L’Union européenne, grande absente des journaux télévisés

Quelle médiatisation de l’Europe en 2018 dans les journaux télévisés français ? Rémy Broc et Théo Verdier, membres du bureau du Mouvement européen-France, ont mené une analyse inédite à partir des données collectées par l’INA dans le cadre de son baromètre des journaux télévisés intitulé « Europe, entre Brexit et élections ». Ils en livrent ici les principaux enseignements, posant la question de la visibilité des enjeux politiques européens au quotidien, et montrent en quoi l’Union européenne constitue un sujet « anti-télévisuel » en manque d’incarnation.

Alors que 45 millions de Français sont appelés aux urnes le 26 mai prochain pour élire leurs députés européens, l’information sur l’Europe apparaît comme le défi clé des rédactions pour 2019. Dans ce contexte, nous pouvons rappeler que la télévision constitue le premier média des Français. 46% d’entre eux continuent de privilégier le petit écran pour se tenir informés de l’actualité nationale et internationale.

Objets de cette étude, les journaux télévisés des chaînes traditionnelles se taillent en une part majeure de l’information TV française : les seuls 20 heures de TF1 et de France 2 ont réuni respectivement 5,6 et 4,8 millions de téléspectateurs chaque soir de semaine en 2018 selon Médiamétrie. Or, il a déjà été observé que si les journaux télévisés parlent d’Europe, ils affichent des difficultés majeures à traiter l’actualité de l’Union européenne.

Les Français évoluent au sein d’une démocratie européenne de 510 millions d’habitants et sont citoyens d’une Union européenne qui demeure l’échelon le plus à même de traiter certaines de leurs principales préoccupations : la lutte contre le réchauffement climatique, la sécurité et la politique migratoire. En ce sens, il est fondamental d’intégrer les Français à un débat public qui dépasse le cadre de leurs frontières nationales.

Cette étude pose la question de la visibilité des enjeux politiques européens au quotidien, en dehors de l’échéance électorale à venir. Est-ce que les journaux télévisés nous informent sur la vie politique de l’Union européenne ? Comment le font-ils et quels thèmes privilégient-ils ? Nous permettent-ils de dépasser la vision nationale pour s’inscrire dans les clivages partisans qui font avancer ou reculer l’Union européenne ? L’étude de l’ensemble des sujets dédiés à l’actualité de l’Union européenne en 2018 dans les journaux télévisés apporte un éclairage complet sur la question : est résumée ici l’exposition du plus grand nombre de nos concitoyens aux débats qui agitent l’Europe.

Une actualité européenne centrée essentiellement sur nos voisins

Les résultats présentés ici sont issus de l’exploitation des données collectées dans le cadre du dépôt légal des chaînes de télévision. Ces données sont produites, stockées et gérées par l’Institut national de l’audiovisuel, dont les équipes ont suivi la réalisation de la présente étude. Le cadre de nos travaux s’applique à la diffusion en 2018 des journaux télévisés des six chaînes traditionnelles : le 20 heures de TF1, le 20 heures de France 2, le 19/20 édition nationale de France 3, le 1945 de M6 et Arte Journal ; auxquels s’ajoute l’Info du vrai le JT diffusé sur Canal+ jusqu’en juin 2018.

Depuis la création de son baromètre des journaux télévisés en 2006, l’Institut national de l’audiovisuel a documenté la couverture étendue de l’actualité internationale par les journaux télévisés. Les vingt-huit pays membres de l’Union européenne occupent une place importante de ce volet dédié à l’international : en 2018, les États de l’Union européenne ont été mentionnés dans 13,2% de l’ensemble des sujets présentés à l’écran. Les journaux télévisés consacrent néanmoins leur temps d’antenne à nos voisins les plus proches. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Belgique occupent plus de trois sujets européens sur quatre. Tandis que les pays baltes, la Slovénie, la Slovaquie ou encore Chypre sont systématiquement les États membres les moins évoqués par nos journaux télévisés, en 2018, tout comme en 2011 et en 2007.

Le difficile traitement de l’actualité de l’Union européenne

Au-delà de la mise en avant des États européens, les rédactions laissent une place réduite à l’actualité propre à l’Union européenne en tant que telle. L’Union européenne, ses institutions, son action ou encore ses relations avec ses États membres sont mentionnés dans 2,7% des sujets diffusés à l’antenne. Un résultat qui chute à 1,9% si l’on fait exception d’Arte, dont l’engagement éditorial conduit son Journal à présenter 5,8% de sujets relatifs à l’Union européenne. Autrement dit, les journaux télévisés étudiés de TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6 ont diffusé en 2018 une proportion de quatre sujets évoquant l’actualité de l’Union européenne tous les deux cents sujets passés à l’antenne.

Au sein du corpus dédié à l’Union européenne, les téléspectateurs français ont assisté à la mise en lumière de trois grands enjeux thématiques : le suivi des négociations du Brexit, l’actualité et les crises liées à la politique migratoire et l’évolution de nos relations avec les États-Unis. Ces trois questions occupent 40% des sujets mentionnant l’Union européenne.

Les responsables politiques européens en première ligne sur ces dossiers demeurent toutefois peu visibles à l’écran. Les plus médiatiques, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et Michel Barnier, qui négocie le Brexit pour les vingt-sept, totalisent une vingtaine de mentions chacun sur l’année, dont les trois quarts proviennent uniquement d’Arte Journal.

La maigre représentation observée du personnel politique européen est amenée à jouer un rôle important dans la campagne des élections européennes de mai 2019. Les principales têtes de liste des partis européens – les spitzenkandidaten – pour le scrutin ont globalement été absentes de nos journaux télévisés en 2018. Un résultat qui laisse présager du faible taux de notoriété en France de ces personnalités candidates pour devenir le·la prochain·e président·e de la Commission européenne.

Une prise de recul sur le travail quotidien des rédactions

Guillaume Debré, chef du pôle News à la rédaction de TF1, Pascal Doucet-Bon, directeur délégué de l’information de France Télévisions, Pascal Verdeau, correspondant permanent de France Télévisions à Bruxelles, et Frédéric Méon, rédacteur en chef adjoint d’Arte Journal, ont accepté dans le cadre de cette étude de nous expliquer la stratégie éditoriale de leurs chaînes et leur vision de l’actualité européenne. Ils donnent ici une vision contrastée de la couverture de la politique communautaire, certaines rédactions rencontrant des difficultés importantes à faire de l’actualité européenne quotidienne un « sujet de conversation », ainsi que le résume Pascal Doucet-Bon à France Télévisions.

Nos entretiens avec les chaînes ont par ailleurs permis de noter qu’elles ne disposent pas d’outils de suivi en interne pour mesurer la valorisation des différents enjeux d’actualité dans leurs programmes. La présente étude offre une prise de recul qui peut s’avérer bénéfique, attestant du peu d’espace accordé à l’Union européenne et à sa vie politique à l’écran. L’analyse macro présentée ici ne rend toutefois pas compte de la qualité de certains sujets consacrés à l’actualité de l’Union européenne, ni de l’engagement d’équipes réduites qui doivent produire tous les jours un journal regardé par des millions de Français.

À propos 

Sauf mention, les données exploitées et présentées dans la présente étude concernent le 20 heures de TF1, le 20 heures de France 2, le 19/20 édition nationale de France 3, l’Info du Vrai le JT de Canal+, le 1945 de M6 et Arte Journal. Les mesures ont été effectuées sur les journaux télévisés diffusés entre le 30 décembre 2017 et le 28 décembre 2018 et constituent un corpus de 26 496 sujets.

Les données concernant Canal+ s’arrêtent au 22 juin 2018, date à laquelle la chaîne a interrompu la diffusion de son journal télévisé du soir.

L’Europe dans les journaux télévisés en 2018

Le traitement des sujets européens : nos voisins directs en première ligne

Sur l’ensemble de l’année 2018, 3 498 sujets des journaux télévisés étudiés ont mentionné au moins un pays de l’Union européenne. Ce corpus européen représente 13,2% des sujets diffusés sur la période et occupe une part importante du volet international des journaux télévisés.

Les sujets en question ont généré 3 819 citations de pays de l’Union européenne, détaillées ci-après.

Tableau n° 1 : Nombre de citations des pays membres de l’Union européenne en 2018, 2011 et 2007 dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.
2018 2011 2007
Pays Citations Pays Citations Pays Citations
Royaume-Uni 782 Allemagne 732 Royaume-Uni 884
Allemagne 761 Royaume-Uni 596 Allemagne 774
Italie 608 Italie 535 Italie 454
Espagne 395 Grèce 360 Espagne 368
Belgique 319 Espagne 308 Belgique 216
Croatie 178 Belgique 178 Grèce 143
Grèce 96 Pays-Bas 61 Portugal 140
Suède 77 Portugal 56 Pologne 128
Pays-Bas 69 Hongrie 45 Pays-Bas 78
Pologne 69 Irlande 41 Autriche 53
Irlande 61 Pologne 41 Roumanie 52
Portugal 59 Suède 38 Bulgarie 48
Malte 50 Autriche 29 Danemark 36
Danemark 49 République tchèque 26 Hongrie 36
Autriche 41 Danemark 16 Malte 33
Hongrie 39 Finlande 15 Suède 32
Finlande 32 Lituanie 15 Finlande 21
Roumanie 24 Bulgarie 8 Irlande 20
République tchèque 21 Roumanie 6 République tchèque 18
Bulgarie 17 Luxembourg 5 Luxembourg 18
Luxembourg 17 Slovaquie 5 Slovénie 15
Slovaquie 13 Estonie 4 Estonie 13
Chypre 12 Chypre 2 Chypre 6
Slovénie 11 Malte 2 Slovaquie 5
Lettonie 8 Slovénie 2 Lituanie 4
Lituanie 7 Lettonie 0 Lettonie 3
Estonie 4
Total 3 819 3 126 3 598

Si le nombre de citations de pays membres de l’Union européenne atteint un pic en 2018, il demeure globalement stable vis-à-vis des deux années témoins sélectionnées, on compte 3 126 citations en 2011 et 3 598 en 2007.

