La rentrée des classes 2024 se déroule dans un contexte politique inédit. Comment les nouveaux députés vont-ils aborder les questions d’éducation ? Hadrien Brachet, journaliste à Marianne, et Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation, proposent quatre chantiers éducatifs à investir : la mixité sociale, la transmission des valeurs de la République et la laïcité, la formation des enseignants et l’avenir du lycée professionnel.
En convoquant des élections législatives seulement trois semaines après la dissolution de l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron a déclenché une campagne précipitée, plus encline à favoriser les postures et les jeux d’appareil qu’un véritable débat de fond sur la situation du pays. Comme d’autres thématiques essentielles, les questions d’éducation, souvent perçues comme techniques, se sont retrouvées au second plan ou simplifiées à l’extrême. Or, l’état de l’école et les nombreux enjeux auxquels celle-ci est confrontée – attractivité du métier d’enseignant, niveau des élèves, inégalités sociales, classes surchargées, intégration des valeurs de la République et sentiment d’appartenance à une communauté politique, inclusivité, accès à l’enseignement supérieur, etc. – conditionnent l’avenir de la nation.
Au cours des prochains mois, dans une Assemblée divisée, les différentes forces politiques auront le devoir de se montrer responsables pour faire progresser ce chantier malgré leurs divergences. Pour ne pas passer à côté d’un débat essentiel, ni faire abstraction de la complexité des défis à relever, cette note suggère quatre thématiques éducatives fondamentales autour desquelles élaborer dès maintenant des accords et des directions communes pour restaurer l’école : mixité sociale, transmission des valeurs de la République, formation des enseignants et avenir du lycée professionnel. Bien sûr, d’autres aspects, non abordés ici, sont eux aussi essentiels, comme la revalorisation du métier d’enseignant et la question de son attractivité, mais ces quatre piliers semblent des portes d’entrée efficaces pour penser les questions éducatives sur le long terme et susciter de réelles transformations. Il ne s’agit pas de bâtir un programme, mais plutôt d’ouvrir des réflexions à partir desquelles les différentes formations politiques pourront parvenir à des consensus, dans l’intérêt des jeunes générations. Alors que ces dernières années les politiques éducatives ont souvent été menées à base de circulaires ou de décrets, l’occasion est grande de remettre l’école au cœur du débat parlementaire.
La mixité sociale
Inscrit à l’article 1er du Code de l’éducation, l’objectif de mixité sociale au sein des établissements mérite aussi d’être placé au premier rang des débats sur la question scolaire. Au-delà du droit à l’égalité des chances en matière d’accès à une éducation de qualité et de la nécessité d’éviter le plus possible la concentration des difficultés socio-économiques de nature à porter atteinte à la réussite de chacun, il s’agit de s’assurer que l’école joue pleinement son rôle de creuset républicain. Elle est l’institution par excellence qui doit permettre aux différentes jeunesses de se rencontrer, de se fréquenter et de développer leur esprit critique par le décloisonnement de leurs univers géographiques, sociaux, culturels, ou politiques. Par ailleurs, plusieurs études ont souligné les effets bénéfiques de programmes visant à améliorer la mixité sociale au sein des classes, que ce soit sur les trajectoires scolaires des élèves, notamment l’accès à l’enseignement supérieur1Pauline Charousset, Marion Monnet, Youssef Souidi, « Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets », Institut des politiques publiques, novembre 2023., mais aussi, à plus court terme, sur leur bien-être et le climat scolaire2Julien Grenet, Élise Huillery, Youssef Souidi, « Mixité sociale au collège : premiers résultats des expérimentations menées en France », Conseil scientifique de l’Éducation nationale, avril 2023.. Émancipation des individus et cohésion future de la nation vont ici de pair.
Or, force est de constater que le compte n’y est pas. En 2021, 10% des collèges accueillaient plus de 61% d’enfants de milieux défavorisés, pendant que 10% en comptaient moins de 14,6%3Marine Guillerm, Olivier Monso, « Évolution de la mixité sociale des collèges », Note d’Information, DEPP, n° 22.26, 2022.. La publication, en octobre 2022, des indices de positionnement social (IPS) de chaque établissement (et depuis en accès libre) offre une vision particulièrement éclairante sur l’ampleur des fractures sociales entre espaces géographiques et donc établissements scolaires. Sans surprise, une part de cette situation s’explique par de fortes disparités entre quartiers mais aussi entre départements, ce qui constituerait l’occasion pour les différentes forces politiques d’ouvrir un débat plus large sur l’aménagement du territoire, la répartition des bassins d’emploi ou encore l’accès au logement.
