquête et les rapporteurs spéciaux aux rapporteurs de missions d’information créées par la conférence des présidents. Et de même que la mention explicite, à l’article 47-2 de la Constitution, d’une mission générale d’assistance de la Cour des comptes au Parlement pour l’exercice de la mission de contrôle de l’action du gouvernement a permis une association plus étroite au travail parlementaire, il pourrait être envisagé de formaliser l’accès aux documents élaborés par les différentes inspections générales.
Placées sous l’autorité du pouvoir exécutif, ces dernières exercent, pour le compte des membres du gouvernement auxquels elles sont rattachées, une mission de contrôle et d’audit qui permet aux ministres de contrôler le fonctionnement des services placés sous leur autorité. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs fermement rappelé en 2009 qu’une chambre «ne saurait imposer la présence des responsables administratifs des politiques publiques lors de la présentation des rapports relatifs à ces politiques », et que « la séparation des pouvoirs interdit que, pour conduire les évaluations, les rapporteurs du comité puissent bénéficier du concours d’experts placés sous la responsabilité du gouvernement ». De ce fait, la publicité systématique des rapports des inspections générales ne paraît ni opportune, ni conforme à la logique qui a justifié la création de ces dernières. Pour autant, il est tout aussi certain que certains travaux, très ciblés, peuvent utilement concourir à l’exercice par le Parlement de sa mission d’évaluation des politiques publiques.
D’ailleurs et heureusement dans les faits, les collaborations existent et souvent depuis longtemps. Ainsi la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) obtient régulièrement le concours de l’inspection générale des affaires sociales et, en tant que ministre de la Justice, l’auteur a adressé, à sa demande, au président de la commission des lois du Sénat, un nombre conséquent de travaux issus des différents corps d’inspection qui existaient au sein de l’administration (avant qu’ils ne soient fusionnées dans une « inspection générale de la justice » le 1er janvier 2017). Pour autant, les députés sont régulièrement confrontés à l’impossibilité d’obtenir certains rapports des inspections générales. Dès lors, il conviendrait de lever ces verrous.
Il pourrait aussi être expérimenté un système de mobilité qui permettrait de mettre à la disposition du Parlement un certain nombre de fonctionnaires œuvrant dans les corps d’inspection. Au-delà de l’optimisation des ressources humaines de la puissance publique qu’autoriserait une telle évolution, l’Assemblée et le Sénat verraient ainsi s’accroître leur capacité de réflexion.
De même, il devrait être possible de prévoir des mises à disposition de fonctionnaires auprès des présidents ou des services des commissions. Hier, la commission des finances bénéficiait de l’appui de fonctionnaire du ministère qui siégeait alors rue de Rivoli, alors qu’aujourd’hui, seule la commission de la défense et des forces armées dispose de manière systématique de l’appui expert d’un Contrôleur général des armées, conformément à l’article 18 du Règlement. Certes, de tels rapprochements ne sont pas sans risques. Ainsi en 1981, la gauche avait mis fin à la présence de ces fonctionnaires des finances, leur loyauté à l’endroit du Parlement se révélant discutable. Mais à l’évidence en ce qui concerne la commission de la défense, cette présence est de nature à renforcer sa capacité à maîtriser de manière autonome les enjeux les plus difficiles et permet aussi de procéder plus aisément à des évaluations prospectives.
Dans ce dernier domaine, d’autres progrès pourraient sans doute être réalisés si les différents organes parlementaires chargés de l’évaluation pouvaient améliorer la coordination de leur action. À cet égard, le souhait du Comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée d’articuler ses travaux sur les chantiers législatifs à venir constituait une piste intéressante, de même que l’introduction dans le Règlement de l’Assemblée en 2014 d’une disposition (art. 47-2) prévoyant une centralisation auprès de la conférence des présidents des sujets d’évaluation des différentes commissions. Cette disposition n’a pourtant pas été concrétisée.