Quatre États membres de l’Union européenne arrivent systématiquement en tête du nombre de citations, il s’agit de nos voisins les plus directs : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. La Belgique est le cinquième pays le plus cité en 2018 et 2007, laissant sa place à la Grèce en 2011, année critique pour le lancement du deuxième plan de sauvetage de l’économie grecque.

Les cinq États les plus cités occupent une place prédominante dans la couverture de l’actualité européenne. Ils font l’objet de plus de trois citations sur quatre, sur l’ensemble des trois années étudiées. En 2018, nos voisins les plus directs occupent ainsi 75% des citations.

La couverture de l’actualité des quatre pays les plus cités en 2018 s’organise autour d’un nombre réduit de problématiques – principalement d’ordre politique – qui font l’objet d’un traitement étendu. Au Royaume-Uni, on compte parmi les enjeux les plus suivis les négociations du Brexit (147 sujets), la vie de la famille royale et le mariage du prince Harry (107 sujets en avril-mai) et les affaires d’empoisonnement en lien avec la Russie (73 sujets).

En Allemagne, l’accent est mis sur la formation de la coalition de gouvernement et l’actualité partisane (57 sujets), les élections en Bavière et dans le land de Hesse (20 sujets) ainsi que sur la succession d’Angela Merkel et la désignation d’Annegret Kramp-Karrenbauer à la tête de la CDU (14 sujets) à la fin de l’année 2018. 

La couverture de l’actualité italienne se centre sur le suivi des élections législatives de mars 2018 (41 sujets) puis de la formation d’un gouvernement de coalition (52 sujets), avant de se consacrer à l’effondrement du pont Morandi à Gênes (118 sujets). En Espagne, l’accueil de l’Aquarius à Valence (49 sujets) après les refus italien et maltais, les incendies du mois d’août en Espagne et au Portugal (20 sujets), la chute de Mariano Rajoy et la désignation de Pedro Sanchez comme Premier ministre (15 sujets) ainsi que le lancement de la campagne de Manuel Valls à Barcelone (15 sujets) comptent parmi les enjeux les plus cités.

Tableau n° 2 : Taux de citation des cinq premiers pays européens vis-à-vis de l’ensemble des vingt-huit États membres de l’Union européenne dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.
2018 2011 2007
Taux de citation des 5 premiers pays européens vis-à-vis de l’ensemble des États membres de l’UE 75% 81% 74,9%
Taux de citation par pays vis-à-vis de l’ensemble des États membres de l’UE
Royaume-Uni 20,5% 19,1% 24,6%
Allemagne 19,9% 23,4% 21,5%
Italie 15,9% 17,1% 12,6%
Espagne 10,3% 9,9% 10,2%
Belgique  8,4% 6%
Grèce  11,5%

À l’opposé, le même ensemble de pays se retrouve parmi les moins cités dans les journaux télévisés. Il s’agit de la Slovaquie, de Chypre, de la Slovénie, de la Lettonie, de la Lituanie et de l’Estonie. Interrogé sur ce point, le directeur délégué de l’information de France Télévisions, Pascal Doucet-Bon, met en avant la difficulté logistique de la couverture de l’actualité en Europe centrale et orientale, prenant l’exemple des trois États baltes, situés « à la fois loin de Berlin et de Moscou » où France Télévisions a des bureaux régionaux. Il souligne également « le peu d’actualité émanant de ces pays », qui font« l’objet d’une couverture en ‘one-shot’ mais n’apparaîtront pas sur un chiffrage annuel ». 

Au-delà de l’actualité propre aux différents États de l’Union européenne, les rédactions utilisent régulièrement des exemples européens pour illustrer des sujets français. TF1 explique ainsi l’importante représentation de nos voisins les plus proches par l’angle éditorial de son journal télévisé. « Il est évident que notre prisme européen, il se fait d’abord sur une actualité française. On utilise l’Europe comme baromètre, comme comparatif. Et on se compare plus facilement aux Belges et aux Italiens qu’aux pays baltes ou aux Polonais », avance Guillaume Debré, chef du pôle News à la rédaction de TF1.

La difficile visibilité de l’Union européenne et de ses institutions 

Si les journaux télévisés accordent une large part de leur temps d’antenne à la couverture des sujets européens, la couverture de la vie politique de l’Union européenne apparaît bien moins visible à l’écran. En 2018, on recense 724 sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne, à son action, à ses institutions ou encore à ses relations avec ses États membres. Ce qui représente 2,7% de l’ensemble des sujets diffusés par lesjournaux télévisés étudiés sur l’année.
 

Graphique n° 1 : Proportion de sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne sur l’ensemble des sujets diffusés en 2018 par le 20 heures de TF1, le 20 heures de France 2, le 19/20 de France 3, le 1945 de M6 et Arte Journal. Source : INA. 

On observe une importante diversité entre les journaux télévisés dans la couverture des enjeux communautaires : l’Union européenne et son actualité sont mentionnés dans 5,8% des sujets sur Arte Journal, une proportion ramenée à 2,5% au 20 heures de France 2, 2% au sein du 1945 de M6, 1,6 % au 19/20 sur France 3 et enfin 1,4% au 20 heures de TF1.

Avec 321 sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne, Arte Journal constitue de loin le premier journal télévisé français de par la place que sa rédaction accorde aux enjeux communautaires. Un résultat qui tient tant à l’identité franco-allemande du programme – la même version du journal télévisé est diffusée chaque jour en allemand puis en français – qu’à l’engagement éditorial de la chaîne sur la couverture de l’actualité européenne. 

Le 20 heures de France 2, programme phare de l’information sur les chaînes du groupe France Télévisions, a présenté 156 sujets relatifs à l’Union européenne sur l’ensemble des 6 299 sujets diffusés dans l’année. Le journal télévisé de la deuxième chaîne marque ainsi son prisme international et dépasse largement le 19/20 de France 3, orienté sur l’actualité des territoires, avec 78 sujets relatifs à l’Union européenne. 

Le 20 heures de TF1 a diffusé 87 sujets sur les enjeux communautaires au sein d’un corpus total de 6 056 sujets, ce qui représente 1,4% de sujets relatifs à l’Union européenne. Le journal télévisé le plus regardé de France se classe ainsi dernier des journaux télévisés étudiés dans la place accordée à l’actualité de l’Union européenne. Il est largement dépassé par son principal concurrent, le 20 heures de France 2.

Enfin, le 1945 de M6 a présenté 62 sujets européens sur l’année, au sein d’un corpus réduit de 3 160 sujets, qui place la proportion de sujets relatifs à l’Union européenne (2%) dans la moyenne des chaînes étudiées.

Au-delà de la simple couverture de l’actualité européenne, on recense sur l’ensemble des journaux télévisés 168 sujets mentionnant les institutions européennes, soit 0,6% des sujets diffusés par ces derniers en 2018. 

Le Parlement européen apparaît comme l’institution la mieux identifiée par les rédactions avec 79 sujets, suivie par la Commission européenne avec 67 sujets. Les autres institutions européennes bénéficient d’une visibilité résiduelle ne dépassant pas 10 mentions sur l’année. 
 

Tableau n° 3 : Nombre de sujets mentionnant les institutions de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe au sein des journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Institutions européennes Nombre de sujets
Parlement européen 79
Commission européenne 67
Conseil européen 7
Cour de justice de l’Union européenne 5
Cour européenne des droits de l’homme 5
Conseil de l’Europe 2
Conseil de l’Union européenne 2
Banque centrale européenne 1

Le décompte des sujets mentionnant les trois premières institutions de l’Union européenne – le Parlement européen, la Commission européenne et le Conseil européen – reproduit la hiérarchie des chaînes vue précédemment : Arte se détache en leur consacrant 64 sujets, France 2 suit avec 27 sujets, puis viennent M6 (17 sujets), France 3 (17 sujets) et TF1 (14 sujets).
 

Tableau n° 4 : Nombre de sujets mentionnant une sélection d’institutions internationales au sein des journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Institutions internationales Nombre de sujets
ONU 146
OTAN 27
UNESCO 26
FIFA 18
FMI 9
OMC 4

En élargissant le panel des institutions testées, on constate que les chaînes ont accordé à l’actualité de l’ONU une visibilité bien supérieure à celles des autres institutions internationales. Les tractations liées au conflit syrien ou encore le discours d’Emmanuel Macron à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2018 comptent parmi les principaux enjeux traités. Avec 146 sujets, les Nations unies font, par ailleurs, l’objet d’une couverture équivalente à celle accordée conjointement au Parlement européen et à la Commission européenne. 

Magazines d’information TV : l’Europe au premier plan sur les chaînes du service public

Graphique n° 2 : Nombre d’émissions par chaîne ayant fait mention de l’actualité de l’Union européenne. Données relevées entre 2008 et 2017. Source : INA.

Étudiés sur une décennie, les magazines d’information des chaînes de télévision généralistes (hors chaînes d’information en continu) font preuve d’une importante diversité dans leur traitement de l’actualité relative à l’Union européenne. Le classement des chaînes confirme la prédominance du secteur public dans la couverture des enjeux européens. Les canaux du groupe France Télévisions, France 5 et France 2, se détachent avec 443 et 389 émissions lors desquelles on a abordé l’actualité de l’Union européenne, suivies d’Arte avec 380 émissions. Canal + est la première des chaînes privées (48 émissions), suivie par TF1 (17 émissions) et M6 (3 émissions).

