Municipales : géographie de l’implantation des listes du Rassemblement national

Où le Rassemblement national a-t-il présenté des listes aux élections municipales ? Y a-t-il des territoires volontairement non investis ou, au contraire, qui illustrent un enracinement pérenne ? À la veille du premier tour, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach livrent leur analyse.

Sur fond de tensions sociales récurrentes (crise des « gilets jaunes », mobilisation contre la réforme des retraites) et d’impopularité persistante du président de la République, l’idée selon laquelle le plafond de verre endiguant la poussée électorale du Rassemblement national (RN) serait en train de céder s’est progressivement installée dans le débat public et ce, avec encore plus d’insistance depuis les dernières élections européennes qui ont vu la victoire de la liste emmenée par Jordan Bardella. À deux ans de la prochaine échéance présidentielle, le scrutin municipal constitue donc un moment important et un test grandeur réelle pour évaluer l’existence et l’ampleur de la dynamique frontiste. Même si nous sommes en présence d’une élection éminemment locale, des enseignements pourront en être tirés. Soit, dans plusieurs dizaines de villes, il se trouvera des majorités absolues ou relatives importantes (dans le cas de triangulaires remportées avec 40 à 45% des voix) pour confier les clés de la mairie à des équipes du RN, et cela signifiera alors que les verrous sont en train de sauter, soit le nombre de villes gagnées se situera entre 10 et 25 sur le millier de communes de plus de 9 000 habitants que compte le pays, ce qui viendra relativiser l’idée d’une poussée irrésistible et montrera que le plafond de verre compte toujours autant puisque, à part quelques cas isolés, le RN ne peut rallier une majorité d’habitants dans une localité ne serait-ce que pour gérer les affaires communales.

La capacité à présenter des listes comme révélateur de l’état de santé des forces militantes

En attendant le précieux verdict des urnes, l’analyse du nombre et de la répartition sur le territoire des listes présentées par le RN nous livre déjà certains enseignements. D’après les données publiées par le ministère de l’Intérieur et après croisement de ces informations avec une consultation de la presse locale pour statuer sur l’étiquetage de certaines listes, il ressort que le RN aligne 392 listes parmi les communes de plus de 3 500 habitants. Ce chiffre s’inscrit en baisse significative (-28%) par rapport au précédent scrutin municipal de 2014 où, grâce à un effort militant sans précédent, le FN était parvenu à monter 545 listes. Dans un contexte électoralement porteur, cette mobilisation militante avait débouché sur l’élection de près de 1 500 conseillers municipaux frontistes. Mais, mal formés au travail d’élus d’opposition dans une municipalité, parfois recrutés dans l’urgence ou sur la base de convictions idéologiques plus ou moins solides, toute une partie de ces nouveaux élus allaient rapidement jeter l’éponge en cours de mandat et parfois claquer violemment la porte du mouvement en dénonçant l’absence de démocratie interne ou le faible soutien matériel et politique des instances locales et nationales. D’après les pointages réalisés par la presse, on estime à près de 500 le nombre de ces défections et abandons, soit une perte d’un tiers de l’effectif. Sans doute échaudé par cette expérience, le parti a manifestement davantage insisté cette année sur une logique « qualitative » que « quantitative » et l’on notera que la baisse du nombre de listes présentes correspond à peu de chose près (soit près de 30%) à la proportion de défections et démissions enregistrées en cours de mandature auprès du panel d’élus municipaux frontistes. 

Le seuil de 9 000 habitants est traditionnellement (et un peu arbitrairement) retenu en matière d’analyse électorale. Ces communes qui présentent une taille suffisante pour faire l’objet d’élections politisées regroupent par ailleurs la moitié de la population française. Sur les 1 090 communes de plus de 9 000 habitants, le RN est présent dans 302 d’entre elles. Si ce score n’est pas négligeable (La République en marche en aligne environ 250), on constatera que le parti, dont la candidate a été finaliste à la dernière élection présidentielle, n’est pas en capacité de présenter (ou n’a pas souhaité présenter) des listes dans plus de deux tiers des principales communes françaises. Ceci vient quelque peu nuancer la thèse d’une irrésistible progression. La mise en perspective historique confirme cette impression. En dépit d’un changement de nom devant permettre un désenclavement idéologique et la passation d’accords avec des alliés et des partenaires, le nombre de listes que le RN aligne cette année est nettement inférieur à 2014 et du même ordre que lors des municipales de 1989, au début des premiers succès électoraux du parti.