De nombreux travaux démontrent également l’existence de situations très différentes au sein d’un même territoire. « Nul besoin de comparer de manière caricaturale les établissements du très opulent 16e arrondissement de Paris à ceux des quartiers paupérisés de Marseille », écrit le chercheur Youssef Sidi dans son ouvrage Vers la sécession scolaire4Youssef Souidi, Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège, Paris, Fayard, 2024.. « Une promenade de quelques centaines de mètres dans certaines villes suffit – on recense ainsi près de 92 000 collégiens scolarisés dans un établissement socialement très défavorisé mais situé à moins de quinze minutes à pied d’un collège socialement favorisé, voire très favorisé. » De quoi appeler une réflexion politique, en lien avec les collectivités locales en charge de la sectorisation, sur le redécoupage de la carte scolaire, les possibilités offertes jusque-là pour y déroger et bien sûr le rôle des établissements privés sous contrat susceptibles de favoriser l’évitement scolaire. En juin 2023, la Cour des comptes alertait sur le « fort recul »5« L’enseignement privé sous contrat », Rapport public thématique, Cour des comptes, juin 2023. de la mixité sociale en leur sein au cours des vingt dernières années. Si d’importantes disparités existent dans le public, en 2021, 18,3% des élèves du secteur privé sous contrat étaient de milieu défavorisé contre 42,6% des élèves du secteur public6Ibid..
Malheureusement, ces dernières années, les politiques publiques pour faire face à cette situation n’ont pas été à la hauteur. Certes, des expérimentations ont été lancées et des initiatives locales ont été prises, notamment à Paris ou en Haute-Garonne7Marine Calazel, Iannis Roder, « La mixité sociale dans les collèges pour favoriser la réussite de tous les élèves : le plan réussi de la Haute-Garonne », Fondation Jean-Jaurès, 2023.. Pour autant, ces démarches manquent encore d’un véritable engagement politique sur le long terme au niveau national. En témoigne l’échec des tentatives du ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, qui avait annoncé vouloir faire de ce sujet l’une de ses priorités. Bloquée par les réticences de sa propre majorité, son action a débouché en 2023 sur un plan peu révolutionnaire dans le public, présenté en catimini, et la signature d’un protocole non contraignant avec l’enseignement catholique8Hadrien Brachet, « Protocole de Pap Ndiaye avec l’enseignement catholique : « On peut douter de son efficacité » », entretien avec Rémy Sirvent, Marianne, mai 2023.. Or, contrairement à ce qu’affirment certains détracteurs dès que le sujet revient sur la table, exiger de l’enseignement privé sous contrat, qui bénéficie d’importants financements publics (huit milliards d’euros), qu’il prenne ses responsabilités en matière de mixité sociale et scolaire n’est en aucun cas rallumer une quelconque « guerre scolaire » ni même remettre en cause son existence, mais bien lui demander de participer, à hauteur de sa responsabilité et des financements dont il bénéficie, à la construction d’une société plus juste et plus égalitaire tout en apportant son écot à un meilleur fonctionnement de l’école et à la nécessaire construction permanente de la nation.
De tels constats devraient donc inviter à faire de la mixité sociale un axe structurant du débat éducatif. Une démarche qui n’empêche pas de se pencher sans naïveté ni culpabilisation sur les motivations des familles qui se détournent de l’enseignement public. Pour susciter une large adhésion, les politiques de mixité sociale doivent d’ailleurs s’accompagner – d’où les items suivants – d’autres mesures visant elles-aussi à répondre aux difficultés structurelles de l’école publique : pénurie d’enseignants, inégalités, rémunérations, conditions de travail et respect de l’autorité des professeurs, harcèlement et violence, état du bâti scolaire, coût réel de la scolarité pour les familles, atteintes aux valeurs de la République, inclusion défaillante des élèves en situation de handicap, etc.