Les chaînes publiques se démarquent à la fois par le temps d’antenne accordéaux enjeux européens ainsi que par la variété des formats présentés. Le classement des dix premières émissions traitant l’actualité de l’Union européenne est entièrement composé par des émissions du service public. Les 4 vérités sur France 2, le 28 minutes d’Arte et C dans l’air ont traité les enjeux européens dans plus de deux cents émissions. On compte notamment quatre émissions de France 5 dans ce classement : C dans l’air, C à dire, C politique et Les Report Terre.

Tableau n° 5 : Classement des dix premiers magazines d’information TV au vu du nombre d’émissions ayant fait mention de l’actualité de l’Union européenne entre 2008 et 2017. Source : INA.
Titre Chaîne Nombre d’émissions
Les 4 vérités France 2 275
28 minutes Arte 245
C dans l’air France 5 206
Avenue de l’Europe France 3 111
C à dire France 5 102
C politique France 5 41
Le blogueur Arte 39
Les Report Terre France 5 37
Mots croisés France 2 36
Le dessous des cartes Arte 35

Enfin, on note la spécificité éditoriale de France 3, qui a circonscrit la couverture des affaires européennes à son magazine mensuel Avenue de l’Europe. Seul programme de la chaîne présent dans ce classement, il représente 78% du corpus d’émissions de France 3 traitant le sujet sur la période étudiée.

Quelle couverture de l’actualité de l’Union européenne offrent les journaux télévisés ?

Le Brexit, la politique migratoire et les relations avec les États-Unis au cœur de l’actualité de l’Union européenne dans les journaux télévisés

Tableau n° 6 : Classement des quinze thématiques relatives à l’actualité de l’Union européenne les plus traitées par les journaux télévisés étudiés en 2018.
Enjeux et thématiques Nombre de sujets
1 Brexit 147
2 Enjeux et politiques migratoires 88
3 Relations avec les États-Unis 54
4 Politique italienne et relation UE – Italie 30
5 Affaires judiciaires 26
6 Elections européennes 2019 25
7 L’Europe et les agriculteurs 19
8 Relations franco-allemandes 18
9 Stratégie et positionnement européen d’Emmanuel Macron 17
10 Actualité politique allemande 14
11 Relations UE – Hongrie / Pologne 14
12 Relations UE – Grèce 13
13 Numérique 12
14 Néonicotinoïdes 11
15 Fin du changement d’heure 10

Sur l’ensemble de 724 sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne diffusés par les journaux télévisés étudiés en 2018, on note la mise en avant de trois thématiques clés : le Brexit (147 sujets), la politique migratoire (88 sujets) et les relations entre l’Union européenne et les États-Unis (54 sujets). Avec 289 sujets, ces questions occupent ainsi près de 40% de la couverture dédiée par les journaux télévisés à la vie politique de l’Union européenne.

Le Brexit : 147 sujets

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ainsi que de l’actualité britannique qui s’y rapporte occupe 20,3% du corpus des sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne. L’ensemble des chaînes place le Brexit parmi les trois sujets les plus traités par leur journal télévisé. Arte et France 2 accordent la plus large place aux négociations avec respectivement 72 et 37 sujets dans l’année.

L’actualité gouvernementale à Londres et l’entrée dans la dernière phase des négociations mettent particulièrement le dossier en lumière à l’automne 2018 : on compte 93 sujets entre septembre et décembre. Ce thème se place alors chaque mois en tête de l’actualité européenne couverte par les journaux télévisés. La présentation du projet d’accord entre les deux parties, suivie de son approbation par le Conseil européen et les critiques des parlementaires britanniques constituent la séquence la plus dense avec 32 sujets réalisés en novembre 2018.

Enjeux et politiques migratoires : 88 sujets

La politique migratoire de l’Union européenne et les crises liées à l’accueil des navires de sauvetage en Méditerranée constituent le second enjeu d’actualité européenne traité dans l’année avec 88 sujets de journaux télévisés. La thématique se place dans le top 3 de chaque chaîne sauf pour Canal+, qui a interrompu l’Info du Vrai le JT d’information au sommet de la crise à l’été 2018.

Le rejet en juin 2018 par l’Italie puis par Malte de l’Aquarius et des 629 migrants à son bord provoque une première crise diplomatique et humanitaire amenant l’Espagne à accueillir le navire à Valence. S’ensuivent une série de propositions et un débat européen pour faire avancer la politique migratoire de l’Union européenne. Les journaux télévisés couvrent alors plus particulièrement les revendications du gouvernement italien, la position de la chancelière allemande puis la rencontre entre Emmanuel Macron et le président du Conseil italien Giuseppe Conte. Le Conseil européen de juin et le mini-sommet qui le précède – un « sommet de crise » pour l’Europe – concluent la séquence, avant la dénonciation en France d’un « accord de façade » par le président des Républicains, Laurent Wauquiez. Au total, 59 sujets de journaux télévisés seront consacrés à la « crise des migrants » en juin 2018, avec une représentation répartie sur l’ensemble des chaînes (17 sujets sur Arte, 16 sur France 2, 12 sur TF1, 9 sur France 3 et 5 sur M6).

L’enjeu migratoire connaîtra une réplique médiatique en août (11 sujets) avec « l’ultimatum » lancé à l’Union européenne par le vice-président du Conseil Luigi Di Maio à l’occasion du blocage du navire Diciotti en Sicile.

Relations Union européenne – États-Unis : 54 sujets 

Les relations transatlantiques ont généré 54 sujets en 2018. L’évolution des liens commerciaux qui lient l’Union européenne et les États-Unis fait notamment l’objet d’un traitement approfondi avec 28 sujets. Les journaux télévisés couvrent plus particulièrement la première offensive de Donald Trump en mars 2018, avec l’annonce de droits de douane sur l’acier et l’aluminium européens (14 sujets). La séquence se poursuit en plusieurs étapes conduisant à une riposte européenne entre mai et juillet (14 sujets sur trois mois) et le début d’une « guerre commerciale » inédite.

Le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien intègre également l’agenda des rédactions, qui lui consacrent vingt sujets au cours de l’année. Cinq sujets seront dédiés à l’annonce du rejet de l’accord par Donald Trump en mai 2018, puis aux conséquences de la décision américaine, avec trois sujets diffusés sur Arte et France 2 en août 2018 relatifs au départ des entreprises européennes par peur de sanctions.

Alliant diplomatie et macroéconomie, les relations entre l’Union européenne et les États-Unis sont couvertes de manière diverse sur les différentes chaînes étudiées : on compte 19 sujets sur Arte, 13 sur France 2, 9 sur TF1, 5 sur France 3 et finalement 4 sujets sur Canal+ et M6.

Mars, juin et octobre 2018, temps forts de l’actualité européenne

Graphique n° 3 : Nombre de sujets relatifs à l’actualité de l’Union européenne diffusés dans les journaux télévisés étudiés au cours de l’année 2018. Source : INA.

Tableau n° 7 : Les principaux enjeux européens traités chaque mois par les journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Janvier Février Mars Avril Mai Juin
Pêche électrique
(6 sujets)
L’Europe et les agriculteurs
(10 sujets)
Politique commerciale UE – États-Unis (14 sujets) Stratégie et positionnement européen d’Emmanuel Macron
(7 sujets)
Relations UE – États-Unis
(8 sujets)
Enjeux et politiques migratoires
(59 sujets)
Juillet Août Septembre Octobre Novembre Décembre
Brexit
(13 sujets)
Enjeux et politiques migratoires
(11 sujets)
Brexit
(13 sujets)
Brexit
(25 sujets)
Brexit
(32 sujets)
Brexit
(23 sujets)

La répartition dans le temps des sujets met en avant les trois temps forts de l’année 2018, qui correspondent aux thématiques clés traitées prioritairement par les journaux télévisés étudiés :

  • en mars 2018 avec l’annonce des droits de douane sur l’entrée aux États-Unis de l’acier et l’aluminium européens ;
  • en juin 2018 avec les tractations pour l’accueil de l’Aquarius et la crise sur la politique migratoire de l’Union ;
  • au quatrième trimestre 2018 avec la montée en puissance des sujets liés au Brexit et la présentation de l’accord de retrait.

Plusieurs enjeux européens trouvent également une place secondaire au sein de l’agenda des rédactions. L’impact de la politique européenne sur le secteur primaire (pêche, agriculture) est particulièrement mis en lumière au premier trimestre 2018. Lesjournaux télévisés couvrent alors la prise de position du Parlement européen en faveur de l’interdiction dela pêche électrique (6 sujets en janvier 2018). Ils évoquent ensuite largement la Politique agricole commune (PAC) à l’occasion de la réforme en France de la carte des zones agricoles défavorisées (10 sujets en janvier 2018). 

La stratégie européenne d’Emmanuel Macron fait l’objet d’un traitement diffus tout au long de l’année (17 sujets), étant traitée ponctuellement par certains journaux télévisés au fil des déclarations du président français. Son discours au Parlement européen émerge toutefois en première position des enjeux communautaires du mois d’avril avec 7 sujets.

En octobre 2018, les relations entre l’Union européenne et l’Italie sont particulièrement scrutées par les journaux télévisés (14 sujets) à l’occasion de la présentation par Rome de son projet de budget 2019 et des échanges avec la Commission européenne qui aboutiront à une version de consensus en 2019.

Le second semestre 2018 est émaillé par l’actualité judiciaire des partis politiques français. L’enquête sur les emplois présumés fictifs des assistants du Rassemblement national au Parlement européen fait l’objet de 14 sujets entre juillet et septembre lorsque la justice annonce une saisie de deux millions d’euros sur les comptes du parti – avant de réduire cette somme. L’affaire est rapidement suivie par la perquisition au siège de La France insoumise dans le cadre de l’enquête sur le financement de la campagne présidentielle de l’ex-député européen Jean-Luc Mélenchon (11 sujets en octobre et novembre).