Enfin, il faut en revenir à Descartes qui affirmait dans son Discours de la Méthode que « un État est bien mieux réglé lorsque n’ayant que fort peu de lois, elles y sont fort étroitement observées ». Dès lors, le contrôle parlementaire gagnera toujours à préciser son objet (une mission trop générale peut s’avérer peu féconde en termes de retombées « opérationnelles ») et sa finalité (l’évaluation est-elle ex ante ou ex post par rapport à une intervention législative ?).
Inversement, il serait utile de mettre fin au statut hybride du « parlementaire en mission » comme l’a suggéré une récente proposition de loi sénatoriale. Certes, pour l’entériner de manière définitive, une modification de la loi organique serait indispensable mais, dans la pratique, un principe pourrait être affirmé à l’initiative de l’Assemblée, tant cette survivance du passé, remontant à la IIe république, paraît aujourd’hui contre-productive puisqu’elle revient à placer le Parlement au service du gouvernement.
Un député devient « parlementaire en mission » suite à une désignation par le gouvernement qui lui confie une mission administrative temporaire, laquelle se termine généralement par la remise d’un rapport. Pour autant cette fonction ponctuelle, qui se déroule en complément de l’activité élective, ne porte aucune conséquence quant à la détention du mandat. Comme le Conseil constitutionnel l’a relevé en 1989, « le parlementaire appelé à effectuer une mission temporaire à la demande et pour le compte du gouvernement continue d’appartenir au Parlement ». Les buts sont très divers : préparer une réforme législative, suivre la mise en œuvre d’une loi, dresser le bilan d’une réforme menée, s’impliquer dans la transposition d’une directive européenne ou… permettre le remplacement du parlementaire par son suppléant au bout de six mois.
La plus-value pour le parlementaire d’une telle désignation n’est pas évidente, d’autant qu’elle fait de l’exécutif non seulement le seul maître réel de la mission mais aussi de son résultat puisqu’il lui est loisible de ne pas publier le rapport. On se demande de surcroît en quoi cette nomination pourrait au juste contribuer à accroître les pouvoirs d’investigation de l’élu. Au demeurant, l’on ne comprend pas mieux quel intérêt le gouvernement peut retirer d’une telle opération…
Renforcer la responsabilité des parlementaires en matière de déontologie
Le pouvoir est en France une instance quasi religieuse et la politique encore un territoire où le sacré se mêle à l’irrationnel. Aussi lorsque la société se porte bien et que le pays se renforce, il en naît parfois de la révérence, voire de la dévotion. Mais quand les temps sont durs, il y a de l’abjuration et même de la profanation dans l’air. Et pour faire expier au pouvoir ce que l’on ressent comme de l’impuissance, quoi de plus tentant que de remettre en cause son honnêteté ou de suspecter son intégrité ? Nous traversons sans aucun doute un tel moment. C’est pourquoi, il faut en revenir au droit, c’est-à-dire aux règles, aux procédures, aux institutions qui doivent donner des garanties d’un exercice impartial des charges publiques.
L’Assemblée nationale s’y emploie et n’a eu de cesse, notamment ces dernières années, de développer des pratiques, de construire des dispositifs et d’imaginer de nouveaux outils pour renforcer la déontologie. À chaque étape, une même conviction : plus d’éthique et plus de contrôle afin de repousser l’inclination malsaine que certains ressentent à l’édification des piloris ou le sentiment d’extase qu’ils conçoivent à la lueur des bûchers.
Dans ce domaine, la XIVe législature restera comme un moment charnière, représentant à la fois une rupture avec le passé et une promesse d’avenir. L’action conduite durant cinq ans a permis aux députés de présenter un tableau beaucoup moins sombre que celui parfois tracé sous l’influence du populisme ambiant, notamment grâce à l’adoption de la loi du 11 octobre 2013 dont l’auteur eut la responsabilité comme rapporteur. De la publication des déclarations d’intérêts des parlementaires à la publicité sur l’usage de la réserve parlementaire, de la répartition de cette dernière par groupe politique au prorata du nombre de ses membres, instaurant, pour la première fois sous la Ve République, une stricte équité de traitement entre majorité et opposition, à la certification des comptes de l’Assemblée par la Cour des comptes, sans oublier la création d’un registre des « représentants d’intérêts », jamais autant de réformes d’une telle ampleur n’avait été menées.
