Mexique : d’une présidence à une autre, quel héritage d’AMLO pour Claudia Sheinbaum ?

À l’approche de l’entrée en fonction de Claudia Sheinbaum, première femme élue présidente du Mexique, et issue, comme le président sortant Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO), du Morena (parti de gauche), la Fondation Jean-Jaurès a sollicité différents universitaires – mexicains, gabonais et français – pour analyser le bilan économique, politique et social, aux niveaux national, régional et international, de la présidence d’AMLO. Mais aussi pour s’interroger sur ce que pourrait être la présidence Sheinbaum, très proche d’AMLO : va-t-elle poursuivre la politique de son prédécesseur ou s’émanciper de cette figure tutélaire ? Cette série de notes livre un ensemble de réponses.             

Le 2 juin 2024, les électeurs mexicains ont choisi leur future présidente, Claudia Sheinbaum1Les résultats de l’élection présidentielle sont les suivants : Claudia Sheinbaum, coalition Mouvement de régénération nationale (Morena) – Parti du travail (PT) – Parti vert et écologiste du Mexique (PVEM), 61% ; Xóchitl Gálvez, coalition Parti Action nationale (PAN) – Parti de la révolution démocratique (PRD) – Parti de la révolution institutionnelle (PRI), 28% ; Jorge Álvarez Máynez, Mouvement citoyen, 10,5%., candidate de la coalition « officialiste » de gauche, c’est-à-dire l’alliance entre le Morena (Mouvement de régénération nationale), le PT (Parti du travail) et le PVEM (Parti vert écologiste du Mexique). Sa concurrente, Xóchitl Gálvez, défendait les couleurs d’une opposition de droite hétérogène, composée du PAN (Parti Action nationale), d’origine démocrate-chrétienne, du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel), ancien parti traditionnel issu de la Révolution de 1910, et du PRD (Parti de la révolution démocratique), scission de gauche du PRI. Les Mexicains ont par ailleurs renouvelé leurs députés, sénateurs et élus locaux2Les résultats des élections législatives (Congrès de l’Union : Chambre des députés – 500 sièges –, et Sénat – 128 sièges) sont les suivants : Morena – PT – PVEM obtiennent 364 sièges à la Chambre des députés, et 83 au Sénat ; PAN – PRI – PRD obtiennent 108 sièges à la Chambre des députés et 40 au Sénat ; le Mouvement citoyen obtient 27 sièges à la Chambre des députés et 57 au Sénat.. Dans ce contexte, les élections législatives revêtent une importance particulière en ce qu’une majorité qualifiée est nécessaire pour modifier la Constitution. De la même manière, les résultats électoraux de la ville de Mexico, capitale et entité fédérale, sont une étape préliminaire à toute élection à la magistrature suprême3Les résultats à l’élection à la mairie de Mexico sont les suivants : Clara Brugada (Morena – PT – PVEM) 48,7% ; Santiago Taboada Cortina (PAN – PRI – PRD) 42,2% ; Salomón Chertorivski Woldenberg (Mouvement citoyen) 7,3%..

La coalition victorieuse Sigamos haciendo historia (« Continuons à faire l’histoire ») a défendu la politique de « 4T », la « quatrième transformation », revendiquée et appliquée par le président Andrès Manuel Lopez Obrador (AMLO) de 2018 à 2024. De 2024 à 2030, qu’en sera-t-il de Claudia Sheinbaum, proche parmi les proches d’AMLO depuis plus de vingt ans ? Suivra-t-elle à la lettre la voie de la 4T, produit de l’imaginaire politique d’AMLO ? Aura-t-elle la crédibilité suffisante pour le faire ? Aura-t-elle la même autorité sur la coalition officielle ? Quelles vont être ses relations avec l’ancien président, au lendemain de sa prise de fonction, le 1er octobre prochain ? Autant de questions sans réponses, tant les incertitudes sont grandes.

Claudia Sheinbaum a été désignée par le président sortant, AMLO, au terme d’un processus de primaire interne au Morena, reposant sur des sondages, et dont le résultat a été contesté par l’un de ses opposants, Marcelo Ebrard, ancien secrétaire d’État aux affaires extérieures. Ce faisant, AMLO a rénové le processus de parrainage, le dedazo (la désignation du « poulain » présidentiel), reconnu aux présidents sortants des années « priistes », qu’il a rebaptisé descorcholato. Le cap politique fixé depuis 2018 porte sa marque. Au Mexique, État fédéral administré par un régime institutionnel présidentiel, le mandat présidentiel est de six ans et le chef d’État n’est pas rééligible. De 2018 à 2024, AMLO a pu développer son projet de « quatrième transformation » du pays qu’il entendait mettre en œuvre, conçu dans le prolongement de trois transformations historiques : la « 1T », de 1810 à 1821, a été celle de l’indépendance, acquise sur la monarchie espagnole ; la « 2T », de 1851 à 1864, a été celle des réformes libérales et de la deuxième indépendance conquise au détriment de l’occupant français ; la « 3T », de 1910 à 1920, a été celle de la Révolution et de la démocratisation.