Enfin, certains journaux télévisés ont préparé les élections européennes de mai 2019 et commencé à couvrir l’actualité du scrutin dès 2018. 25 sujets y ont été consacrés en 2018, dont 15 sujets sur Arte et 6 sur France 2. Les 10 sujets qui concluent l’année sur ce thème en novembre et décembre 2018 couvrent notamment le lancement potentiel d’une liste « gilets jaunes » ainsi que l’investiture des têtes de liste du Parti populaire européen, Manfred Weber, et du Parti socialiste européen, Frans Timmermans. Sur les autres chaînes, si France 3 et Canal+ ne diffusent aucun sujet sur les élections européennes, TF1 et M6 en produisent chacun deux.

Quelle visibilité pour les institutions européennes dans les journaux télévisés ?

Nous l’avons vu (cf. plus haut) les institutions européennes sont mentionnées dans 168 sujets, soit dans 0,6% des sujets diffusés sur l’ensemble des journaux télévisés étudiés.Le Parlement européen est l’institution la mieux identifiée, avec 79 sujets, suivie par la Commission européenne avec 67 sujets. Elles totalisent à elles deux 146 mentions pour 142 sujets différents (4 sujets évoquent les deux institutions).

Tableau n° 8 – Rappel : Nombre de sujets mentionnant le Parlement européen et la Commission européenne dans l’ensemble des journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Institutions européennes Nombre de sujets
Parlement européen 79
Commission européenne 67

Les mentions de la Commission européenne sont menées par Arte, qui en totalise 55% avec 37 sujets. Les autres chaînes se partagent les 45% restant. France 2 et M6 ont cité respectivement 11 et 8 fois la Commission européenne durant l’année 2018 alors que les journaux télévisés de TF1 et France 3 ont tous deux évoqué la Commission à cinq reprises.

Tableau n° 9 : Nombre de sujets mentionnant la Commission européenne dans l’ensemble des journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Chaîne Nombre de sujets – Commission européenne
En valeur absolue En %
Arte 37 55%
France 2 11 16%
M6 8 12%
France 3 5 7%
TF1 5 7%
Canal + 1 1%
TOTAL 67 100%

Du côté du Parlement européen, les écarts entre les chaînes sont plus faibles. Si Arte se place en tête avec 24 mentions, représentant 30% des sujets évoquant le Parlement européen, les journaux télévisés de France 2 (20% avec 16 mentions), M6 (19% avec 15 mentions), France 3 (15% avec 12 mentions) et TF1 (13% avec 10 mentions) se suivent dans un ensemble relativement uniforme.

Tableau n° 10 : Nombre de sujets mentionnant le Parlement européen dans l’ensemble des journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Chaîne Nombre de sujets – Parlement européen
En valeur absolue En %
Arte 24 30%
France 2 16 20%
M6 15 19%
France 3 12 15%
TF1 10 13%
Canal + 2 3%
TOTAL 79 100%

La visibilité à l’écran du Parlement européen est par ailleurs fortement liée à l’actualité nationale. 36 sujets sur les 79 mentionnant l’institution, soit 46% des sujets, trouvent leurs sources dans un ensemble de trois enjeux d’actualités : les affaires judiciaires concernant le Rassemblement national et La France insoumise, le discours d’Emmanuel Macron dans l’hémicycle à Strasbourg et enfin les prémices de la campagne des élections européennes. En ce sens, si l’on retire Arte de notre corpus, 65% des sujets mentionnant la Commission ou le Parlement européen traitent d’une actualité essentiellement nationale.

La Commission européenne apparaît néanmoins davantage comme l’institution responsable des politiques européennes, avec un focus particulier des rédactions sur le processus de validation du budget italien, le retour de la Grèce sur les marchés financiers ainsi que la mise en place d’une potentielle taxe sur les géants du net.

Au final, sur près de 800 heures d’information diffusées par les journaux télévisés étudiés en 2018, les sujets mentionnant le Parlement européen et la Commission représentent 0,22% du temps d’antenne global. La couverture des enjeux institutionnels européens semble ainsi représenter une difficulté pour l’ensemble des chaînes étudiées. Si Arte se démarque dans ce domaine vis-à-vis de ses concurrents, Arte Journal ne consacre finalement que 0,97% de son temps d’antenne à l’actualité explicite de la Commission européenne, un résultat qui chute à 0,60% pour le Parlement européen.

Graphique n° 4 : Proportion du temps d’antenne consacré aux sujets faisant mention du Parlement européen ou de la Commission européenne par rapport à l’intégralité des sujets diffusés en 2018 par les journaux télévisés étudiés. Source : INA.

La visibilité du personnel politique de l’Union européenne dans la perspective des élections européennes 

Brexit, politique migratoire, relations avec les États-Unis,… les thématiques clés de l’année 2018 mettent au premier plan les institutions européennes et leurs représentants. Nous nous sommes demandé quelle visibilité avaient offerte les journaux télévisés, dans la couverture de l’actualité européenne, aux plus importants décideurs de l’Union européenne.

Graphique n° 5 : Sujets faisant mention de Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, Antonio Tajani, président du Parlement européen, Donald Tusk, président du Conseil européen et Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission européenne pour le Brexit. Comprend les mentions ainsi que les passages à l’écran – par l’image et par la parole – dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.

  • Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, est le décideur de l’Union européenne le plus visible, avec 26 sujets le mentionnant, dont 15 prises de parole; 
  • Michel Barnier, négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit, le suit avec 20 mentions, dont 10 prises de parole ;
  • Donald Tusk, résident du Conseil européen, est présent dans 15 sujets, dont 12 prises de parole ;
  • Antonio Tajani, résident du Parlement européen, est le moins visible des résidents d’institutions européennes avec 5 prises de parole, toutes diffusées sur Arte.

Les données relevées soulignent la visibilité difficile des principaux décideurs européens, présents dans 9% des sujets traitant l’actualité de l’Union européenne. En ce sens, le détail par chaîne laisse apparaître une absence totale des personnalités testées de certains journaux télévisés tandis qu’Arte comptabilise 72,7% des sujets concernés. À titre d’exemple, les téléspectateurs du 20 heures de TF1 n’auront eu connaissance de l’action de Jean-Claude Juncker et Michel Barnier qu’à deux reprises en 2018. Si l’on fait exception d’Arte – et mis à part deux mentions de Donald Tusk sur France 2 – les présidents du Parlement européen et du Conseil européen sont de leur côté absents de l’ensemble des journaux télévisés étudiés. 

Les personnalités testées bénéficient ainsi d’une visibilité nuancée, voire inexistante pour l’audimat de certains journaux télévisés. Au regard des trois thématiques clés de l’année, cette absence interroge le traitement des enjeux européens dans les journaux télévisés. Les quatre personnalités citées jouant un rôle important sur l’ensemble des enjeux qui dominent l’actualité européenne à l’écran, notamment dans le domaine des négociations avec le Royaume-Uni où Michel Barnier, Jean-Claude Juncker et Donald Tusk sont en première ligne.

Nos échanges avec les rédactions ont notamment permis d’avancer l’hypothèse que le manque de notoriété des acteurs politiques européens ainsi que la barrière de la langue constituent les principaux freins à la visibilité des décideurs de l’Union européenne dans les journaux télévisés. Une analyse à modérer au vu de la visibilité de Michel Barnier, qui dirige les négociations avec le Royaume-Uni pour le compte des vingt-sept États membres. L’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac et de l’Agriculture sous Nicolas Sarkozy bénéficie d’une notoriété non négligeable au sein de l’Hexagone. Il n’apparaît pourtant que dans 2 des 37 sujets traitant le Brexit au 20 heures de France 2. Il est complètement absent des 10 sujets qui s’y rapportent dans le 19/20 de France 3 et apparaît une seule fois dans les 12 sujets relevés du 1945 de M6.

L’absence dans les journaux télévisés des principaux responsables politiques européens interroge sur la notoriété des futures têtes de listes présentées par les partis politiques européens – les spitzenkandidaten selon le terme allemand utilisé couramment– au scrutin de mai 2019. Pour rappel, le spitzenkandidat arrivé en tête des suffrages a vocation à former la future coalition au Parlement européen pour le mandat 2019-2024. S’il y parvient, il pourra prétendre à être désigné président de la Commission européenne par les chefs d’État au Conseil européen.

Ramené aux taux de participation affichés dans les démocraties fédérales les plus proches des nôtres, l’étude de la participation électorale au sein de l’Union européenne met en évidence que le corps électoral européen n’a pas encore pris conscience de sa capacité à désigner par le vote le futur exécutif de l’Union européenne. Si le manque de clarté et de transparence du processus rentre certainement en ligne de compte, la notoriété des candidats à la fonction de président de la Commission est à n’en pas douter un facteur déterminant de cette prise de conscience citoyenne.

Les deux principaux spitzenkandidaten des précédentes élections européennes, Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre du Luxembourg, et Martin Schulz, président sortant du Parlement européen, étaient connus d’un Français sur deux à la veille du scrutin (avec un taux de notoriété respectifs de 52% et 48% au sein de l’électorat français ). En ce domaine, la visibilité des candidats européens au prochain scrutin ne laisse pas présager une amélioration globale de leur notoriété, en atteste le nombre de sujets où ils sont mentionnés dans les journaux télévisés étudiés en 2018.

Graphique n° 6 : Sujets faisant mention des spitzenkandidatendésignés ou potentiels des partis représentés au Parlement européen pour les élections européennes de mai 2019. Comprend les mentions et les passages à l’écran – par l’image et par la parole – dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.