Ainsi le déontologue de l’Assemblée nationale est-il le fruit d’une démarche bipartisane, puisque cette institution est née par décision du Bureau du 6 avril 2011. Il s’est « progressivement installé dans le paysage institutionnel du Palais Bourbon » traduisant ainsi une réelle prise en compte par les députés de la nécessité de renverser la montée du cynisme politique que l’on observe dans la plupart des démocraties développées. S’imposer des règles d’éthique fut un processus qui n’alla pas sans tensions ni conflits, non pas car les élus estimaient « ne tirer aucun bénéfice politique de cette initiative » mais parce qu’ils se considéraient comme les seuls experts capables de juger du caractère éthique ou non de la conduite de leurs pairs. Mais peu à peu le déontologue a montré son utilité dépassant même les limites de sa mission initiale qui consistait essentiellement à guider les députés afin d’éviter d’éventuels conflits d’intérêts. Ainsi, le dernier rapport publié indique que « le sujet qui préoccupe le plus les députés ayant demandé une consultation au déontologue reste de façon majoritaire l’utilisation de leur indemnité représentative de frais de mandat ». Des avancées nouvelles méritent donc d’être proposées tout en évitant une compétition entre de modernes Torquemada et Fouquier-Tinville.
Par exemple, il pourrait être décidé de doter le déontologue d’une capacité d’investigation. Aujourd’hui, l’article 80-3 du Règlement précise que « le déontologue peut être saisi par tout député qui souhaite, pour son cas personnel, le consulter sur le respect des règles définies dans le Code de déontologie ». Il ne dispose donc pas des pouvoirs d’investigation qui sont ceux conférés aux commissaires parlementaires à l’éthique aux parlements britannique et canadien, ni ceux qui peuvent être exercés par la Haute autorité de la transparence de la vie publique. Précisons que, pour autant, il n’est pas démuni et a toujours la possibilité de demander des précisions aux députés concernés, qu’il «a obtenues en tant que de besoin ».
Ainsi le déontologue pourrait être chargé de contrôler l’utilisation des sommes reçues au titre de l’indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) et des indemnités de fonction complémentaires. Il faut à l’évidence tenir compte des critiques récurrentes sur la situation actuelle, tout en notant que dans l’ensemble des démocraties, les parlementaires sont défrayés pour les dépenses liées à leur mandat. Cependant, tous les Parlements étrangers n’ont pas retenu une solution identique. Si le Royaume-Uni, les États-Unis ou le Canada ont opté pour un mode de remboursement sur notes de frais, d’autres pays comme la France, l’Allemagne ou le Parlement européen ont recouru à l’affectation d’une indemnité forfaitaire.
Cette dernière présente du point de vue des finances publiques un avantage conséquent dans la mesure où elle est économe, le système des notes de frais induisant le développement d’une administration dédiée à leur contrôle. Ainsi au Royaume-Uni, la structure qui, tout en étant rattachée à la Chambre des Communes est juridiquement indépendante (Independant Parliamentary Standards Authority), compte 67 personnes à temps plein chargées de définir les conditions dans lesquelles les frais peuvent donner lieu à un remboursement.
Cependant, le système français actuel, s’il permet d’éviter des coûts administratifs inutiles, ne met pas le député en mesure de répondre à d’éventuelles allégations sur une utilisation qui ne serait pas justifiée. Aussi, pour remédier à cette lacune, afin de sécuriser les élus et d’éviter que la presse ne se focalise sur les rares cas d’utilisation déviante, l’intervention du déontologue serait opportune. Son action pourrait être précédée de l’obligation pour le député de faire certifier le compte dédié à l’IRFM par un expert-comptable, ce qui induit que ce dernier se soit assuré de la présence des pièces justificatives idoines. Évidemment, une telle évolution nécessiterait un effort supplémentaire de la part des parlementaires, mais l’approfondissement de la déontologie à l’Assemblée nationale est la seule voie utile pour la promotion de l’éthique en politique.
