Macron, Hamon : quelles bases électorales ?

Comment les ralliements des dernières semaines ont-ils modifié la composition des électorats potentiels d’Emmanuel Macron et de Benoît Hamon au premier tour de l’élection présidentielle ? Le ralliement de François Bayrou a-t-il fait « fuir » une partie des électeurs en provenance de la gauche ? Quelles évolutions dans l’électorat potentiel de Benoît Hamon depuis le ralliement de Yannick Jadot ? Analyse de l’Observatoire de l’opinion avec Chloé Morin et Yves-Marie Cann.

Depuis la mi-février, l’actualité et notamment celle qui a pu influer, de diverses manières, sur les intentions de vote en faveur d’Emmanuel Macron a été très dense. Alliance surprise proposée par François Bayrou ; nouvelles difficultés de François Fillon, son concurrent le plus direct pour l’accès au second tour, avec notamment la perspective de sa mise en examen, les défections multiples de ses soutiens et notamment de l’UDI et du courant que l’on peut qualifier de « juppéiste » ; un candidat socialiste qui persiste à tenter de fédérer l’électorat se trouvant à la gauche du Parti socialiste, quitte à dérouter les sympathisants socialistes les plus proches de la ligne gouvernementale…

Au-delà de sa progression – nette dans toutes les enquêtes d’intentions de vote – depuis trois semaines, comment ces multiples événements ont-ils modifié la composition de l’électorat potentiel d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle ? Le ralliement de François Bayrou a-t-il fait « fuir » une partie des électeurs en provenance de la gauche ? Quelles sont les catégories sociodémographiques parmi lesquelles le candidat d’« En Marche ! » a le plus progressé ?

Pour y répondre, nous avons procédé à un cumul d’enquêtes Elabe permettant de disposer de deux échantillons consolidés, pour évaluer avec précision d’éventuelles évolutions. Pour notre analyse, les données labellisées « Avant » correspondent aux pourcentages calculés sur l’hypothèse François Bayrou et Yannick Jadot candidats, sur la base de 2 864 personnes inscrites sur les listes électorales, interrogées du 14 au 22 février 2017. Les données labellisées « Après » sont quant à elles calculées sur une hypothèse sans François Bayrou et Yannick Jadot, sur la base de 2 507 personnes inscrites sur les listes électorales, interrogées après les alliances Bayrou/Macron et Hamon/Jadot, du 28 février au 2 mars inclus.

Emmanuel Macron est le seul candidat qui progresse de façon significative

Sur l’ensemble de la période, on notera d’abord que la progression d’Emmanuel Macron est assez importante : + 4 points. C’est d’ailleurs le seul candidat qui progresse de façon significative. La hausse de ses scores d’intentions de vote est tirée par les classes d’âge intermédiaires (avant tout les 35-64 ans) et plus particulièrement les classes moyennes et les classes moyennes supérieures (professions intermédiaires, cadres et professions intellectuelles supérieures, artisans-commerçants, etc.).
 

BASE : ENSEMBLE DES INSCRITS

AVANT

APRES

Évolutions

Avant / Après

Nathalie ARTHAUD / Philippe POUTOU

2 %

1 %

-1

Jean-Luc MÉLENCHON

10 %

11 %

+1

Benoît HAMON

12 %

12 %

=

Emmanuel MACRON

18 %

22 %

+4

Yannick JADOT

1 %

 

 

François BAYROU

4 %

 

 

François FILLON

16 %

17 %

+1

Nicolas DUPONT-AIGNAN

3 %

3 %

=

Marine LE PEN

25 %

24 %

-1

Ne se prononcent pas

9 %

10 %

+1

Emmanuel Macron profite indiscutablement du retrait de François Bayrou et de l’alliance avec le leader centriste : ce sont désormais près de la moitié (47 %) de ses électeurs en 2012 qui voteraient aujourd’hui pour Emmanuel Macron, contre un peu plus d’un quart précédemment. S’y ajoutent près de quatre sympathisants UDI sur dix (37 %) : pour la première fois, alors que leurs représentants avaient « lâché » François Fillon il y a quelques jours, les sympathisants UDI sont légèrement plus nombreux à porter leurs suffrages sur Emmanuel Macron que sur François Fillon (35 %).
 

