Marine Le Pen, une banalisation et une crédibilisation inachevées

Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, revient sur les deux piliers de la stratégie de Marine Le Pen, grâce aux données de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde dont la dixième vague vient de sortir.

Crédibilisation et banalisation sont les deux piliers de la stratégie de Marine Le Pen. Cette stratégie, entamée dès avant 2017 mais fortement amplifiée depuis lors, nécessitait de neutraliser les questions politiques en faisant évoluer les propositions les plus clivantes pour mieux s’appuyer sur une image personnelle retravaillée.

Le premier tour de l’élection présidentielle a constitué à l’évidence un succès électoral pour Marine Le Pen. Elle a résisté à l’irruption d’Éric Zemmour. Elle a progressé tout au long de la campagne – à la différence de 2012 et 2017. Elle a obtenu un score historique et bénéficie pour la première fois de réserves électorales.

Sa victoire au second tour devenant une hypothèse plausible, il reste à mesurer jusqu’à quel point la stratégie de banalisation et de crédibilisation a fonctionné : la dixième vague du panel électoral apporte des informations précieuses.

Le bilan est positif sur deux points importants. Les Français dénoncent la distance entre eux et les responsables politiques mais reconnaissent largement (46%) la capacité de Marine Le Pen à « comprendre les problèmes des gens comme eux ». Les Français sont insatisfaits de la situation du pays et estiment très majoritairement (63%) que Marine Le Pen veut « vraiment changer les choses » – sans dire, et c’est une nuance de poids, qu’elle veut les changer dans la bonne direction.

Le bilan est plus mitigé s’agissant de l’image personnelle de Marine Le Pen : d’un côté 27% des Français seulement disent « apprécier » Marine Le Pen contre 51% qui affirment « ne pas l’apprécier » ; d’un autre côté, ce dernier chiffre était de 59% en 2017.

Le bilan, surtout, est négatif pour tout le reste et, pour s’en convaincre, il faut se concentrer non pas sur la moyenne des Français mais sur la moyenne de ce que l’on peut appeler « le bloc non-Le Pen ». Qu’est-ce que le « bloc non-Le Pen » ? L’ensemble des électeurs qui n’ont voté ni pour Marine Le Pen, ni pour Éric Zemmour, ni pour Nicolas Dupont-Aignan. En quoi cette distinction est-elle éclairante ? Parce qu’elle permet de mesurer le potentiel d’expansion au-delà des soutiens traditionnels de Marine Le Pen. En quoi est-elle importante ? Parce que la clé de ce second tour se trouve dans la capacité à attirer notamment une partie significative de ceux qui ont voté pour Jean-Luc Mélenchon et Valérie Pécresse.

Qu’en conclure ?

La banalisation de Marine Le Pen est très loin d’être aboutie. Pour le « bloc non-Le Pen », le Rassemblement national reste un parti « nationaliste et raciste » (80%) et constitue « un danger pour la République (78%). Ce faisant, Marine Le Pen « inquiète » 78% de ces électeurs qui, à 80%, estiment qu’elle n’est « pas capable de rassembler les Français » et, à 87%, redoutent « des tensions ou des manifestations violentes » si d’aventure Marine Le Pen était élue présidente de la République. Le jugement est sans appel.

La crédibilisation de Marine est, elle aussi, très loin d’être consommée auprès de ces électeurs. 68% estiment qu’elle n’a pas l’étoffe pour être présidente de la République, 76% qu’elle n’est « pas capable de faire face à une crise grave », 86% qu’elle ne donne pas « une bonne image de la France à l’international ». Ces chiffres sont d’autant plus implacables que c’est précisément sur ce registre que Marine Le Pen a choisi de jouer en choisissant « Femme d’État » comme slogan. Ajoutons, pour faire bonne mesure, que, pour ce « bloc non-Le Pen », l’élection de la candidate du Rassemblement national aurait pour effet d’affaiblir la place de la France dans l’Union européenne (82%) et de détourner de notre pays nos partenaires étrangers (77%).

L’objectif stratégique de Marine Le Pen n’a donc pas été atteint. Le changement de son image ne sera suffisant, à lui seul, ni pour déclencher un vote « pour » ni pour empêcher un vote « contre ». Il reste qu’une élection présidentielle n’est pas un référendum et qu’un « bloc non-Le Pen » ne se transforme pas mécaniquement dans les urnes en « bloc anti-Le Pen ».

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