La visibilité dans les journaux télévisés a été testée pour les candidats officiellement nommés par les partis représentés au Parlement européen lors de la rédaction de cette étude, fin février 2019. Ont été ajoutés au panel les candidats potentiels de deux des principales formations amenées à composer le Parlement européen pour la période 2019-2024 : les centristes de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europeet le groupe d’extrême droite Europe des nations et libertés.

Les résultats détaillés par partis sont listés ci-après : 

  • Les Verts : Ska Keller, déjà spitzenkandidat des Verts en 2014 et coprésidente du groupe au Parlement européen, est mentionnée dans un seul sujet tandis que son colistier, le député européen Bas Eickhout, est absent du corpus ;
  • Parti de la gauche européenne (rattaché au groupe de la Gauche unitaire européenne – GUE) : les deux candidats désignés en janvier 2019, l’eurodéputée slovène Violeta Tomič et le syndicaliste belge Nico Cué, n’ont fait l’objet d’aucune mention en 2018 ;
  • Parti socialiste européen (PSE) : Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne et candidat socio-démocrate, apparaît dans 4 sujets ;
  • ADLE : ont été testées deux des figures potentielles de la spitzenteam annoncée par le parti. Le belge Guy Verhofstadt qui dirige le groupe centriste au Parlement européen et Margrethe Vestager ressortent respectivement dans 6 et 4 sujets ;
  • Parti populaire européen (PPE) : Manfred Weber, actuel président du groupe PPE, première formation politique du Parlement européen et candidat des démocrates-chrétiens depuis l’automne 2018, est présent dans 8 sujets du corpus ;
  • Europe des nations et libertés (ENL) : Matteo Salvini, vice-président du Conseil italien et potentiel candidat de l’extrême droite européenne, a été mentionné dans 107 sujets de journal télévisé.

Les résultats appellent à une première observation : Matteo Salvini est la seule personnalité testée à avoir bénéficié d’une visibilité importante lors de l’année 2018, eu égard à la prégnance des thématiques migratoires et des enjeux politiques italiens. C’est également la seule personnalité du corpus à occuper une responsabilité politique nationale, les autres candidats exerçant des responsabilités sur la scène politique de l’Union européenne.

Si l’on fait abstraction des candidats potentiels testés ici (Matteo Salvini, Guy Verhofstadt et Margrethe Vestager), les têtes de liste officiellement désignées par leurs formations pour le scrutin de mai 2018 sont apparues en 2018 exclusivement dans des sujets diffusés par Arte Journal. Les téléspectateurs des journaux télévisés de TF1, France 2, France 3, Canal+ et M6 n’auront eu à l’écran aucune mention de l’action des candidats européens qui sollicitent aujourd’hui leurs suffrages, malgré l’exercice de fonctions élevées dans le jeu démocratique européen.

De TF1 à M6, aucun des journaux télévisés n’a fait mention de Manfred Weber (PPE) ou de Frans Timmermans (PSE), officiellement désignés par les deux formations qui ont le plus de chances d’arriver en tête du scrutin le 26 mai. Les candidats du PPE et du PSE se sont pourtant impliqués tout au long de l’année 2018 dans des dossiers qui auraient pu leur donner une certaine visibilité en France.

Le socialiste Frans Timmermans, n°2 de la Commission européenne de Jean-Claude Juncker, s’est notamment illustré en 2018 dans son opposition aux leaders populistes d’Europe centrale en Hongrie et en Pologne sur les questions d’État de droit, allant jusqu’à déclencher la procédure de sanction prévue par les traités. Il porte également le dossier de l’interdiction des plastiques à usage unique au sein de l’Union européenne, largement commenté dans les médias hexagonaux. Manfred Weber dirige lui le premier groupe du Parlement européen et s’est opposé à Emmanuel Macron sur la mise en place de listes transnationales aux élections européennes. Les deux candidats ont par ailleurs été désignés par leurs partis respectifs à l’automne 2018. Seul Arte Journal a traité l’information.

Ces observations peuvent être analysées à l’aune du choix fait par le groupe France Télévisions de diffuser le débat des têtes de liste européennes sur sa chaîne d’information en continu France Info TV. À l’inverse, le groupe public annonce que le débat des têtes de liste françaises sera diffusé sur une chaîne dite « premium ».

La prégnance d’un traitement éditorial centré sur l’échelon national interroge – en 2018 comme pour la campagne de 2019 – la pertinence de l’avis que peut former le téléspectateur sur les thèmes mis à l’agenda de l’Union européenne. Le paysage des partis politiques français apparaît aujourd’hui en décalage de celui des formations européennes. Le premier parti d’Europe, le PPE, est représenté en France par Les Républicains, promis à un score de 10% aux élections européennes. À l’opposé, le parti présidentiel français ne reconnaît à la date de rédaction de cette étude, quelques semaines avant le scrutin, aucune alliance formelle au niveau européen. La République en marche a toutefois laissé présager à l’automne 2018 un rapprochement avec l’ADLE. Une organisation dont l’UDI – qui entend présenter sa propre liste dans l’Hexagone – est membre. Les deux partis seraient, de cette manière, destinés à s’affronter dans la campagne nationale avant d’envoyer leurs élus potentiels siéger ensemble au Parlement européen.

Le cas de la sur-représentation des États-Unis dans les journaux télévisés

Les vingt premiers pays cités dans les journaux télévisés étudiés totalisent tous plus de 120 citations. Parmi eux, les États-Unis dominent largement le classement avec 1 723 citations et une présence dans 6,5% des sujets diffusés en 2018. Le pays est suivi de loin par la Russie (996 citations, 3,8% des sujets) et les trois pays européens les plus cités – nos voisins directs : le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie.

Graphique n° 7 : Classement des vingt pays du monde les plus cités dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.

À l’instar de la dynamique observée dans le champ des enjeux européens, les journaux télévisés affichent une représentation variable des États-Unis à l’écran. En numéraire, France 2, M6 et Arte sont les trois chaînes qui traitent le plus l’actualité états-unienne. En proportion, M6 et Canal + affichent un taux de citations des États-Unis bien supérieur à la moyenne des chaînes.

Tableau n°11 : Proportion de sujets mentionnant les États-Unis dans les journaux télévisés étudiés. Source : INA.
Chaîne Citations États-Unis % des sujets 2018
TF1 288 4,8%
France 2 453 7,2%
France 3 173 3,6%
Canal + 66 9,5%
M6 383 12,1%
Arte 360 6,6%

La visibilité importante des États-Unis est indissociable de la personnalité de son président. Donald Trump est mentionné dans près d’un sujet sur deux (48,6%) faisant mention du pays. En ce sens, le président américain est la deuxième personnalité la plus visible dans les journaux télévisés français, derrière le président français Emmanuel Macron et devant le Premier ministre Edouard Philippe, Marine Le Pen ou encore Jean-Luc Mélenchon.

Tableau n° 12 : Nombre de prises de parole des cinq personnalités les plus visibles dans les journaux télévisés français. Source : INA.
Global TF1 France 2 France 3 Canal+ M6 Arte
Emmanuel Macron (439) Emmanuel Macron (87) Emmanuel Macron (84) Emmanuel Macron (82) Emmanuel Macron (38) Emmanuel Macron (81) Donald Trump (91)
Donald Trump (227) Edouard Philippe (36) Edouard Philippe (51) Edouard Philippe (54) Edouard Philippe (17) Edouard Philippe (43) Angela Merkel (77)
Edouard Philippe (220) Marine Le Pen (33) Donald Trump (46) Marine Le Pen (30) Donald Trump (10) Marine Le Pen (34) Emmanuel Macron (67)
Marine Le Pen (132) Didier Deschamps (32) Bruno Le Maire (36) Jean Luc Mélenchon (27) Laurent Brun (5) Donald Trump (28) Theresa May (34)
Jean Luc Mélenchon (113) Donald Trump (30) Olivier Faure (31) Benjamin Griveaux (25) Didier Deschamps (4) Jean Luc Mélenchon (22) Recep Tayyip Erdogan (32)

On recense 227 prises de parole de Donald Trump en 2018. Le président américain est ainsi le seul dirigeant étranger à se positionner dans le classement des cinq personnalités s’étant le plus exprimées dans l’ensemble des journaux télévisés étudiés 2018. Il est notamment la personnalité la plus citée sur Arte avec 91 prises de parole et s’exprime à 46 reprises sur France 2.

Au-delà du top 5 présenté ici, Angela Merkel, Theresa May et Matteo Salvini sont les trois personnalités européennes à s’exprimer le plus dans les journaux télévisés français, avec respectivement 94, 63 et 58 prises de parole, dont plus de la moitié a été diffusée par Arte Journal.

La visibilité des États-Unis et de son président est en premier lieu due à la position stratégique du pays sur l’ensemble des enjeux internationaux qui ont fait l’actualité en 2018. Suivi de la situation en Syrie, relations avec le Moyen-Orient, crises de la relation États-Unis-Union européenne, guerre commerciale avec la Chine… Les positions radicales et la politique de rupture pratiquée par notre allié américain préemptent le volet international des journaux télévisés. Une abondance d’enjeux internationaux qui s’appuie également sur la personnalité excessive de son président.

Les représentants des rédactions interrogés ont également souligné le poids du soft power américain, avant d’avancer plusieurs facteurs intrinsèques aux métiers de l’information télévisée. « Les États-Unis, c’est une société qui fonctionne par l’image. On y pose une caméra et il se passe forcément quelque chose », analyse ainsi Frédéric Méon, rédacteur en chef adjoint d’Arte Journal. Ce dernier pointe une abondance de matière première facile à utiliser pour la réalisation en France de sujets de « desk » – moins chers et moins exigeants sur le plan des ressources humaines : « Aux États-Unis, il est assez facile de tourner, les gens sont à l’aise avec la caméra, tout est tout le temps filmé, ensuite c’est plus facile pour les agences d’obtenir des images puis de les fournir à leurs clients. Et en tant que client vous voyez ça et vous vous dites parfois : là il y a des images alors que le sujet en Europe je ne les ai pas… Le choix est vite fait. »

Reconnue par les rédactions et soulignée par les données présentées plus haut, la prédominance des États-Unis constitue une tendance historique dans les journaux télévisés français. Et ce, notamment, en comparaison de la visibilité accordée aux enjeux européens.