SCORES D’EMMANUEL MACRON AUPRÈS DES PRINCIPAUX ÉLECTORATS 2012 (1ER TOUR)

AVANT

APRÈS

Évolutions

Avant / Après

Jean-Luc MÉLENCHON

6 %

11 %

+5

François HOLLANDE

34 %

41 %

+7

François BAYROU

27 %

47 %

+20

Nicolas SARKOZY

18 %

18 %

=

Marine LE PEN

2 %

2 %

-0,5

Note de lecture : Avant l’alliance avec François Bayrou, Emmanuel Macron recueille 27 % des intentions de vote exprimées par les électeurs du candidat centriste en 2012, contre 47 % après, soit une progression de 20 points.

Surtout, Emmanuel Macron ne pâtit pas de cette alliance à gauche : sa progression est d’environ 2 points chez les sympathisants de gauche, et s’avère encore plus marquée auprès des principaux électorats de gauche en 2012, puisqu’il gagne de 5 à 7 points chez les anciens électeurs de Jean-Luc Mélenchon et de François Hollande (sachant que ce dernier avait en 2012 bénéficié de l’appoint non négligeable d’anciens électeurs de François Bayrou à la présidentielle 2007). Avec plus de 41 % des électeurs de François Hollande en 2012 se portant sur sa candidature (soit plus de 38 % de son électorat potentiel sur la dernière période), Emmanuel Macron apparaît désormais, de fait, comme le principal « héritier » de François Hollande sur le plan électoral.

Emmanuel Macron fait une percée au sein des classes moyennes

L’alliance avec François Bayrou ne bouleverse pas les grands équilibres en ce qui concerne le profil sociodémographique ou professionnel des électeurs potentiels d’Emmanuel Macron. On notera toutefois que les classes moyennes et les classes moyennes supérieures représentent désormais près de quatre électeurs potentiels sur dix (39 %), en hausse de 6 points par rapport à la période précédente. Le candidat progresse en effet sensiblement sur les différences composantes des classes moyennes et supérieures : +10 points chez les indépendants, +8 points chez les cadres ainsi que parmi les professions intermédiaires.
 

Note de lecture : Emmanuel Macron recueille 28 % des intentions de vote auprès des professions intermédiaires après son alliance avec François Bayrou, soit une progression de 8 points.

Notons également qu’Emmanuel Macron est désormais bien positionné chez les retraités, même si François Fillon le devance encore largement dans ce segment qui constitue son cœur électoral (les plus de 65 ans représentent plus de la moitié des électeurs de François Fillon : 53 % contre seulement 23 % de ceux d’Emmanuel Macron).

Et même si Marine Le Pen surclasse largement tous les autres candidats auprès des employés et des ouvriers (avec 35 % des intentions de vote de ces électeurs), Emmanuel Macron parvient à en capter une part substantielle (17 %), sensiblement supérieure à tous les autres concurrents (13 % pour Jean-Luc Mélenchon, 12 % pour Benoît Hamon, 8 % pour François Fillon).

AUPRÈS DES CATÉGORIES POPULAIRES

(OUVRIERS ET EMPLOYÉS)

AVANT

APRÈS

Évolutions

Avant / Après

Nathalie ARTHAUD / Philippe POUTOU

2 %

2 %

=

Jean-Luc MÉLENCHON

12 %

13 %

+1

Benoît HAMON

12 %

12 %

=

Emmanuel MACRON

15 %

17 %

+2

Yannick JADOT

1 %

 

 

François BAYROU

3 %

 

 