1989-2020 : le nombre de listes présentées par le FN/RN aux municipales dans les communes de plus de 9 000 habitants

En trente ans, le maillage militant ne s’est manifestement pas étoffé et le mouvement reste globalement au même étiage qu’à ses débuts en termes de capacité à monter des listes sur le plan local. Le graphique suivant montre très bien la rapide montée en puissance au cours de la décennie 1990 (444 listes en 1995), celle-ci a été cassée net par la scission mégrétriste intervenue en 1998-1999, le « félon », comme l’avait surnommé Jean-Marie Le Pen, ayant entraîné avec lui de nombreux cadres et militants chevronnés. Beaucoup d’entre eux ne reviendront jamais au Front national (FN) et bon nombre de fédérations mettront des années à se remettre de cette hémorragie. Dans les villes de plus de 9 000 habitants, le FN ne présentera ainsi que 184 listes en 2001 et seulement 106 en 2008, au lendemain d’élections présidentielle et législatives catastrophiques pour le mouvement, qui avait vu Nicolas Sarkozy « siphonner » toute une partie de l’électorat frontiste. Les élections municipales de 2014 ont marqué le grand retour du FN sur la scène locale avec, on l’a vu, 422 listes présentées dans les communes de plus de 9 000 habitants et dix victoires à la clé.

Géographie de l’implantation des listes RN

Comme lors des précédents scrutins, la présence des listes RN sur le territoire répond à une double logique. À l’instar des partis politiques traditionnels, il s’agit tout d’abord d’être présent dans les grandes villes à la fois parce qu’elles concentrent une part importante de la population (et donc des électeurs) mais aussi car, en termes d’affichage, un parti de premier plan ne peut pas faire l’impasse sur les grandes métropoles. Toutefois, comme nous l’avions rappelé dans une précédente note, la sociologie particulière de ces grandes agglomérations est, à l’exception de celles du Sud du pays, défavorable électoralement au parti lepéniste. Ce dernier est donc présent à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Nantes ou à Strasbourg, mais sans illusion de victoire ou de scores importants. On notera d’ailleurs que les ténors du parti n’ont pas investi ces villes et que le parti se contente d’y faire en quelque sorte de la figuration.

Parallèlement à cette présence quasi obligatoire dans les grandes villes, le RN aligne assez logiquement un nombre de listes plus important dans les régions qui lui sont les plus favorables. La densité de listes est ainsi plus élevée dans l’ancienne région du Nord-Pas-de-Calais (plus l’Aisne) et sur le pourtour méditerranéen qu’en Bretagne ou dans les Pays de la Loire par exemple. La carte fait apparaître au total un maillage assez épars. Nous ne sommes plus à l’époque des grands partis de masse façon Parti communiste ou parti gaulliste des années 1960. Dans une société individualisée dans laquelle l’engagement politique a perdu de son sens, un parti comme le RN, même s’il dispose d’un large socle électoral, ne peut s’appuyer que sur un réseau militant assez limité. Illustration de cette dichotomie entre un réservoir électoral fourni et des forces militantes clairsemées, le RN n’a pas été en capacité de présenter de liste dans 20 communes de plus de 9 000 habitants dans lesquelles il avait pourtant réalisé plus de 40% des voix aux dernières élections européennes. C’est le cas notamment à Freyming-Merlebach en Moselle, Saint-Dizier en Haute-Marne, Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône ou bien encore Anzin, Fourmies ou Gravelines dans le Nord. On trouve aussi dans cette liste des villes comme Bollène ou Monteux dans le Vaucluse, dans lesquelles des listes idéologiquement proches du RN se présentent, ce qui a pu dissuader ce parti de présenter une liste concurrente.

Carte 1. Listes du RN aux élections municipales de 2020

Une impasse sur les banlieues

Dans d’autres territoires, l’absence de listes RN traduit non seulement l’absence de militants lepénistes en nombre suffisant mais aussi la disparition ou la rétraction spectaculaire de son électorat au fil des ans. Le phénomène s’observe dans bon nombre de banlieues et spectaculairement en région parisienne. Cette année, comme déjà en 2014, le RN n’aligne que deux listes en Seine-Saint-Denis. Vingt-cinq ans plus tôt, la situation était tout autre. En 1995, le FN avait en effet présenté pas moins de trente listes et y avait enregistré parmi ses meilleurs scores nationaux : 31,6% à Clichy-sous-Bois, 28,4% à Bondy, 26,4% à Pierrefitte-sur-Seine ou 26,1% à Stains par exemple. Si la fédération FN du 93 a été durablement affectée par la scission avec le MNR, le leader local Franck Timmermans ayant rejoint Bruno Mégret, ce sont les profonds changements démographiques qu’a connus ce département qui expliquent principalement comment, en vingt-cinq ans, le « 9-3 » est passé du statut de bastion à celui de terra incognita pour le FN. Le parti avait mieux résisté en termes de présence militante dans le Val-de-Marne ou dans le Val-d’Oise, mais le même phénomène semble à l’œuvre avec un temps de retard sur le « 9-3 ». En 2014, il était parvenu à présenter 11 listes dans le Val-de-Marne et 16 dans le Val-d’Oise. Cette année, il n’en aligne respectivement qu’une dans le Val-de-Marne et trois dans le Val-d’Oise…

