Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, revient sur l’instrumentalisation du peuple contre la démocratie opérée par Marine Le Pen.
La candidate d’extrême droite n’en finit plus d’instrumentaliser le peuple contre la démocratie. C’est d’ailleurs le seul procédé qui soit à peu près clair et constant dans son discours.
En premier lieu, elle a proposé une « révolution référendaire », souhaitant réviser la Constitution directement par la voie de son article 11, ce qui n’est pas conforme à la Constitution, comme on l’a rappelé dans une tribune cosignée avec de nombreux et éminents collègues et parue dans plusieurs titres de la presse quotidienne régionale.
Mais elle rétorque alors que rien ne peut s’opposer à la volonté du peuple et certainement pas un Conseil constitutionnel, qui n’en est pas le représentant.
Sous couvert de servir les intérêts du peuple, il s’agit de servir des intérêts personnels, en instrumentalisant la voix du peuple
Par cet argument, elle cherche à opposer le peuple à la Constitution et aux institutions que cette dernière établit, afin de représenter et protéger le premier. C’est un procédé populiste, extrêmement dangereux.
Elle oublie d’abord qu’elle-même, si elle devait devenir présidente de la République, devrait son élection à la Constitution et au Conseil constitutionnel qui en proclamera les résultats. Ensuite, le peuple est certes souverain dans une démocratie, mais même le souverain se doit de respecter les règles établies dans un État de droit. À moins, donc, de vouloir renverser cet État de droit par un coup d’État constitutionnel, la Constitution doit être respectée, quitte à la faire évoluer mais, là encore, selon les règles et les procédures qu’elle prévoit.
Or le référendum constitutionnel direct n’est pas prévu par notre Constitution et si le peuple peut effectivement se prononcer sur une modification de notre règle démocratique fondamentale, il ne peut le faire qu’après que les deux assemblées du Parlement se sont prononcées sur un texte identique.
Il ne s’agit donc pas tant, en réalité, de passer en force contre le Conseil constitutionnel, mais bien de contourner le Parlement, qui n’est autre que le représentant du peuple et de la souveraineté nationale.
Or, si ce préalable est requis pour une révision constitutionnelle, c’est précisément pour protéger le peuple contre des dérives autoritaires et plébiscitaires, auxquelles pourrait se livrer un ou une présidente nouvellement élu, en instrumentalisant et en usurpant la volonté du peuple, lequel serait appelé à s’exprimer sans être dûment informé.
Car tout cela n’est jamais exposé clairement dans le projet de cette candidate populiste.
Il en est de même, en second lieu, de son projet d’introduire l’élection de l’Assemblée nationale selon le scrutin proportionnel.
On ne reviendra pas sur tous les méfaits d’un tel scrutin, que l’on a déjà maintes fois exposés.
Toutefois, on ne peut qu’être interloqué, une nouvelle fois, par cette volonté lancinante d’introduire un tel scrutin dont le principal effet est de contraindre à des coalitions, de la part d’un parti politique qui est incapable de nouer le moindre rassemblement, si ce n’est avec lui-même, comme le rappelle, d’ailleurs, sa peine sans cesse mise en scène à collecter 500 parrainages auprès d’élus extérieurs à ses rangs.
À cela, il est désormais répondu que le scrutin proportionnel envisagé fonctionnerait avec un système de prime majoritaire au profit de la liste arrivée en tête, comme pour les scrutins municipaux et régionaux.
Étrange raisonnement qui, une nouvelle fois, ne dit pas tout.
D’une part, s’il est vrai que les conseils municipaux (des communes de plus de 1000 habitants) et régionaux sont élus au scrutin proportionnel avec prime majoritaire de, respectivement, 50% et 25%, l’élection procède en deux tours, avec possibilité de fusionner au second des listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages au premier tour.
D’autre part, la manœuvre est grossière.
Eu égard à la forte probabilité que le Front national, désormais « Rassemblement national », n’obtienne pas la majorité lors des prochaines élections législatives, la candidate d’extrême droite indique dès à présent qu’elle introduira le scrutin proportionnel à un seul tour, le cas échéant par référendum (lequel pourrait effectivement avoir lieu, puisque l’article 11 l’ouvre bien à la matière électorale), avec prime majoritaire de 30% à la liste arrivée en tête. Une fois la loi électorale adoptée par référendum, elle procèdera à la dissolution de l’Assemblée nationale pour la réélire sur la base du nouveau mode de scrutin. Gageant que le parti arrivant en tête sera alors le sien, il lui suffira d’obtenir un peu moins de 30% des suffrages (28,6%, précisément) pour avoir la majorité à l’Assemblée.
Un tel résultat serait exactement fidèle à la situation actuelle où, avec 28,2% des voix au premier tour, La République en marche a obtenu la majorité des sièges, en 2017. Situation actuelle que, pourtant, Marine Le Pen n’a de cesse de critiquer…
Sous couvert de servir les intérêts du peuple, il s’agit donc bien de servir des intérêts personnels, en instrumentalisant la voix du peuple. Le procédé est toujours identique : c’est une manipulation populiste.