François FILLON

8 %

8 %

=

Nicolas DUPONT-AIGNAN

2 %

2 %

=

Marine LE PEN

36 %

35 %

-2

Ne se prononcent pas

9 %

11 %

+2

 

Emmanuel Macron occupe une place centrale sur l’échiquier politique

Cette alliance contribue en revanche à conforter la place centrale qu’occupe Emmanuel Macron sur l’échiquier politique, comme le révèle l’analyse de l’orientation partisane de ses électeurs potentiels. Plus de 30 % d’entre eux se disent en effet proches du Front de gauche, du Parti socialiste (surtout) ou d’Europe Ecologie-Les Verts… et dans le même temps 27 % se disent proches d’un parti du centre ou de la droite. De plus, près d’un quart de ses électeurs potentiels n’expriment aucune préférence partisane, un résultat qui témoigne de sa capacité à attirer sur son nom une proportion non négligeable d’individus ne se retrouvant plus dans l’offre que représentent les partis politiques traditionnels.
 

Note de lecture : 46 % des électeurs potentiels de Benoît Hamon se disent sympathisants du Parti socialiste, contre 26 % de ceux d’Emmanuel Macron.

Benoît Hamon, qui persiste à s’adresser à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon à défaut d’avoir réussi à conclure une alliance avec lui, pourrait s’interroger sur sa stratégie au vu des chiffres. Si l’électorat de François Hollande au premier tour de la présidentielle 2012 représente plus de la moitié de son électorat potentiel (53 %), le candidat du Parti socialiste ne capte que 36 % des voix des sympathisants socialistes et 30 % (en légère baisse – d’un point – sur trois semaines) des anciens électeurs de François Hollande. La part des électeurs se situant à la gauche du Parti socialiste dans l’électorat Hamon dépasse à peine les 10 % (en baisse d’un point sur trois semaines) et reste somme toute marginale. Pas plus que l’alliance avec Europe Ecologie-Les Verts, parler à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon n’a donc pas permis de faire progresser les intentions de vote en sa faveur. Dans le même temps, une part croissante des électeurs de François Hollande en 2012 s’est tournée vers Emmanuel Macron, passant de de 34 % à 41 % à des intentions de vote auprès de ce segment, soit un gain de 7 points.

Les données analysées ici permettent de mettre en lumière les conséquences diverses des stratégies d’élargissement conduites depuis trois semaines par le candidat d’« En Marche ! » et son concurrent socialiste :

  • D’un côté, Emmanuel Macron a réussi à élargir son socle, au point de conquérir une part substantielle de segments (notamment les retraités) qui étaient auparavant des points de fragilité chez lui. Il parvient à conquérir du terrain sur sa gauche, au point d’être le principal réceptacle des anciens électeurs de François Hollande, et ce malgré le ralliement croissant de centristes issus de l’UDI et du MoDem – preuve que les deux ne sont pas incompatibles.
  • De l’autre, Benoît Hamon a perdu du terrain sur le centre gauche et les socialistes en soutien à la ligne gouvernementale, sans pour autant conquérir de terrain à la gauche du Parti socialiste. À ce stade, le choix stratégique de parler avant tout aux électeurs d’Europe Ecologie-Les Verts et à ceux de Jean-Luc Mélenchon, au risque de la rupture avec le centre gauche, s’avère doublement perdante.

Méthodologie : données issues de cumuls d’enquêtes Elabe, réalisées par internet auprès d’échantillons représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus. La représentativité de chaque échantillon a été assurée par les méthodes des quotas appliquée aux variables suivantes : sexe, âge et profession de la personne interrogée, après stratification par la région de résidence et la catégorie d’agglomération. 

 

À l’occasion de cette élection présidentielle « hors norme », la Fondation Jean-Jaurès s’associe au Huffington Post pour apporter son éclairage sur la campagne électorale : rapport de forces, thèmes et enjeux structurants, opinion des Français. La Fondation mobilise un certain nombre de chercheurs et de personnalités pour fournir des analyses jusqu’au scrutin, et après.

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