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Abonnez-vousLa transmission de la laïcité et des valeurs de la République
La défense de la mixité sociale s’inscrit dans un projet républicain qui fait de l’école le lieu de l’émancipation des individus, au-delà de leurs appartenances familiales, religieuses, socio-économiques ou géographiques. L’article 1er du Code de l’éducation, le même qui inscrit dans le marbre l’objectif de mixité sociale, assigne à l’école comme « mission première » de « faire partager aux élèves les valeurs de la République » et de transmettre « le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité ». Ces exigences devraient donc être les boussoles orientant tout débat éducatif et rassembler largement. Comme le rappelait la commission Stasi, à l’origine de la loi de 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, l’enceinte scolaire accueille « non de simples usagers, mais des élèves destinés à devenir des citoyens éclairés »9Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, « Rapport au président de la République », décembre 2003..
Pour atteindre cet objectif, les enseignants ont besoin que les responsables politiques fassent bloc derrière eux lorsque ce socle commun fait l’objet d’attaques au sein de l’école. Ceci est valable aussi bien pour les cas les plus tragiques – comme les assassinats de Samuel Paty ou de Dominique Bernard, victimes du terrorisme islamiste – que pour les remises en cause plus répandues et d’une autre nature des enseignements ou du principe de laïcité. Ainsi, dans une étude de la Fondation Jean-Jaurès et de Charlie Hebdo menée en 2020 par l’Ifop, 36% des enseignants interrogés affirmaient avoir rencontré durant leur carrière des contestations d’enseignement au nom de convictions religieuses, philosophiques ou politiques10Iannis Roder, « Les enseignants de France face aux contestations de la laïcité et au séparatisme », Fondation Jean-Jaurès, janvier 2021.. Dans un autre sondage11« Les enseignants du public et la laïcité », Ifop pour le Comité national d’action laïque, mai 2023., cette fois en mai 2023 pour le Comité national d’action laïque (Cnal), ce sont 48% des professeurs qui déclaraient s’être déjà auto-censurés dans l’enseignement de la laïcité, de l’esprit critique ou de la liberté d’expression pour éviter de possibles incidents provoqués par des élèves. Depuis quelques années, les différentes études sur le sujet de l’autocensure des enseignants montrent une progression régulière de cette dernière. Si ces phénomènes sont souvent concentrés dans certains établissements et se règlent dans la grande majorité des cas par le dialogue, en classe ou auprès de l’administration de l’établissement, ils ne doivent en aucun cas être minimisés par la hiérarchie au sein de l’Éducation nationale. Or, si depuis 2013 de nombreux efforts ont été entrepris – Charte de la laïcité, création d’équipes « valeurs de la République », large plan de formation, etc. –, demeurent « des restes du “pas de vagues” »12Hadrien Brachet, « Laïcité : « Nous demandons qu’on nous dise clairement si ces tenues ‘culturelles’ sont religieuses ou pas » », Marianne, mars 2023. pour reprendre l’expression de Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, premier syndicat des personnels de direction. Par ailleurs, au-delà des coups médiatiques de certains responsables politiques, seule une pédagogie de fond et de long terme auprès des élèves permettra de consolider la laïcité et le modèle républicain. Face aux nombreuses confusions et contre-vérités qui circulent à propos de ces fondamentaux, notamment sur les réseaux sociaux, l’école a pour mission de rappeler leur histoire et leur raison d’être. Pour les soutenir dans cet exercice, les enseignants sont en droit d’attendre des politiques un discours clair sur la laïcité, l’universalisme et les missions de l’école de la République, ne cédant ni aux récupérations haineuses des uns, ni aux tentations des autres de mettre les difficultés sous le tapis.
Plus largement, un débat de meilleure qualité sur l’éducation à la citoyenneté est possible. De la part des responsables politiques, celui-ci se focalise trop souvent sur la refonte des heures d’éducation morale et civique (EMC), en grande majorité confiées aux professeurs d’histoire-géographie13Hadrien Brachet, « Réformer l’enseignement civique à l’école, cette fausse baguette magique des ministres », Marianne, octobre 2023.. Or, l’enjeu concerne l’ensemble des enseignants et du monde éducatif. Les acteurs de l’éducation populaire et les institutions culturelles ont par exemple un rôle fondamental en la matière. La question du contrôle renforcé des établissements privés sous et hors contrat, pour s’assurer de leurs enseignements en la matière, mérite également d’être posée.