Carte 2. Listes du FN aux élections municipales de 2014

On retrouve le même phénomène dans d’autres communes de banlieues, où le vote FN prospérait jadis sur fond d’insécurité et de tensions communautaires et où ce parti est désormais en incapacité d’y monter des listes. Toujours dans la région parisienne, on peut citer Évry (18,2% en 1995), Grigny (19%) ou Nanterre (où est pourtant situé le siège du parti…). Il n’y aura pas non plus de liste frontiste dans la banlieue lyonnaise à Vaulx-en-Velin (où le FN avait atteint 31% des voix en 1995) ou à Saint-Fons (28%). À Creil dans l’Oise, où en 1989, « l’affaire du foulard » avait éclaté dans un des collèges de la ville, le FN réalisa également 19,2% au premier tour des municipales de 1995 mais le parti ne s’y présentera pas cette année (il était déjà absent en 2014). Des listes RN seront en revanche présentes dans les communes proches de Mouy, Pont-Sainte-Maxence et Crépy-en-Valois, où la population issue de l’immigration est beaucoup moins nombreuse qu’à Creil.

Un recul du nombre de listes présentées dans le Sud mais un enracinement renforcé dans le Pas-de-Calais

La baisse du nombre de listes présentées est, comme on le voit sur les deux cartes, une tendance globale qui n’a pas affecté que les banlieues. Sur le pourtour méditerranéen, bastion électoral du parti, et où il peut s’appuyer sur des vitrines municipales (Beaucaire, Fréjus, Béziers d’une certaine manière), le nombre de listes recule aussi et parfois significativement : de 24 à 10 dans l’Hérault, de 31 à 17 dans le Var, de 18 à 12 dans les Alpes-Maritimes, de 13 à 8 dans le Gard, les Bouches-du-Rhône faisant exception puisque le nombre déjà conséquent de listes constituées en 2014 (30) augmente cette année (33). À l’autre extrémité du pays, le RN parvient également à renforcer sa présence dans la compétition électorale locale en alignant des listes dans 28 communes contre 24 six ans plus tôt dans son fief du Pas-de-Calais. Comme le montre la carte suivante, l’essentiel de l’effort militant semble porter plus particulièrement sur le bassin minier. Toutes les villes dans lesquelles le parti aligne des listes nouvellement présentes se situent dans cette partie du département : Beuvry, Bully-les-Mines, Marles-les-Mines, Noeux-les-Mines, Noyelles-Godault ou bien encore Wingles. La victoire aux municipales à Hénin-Beaumont a permis, par effet domino, de conquérir dans la foulée plusieurs cantons dans cette zone lors des élections départementales de 2015 puis 4 circonscriptions aux législatives de 2017. Il semble que le parti nourrisse de nouvelles ambitions dans ce territoire pour les municipales. On observe le même phénomène dans l’Aisne voisine, où la victoire à Villers-Cotterêts aux municipales puis aux départementales a créé un point d’appui pour des potentielles victoires dans les villes voisines. En six ans, le RN a doublé (de 5 à 9) le nombre de listes présentées en concourant pour la première fois à Gauchy, Hirson, Laon et Tergnier.

Carte 3. Candidatures du FN/RN aux élections municipales de 2014 et 2020 dans le Pas-de-Calais

Quelles que soient les régions, ces variations à la hausse ou à la baisse (souvent importantes) du nombre de listes présentées dénotent en creux une forte instabilité des effectifs militants sous l’effet d’un turn-over voyant les équipes locales se monter ou disparaître assez rapidement. Un autre symptôme de ce phénomène réside dans le taux de renouvellement élevé des têtes de liste d’une élection à une autre. Ainsi, sur les 277 villes dans lesquelles le RN est présent en 2014 et 2020, seulement 63 têtes de liste de 2014 (soit 23%) sont de nouveau tête de liste dans la même commune cette année.

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