Le résultat du scrutin présidentiel répondait à un certain nombre de considérations : le profil des candidats, la capacité de mobilisation de leurs soutiens partisans et leur faculté de répondre au mieux à la conjoncture économique, sociale, sécuritaire et internationale. Fille de parents scientifiques, elle-même scientifique, Claudia Sheinbaum accompagne AMLO depuis vingt-trois ans. De 2000 à 2005, elle occupe une responsabilité importante dans son équipe municipale. Elle supervise ensuite différents projets politiques et électoraux au PRD, puis au sein de Morena. De 2015 à 2017, elle occupe les fonctions de maire d’arrondissement, puis de maire de la capitale de 2018 à 2023. Par l’élection de Claudia Sheinbaum, les électeurs légitiment le bilan de la 4T. AMLO, son créateur et « gardien », conserve une aura populaire immense et termine son sexennat avec un taux d’approbation de 60%. Claudia Sheinbaum n’a pas cherché à s’écarter des balises idéologiques de son prédécesseur, qu’elle accepte et revendique. « Mon projet s’appelle AMLO », aurait-elle répondu à Adela Ramos en 2022. Cette fidélité et cette filiation idéologique ont été confirmées à plusieurs reprises au cours de sa campagne. En février 2024, elle déclarait s’apprêter à « construire le deuxième étage de la quatreté ». Elle a toutefois précisé que sa gouvernance serait conforme à sa personnalité.

Mais qu’est-ce donc alors que la 4T, sigle un tantinet mystérieux, imposée par la rhétorique du président sortant ? Est-ce un cahier d’engagements concrets ? Une ligne de conduite ? Une idéologie de gauche ? C’est à ces interrogations que ce dossier, avec bien des limites, essaie d’apporter des éléments de réponse. Elle va également mettre la candidate victorieuse au défi de la perpétuer et de la prolonger. Quelles que soient ses intentions, Claudia Sheinbaum, qui s’est engagée à perpétuer la 4T, devra nécessairement faire avec l’héritage légué par AMLO. Depuis le 10 septembre 2023, elle en a d’ailleurs la responsabilité en tant que coordinatrice des Comités de défense de la 4T.

La victoire d’AMLO de 2018 a été au Mexique la première d’un candidat soucieux des attentes des plus modestes, après près de quatre-vingts années de gouvernement PRI, et deux mandatures de droite avec le PAN. Le bilan d’AMLO, quelles qu’en soient les limites, n’est pas un bilan semblable à celui de ses prédécesseurs. D’entrée de jeu, la 4T a été conçue et défendue comme un vecteur de changements aussi fondamentaux que l’avaient été ceux des pères de l’indépendance : le curé Miguel Hidalgo, les libéraux nationalistes mobilisés derrière Benito Juárez et les grandes figures de la Révolution, Francisco I. Madero, auxquels il ajoute ultérieurement Ricardo Flores Magón, l’apôtre de la « terre et de la liberté ». La mandature d’AMLO se déroule dans un momentum favorable à l’élection de plusieurs présidents latino-américains de gauche : celles de Gustavo Petro en Colombie et de Gabriel Boric au Chili, ainsi que la réélection de Luiz Inácio Lula da Silva au Brésil. Mais AMLO appartient-il à la même famille politique ?

Pour toutes ces raisons, la 4T est analysée dans ce dossier sous divers angles :

Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail

Abonnez-vous

  • 1
    Les résultats de l’élection présidentielle sont les suivants : Claudia Sheinbaum, coalition Mouvement de régénération nationale (Morena) – Parti du travail (PT) – Parti vert et écologiste du Mexique (PVEM), 61% ; Xóchitl Gálvez, coalition Parti Action nationale (PAN) – Parti de la révolution démocratique (PRD) – Parti de la révolution institutionnelle (PRI), 28% ; Jorge Álvarez Máynez, Mouvement citoyen, 10,5%.
  • 2
    Les résultats des élections législatives (Congrès de l’Union : Chambre des députés – 500 sièges –, et Sénat – 128 sièges) sont les suivants : Morena – PT – PVEM obtiennent 364 sièges à la Chambre des députés, et 83 au Sénat ; PAN – PRI – PRD obtiennent 108 sièges à la Chambre des députés et 40 au Sénat ; le Mouvement citoyen obtient 27 sièges à la Chambre des députés et 57 au Sénat.
  • 3
    Les résultats à l’élection à la mairie de Mexico sont les suivants : Clara Brugada (Morena – PT – PVEM) 48,7% ; Santiago Taboada Cortina (PAN – PRI – PRD) 42,2% ; Salomón Chertorivski Woldenberg (Mouvement citoyen) 7,3%.

Du même auteur

Sur le même thème