« Mon Solfé » : passionnant, décevant, enrichissant

À la demande de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation Jean-Jaurès, des personnalités nous ont livré certains de leurs souvenirs ou de leurs liens avec le « 10 rue de Solférino ». C’est au tour de Laurent Bouvet de raconter son histoire de vingt ans avec Solférino, de 1988 à 2008, alors qu’il était notamment rédacteur en chef de La Revue socialiste et plume de François Hollande lors des élections européennes de 1999.

Je n’ai pas de souvenir précis de ma première visite à Solférino. Cela devait être en 1989 ou 1990, pour participer à une de ces réunions dont le Parti socialiste a, ou du moins avait, le secret : toujours (trop) longues, souvent (très) bavardes, parfois (un peu) intéressantes et la plupart du temps sans véritable débouché. Du moins, celles auxquelles j’ai assisté. Ce qui est sans doute la meilleure preuve que je n’ai jamais assisté aux « vraies » réunions de Solfé, celles qui comptent. Que j’ai été un militant socialiste pendant des années intéressé d’abord et avant tout par le débat d’idées au sein du Parti.

J’ai fréquenté Solfé à plusieurs moments de cette vie de socialiste – elle a duré vingt ans, entre 1988 et 2008. D’abord au tout début des années 1990, pour participer aux comités de rédaction de Vendredi Idées, éphémère revue-magazine lancée sous la houlette du Premier secrétaire Laurent Fabius. Henri Weber était à la manœuvre, secondé par Gilles Finchelstein et Guy Birenbaum. La chute de la maison PS aux législatives de 1993 a mis fin à l’expérience qui n’aura duré qu’un an.

Retour dans les murs, de manière plus pérenne cette fois, fin 1998, avec pour mission, toujours sous la houlette de Henri Weber, de relancer, en tant que rédacteur en chef, La Revue socialiste, revue théorique du Parti, arrêtée au début des années 1990 pour laisser place à Vendredi Idées justement. Tout était à rebâtir alors que le Parti était à nouveau au pouvoir et que régnait presque partout, dans « l’Europe rose », les partis-frères du PS. Partout même au Royaume-Uni, où le New Labour de Tony Blair entendait renvoyer la vieille sociale-démocratie dans les manuels d’histoire en rassemblant désormais tous les « progressistes », au-delà de la droite et de la gauche. Cela tombait bien, je travaillais, dans la vie civile, comme aspirant-universitaire, sur la « Troisième voie » blairiste.

L’aventure durera pour moi six numéros, jusqu’en 2001 lorsque je pars pour prendre mon poste de professeur à l’Université de Nice. Elle aura été passionnante sur le plan intellectuel : tenter de faire connaître et comprendre les débats qui parcourent l’Europe et le monde de la gauche réformiste à ce moment-là auprès des socialistes français. Elle aura été décevante sur le plan politique : les réactions à l’audace thématique et aux apports extérieurs seront à la fois peu nombreuses et le plus souvent hostiles. Elle aura été enrichissante sur le plan humain : l’observation (participative) de la vie quotidienne de la maison Solfé m’en apprendra infiniment plus sur le Parti socialiste que la lecture de bien des ouvrages qui lui ont été consacrés par des « spécialistes ».

Aventure dans l’aventure, au premier semestre 1999, je participe à la campagne européenne dirigée pour le parti par François Hollande, son Premier secrétaire, comme plume de celui-ci, installé dans le bureau en face du sien. Et là aussi, passionnant, décevant, enrichissant. J’ai en tout cas pu observer, de près, le futur président de la République. Ce qui me permettra d’être, dès 2012, un analyste, sans doute plus lucide que d’autres, de son quinquennat.

Nouvelle fréquentation, régulière, de Solfé dans les années 2003-2004, pour travailler avec le secteur « études », aux côtés de mon vieux camarade Laurent Baumel, puis sur les États-Unis au secteur « international » dirigé alors par Pierre Moscovici. Très court séjour à chaque fois, tant c’est la déception qui l’emporte vite sur tout le reste, sur de belles rencontres à l’époque notamment. Déception ressentie vis-à-vis d’un parti qui n’a pas analysé et donc pas compris les raisons profondes de sa défaite en 2002. Les « réunions à Solfé » auxquelles j’assiste à cette époque font toutes écho à ce qui apparaît de plus en plus comme une impasse dans laquelle le parti s’enfonce toujours un peu plus.

Dernières visites, en indépendant cette fois, si je puis dire, après 2008. Invité de loin en loin, par tel ou tel responsable, à donner un avis que finalement personne n’écoute jamais. Comme ce jour de 2009, où le Lab dirigé par Christian Paul – c’est Martine Aubry qui est à la tête du parti – a sollicité quelques intellectuels et chercheurs pour savoir quoi penser de « l’identité nationale » dont Nicolas Sarkozy a décidé de faire un outil du combat politique. Ce jour-là, où seul autour de la table je suggère que plutôt que de dire que « l’identité nationale ça n’existe pas », le Parti socialiste devrait plutôt se saisir à bras-le-corps du sujet pour contrer la droite et l’extrême droite, j’ai compris que Solfé n’était non seulement vraiment plus « ma » maison mais surtout que ce n’était plus, politiquement, qu’un vaisseau fantôme. Et qu’un jour, malgré des victoires électorales locales et nationales qui sont venues retarder l’échéance, tout le monde s’en apercevrait. C’était il y a presque dix ans.

 

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