Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, dénonce le populisme qui inspire la démarche de « soutien populaire » de Jean-Luc Mélenchon et plaide pour la modernisation du système actuel de parrainages d’élus, qui a le mérite de confirmer l’ancrage politique des candidats à l’élection pivot de la Ve République.
J’ai soutenu Jean-Luc Mélenchon.
Qu’on se rassure, ce billet ne s’inscrit nullement dans de la propagande, mais au contraire dans de la dénonciation. Car, non, je n’ai pas soutenu Jean-Luc Mélenchon en mon nom et il ne s’agit pas d’appeler à le faire, mais de dénoncer la mascarade populiste à laquelle se livre ce gesticulateur de la politique.
Le 8 novembre au soir, il a déclaré qu’il serait candidat à l’élection présidentielle de 2022, « si et seulement si » il était soutenu par 150 000 « personnes ». Il aurait dû préciser « par 150 000 adresses électroniques ». Il n’est donc pas nécessaire d’être citoyen, d’être en âge de voter, d’être en France pour apporter un soutien. Il suffit de disposer d’une adresse électronique.
Et quiconque dispose d’une, de dix ou de cinquante adresses électroniques différentes peut apporter un, dix ou cinquante soutiens à M. Mélenchon.
Pure mascarade. Pur populisme.
Les citoyens désignent les élus, tandis que la désignation des candidats est l’affaire des partis politiques
Pure mascarade, car ces soutiens versés sur une plateforme, sans vérification aucune de l’identité de leurs auteurs (autre que l’envoi d’un mail de confirmation, contenant un lien sur lequel il faut cliquer pour confirmer le soutien), n’ont aucune valeur et aucun sens. J’ai donc ainsi apporté pas moins de cinq soutiens à cette candidature, à partir de cinq adresses électroniques. Le manque de temps et la lassitude ont mis un terme à la multiplication de ma démarche.
Pur populisme, car ce processus n’a pas d’autre objectif que de donner à voir un semblant de soutien populaire, évidemment faussé comme on vient de l’exposer, et de récolter quelques adresses électroniques au passage, évidemment utiles à l’heure du « toujours plus numérique ». D’ailleurs M. Mélenchon, dont il ne fait aucun doute qu’il bénéficie de 150 000 citoyens prêts à le soutenir, manque d’ambition : 150 000 soutiens, rapportés aux 47 millions d’électeurs, aux plus de 7 millions de voix qu’il a obtenues en 2017, aux plus de 4 millions de votants à la primaire de la droite et du centre en 2016, c’est bien peu…
Le processus consiste donc simplement à confirmer un état de fait, un adoubement de lui-même et pour lui-même, sans contestation ni confrontation. La seule volonté est de s’affirmer et de s’afficher au plus tôt dans la course à la présidentielle, afin de se poser comme pilier incontournable de la gauche, à l’heure où diverses candidatures se murmurent… jusque dans son propre parti. La logique n’est nullement celle d’une union, mais seulement d’une affirmation : « ce sera moi, fort de mes 150 000 soutiens et qui m’aime me suive ! ». Pure mascarade et pur populisme, comme on l’a dit.
En réalité, sa démarche s’inscrit dans le prolongement d’une proposition de loi qu’il a déposée à l’Assemblée nationale, destinée à ajouter à l’actuel système de soutien par 500 élus un autre système alternatif de soutien populaire, reprenant ainsi à son compte une proposition formulée en 2012 par la « Commission Jospin » et déjà esquissée en 2008 par la « Commission Balladur ».
Cette proposition, dont on a déjà dénoncé le caractère démagogique voire contreproductif, confie aux citoyens une mission qui n’est pas la leur.
En effet, les citoyens ont vocation à désigner les élus, tandis que la désignation des candidats est l’affaire des partis politiques.
On ne peut que saluer la volonté de démocratiser l’investiture de candidats à une élection. Mais une telle démocratisation passe par le renforcement des ancrages partisans et des partis politiques eux-mêmes : si des citoyens souhaitent participer à la désignation de candidats, ils peuvent adhérer aux partis politiques ou même en créer.
Car ce qui confère sa légitimité à une candidature, ce n’est pas tant le soutien populaire dont on bénéficie, que le projet politique que l’on porte, complété par l’expérience politique que l’on a. Le soutien populaire, quant à lui, confère la légitimité élective.
Or le rôle des partis politiques est notamment de construire les projets politiques en vue d’une élection. Et si ce rôle n’est plus suffisamment rempli aujourd’hui, si un parti déçoit les militants, les électeurs et les citoyens, c’est sur les moyens de renouer le lien entre ces citoyens et les partis qu’il faut s’interroger, non sur une façon de les contourner par des processus d’apparence populaire, mais à la finalité populiste. En effet, le peuple ne peut être réduit à 150 000 individus, soit 0,32% du corps électoral et 0,22% de la population.
Sans doute que le système actuel, reposant sur 500 parrainages d’élus, est suranné et mériterait d’être modernisé. Mais il a le mérite de confirmer l’ancrage politique des candidats à l’élection pivot de la Ve République : solliciter des parrainages suppose une capacité de mobilisation et d’organisation dépassant la seule collecte, techniquement très simple aujourd’hui, de 150 000 soutiens de citoyens. C’est indispensable pour structurer notre démocratie et légitimer les élus.
C’est dans cette optique qu’il faut œuvrer et réfléchir : renforcer cet ancrage, rétablir le soutien partisan aux candidats, afin de renforcer encore leur crédibilité politique et l’adhésion populaire. Pour cela, les partis doivent redevenir les lieux de la réflexion et de la construction des projets, auxquels peuvent s’associer tous les adhérents, donc tous les citoyens qui le souhaitent.
Ce n’est possible que si ces derniers retrouvent confiance dans ces partis, lesquels ne peuvent fonctionner qu’avec la participation et l’investissement de tous, non avec la volonté de préserver la puissance de quelques-uns.