Le contexte de la guerre en Ukraine a davantage mis en avant la dimension stratégique et écologique de la question énergétique. Gérard Fuchs, en revenant sur les différentes possibilités de production d’électricité, esquisse ce que pourrait être une autre « politique électrique ».
En dehors de quelques manifestions atmosphériques, difficilement prévisibles et le plus souvent non maîtrisées, l’électricité n’existe pas dans la nature terrestre : c’est l’Homme qui l’a fait apparaître en faisant tourner par différents moyens des aimants, puis qui l’a diffusée en instaurant des réseaux de câbles métalliques maillant notre planète de façon de plus en plus serrée, bien que laissant encore à l’écart les moins favorisés de la population mondiale.
L’électricité a pris un rôle sans cesse croissant dans le monde au fil des dernières décennies. Aux usages déjà établis – la cuisson des aliments, les lave-linges et les lessiveuses, les métros et les trains –, sont venus se généraliser le chauffage des habitations, l’apparition de voitures électriques et la multiplication de moyens de communication immatériels : ordinateurs, imprimantes, tablettes et portables. Pour les faire fonctionner pleinement, il a ensuite été établi des réseaux de satellites qui permettent des échanges au sein d’une majorité croissante d’humains.
L’électricité, indispensable mais problématique
Sa fabrication utilise aujourd’hui toutes sortes de sources aux retombées trop souvent dangereuses :
- celles qui résultent de barrages et de turbines sur des cours d’eau sont en général, une fois passés des transferts de population parfois douloureux, les moins critiquées : la production d’électricité peut être quasi instantanément ajustée aux besoins des moments, sans conséquences importantes en aval ;
- celles qui résultent du fonctionnement des centrales thermiques, au charbon, au fioul ou au gaz, sont en revanche lourdes de conséquences négatives : d’abord, pour une production électrique donnée, il faut un certain débit d’eau de refroidissement, qui ne pose pas de problème en bord de mer mais suppose un débit minimal pour rivières ou fleuves, ce qui peut conduire à des arrêts de production en cas de sècheresse ; ensuite et surtout, les émissions de gaz carbonique inévitables (les stockages en profondeur sont très limités) représentent aujourd’hui la cause principale du réchauffement climatique que nous connaissons ;
- celles qui résultent de la chaleur issue de réactions de fission nucléaire sont les plus contestées, malgré une disponibilité quasi permanente : les risques d’accidents prévisibles sont en principe couverts mais un tsunami, un tremblement de terre, une guerre peuvent dépasser les anticipations et avoir des conséquences lourdes et de longue durée ; par ailleurs, les sources d’irradiations qui résultent des combustibles usés induisent des rayonnements dangereux pour lesquels l’enfouissement ou la couverture sont des solutions non satisfaisantes dans le moyen ou long terme.
Pour réduire autant que possible les sources ci-dessus, il a été alors décidé d’amplifier le recours aux éoliennes, en mer ou au sol, et au solaire ; mais ces énergies sont au mieux intermittentes, au pire imprévisibles (tempêtes, vents de sable), et ne peuvent faire partie du socle de production indispensable pour qu’une entreprise comme EDF remplisse ses missions de service public à tout moment.
Les constats ci-dessus, valables pour tous les pays, ont conduit ceux de l’Union européenne à prendre des décisions qui se sont rapidement révélées incohérentes et dangereuses. Le choix fait par l’Allemagne il y a quelques années de mettre fin radicalement au nucléaire a eu des résultats environnementaux désastreux : un accroissement des émissions de gaz carbonique découlant du retour aux processus antérieurs et remettant en cause les engagements internationaux visant à amplifier la lutte contre le réchauffement climatique. La Belgique, qui avait pris des décisions de même nature, vient de revenir en arrière. Quant à la France, elle n’a fait que bafouiller ces dernières années, arrêtant des centrales comme Fessenheim qui pouvaient encore fonctionner dix ans sinon plus, évoquant la non-construction d’autres centrales, puis revenant aujourd’hui au nucléaire mais dans des conditions difficiles du fait de l’arrêt de formation de personnels qualifiés en matière d’entretien et de construction, dont les mêmes responsables politiques s’étonnent maintenant qu’ils manquent aujourd’hui !
Après ces péripéties, il apparaît indispensable de définir une « politique électrique » dépassant la vision des responsables actuels et n’hésitant pas à s’étaler sur plusieurs décennies. Cette approche nécessaire apparaît par ailleurs d’autant plus intéressante qu’elle peut permettre d’intégrer dans les réflexions les projets en cours concernant la fusion nucléaire.
Celle-ci, qui crée la lumière du soleil en rapprochant les noyaux d’hydrogène pour créer de l’hélium, serait certainement une solution idéale à nos besoins d’électricité : l’hydrogène, avec l’oxygène, est une des composantes de l’eau et donc disponible en quantités qui apparaissent d’autant plus considérables que la fusion d’un gramme d’hydrogène peut libérer autant d’énergie que huit tonnes de pétrole. De plus, la maîtrise de la fusion permettrait de détruire les anciens combustibles nucléaires générateurs de rayonnements dangereux, qui ont été évoqués ci-dessus.
Cette possibilité apparaît donc à tous égards séduisante ; encore faut-il s’assurer des moyens de sa réalisation.
La fusion, un horizon décisif ?
La France est au cœur d’un projet en cours – le projet « ITER »1International Thermonuclear Experimental Reactor. – qui rassemble 35 pays et a démarré avec la construction dans les Bouches-du-Rhône d’un réacteur de 23 000 tonnes dénommé « Tokamak »2Machine transformant l’énergie de fusion en chaleur puis en vapeur., qui devrait atteindre son énergie maximum en 2035, en générant dix fois plus de watts de puissance que de watts injectés. Le budget actuellement mis sur la table est déjà de 20 milliards d’euros.
Deux éléments d’appréciation de la situation apparaissent alors :
- à quelle échéance pourra-t-il être dit à coup sûr que le projet ci-dessus ne se heurte pas à des difficultés imprévues, et que la fusion est non seulement réalisable mais aussi suffisamment durable et productive pour satisfaire à terme les besoins d’électricité jugés nécessaires ?
- ce premier obstacle supposé franchi, combien de temps sera-t-il nécessaire pour construire la série de centrales « fusion » permettant de compléter les sources électriques jugées acceptables à ce moment ?
Les experts, pas toujours d’accord entre eux, évaluent à une quinzaine d’années la réalisation du Tokamak au rendement prévu, à une dizaine d’années le temps nécessaire pour améliorer suffisamment son rendement de façon à n’avoir à construire qu’un nombre raisonnable de centrales, et à une dizaine d’années le temps de chaque construction (c’est la durée de construction des centrales nucléaires actuelles).
Cela nous mène à 2055 : d’un côté cela paraît lointain ; de l’autre, cela signifie que, à partir de cette date, les effets négatifs des modes actuellement dangereux de la création d’électricité iront décroissant vers zéro, rétablissant l’un des équilibres nécessaires à la survie de notre planète.
Il en est d’autres, mais qu’il s’agisse de la maîtrise de la population mondiale ou du maintien de la qualité de nos océans et de notre atmosphère, un horizon de long terme est également indispensable.
- 1International Thermonuclear Experimental Reactor.
- 2Machine transformant l’énergie de fusion en chaleur puis en vapeur.