Dans sa contribution d’une série réalisée en partenariat avec L’Hétairie, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille et auteur du blog La Constitution décodée, examine les conséquences des élections législatives sur le fonctionnement de nos institutions et démontre en quoi le pays n’en est pas ingouvernable pour autant.
Élu démocratiquement le 24 avril au soir, Emmanuel Macron a été politiquement battu dès le 19 juin.
« Battu », le mot est peut-être fort, mais il traduit une cruelle vérité : la majorité des Français ou même des électeurs ne soutient pas le président de la République et la politique qu’il propose de mener. Après le précédent de 1988, c’est la seconde fois dans l’histoire de la Ve République que le gouvernement ne disposera que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale. Toutefois, en 1988, la majorité absolue n’était manquée que d’une petite quinzaine de sièges. Aujourd’hui, il en manque plus de quarante.
Ces résultats viennent dissiper deux malentendus lancinants à propos de notre régime.
D’une part, nul besoin de scrutin proportionnel pour assurer le pluralisme politique de l’Assemblée nationale. Au contraire, malgré un scrutin majoritaire, une réelle diversité apparaît. Surtout, grâce à ce mode de scrutin, les coalitions ont nécessairement dû se former en amont de l’élection, pouvant ainsi être soumises à l’approbation des électeurs.
Si le gouverner ne sera pas chose aisée, une majorité existe et le pays n’est pas, à ce jour, ingouvernable
D’autre part, ce régime n’est rien d’autre qu’un régime parlementaire, pour la simple et bonne raison, au-delà du critère juridique de la responsabilité politique du gouvernement devant le Parlement prévue par l’article 20 de la Constitution, que seules les élections législatives sont la source légitime du pouvoir. Ce sont elles qui détermineront l’étendue du pouvoir que pourra exercer le président élu et la direction politique qu’il lui faudra emprunter.
Or celles qui viennent de se dérouler révèlent qu’il se trouve davantage d’électeurs contestant la coalition voulue par le président que d’électeurs qui l’ont soutenue. Emmanuel Macron n’a été élu que par défaut, faute d’un choix alternatif crédible et convaincant, dans un contexte anxiogène de sortie de crise sanitaire et de guerre internationale. Les élections législatives le confirment : la politique menée depuis 2017 et celle envisagée jusqu’en 2027 n’emportent pas la pleine adhésion des Français.
Pour autant, une majorité existe et, n’en déplaise aux représentants de l’opposition, le pays n’est pas, à ce jour, ingouvernable. Le gouverner ne sera pas chose aisée, mais avec diplomatie, écoute et négociation, des ententes pourront être trouvées.
Certes, le pouvoir exécutif sera contraint de ménager et, surtout, d’écouter le Parlement, mais ce ne peut être que bienvenu, après un quinquennat de verticalité exacerbée.
Certes encore, le gouvernement ne disposera pas des mêmes atouts que Michel Rocard (et ses successeurs) en 1988, mais la Constitution continue de protéger ceux qui la mettent en œuvre.
Tout d’abord, notre régime parlementaire rationalisé n’impose pas au gouvernement de prouver qu’il dispose de la confiance de la majorité : il n’est ainsi constitutionnellement pas tenu d’engager sa responsabilité sur une déclaration de politique générale, conformément à l’article 49, al. 1er : ce n’est qu’une faculté à laquelle, d’ailleurs, Michel Rocard n’a jamais eu recours (sauf sur un sujet d’union nationale qu’était la guerre du Golfe). Mieux, depuis 1988, notre Constitution a évolué et permet désormais au gouvernement de faire une déclaration, éventuellement suivie d’un vote (sans que ce soit une obligation) qui, s’il est négatif, ne le contraint pas à la démission.
Le gouvernement, tout en permettant qu’un débat parlementaire ait lieu sur son programme ou son orientation politique, ne sera pas exposé à une démission constitutionnellement imposée.
À l’inverse, si le gouvernement n’est pas tenu de prouver qu’il dispose du soutien d’une majorité, l’opposition peut, presque à tout instant, prouver qu’il ne l’a plus, en déposant une motion de censure, en vertu de l’article 49, al. 2. Puisque l’objectif est de prouver qu’il y a une majorité contre le gouvernement, seuls sont alors recensés les votes qui approuvent cette censure, qui doivent atteindre la majorité absolue des membres de l’Assemblée, soit 289. Ceux qui ne souhaitent pas prendre position sont ainsi considérés comme des soutiens.
Par conséquent, tant qu’il ne se trouve pas de majorité absolue suffisamment cohérente pour s’entendre sur le renvoi du gouvernement, ce dernier peut se maintenir et conduire sa politique.
Pour cela, il aura besoin de faire voter des lois et, ici, l’article 49, al. 3, permettant de créer une majorité là où elle n’existe pas, pourra se révéler utile, mais son utilisation sera limitée aux seuls textes budgétaires, ainsi qu’à un texte par session. Néanmoins, ce pourrait être suffisant, lorsqu’aucun accord n’est possible et que le ralliement ou, a minima, l’abstention d’un nombre suffisant de députés n’a pas été obtenu, pour parvenir à faire passer les textes essentiels.
Enfin, si jamais un blocage devait apparaître, si une motion de censure devait aboutir ou si des textes devaient être systématiquement bloqués, alors la dissolution pourra être prononcée. Ce serait alors aux électeurs de trancher, avec un recul plus ou moins important, en fonction de l’instant où elle interviendrait, pour apprécier si et comment l’actuel équilibre mérite d’être révisé.
À eux, alors, de dire si, Emmanuel Macron élu, il doit être définitivement battu ou bien s’il a vaincu.