Graphique n° 8 : Comparaison du nombre de sujets faisant mention de la monnaie unique, des élections européennes et des scrutins présidentiels américains entre 1995 et 2014. Source : « 20 ans de JT », Le Baromètre thématique des journaux télévisés, n° 38, juin 2015, INA.

Entre 1995 et 2014, l’euro a été l’une des thématiques phares de la représentation de l’Union européenne dans les journaux télévisés, avec 1 427 sujets sur la période, et un pic de 308 sujets lors de l’entrée en vigueur de la monnaie unique en 2001. Les quatre élections européennes (1999, 2004, 2009 et 2014) de la période ont généré un corpus équivalent de 1 345 sujets, dont 401 sujets en 1999. En parallèle, la couverture des élections présidentielles américaines a généré 2 674 sujets, soit le double du corpus consacré aux scrutins européens. La seule année 2008, avec l’élection de Barack Obama, a amené à la réalisation de 914 sujets de journal télévisé.

Entretien avec les rédactions

Le traitement de l’actualité européenne dans les rédactions : diversité d’organisation et de lignes éditoriales

Entre la couverture de l’actualité des institutions européennes à Bruxelles et à Strasbourg et les prises de position nationales des États membres, le cadre de la vie politique de l’Union européenne impose aux rédactions d’importantes contraintes sur le plan de la logistique et de la gestion des expertises dans l’organisation de leurs équipes. Nous sommes partis de l’organisation interne des chaînes et de leurs lignes éditoriales dans le champ des questions européennes afin d’étudier leur perception du traitement de l’actualité de l’Union européenne au regard des résultats de la présente étude.

Pour rappel, Guillaume Debré, chef du pôle News à la rédaction de TF1, Pascal Doucet-Bon, directeur délégué de l’information de France Télévisions, Pascal Verdeau, correspondant de France Télévisions à Bruxelles, Frédéric Méon, rédacteur en chef adjoint d’Arte Journal, ont accepté d’évoquer avec nous leur couverture de l’actualité européenne. Sollicitée à plusieurs reprises dans le cadre de cette étude, la chaîne M6 n’a pas donné suite à nos demandes d’interview.

La conférence de rédaction d’Arte Journal s’organise chaque matin à Strasbourg, en liaison directe avec les bureaux de la chaîne à Paris, Berlin et Bruxelles. La chaîne a ouvert son antenne en Belgique dans le courant de l’année 2018 pour préparer l’arrivée des élections européennes. Pour couvrir le reste de l’Union européenne, Arte s’en remet à un réseau de correspondants en free-lance, qui proposent chaque semaine des sujets à traiter. 

« Au-delà de l’actualité franco-allemande, on s’intéresse vraiment à ce qui se passe en Europe. Ce qui n’empêche pas de raconter l’actualité internationale au sens large, mais c’est vrai que la vocation première c’est l’Europe », précise Frédéric Méon à la rédaction d’Arte Journal. Comme l’indiquent les données détaillées dans la présente étude, la chaîne s’investit pleinement dans la couverture des enjeux européens. Une manière pour elle d’intéresser son public binational autour d’un espace politique commun. L’angle européen représente également un levier de croissance avec le lancement d’Arte Europe, une offre conçue pour la diffusion de contenus traduits en plusieurs langues, dont l’anglais, l’espagnol ou encore le polonais.

Du côté des chaînes publiques, le groupe France Télévisions met lui aussi en avant son engagement sur les enjeux européens : « la mission éditoriale, c’est celle du service public dans son ensemble : il s’agit d’ouvrir sur l’Europe, sur le monde en général, mais particulièrement sur l’Europe », précise ainsi Pascal Doucet-Bon.

Les différentes éditions du groupe (le 20 heures, le 19/20 mais aussi le 13 heures, le 12/13 ou Soir 3) s’appuient pour cela sur un large réseau de dix bureaux internationaux avec des correspondants permanents. « En Europe il y en a à Londres, Bruxelles, Berlin, Moscou et Rome. Ce sont des bureaux régionaux qui ne sont pas cantonnés à leur pays de base. Les correspondants sont tous gérés par le service enquêtes/reportages, qui les représente en conférence de rédaction », précise-t-il. Ils font remonter dans ces instances leurs propositions de sujets pour France 2, France 3 et France Info TV, ou sont sollicités pour leur expertise. Pour couvrir l’actualité communautaire, le groupe compte désormais deux correspondants à Bruxelles. France 3 a d’ailleurs été la première chaîne française à y envoyer un représentant permanent.

À TF1, on a pris le parti de couvrir les thématiques européennes « d’un point de vue sociétal ». Guillaume Debré, chef du pôle News à la rédaction de TF1, résume la ligne éditoriale de la rédaction : « On couvre beaucoup moins Bruxelles que l’Europe. On a choisi de beaucoup moins traiter l’Europe institutionnelle pour insister plutôt sur l’Europe des sociétés, l’Europe des initiatives, l’Europe de l’innovation. C’est cette Europe qui nous intéresse et que l’on a envie de montrer à nos téléspectateurs. » Le journal télévisé fait ainsi le choix de se servir de l’Europe « comme d’une caisse de résonance », pour analyser la conduite des politiques publiques et l’évolution des mouvements d’opinions. La chaîne revendique en ce sens « de partir de l’actualité française, du point de vue français », pour tisser des comparaisons entre pays européens.

La stratégie de la première chaîne s’exprime dans son organisation logistique. TF1 compte « deux correspondants permanents à Londres et à Madrid ». Dans le reste de l’Union européenne, le premier journal télévisé de France se repose sur un réseau de « fixeurs », des contacts locaux qui tiennent la rédaction informée et préparent les sujets. « Ce sont nos vigies sur place. Ils nous informent et s’il y a un sujet, on envoie une équipe ». La chaîne fonctionne de cette manière pour la couverture de l’actualité de l’Union européenne à Bruxelles. « Bruxelles étant à 1h30 de train, on a une sorte de fixeur qui nous alerte sur certains dossiers et on travaille avec lui pour déclencher une couverture », détaille Guillaume Debré. 

La diversité des résultats relevés quant à la visibilité des enjeux européens dans les journaux télévisés s’exprime clairement à travers les choix éditoriaux présentés par chaque rédaction. Elle relève ainsi de stratégies pleinement assumées par les chaînes. La couverture des enjeux propres à l’Union européenne figure en bonne place dans le discours des rédactions du service public. TF1 témoigne au contraire d’une conception plus nationale du sujet, présentant à ses téléspectateurs une vision de l’Europe qui part en premier lieu du « point de vue français ». La diversité des journaux télévisés se retrouve également dans l’organisation de leurs équipes. Arte Journal a opté pour un modèle d’intégration avancée de ses journalistes dédiés aux enjeux européens, avec une participation quotidienne du bureau de Bruxelles à la conférence de rédaction. À l’opposé, TF1 a fait le choix d’une représentation permanente limitée à deux capitales européennes (Londres et Madrid) et du positionnement d’un relais à Bruxelles, où ses équipes françaises se rendent au gré de l’actualité.

Au-delà de la mission que se donne chaque journal télévisé, les témoignages de nos interlocuteurs mettent en évidence la difficulté des rédactions nationales à valoriser la couverture des enjeux politiques de l’Union. « Je suis arrivé à Bruxelles en 97 et on m’a demandé pourquoi j’allais m’enterrer là-bas. J’étais le seul représentant d’une télévision française. La prise de conscience dans les rédactions s’est faite lentement, parfois à contre-temps », analyse sur ce plan Pascal Verdeau, correspondant historique de France 3 puis de l’ensemble des chaînes de France TV.

Pascal Verdeau pointe néanmoins les récents progrès des rédactions du groupe public sur le sujet : « pour la première fois, je sens de France Télévisions l’envie de mettre le paquet avec des programmes spécifiques, des reportages, des chroniques dans Soir 3, etc. ». Pascal Doucet-Bon confirme et tient en effet à valoriser la préparation assidue de la campagne des élections européennes, évoquant le lancement à partir du mois de mars « de modules pédagogiques dans plusieurs de nos éditions », comme une rubrique « Eurotop/Euroflop » au 19/20 de France 3.

L’Union européenne, un sujet « anti-télévisuel » ?

Interrogées sur la faible représentation de l’actualité de l’Union européenne dans les journaux télévisés, les rédactions divergent dans les hypothèses qu’elles avancent.

Bien conscient de la spécificité d’Arte Journal, Frédéric Méon s’interroge sur la volonté de ses concurrents de couvrir les enjeux communautaires. « Je pense que la priorité des journaux télévisés nationaux, c’est avant tout de donner une perspective française aux choses. D’ailleurs quand vous regardez les sujets tournés à l’étranger, on trouve toujours la personne qui parle français, ou le Français qui est sur place », fait-il remarquer. Le journaliste pointe ici les techniques déployées par les rédactions pour renforcer la tendance qu’ont les téléspectateurs à s’identifier aux personnalités à l’écran.

Chez France Télévisions, on tient à rappeler en premier lieu que si les chaînes ne couvrent pas de manière intensive l’actualité de l’Union européenne, elles s’engagent dans la couverture de l’actualité européenne – celle des États européens et de leurs habitants – en général. « Nous constatons un faible appétit du public sur l’institution européenne en tant que telle », note Pascal Doucet-Bon. Le groupe reconnaît ainsi peu traiter l’actualité propre à l’Union européenne, rendant par exemple « assez peu compte des discussions au Parlement européen ».

