« Mon Solfé » : un autre monde

À la demande de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, des personnalités nous ont livré certains de leurs souvenirs ou de leurs liens avec le « 10 rue de Solférino ». Anne-Catherine Franck, qui a occupé plusieurs fonctions au sein de la direction du Parti socialiste – membre du Secrétariat national, membre du Conseil national et déléguée nationale et, depuis 2004, membre du Secrétariat international du Parti –, évoque deux moments forts de sa vie à « Solfé ». 

En ce 11 mai 1981 au matin, je ne me doutais guère, en me présentant pleine de rêves dans la tête, que ceux-ci seraient atteints de plein fouet par l’annonce de Nathalie Poperen que « plusieurs personnes m’attendaient depuis 2 heures ! ». Graves, à bout, ces quatre ou cinq ouvriers voulaient « me remettre pour monsieur Mitterrand un dossier qu’ils avaient constitué à propos de leur usine qui allait fermer dans les prochains jours ». On était donc dans l’urgence absolue. Que leur dire ? Qu’on était juste sortis des publications des votes ? Mes explications raisonnables et mes engagements filandreux ne les ont pas trompés et moi non plus ; ils repartirent accablés et moi je restais sonnée.

Je suis sans doute la personne qui a connu – au siège – la première difficulté à réaliser tous nos souhaits et par là nos promesses. J’étais alors secrétaire nationale adjointe aux entreprises, secteur créé par le Ceres qui s’en servait comme marge de manœuvre et qui y faisait régner une « démocratie guesdiste ». Ce secteur occupait tout le deuxième étage de l’aile droite du siège, s’étalant largement, disposant de nombreux bureaux et permanents (nécessaires et justifiés car composé de dizaines de secteurs de branches regroupant eux-mêmes des milliers de sections de base dans les entreprises). Ils étaient bien mieux lotis que ceux d’autres secteurs, on leur octroyait les mêmes salles que pour les réunions internationales ou les rencontres de François Mitterrand par exemple – c’était une reconnaissance goûtée et d’ailleurs méritée. Paradoxalement, les militants de ce secteur, qui ont souvent payé dur leur engagement dans leurs vies professionnelle ou familiale, dans la confrontation avec le PCF, étaient heureux de venir dans ce siège pourtant bien bourgeois ; ils étaient fiers d’être au cœur du pouvoir.

Petit à petit, nous avons vu venir de moins en moins de GSE nationaux se réunir et débattre car ils s’étiolaient sur le plan national et se disloquaient sur le terrain : ils étaient en première ligne des conséquences concrètes de « la dure réalité du pouvoir ». Au fil des années, plus classiquement, les salles voyaient se réunir plutôt des experts qui étaient – eux – de plus en plus entendus. Ce « basculement » est symbolique de ce qui nous a été reproché : une incompréhension, un éloignement, voire une trahison. Il est aussi le signe d’une technicisation de plus en plus sophistiquée des prises de décision dans un environnement international plus complexe.

Solférino, pendant de longues années, a été vivant : certainement le siège politique au fonctionnement le plus démocratique, peuplé de gens décidés à trouver des solutions, des compromis, des chemins, mais qui ont, comme beaucoup, sous-estimé le tourbillon de changements de toutes sortes qui l’entourait, le poids des lectures anglo-saxonnes qui faisaient leur chemin et droitisaient la social-démocratie. Elles le payent aujourd’hui mais le font surtout payer aux citoyens européens.

Je me souviens également de ce jour où François Hollande fit apposer sur un mur de la jolie cour une plaque en hommage à Pierre Bérégovoy. Dans cet hôtel particulier ostentatoire, on ne fait pas plus militantisme engagé et parcours de méritocratie républicaine que ceux de ce dernier : ouvrier, résistant à 16 ans, quelle que soit la nature de ses choix (il a connu – et à l’époque c’était justifié ! – plusieurs petits partis de gauche) il est notamment resté très attaché au PS. Pendant l’année de ma présence à Matignon, il m’a plusieurs fois fait venir dans son bureau et me demandait avec une inquiète tendresse « Anne-Catherine, parle-moi du parti ». Cet hommage a été, bien entendu, un moment émouvant et, depuis, jusqu’à ces dernières semaines, je n’ai jamais manqué de regarder cette plaque.

Solfé passe dans un autre monde, celui des affaires ; a priori ce n’est pas un drame mais c’est peut-être un signe.

 

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