Enfin, il est indispensable d’aborder tous les phénomènes qui, au quotidien, peuvent nuire au climat scolaire et à la mission républicaine d’émancipation offerte à tous les individus : faits de violence, harcèlement, homophobie, racisme et antisémitisme, etc. Selon l’enquête Ifop pour le Cnal, 74% des enseignants assuraient constater dans leurs établissements des paroles ou des actes de racisme et 36% d’antisémitisme. Là aussi, des forces politiques auraient matière à s’accorder sur des propositions, en s’appuyant sur les travaux de recherche qui décryptent les mécanismes à l’œuvre derrière ces phénomènes.
La formation des enseignants
Véritable « serpent de mer », selon les termes de Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l’IUFM de Créteil, la formation initiale des enseignants n’a cessé d’être réformée depuis quinze ans, sans pour autant déboucher sur un modèle satisfaisant et pérenne. « Nous n’arrivons pas à faire en sorte que la formation marche sur deux jambes : la maîtrise des connaissances et l’adaptation des futurs enseignants à une diversité de public », explique Jean-Louis Auduc14Hadrien Brachet, « Classement Pisa : la formation des enseignants, l’autre talon d’Achille du système français », Marianne, décembre 2023.. Or, tout porte à croire qu’une formation rénovée serait, avec une hausse de la rémunération des enseignants et une amélioration des conditions de travail, un levier décisif pour pallier la crise de recrutement et les résultats peu satisfaisants des élèves français dans les classements internationaux. « Les pays performants dans Pisa ont en général mis la formation des enseignants au cœur de leur réforme »15Fondation Res Publica, La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle, 19 mai 2021., rappelait en 2021 Éric Charbonnier, analyste à l’OCDE.
Pour renforcer le vivier de candidats au métier d’enseignant, plusieurs rapports se sont interrogés ces dernières années sur le positionnement des concours de recrutement, actuellement situés à la fin du master 2. Sans remettre en cause la nécessité de valider un niveau bac +5 avant d’être titularisé, une mission flash de l’Assemblée nationale proposait en 2022 de placer le concours du professorat des écoles à l’issue de la licence, suivi de deux années de formation professionnalisantes rémunérées16Rodrigo Arenas, Cécile Rilhac, Mission flash sur le recrutement, l’affectation et la mobilité des enseignants du premier degré, Commission des affaires culturelles et de l’éducation, Assemblée nationale, novembre 2022.. Cette hypothèse, valable également pour le second degré, aurait pour mérite selon ses défenseurs d’attirer davantage de candidats issus de catégories populaires n’ayant pas les moyens de financer cinq années d’études. Une proposition qui s’accompagne d’une réflexion sur le développement de licences préparant au métier de professeur des écoles, alliant base pluridisciplinaire solide et premières immersions en milieu professionnel. « La durée de la formation des futurs enseignants en France est certes comparable à celle de la plupart des pays européens, soit de quatre ou cinq ans. Mais elle se caractérise par l’absence d’une formation dédiée dès la première année de licence », pointe un rapport du Sénat17Annick Billon, Max Brisson, « Formation initiale et continuée des professeurs : au-delà des effets d’annonce, bâtir sur la durée une formation de qualité fondée sur la simultanéité des apprentissages académiques et des pratiques professionnelles », Rapport d’information n°683, Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, Sénat, juin 2024..
Après avoir repoussé sous Jean-Michel Blanquer les concours à la fin du master 2, Emmanuel Macron avait finalement annoncé pour l’année 2024-2025 une nouvelle réforme afin de développer ces licences pluridisciplinaires et positionner le recrutement du premier comme du second degré à bac +3, suivi de deux années de formation rémunérées. Nicole Belloubet, ministre de l’Éducation nationale démissionnaire, a affirmé que la réforme était « prête » mais n’avait « pas pu aller jusqu’à son terme »18Guillaume Dussourt, « « L’Éducation nationale a besoin de stabilité » : Nicole Belloubet aurait aimé poursuivre son travail », RMC, 17 juillet 2024. du fait de la dissolution. Pour autant, avant celle-ci, dessiné dans une certaine précipitation, perturbé par la succession dans un temps très court de différents ministres, le projet comportait encore de nombreuses inconnues, notamment sur les conditions d’études ou l’architecture et le contenu pédagogiques des composantes de la formation. Un point qui mérite une attention particulière car, au-delà du positionnement des concours, c’est souvent la nature même des enseignements dispensés aux futurs professeurs qui suscite les critiques.