En cause, des sujets politiques perçus comme « arides » ou « anti-télévisuels ». « Nous rendons assez peu compte des débats parlementaires en France. Si vous regardez bien, ils sont traités quand il y a vraiment un énorme projet de loi, avec des passes d’armes importantes », ajoute ainsi le représentant de France TV. De son point de vue, les journaux télévisés « populaires et généralistes » que sont le 20 heures de France 2 ou le 19/20 de France 3 font face à l’intérêt décroissant du public pour l’ensemble des enjeux institutionnels : « le sujet européen intéresse peu parce que l’enjeu institutionnel intéresse peu. Le problème c’est les costumes gris. »

Le traitement des enjeux communautaires se heurte du point de vue des rédactions à leur complexité et à la connaissance par les téléspectateurs du fonctionnement de l’Union européenne. « TF1 et France 2 sont des télévisions généralistes. Notre objectif, c’est de fédérer et de raconter des histoires au plus grand nombre de gens, détaille Guillaume Debré pour le compte de TF1. Vous pensez bien que j’adorerais traiter des Spitzenkandidaten ou du détail des négociations du Brexit, mais j’entends qu’il faut un niveau de culture et de connaissances européennes que beaucoup de nos concitoyens et beaucoup de nos téléspectateurs n’ont pas. » Sa rédaction entend construire des « narrations » didactiques pour « tirer les téléspectateurs vers notre histoire ». L’objectif ? Conserver l’attention de l’audience à une époque où le journal télévisé fait face à la concurrence née de la diversification des sources d’information : « Si jamais on perd nos téléspectateurs, ils arrêtent la TV et ils vont faire autre chose. »

Une conception de l’actualité de l’Union européenne qui s’oppose à celle exprimée sur le terrain par Pascal Verdeau. Le correspondant de France TV à Bruxelles se décrit comme un « journaliste de politique intérieure européenne ». Il rend compte « d’un espace public européen qui s’étend et se prolonge », comme l’attestent le débat sur la politique de concurrence de l’Union européenne dans le dossier Alstom-Siemens ou plus encore la montée des populistes européens dans plusieurs pays de l’Union européenne. Un espace politique communautaire encore trop éloigné selon lui des rédactions nationales françaises. Il rappelle que « la télévision publique allemande a plus de vingt correspondants à Bruxelles, dans un bâtiment qui jouxte l’ambassade ». Un effectif conséquent face auquel les deux correspondants permanents de France Télévisions se sentent parfois démunis. 

Les données exploitées dans cette étude démontrent par ailleurs la priorité donnée à l’actualité au chef d’État français dans les journaux télévisés. Un focus présidentiel qui se retrouve pour Pascal Verdeau dans la couverture des réunions du Conseil européen : « Pour la presse qui suit le président en voyage officiel, Emmanuel Macron à Bruxelles, c’est comme Emmanuel Macron qui va en Afrique. Les journalistes campent dans la salle de presse française. Seule une partie d’entre eux va tenter de recouper des informations auprès d’autres délégations. » 

Le suivi à long terme des affaires européennes donne pour Pascal Verdeau la capacité aux médias d’approfondir leurs préparations des sujets et de dépasser la scénographie du Conseil européen, « encore structurée par espaces nationaux ». 

« Désinstitutionnaliser » et rapprocher la politique européenne des téléspectateurs : les défis des rédactions

À propos de la visibilité réduite du personnel politique européen, Pascal Doucet-Bon met en avant la difficulté pour les rédactions de présenter des personnalités éloignées de la vie politique nationale. « Nous ne parvenons pas à rapprocher ces personnages et leurs décisions de l’actualité politique et sociale française, à l’exception du président de la Commission ou de Michel Barnier », analyse ainsi le directeur délégué de l’information de France Télévisions. « Ce n’est pas l’Europe qui ne marche pas, au contraire, ce qui ne marche pas à l’antenne, ce sont des gars en costume-cravate que personne ne connaît, qui parlent éventuellement d’autres langues et qui prennent des décisions qui paraissent lointaines », complète-t-il.

Le groupe assure néanmoins réaliser d’importants progrès sur sa chaîne d’information en continu, avec son émission La Faute à l’Europe ? et la diffusion sur cette même chaîne du débat des têtes de listes des partis européens pour les élections de mai prochain. France Info TV retransmettra cet échange entre Spitzenkandidaten, organisé par l’Union européenne de radio-télévision (UER) le 15 mai prochain au Parlement européen. Un engagement qui marque l’évolution de France TV sur le sujet, après son refus de diffuser ce même débat des candidats européens en 2014 : « C’était très compliqué pour une chaîne comme France 2, qui est une chaîne de l’événement, de diffuser un débat européen promis à l’époque à une audience extrêmement faible. »

Si Arte se distingue dans la visibilité accordée aux personnalités politiques européennes, c’est en partie « parce que le public allemand a un rapport différent aux enjeux européens » selon Frédéric Méon. Il souligne en parallèle « l’éloignement de la politique de l’Union européenne » en s’appuyant sur la participation déclinante aux élections européennes. « Toute la France ne regarde pas Arte », résume-t-il ainsi, démontrant que la chaîne franco-allemande a conscience de son positionnement de niche. Bien qu’en hausse, les audiences d’Arte Journal – environ 550 000 téléspectateurs du lundi au jeudi soir – sont loin de rivaliser avec celle de ses concurrents sur TF1, France 2, France 3 ou M6.

Graphique n° 9 : Audience moyenne des journaux télévisés étudiés diffusés en semaine (du lundi au jeudi) en 2018. Source : Médiamétrie.

On peut noter à l’opposé que le 20 heures de TF1, journal télévisé le plus regardé de France, est celui qui traite le moins l’actualité de l’Union européenne. « L’ADN de TF1 n’est pas de traiter les news de Bruxelles. Ce n’est pas ce qu’on veut donner à nos téléspectateurs. On veut essayer de prendre une actualité, qui vient parfois de Bruxelles, et de la décliner dans les pays européens, au plus près des gens, confirme Guillaume Debré. On ne va pas aller dans la minutie des négociations des technocrates bruxellois, mais on va faire dans l’illustration, dans l’explication, parce qu’à notre sens c’est plus didactique. »

TF1 avance la volonté de « désinstitutionnaliser » les enjeux politiques, nationaux comme européens. « C’est très assumé de ne pas couvrir l’institution en tant qu’institution, parce que ce n’est pas notre ADN. On fait la même chose pour la politique française : on fait beaucoup plus parler des représentants politiques locaux, des petits maires, que l’appareil politique français », renchérit le chef du pôle News à la rédaction de TF1.

Une égale difficulté à traiter les sujets politiques nationaux et européens qui s’oppose à la vision sur le terrain de Pascal Verdeau, pour qui « si un ministre descend la cour de l’Élysée, on fait un sujet. Dès qu’il siège à Bruxelles, cela devient trop institutionnel ».

Le manque d’un « récit » européen : les États-Unis en contre-exemple 

Les entretiens menés dans le cadre de cette étude soulignent le manque, du point de vue des rédactions, d’une culture populaire et partagée par les Français sur le fonctionnement de l’Union européenne. À l’inverse du soft power états-unien, l’Union européenne ne s’appuierait pas sur un récit suffisamment ancré dans la population. Pascal Verdeau salue pour cette raison la sortie d’un polar francophone, intitulé Les Compromis, dont l’action se déroule au Parlement européen. « En creux, on trouve dans l’actualité américaine tout ce qui manque à l’Union européenne. Les Américains parlent de narrative : lorsqu’un président américain est élu, il prête serment sur la Bible, la cérémonie raconte un moment de l’histoire américaine. En ce qui concerne nos braves bureaucrates européens, le problème c’est qu’il n’y a aucun imaginaire », analyse-t-il. Pour pallier cette problématique à son niveau, le correspondant de France TV à Bruxelles projette de se rendre au Luxembourg à l’automne 2019 afin de saisir la prestation de serment des nouveaux commissaires européens devant la Cour de justice de l’Union européenne.

Si la comparaison entre la visibilité des États-Unis et de l’Union européenne se justifie également partiellement par la radicalité de notre voisin américain et de son président, elle démontre la capacité des chaînes, lorsqu’elles le souhaitent, à traiter un sujet éloigné du quotidien des Français. Cette priorité éditoriale accordée par les chaînes aux États-Unis constitue par ailleurs une réalité observée dans la durée par les équipes de l’INA (cf. partie supra : « Le cas de la sur-représentation des États-Unis dans les journaux télévisés »).

Pour les professionnels interrogés, la forte visibilité des États-Unis dans les journaux télévisés tient en partie à la relation particulière qui lie le pays à la France. « Il y a une fascination et une répulsion pour la société américaine. Et donc effectivement cette créativité, cette inventivité sociale et politique qui existe aux États-Unis, on essaie de la traduire, de la représenter », souligne Guillaume Debré, par ailleurs ancien correspondant de TF1 à Washington. 

Le profil médiatique des présidents américains constitue pour les rédactions un point d’ancrage adapté aux contraintes télévisuelles. « Contrairement à l’Union européenne, les États-Unis sont un pays qui est fortement incarné. C’est une fédération avec un régime présidentiel. Et le président incarne la parole américaine. Par définition il s’inscrit dans une narration éditoriale qui est beaucoup plus facile à traiter », précise Guillaume Debré.