Si le déontologue devait constater un manquement, il pourrait le rendre public après respect d’une procédure contradictoire permettant au député concerné de faire valoir son point de vue. Cette publicité, qui interviendrait bien plus rapidement qu’une hypothétique sanction pénale, pourrait être assortie de l’obligation faite à l’élu de restituer les sommes indûment prélevées sur l’IRFM. Ce serait ainsi la première application en France du principe cher aux Anglo-Saxons du name and shame dont l’effet de dissuasion est bien plus efficace qu’une peine hypothétique intervenant plus ou moins tardivement.
Certes, la voie d’une fiscalisation de l’IRFM peut aussi être étudiée mais elle peut recéler des effets pervers. En effet, la préservation de l’autonomie de l’Assemblée est non seulement fondée en droit sur la séparation des pouvoirs, mais elle est en outre justifiée par des raisons d’efficacité pratique. Ainsi comment concilier l’indépendance du Parlement avec le fait que ce seraient les services fiscaux placés sous l’autorité du pouvoir exécutif qui assureraient le contrôle des frais professionnels ? De même, le système des notes de frais oblige à immobiliser un budget plus important que celui qui servira in fine au remboursement des parlementaires, dans la mesure où les plafonds de dépenses fixés ne sont que rarement atteints, comme le démontrent les exemples étrangers. Enfin, qu’adviendrait-il si, dans quelques années, la presse publiait une liste de parlementaires exonérés d’impôts en raison d’une déduction conséquentes de leurs frais réels ?
Dans tous les cas, il conviendra d’accroître les moyens du déontologue (ressources humaines et budget) et de les regrouper dans une structure administrative spécifique afin de renforcer encore un peu plus l’indépendance de la mission.
Toujours dans l’optique de la quête d’un équilibre aussi pertinent qu’indispensable entre confiance et responsabilité, un statut doit être reconnu aux collaborateurs parlementaires.
L’auteur les avait fait sortir de l’anonymat par le vote d’un amendement déposé lors de débats sur la loi sur la transparence de la vie politique en 2013 dont il était le rapporteur. Puis à l’occasion de l’étude de la proposition de résolution de Claude Bartolone tendant à modifier le Règlement de l’Assemblée nationale, l’auteur de ses lignes avait fait adopter de nouveaux amendements consacrant pour la première fois non seulement l’existence des collaborateurs des députés, mais prévoyant également qu’ils « bénéficient d’un statut », négocié avec leurs organisations, dans des conditions fixées par les questeurs. Las, dans sa décision du 11 décembre 2014, le Conseil constitutionnel, s’il a conservé quelques réels progrès, a censuré d’autres avancées, considérant, sans vraiment le motiver, qu’elles ne relevaient que du droit du travail et ne concernaient pas l’objet du Règlement, qui est notamment « l’organisation ou le fonctionnement de l’Assemblée nationale ».
Depuis cette date, la situation a heureusement évolué, un accord entre les syndicats CFDT, CFTC, SNCP-FO et l’association créée à cette occasion représentant les députés-employeurs ayant été conclu le 24 novembre 2016 pour entrer en vigueur le mercredi 1er mars 2017. À l’évidence, ce texte marque une avancée, puisqu’il contient différents dispositifs sécurisant le travail des assistants et qu’il entérine plusieurs mesures sociales prises ces dernières années – tout en continuant, malheureusement, à éluder la définition de ce métier qu’exercent quelque 2 090 collaborateurs. Il n’est de fait plus acceptable qu’ils continuent à être liés par un contrat de droit privé à leur député-employeur, ce qui les assimile à des salariés de très petites entreprises ne bénéficiant ni d’une convention collective ni d’aucun statut défini. Le temps de la reconnaissance est venu.
