Quelle Europe Olaf Scholz envisage-t-il pour l’avenir ? Invité à se prononcer sur la question par l’université de Prague, le chancelier allemand y a livré une sorte de réponse au discours de la Sorbonne prononcé en 2017 par Emmanuel Macron. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, analyse les déclarations du chancelier social-démocrate.
Invité à Prague le 29 août 2022 pour prononcer son discours fondateur sur l’Europe, le chancelier allemand a choisi un lieu chargé de symboles : l’hémicycle de la plus ancienne université d’Europe. Il y a plaidé pour un élargissement de l’Union européenne vers l’Est, et surtout pour un renforcement de la souveraineté européenne. Devant un auditoire plutôt jeune, Olaf Scholz a précisé qu’il ne venait pas présenter des solutions toutes faites, mais simplement des idées et des réflexions. Dans la droite ligne de l’approche qui prévaut traditionnellement chez les sociaux-démocrates allemands, il a choisi de prononcer ce discours dans un pays de l’Est plutôt que sur le sol allemand. Son intervention doit aussi s’entendre comme la réponse de Berlin au discours du président français Emmanuel Macron prononcé à la Sorbonne en 2017.
Prenant acte de l’attaque russe contre l’Ukraine, Olaf Scholz a dressé le constat d’un changement d’époque (« Zeitenwende ») face auquel il s’est attelé à définir les exigences de l’Europe envers la Russie, et s’est prononcé pour une véritable Union européenne géopolitique.
Pour y arriver, il souligne que les traités européens ne sont pas gravés dans le marbre : si l’Europe arrive à se mettre d’accord sur l’inéluctabilité de certains changements, les règles européennes peuvent être modifiées en très peu de temps. Bien sûr, cela nécessiterait une volonté de réforme, née aussi de la conférence sur l’avenir de l’Europe : « Les citoyens européens attendent une UE qui produise des résultats ».
Définir une Europe géopolitique
Olaf Scholz a défini quatre domaines qui, selon lui, sont le fondement d’une Europe géopolitique : une Europe élargie, une Europe économiquement forte et stable, une Europe de sécurité commune et une Europe de droit.
Tout d’abord, une Union élargie serait nécessaire pour assurer la stabilité au sein de l’Europe, tout en y protégeant davantage les valeurs communes. Il se prononce pour un élargissement vers les Balkans, mais également pour l’intégration de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie. Dans un second temps, l’Europe devra devenir plus indépendante économiquement. Cela nécessitera de diversifier au plus vite nos chaînes de livraisons, de mettre en place une véritable économie circulaire européenne, de faire la promotion du « made in Europe », de mettre en place d’un filière européenne de l’hydrogène, de lancer un réseau de stations de recharges électriques de véhicules avec une tarification commune, et surtout de réaliser des investissements massifs dans les différents secteurs économiques. En plus de bâtir son indépendance énergétique, économique et géopolitique, l’Europe pourrait ainsi faire un grand pas dans la lutte contre le changement climatique.
Troisièmement, le chancelier a appelé à un renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense. À court terme, il identifie le besoin d’opérer un rattrapage considérable en matière de défense aérienne, qui exigerait un système européen commun et non simplement une harmonisation des différents systèmes existants.
Enfin, le chancelier allemand a insisté sur le besoin de surmonter les conflits internes qui minent l’Europe. À l’image de la politique migratoire, il sera nécessaire de prendre des risques afin de trouver de nouvelles solutions communes. Cela vaut également pour la poursuite de la réforme du Pacte européen de stabilité et des critères de Maastricht. Selon lui, ce n’est qu’à ce prix que les valeurs européennes, telles que l’État de droit, pourront être garanties pour les citoyennes et citoyens.
Exiger d’abord les réformes institutionnelles
Pour que l’Europe devienne une puissance géopolitique, il faudra nécessairement en passer par une réforme institutionnelle. La proposition d’Olaf Scholz est d’avoir davantage recours à la majorité qualifiée et de se passer de la règle de l’unanimité sur les questions stratégiques, de politique étrangère ou de fiscalité. De même, il conviendrait de revoir la répartition des sièges au Parlement européen et de reconsidérer la norme « un domaine politique – un pays – un commissaire ».
Les décisions prises à la majorité qualifiée pourraient d’abord s’appliquer sur les questions des droits de l’homme et de la politique des sanctions, puis devenir la règle pour d’autres domaines de la politique étrangère et de sécurité commune. Bien sûr, tout cela aurait un impact non négligeable pour l’Allemagne et la France.
Un accueil mitigé en Allemagne
Dans la presse allemande, certains commentateurs se demandent si le moment pour un tel discours était bien opportun. L’Allemagne s’inquiète actuellement des effets de la pénurie de gaz pour l’hiver à venir, et débat très vivement des propositions gouvernementales pour soutenir les citoyens. En conséquence, l’attention prêtée à ce discours prononcé à contre-temps a été assez limitée. Le discours a été positivement mais brièvement mentionné dans des émissions de la télévision. Les discussions sur les réseaux sociaux ont été inaudibles, et seule la presse spécialisée a commenté le discours en se montrant très critique. La TAZ, le journal de la gauche, regrette que le chancelier ait simplement énuméré les problèmes déjà bien connus de l’UE. De même, le journal conservateur FAZ indique dans son titre que l’Europe n’a pas besoin de thèses, mais d’action.
De son côté, la Süddeutsche Zeitung (SZ), plutôt libérale, demande dans son titre « Un peu plus de traction, s’il vous plaît ! ». S’il ne juge pas le discours inintéressant, l’éditorialiste s’y demande si l’Europe n’a pas actuellement d’autres sujets inscrits à son agenda. Si l’appel aux réformes est nécessaire, il n’a cependant rien de nouveau. Ainsi, le chancelier aurait pu donner plus d’originalité et d’empathie à son discours s’il avait précisé quelles règles européennes son gouvernement serait prêt à remettre en cause. Une précision qui serait utile aux yeux des voisins de l’est et du sud de l’Europe, habitués à une Allemagne agissant comme si sa ligne était la seule possible pour l’Europe.
Les chrétiens-démocrates de la CDU/CSU restent quant à eux hésitants dans leurs commentaires. Le parlementaire européen Michael Gahler a simplement déclaré dans une interview à la station de radio Deutschlandfunk que le discours ne donnait pas d’idées concrètes et n’incarnait donc pas un « contrecoup européen ».
Convaincre les autres pays
Malgré ce manque de mesures concrètes, ce discours peut-être compris comme le signe clair que le chancelier allemand considère que l’Union reste l’avenir du continent européen, surtout face à la menace russe.
Le discours laisse par ailleurs entrevoir des évolutions rhétoriques prometteuses pour l’avenir : meilleure harmonisation des positions de Berlin avec celles de Paris et volonté affichée de ne pas outrepasser la volonté des pays de l’est et du sud de l’Europe. Il ne faut cependant pas se faire d’illusions sur certains sujets : le Hongrois Viktor Orban et le Polonais Jarosław Kaczyński ne se sépareront pas facilement de leur droit de veto, de même que les petits pays ne renonceront docilement ni à leurs quotas de sièges au Parlement européen, ni à leurs postes de commissaire à Bruxelles.