« Il est évident que par rapport à l’Union européenne, qui n’a pas fait émerger de personnalités politiques fortes qui puissent capter la lumière et notre intérêt, les États-Unis ont produit des hommes politiques qui nous fascinent », complète-t-il. L’absence de figures médiatiques représentatives de l’Union apparaît en effet constituer pour les rédactions un des facteurs majeurs de la faible représentation de la politique communautaire dans les journaux télévisés. 

Au-delà du personnel politique, l’espace public européen semble correspondre difficilement aux besoins éditoriaux des rédactions nationales. « Il n’y a qu’un seul magazine qui couvre l’actualité bruxelloise, je parle de Politico. Et c’est un magazine américain, note enfin Guillaume Debré. Ça reflète toute l’ambivalence de ce qu’est l’Europe. Si l’Europe se réduit à Bruxelles, alors effectivement il n’y a pas de narratif, et on a du mal à intéresser les gens. Si la construction européenne s’exprime dans l’agrégation de nations qui se sont fait très longtemps la guerre et qui veulent maintenant écrire un destin commun, alors là on arrive à écrire une histoire. »

Les institutions et responsables politiques européens attestent à travers plusieurs signaux d’une volonté de faire de l’Union européenne un objet plus facilement identifiable dans les médias, notamment en ligne et dans le secteur télévisuel. En témoigne l’institution du « discours sur l’état de l’Union » – emprunté à la tradition politique américaine – prononcé chaque année par le président de la Commission devant le Parlement européen. Un temps fort de la vie politique de l’Union européenne peu couvert par les journaux télévisés français lors de sa dernière édition en septembre 2018.

La différence de perception entre le récit fait par les institutions européennes et l’image de l’Union européenne dans les rédactions interroge sur l’évolution nécessaire de la communication de l’Union européenne et de ses représentants. « La Commission européenne communique pour les happy few. Tout cela n’est pas incarné. J’adore l’hymne à la joie, mais je peux plus l’entendre. Je suis un journaliste TV. Je travaille à partir des images et je me creuse la cervelle pour savoir comment les faire », complète en ce sens Pascal Verdeau.

L’actualité européenne, réservée aux catégories socioprofessionnelle les plus favorisées et aux retraités ?

À France Télévisions, la ligne éditoriale de chaque journal télévisé est précisée dans son « cahier des charges ». Si toutes les éditions doivent couvrir l’actualité du jour, « qui peut très bien être européenne », le 20 heures de France 2 « a une priorité au décryptage, à l’analyse et par ailleurs au grand reportage » tandis que l’édition nationale du 19/20 couvre « les proximités », décrit Pascal Doucet-Bon. « C’est-à-dire des approches locales ou régionales sur certains problèmes mais également des approches en prise avec la vie quotidienne, en prise avec le tissu français des PME par exemple, en prise avec les élus locaux, en prise avec une réalité sociale de terrain. » 

« La couverture de l’Europe en tant qu’institution politique, cela va très clairement être la ‘came’ de France 2 et du Soir 3 », complète-t-il. Soir 3 est néanmoins la seule édition à avoir le traitement de l’actualité de l’Union européenne inscrit « en toutes lettres » comme une priorité dans son cahier des charges, à l’instar de la tranche du soir de France Info TV. Interrogé sur cette spécificité, Pascal Doucet-Bon décrit « des éditions qui sont, vu leurs horaires, plutôt regardées par des CSP+, ce n’est pas nous qui cherchons à les toucher, mais c’est comme ça, c’est comme ça qu’est le marché de la télévision ».

Les émissions d’actualité européenne sont-elles orientées vers des segments spécifiques de l’audimat ? À Arte Journal, on cible un public similaire. « Les études montrent que l’on a une audience plutôt âgée et de CSP+, pour parler en termes de marketeurs », nous précise Frédéric Méon. Il y voit la rencontre d’un programme et de son public : « Je n’étais pas là à la création de la chaîne, mais le postulat de base a tout de suite été de faire beaucoup d’actualité internationale. Sont venus ceux que ça intéresse. »

Depuis Bruxelles, Pascal Verdeau évoque sa coopération renforcée avec le journal télévisé nocturne de la troisième chaîne : « Je fais entre 100 et 120 sujets par an, il y en a bien 90 qui sont diffusés dans Soir 3. Il s’agit d’un journal qui affiche clairement une ligne éditoriale centrée sur l’Europe et l’international, permettant une réflexion en profondeur sur ces enjeux. » Mais il souhaite voir à plusieurs signaux, comme la tonalité pro-européenne de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, l’occasion d’en finir avec « un préjugé » selon lequel l’actualité européenne n’intéresserait qu’un public âgé et aisé. Et ce, en vue de décloisonner l’information sur l’Union européenne dans la grille des chaînes.

Perspectives

À l’heure où l’Union européenne prend en charge des enjeux de société toujours plus importants, tels que la transition écologique, la sécurité ou la politique migratoire, les journaux télévisés ne parviennent pas à présenter à leurs téléspectateurs une juste représentation de la vie politique et de l’action de l’Union européenne. Un constat qui plaide en premier lieu pour une redéfinition des stratégies éditoriales des chaînes en ce domaine. Le 20 heures de TF1, journal télévisé le plus regardé de France, peut-il continuer à être le journal qui traite le moins les enjeux communautaires ?

Les chaînes généralistes font toutefois face au défi de la « désinstitutionnalisation » des sujets européens. Vue comme « complexe », « éloignée des citoyens » par les rédactions, l’actualité de l’Union européenne sous sa forme actuelle apparaît inadaptée aux exigences de l’information télévisée. Les décideurs de l’Union européenne, dont l’effort d’information semble mal perçu par les rédactions, doivent interroger en ce sens les moyens de communication dont disposent les institutions et leurs représentants. 

Le cas de la sur-représentation des États-Unis prouve toutefois que les journaux télévisés sont en mesure de traiter massivement une actualité à la fois éloignée des citoyens français et relative à un système politique étranger aux us et coutumes nationaux. Au-delà des considérations pratiques – le poids de la « société de l’image » américaine –, cette mise en lumière systématique des États-Unis semble trouver en partie racine dans la capacité du président américain d’incarner son pays, ses décisions et son histoire. Un besoin d’incarnation essentiel pour faire fonctionner les rouages de l’information télévisée et qui marque en creux l’une des carences essentielles de l’Union européenne.

La remise en cause du système des Spitzenkandidaten par le chef d’État français puis par le parti centriste européen ADLE génère dans ce domaine une incertitude sur le processus de désignation des futurs dirigeants communautaires. Une situation qui ne contribue pas à la montée en puissance de personnalités politiques européennes, condition d’un traitement renforcé des enjeux continentaux par les journaux télévisés.

La couverture de l’actualité communautaire demande également des moyens conséquents, afin de mobiliser au bon moment et au bon endroit les expertises permettant de « dépasser la scénographie nationale ». En ce sens, l’Union européenne pourrait se poser la question d’un soutien au réseau international des chaînes, dont le modèle économique minima, reposant sur un réseau de « fixeurs » et de correspondants en free-lance, semble compliquer la couverture approfondie de l’actualité du continent, en dehors de nos voisins directs. 

Au sein même des rédactions, est-il préférable de continuer à s’organiser pour traiter l’actualité de l’Union européenne de la même manière que pour couvrir le reste de l’actualité internationale ? Les équipes en charge de ces sujets ont-elles vocation à prendre une place de premier rang au sein des rédactions, pour opérer la transition vers une couverture de la « politique intérieure européenne » ? Le mode de fonctionnement adopté par Arte Journal ou la participation renforcée des correspondants de France TV à Bruxelles avec le Soir 3 et les programmes de France Info TV tendent à démontrer les résultats potentiels – à moyens constants – d’une telle revalorisation des sujets européens et de ceux qui les portent dans les rédactions.

À long terme, la revalorisation des enjeux européens dépasse les seuls journaux télévisés et tiendra à l’engagement éditorial des chaînes dans leur ensemble. Si l’on a constaté dans la présente étude la vocation européenne des canaux du service public, on a également mis en évidence que les créneaux consacrés à l’Union européenne sont régulièrement destinés à une audience aisée et âgée, à l’image des tranches du soir de France 3 et de France Info TV. À l’heure où la crise des « gilets jaunes » révèle une méfiance de la politique européenne profondément ancrée chez une partie des Français, et alors que le monde agricole se confronte aux défis du renouvellement de la PAC, les chaînes ont vocation à s’appuyer sur leurs programmes d’information les plus populaires – les journaux télévisés – pour décloisonner l’information sur l’Union européenne.

Compte tenu de leurs audiences, les journaux télévisés demeurent le premier média de masse en France. « Populaires et généralistes », ils constituent bien souvent la porte d’entrée d’un large public vers l’actualité. À cet égard, quelle est leur responsabilité lorsque l’on constate que 61% de la population française ne connaissait pas en 2018 le mode de scrutin des prochaines élections européennes ? Les résultats de la présente étude démontrent minima le peu de visibilité accordée quantitativement aux enjeux européens sur nos écrans. Et au-delà des arbitrages éditoriaux, il apparaît ainsi que la part réservée à la couverture du paneuropéen des politiques publiques qui touchent les Français peut et doit augmenter.

La prise de conscience par les citoyens du poids de leurs votes dans la vie politique de l’Union européenne – telle que leur capacité à influer sur la désignation du futur exécutif de l’Union européenne – constitue l’un des prérequis essentiels à la hausse du taux de participation aux élections européennes. Les journaux télévisés représentent à cet effet le premier vecteur d’intégration des Français à un débat public qui dépasse les frontières nationales. La présente étude constitue un marqueur de la visibilité accordée à l’Union européenne par les chaînes en dehors du temps électoral. Elle peut devenir – nous l’espérons – une base de travail pour l’amélioration de la couverture du prochain cycle de la vie politique européenne, avec l’entrée en fonction en 2019 d’un Parlement et d’une Commission renouvelés.

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