Malgré quelques évolutions ces dernières années, les modules de formation continuent régulièrement d’être jugés trop « hors-sol » et déconnectés de la réalité du métier. Dans une enquête internationale de 2018, plus de 50% des enseignants français exprimaient un manque de préparation concernant la pédagogie et les pratiques de classe à l’issue de leur formation initiale19OCDE, TALIS 2018 Results, volume 1 : « Teachers and School Leaders as Lifelong Learners », TALIS, OECD Publishing, 2019.. À l’heure d’un « choc des savoirs » imposé lui aussi dans la précipitation et suscitant la quasi-unanimité du monde éducatif contre lui, des solutions davantage fructueuses se trouvent certainement du côté de la formation des enseignants à la gestion de l’hétérogénéité des classes, à l’accompagnement personnalisé des élèves ou à la coopération entre collègues. De manière plus générale, sans remettre en cause la liberté pédagogique des professeurs, régulièrement menacée par certains responsables politiques, la question de la transmission aux futurs enseignants des bonnes pratiques validées par les recherches scientifiques est essentielle, car, pour la réussite des élèves et le développement de leur esprit critique, l’enjeu n’est pas forcément le volume horaire dédié aux différents apprentissages mais celui des méthodes et des approches proposées. Outre les débats historiques (et inflammables) sur l’enseignement de la lecture, on trouvera par exemple quelques pistes de réflexion dans l’enquête Pirls 2021 qui montrait qu’en compréhension de l’écrit, les professeurs français étaient moins nombreux que leurs collègues européens à proposer au moins une fois par semaine à leurs élèves de CM1 certaines activités, comme « décrire le style et la structure » d’un texte, « comparer ce qu’ils ont lu à des faits qu’ils ont vécus » ou « déterminer la perspective et les intentions de l’auteur »20Pierre Conceicao, Julien Desclaux, Aurélie Lacroix, « Pirls 2021 : la France stabilise ses résultats contrairement aux autres pays européens majoritairement en baisse », Note d’Information, DEPP, n° 23.21, mai 2023..
Enfin, la formation continue mérite absolument d’être renforcée, en particulier pour accompagner les enseignants dans leurs premières années d’exercice du métier, en y incluant l’ensemble des acteurs de l’Éducation nationale, comme les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), les assistants d’éducation (AED), les conseillers principaux d’éducation (CPE), les corps de la santé scolaire ou les personnels de direction. Or, depuis la rentrée 2023, le temps de formation continue ne peut se faire qu’en dehors du « face-à-face pédagogique », à savoir les heures de cours et donc en fin de journée, lors des demi-journées libres (nécessaires à la préparation de cours et corrections) ou sur les temps de vacances. Si l’idée est de lutter contre les heures de cours non effectuées (la formation continue compte pour 10% des heures perdues), elle aura pour conséquence une désaffection de la formation continue en raison des contraintes, notamment familiales, des enseignants.
L’avenir de la voie professionnelle
Régulièrement invisibilisée dans les médias comme en politique, alors qu’elle accueille plus d’un quart des lycéens, la voie professionnelle devrait être replacée au centre des débats éducatifs. À l’heure actuelle, celle-ci concentre les difficultés sociales et scolaires. En 2022, 56% des jeunes en formation professionnelle en lycée public étaient issus d’une catégorie sociale défavorisée, contre 29,6% dans les filières générales et technologiques21DEPP, Repères et références statistiques, 2023.. À la rentrée de cette même année, seuls 33% des élèves de seconde professionnelle avaient une maîtrise jugée « satisfaisante » en mathématiques, contre 79% en seconde générale et technologique22Sandra Andreu et al, « Test de positionnement de début de seconde 2022 : des résultats contrastés selon les caractéristiques des élèves et des établissement », Note d’Information, DEPP, n° 23.04, février 2023.. Quant aux taux d’insertion dans l’emploi ou de poursuite dans l’enseignement supérieur, ils sont très largement insuffisants.