Élargir les droits de l’opposition
Déjà en 1961, le Club Jean Moulin soulignait que « l’existence d’un parlement digne de ce nom » se manifeste par le fait qu’il « donne à la minorité une fonction officielle et des armes pour le combat politique ». Après avoir peiné à s’engager sur cette voie, la France a, depuis, réalisé bien des progrès, mais il est toujours possible d’en imaginer de nouveaux, d’autant que le moteur de nos démocraties contemporaines n’est plus l’antique couple exécutant-délibérant, mais bien le couple gouvernant-opposant. Vouloir améliorer le bon fonctionnement de notre régime parlementaire passe donc par une promotion audacieuse de l’opposition.
Ainsi par exemple, il pourrait revenir à un député de l’opposition de rapporter chaque proposition de nomination par le président de la République.
En effet, en vertu de l’article 13 de la Constitution et des lois organique et ordinaire du 23 juillet 2010, les commissions permanentes de l’Assemblée sont régulièrement appelées à rendre un avis public préalablement à une nomination par le président de la République. Ainsi durant l’actuelle législature, 70 avis furent rendus par l’ensemble des huit commissions.
Or seule la commission des lois, à l’initiative de l’auteur de ses lignes, a organisé un dispositif permettant d’associer systématiquement l’opposition parlementaire. Ainsi dès le 5 décembre 2012, saisie de la proposition de nomination d’un nouveau directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), fut appliqué l’article 29-1 du Règlement qui permettait de nommer un rapporteur, et celui-ci fut issu des rangs du groupe alors dénommé UMP. Puis le 9 décembre 2013, devant se prononcer sur la nomination de Jean-Louis Nadal, envisagé par le chef de l’État comme président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), la commission décida d’adresser un questionnaire de douze questions préalable à l’audition. Les réponses de la personnalité furent réceptionnées quelques jours avant l’audition et communiquées à tous les parlementaires qui disposèrent dès lors du temps de réflexion nécessaire.
La troisième étape fut franchie le 2 juillet 2014 à l’occasion de l’audition d’Adeline Hazan comme Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et de Jacques Toubon comme Défenseur des droits, par la mise en ligne le 30 juin, sur la page du site Internet de l’Assemblée réservée à la commission des lois, des réponses de chacune de ces deux personnalités au questionnaire adressé par le rapporteur. Ainsi ce document, consultable par le public, valait engagement de la part des candidats sur l’exercice de leur fonction.
Petit à petit, pour la commission des lois, cette procédure voulue par le Constituant a donc trouvé sa place, ses règles et même ses rituels, dans l’ensemble des dispositions conférant une influence décisive au Parlement. Le point culminant fut, de ce point de vue, le rejet le 14 janvier 2015 d’une proposition de nomination au Conseil supérieur de la magistrature, avec un total des votes négatifs exprimés à plus des trois cinquièmes.
Pourquoi ne pas étendre à toutes les commissions cette bonne pratique en la systématisant ? Elle pourrait d’ailleurs encore être perfectionnée en instaurant un délai de quinze jours avant l’audition pour permettre aux commissaires de mieux la préparer à partir des réponses fournies, tout comme pourrait être appréciée l’obligation d’un délai de trois jours après l’audition et avant le vote. Une période de réflexion peut être propice quand il s’agit par exemple de se prononcer sur la désignation d’un futur juge constitutionnel.
De même, il est maintenant possible d’envisager d’accroître le poids de l’opposition au sein de la conférence des présidents de l’Assemblée. Cette structure est, dans les faits, la principale instance collégiale de décision. Conformément à l’article 48-1 du Règlement, l’opposition y est représentée par les vice-présidents de l’Assemblée appartenant aux groupes minoritaires, par les présidents de ces mêmes groupes et, depuis la XIIIe , par le président de la commission des finances.
En effet, au titre des droits spécifiques reconnus aux groupes d’opposition et minoritaires, l’Assemblée avait décidé, lors d’une modification de son Règlement votée le 27 mai 2009, d’octroyer à ceux-ci la présidence de la commission des finances (article 39[[L’alinéa 3 prévoit que « ne peut