Il est donc urgent de penser une rénovation profonde de la voie professionnelle. Celle-ci mérite d’être revalorisée et de cesser de constituer une orientation « subie » pour de nombreux enfants de classes populaires. Ceci nécessite une évolution globale des mentalités, y compris à l’intérieur même de l’Éducation nationale où trop de mépris vis-à-vis de cette voie demeure. Pour être fructueux, le débat doit sortir de deux impasses antagonistes : la tentation d’orienter des élèves le plus tôt possible vers des formations professionnalisantes pour offrir une main-d’œuvre bon marché et peu qualifiée, et le refus de considérer que l’émancipation des jeunes peut aussi s’opérer dans des filières à caractère technique ou manuel, et pas seulement dans les voies générales.
Emmanuel Macron avait annoncé vouloir faire du lycée professionnel une grande « cause nationale » et y investir chaque année un milliard d’euros supplémentaires. Mais pour de nombreux acteurs du monde de l’éducation, les réformes lancées, comme la mise en place d’une année de terminale modulaire ou la rémunération, certes bienvenue, des stages, ne sont pas de nature à répondre sur le long terme aux défis de la voie professionnelle. Plutôt que des dispositions à « caractère essentiellement “incrémentiel” », l’ancien recteur Daniel Bloch, considéré comme le « père » du bac pro en 1985, appelle à l’adoption de « mesures de rupture ». Dans Quel avenir pour l’enseignement professionnel ?23Daniel Bloch, Quel avenir pour l’enseignement professionnel ? Enrichi de dialogues avec Estelle Folest, Alexandre Portier et Pascal Vivier, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, mars 2024., il préconise la construction d’une « voie professionnelle complète » de la sortie du collège jusqu’au master, avec la création d’un bachelor spécifiquement dédié aux bacheliers professionnels et le retour à un bac pro préparé en quatre ans, comme cela était le cas avant la réforme de 2009. Avec le temps supplémentaire ainsi dégagé, cette dernière proposition permettrait de concilier d’un côté la préservation des enseignements généraux, nécessaires pour répondre aux lacunes persistantes à l’entrée en seconde et former des citoyens, et de l’autre l’acquisition de premières expériences professionnelles.
Une réflexion plus approfondie est également attendue sur la carte des formations. Là aussi, le débat politique mérite de la nuance, pour ne tomber ni dans un adéquationnisme où les différentes filières seraient simplement destinées à répondre aux besoins de recrutement locaux et à court terme des entreprises, ni dans une vision hors sol qui consisterait à faire prospérer au sein des lycées des spécialités n’offrant aucun débouché. Si de premiers travaux ont été lancés, une planification plus aboutie, associant Éducation nationale, collectivités locales, universitaires, organisations syndicales et patronales aurait des effets bénéfiques pour penser les filières d’avenir sur le long terme. Avec des moyens financiers à la hauteur, la voie professionnelle peut jouer un rôle majeur dans les politiques de réindustrialisation et de transition écologique, tout en offrant des parcours d’excellence à des jeunes trop souvent déconsidérés.
Enfin, aborder dans les débats parlementaires la question du lycée professionnel constitue une opportunité d’ouvrir des réflexions plus larges sur des sujets sociétaux majeurs : formation continue, conditions de travail, stéréotypes de genre qui conduisent à concentrer garçons ou filles dans certaines filières ou accompagnement des jeunes issus de familles d’origine immigrée ou de milieux ruraux surreprésentés dans ces établissements. Dans un contexte où les formations politiques se voient régulièrement accusées d’être éloignées des préoccupations des classes populaires, celles-ci ont aussi la responsabilité de recruter et de promouvoir des jeunes issus de ces parcours24Hadrien Mathoux, « Louis Boyard, Camille Étienne, Unef… Les jeunes militants de gauche toujours aussi éloignés des prolos », Marianne, juin 2023..
Conclusion
Comme exposé précédemment, cette revue de quatre piliers de la politique éducative ne prétend pas être exhaustive. L’enseignement supérieur pourrait par exemple à lui seul valoir une autre note. Pour autant, dans une période où le débat sur l’école tend à être caricaturé ou capturé par le court terme, il semble que le traitement des enjeux de mixité sociale, de transmission des valeurs de la République, de formation des enseignants et de revalorisation de la voie professionnelle pourrait être le point de départ de consensus pour rénover le système éducatif et lui faire jouer à plein son rôle d’émancipation des individus. Aux responsables politiques de s’en saisir.
- 1Pauline Charousset, Marion Monnet, Youssef Souidi, « Ségrégation sociale en milieu scolaire : appréhender ses causes et déterminer ses effets », Institut des politiques publiques, novembre 2023.
- 2Julien Grenet, Élise Huillery, Youssef Souidi, « Mixité sociale au collège : premiers résultats des expérimentations menées en France », Conseil scientifique de l’Éducation nationale, avril 2023.
- 3Marine Guillerm, Olivier Monso, « Évolution de la mixité sociale des collèges », Note d’Information, DEPP, n° 22.26, 2022.
- 4Youssef Souidi, Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège, Paris, Fayard, 2024.
- 5« L’enseignement privé sous contrat », Rapport public thématique, Cour des comptes, juin 2023.
- 6Ibid.
- 7Marine Calazel, Iannis Roder, « La mixité sociale dans les collèges pour favoriser la réussite de tous les élèves : le plan réussi de la Haute-Garonne », Fondation Jean-Jaurès, 2023.
- 8Hadrien Brachet, « Protocole de Pap Ndiaye avec l’enseignement catholique : « On peut douter de son efficacité » », entretien avec Rémy Sirvent, Marianne, mai 2023.
- 9Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, « Rapport au président de la République », décembre 2003.
- 10Iannis Roder, « Les enseignants de France face aux contestations de la laïcité et au séparatisme », Fondation Jean-Jaurès, janvier 2021.
- 11« Les enseignants du public et la laïcité », Ifop pour le Comité national d’action laïque, mai 2023.
- 12Hadrien Brachet, « Laïcité : « Nous demandons qu’on nous dise clairement si ces tenues ‘culturelles’ sont religieuses ou pas » », Marianne, mars 2023.
- 13Hadrien Brachet, « Réformer l’enseignement civique à l’école, cette fausse baguette magique des ministres », Marianne, octobre 2023.
- 14Hadrien Brachet, « Classement Pisa : la formation des enseignants, l’autre talon d’Achille du système français », Marianne, décembre 2023.
- 15Fondation Res Publica, La formation des professeurs des écoles, un enjeu majeur pour le XXIe siècle, 19 mai 2021.
- 16Rodrigo Arenas, Cécile Rilhac, Mission flash sur le recrutement, l’affectation et la mobilité des enseignants du premier degré, Commission des affaires culturelles et de l’éducation, Assemblée nationale, novembre 2022.
- 17Annick Billon, Max Brisson, « Formation initiale et continuée des professeurs : au-delà des effets d’annonce, bâtir sur la durée une formation de qualité fondée sur la simultanéité des apprentissages académiques et des pratiques professionnelles », Rapport d’information n°683, Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport, Sénat, juin 2024.
- 18Guillaume Dussourt, « « L’Éducation nationale a besoin de stabilité » : Nicole Belloubet aurait aimé poursuivre son travail », RMC, 17 juillet 2024.
- 19OCDE, TALIS 2018 Results, volume 1 : « Teachers and School Leaders as Lifelong Learners », TALIS, OECD Publishing, 2019.
- 20Pierre Conceicao, Julien Desclaux, Aurélie Lacroix, « Pirls 2021 : la France stabilise ses résultats contrairement aux autres pays européens majoritairement en baisse », Note d’Information, DEPP, n° 23.21, mai 2023.
- 21DEPP, Repères et références statistiques, 2023.
- 22Sandra Andreu et al, « Test de positionnement de début de seconde 2022 : des résultats contrastés selon les caractéristiques des élèves et des établissement », Note d’Information, DEPP, n° 23.04, février 2023.
- 23Daniel Bloch, Quel avenir pour l’enseignement professionnel ? Enrichi de dialogues avec Estelle Folest, Alexandre Portier et Pascal Vivier, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, mars 2024.
- 24Hadrien Mathoux, « Louis Boyard, Camille Étienne, Unef… Les jeunes militants de gauche toujours aussi éloignés des prolos », Marianne, juin 2023.