Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, analyse les chances de la gauche de l’emporter aux législatives de juin prochain, grâce aux données de l’Enquête électorale française réalisée par Ipsos pour la Fondation Jean-Jaurès, le Cevipof et Le Monde dont la onzième vague vient de sortir.
La gauche peut-elle emporter les élections législatives et Jean-Luc Mélenchon devenir Premier ministre ? La onzième vague du panel électoral apporte des éléments de réponse à ces deux questions – avec la prudence qu’impose une enquête réalisée à un mois du premier tour. Elle met en lumière la dynamique engagée mais aussi les défis à relever et la limite à dépasser.
Avec 27% des intentions de vote, la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) additionne peu ou prou le score des candidats de gauche qui se présentaient en avril dernier et n’est devancée que d’un point par la coalition de la majorité présidentielle. Mieux, lorsque l’on analyse la sociologie de ses électeurs, on voit qu’elle n’est pas seulement dominante chez les plus jeunes (43% chez les 18-24 ans) mais qu’elle est en tête dans toutes les tranches d’âge jusqu’à 59 ans et notamment chez les actifs.
Surtout, une triple dynamique se fait jour. D’abord, une dynamique électorale que traduit la projection en sièges. Alors que la gauche ne compte qu’à peine 60 députés dans l’Assemblée sortante, elle en compterait entre 165 et 195 selon les projections réalisées par Ipsos : on voit que le tout est supérieur à la somme des parties – en l’occurrence des partis. Ensuite, une dynamique psychologique avec l’espoir de la victoire. Si 23% seulement des Français pensent que la Nupes va gagner les élections législatives, tel est le cas de 56% de ses électeurs. Enfin, une dynamique politique avec une approbation de l’accord de 79% chez les sympathisants de gauche et un souhait de victoire qui s’étend au-delà des rives de la gauche. 45% des Français déclarent en effet préférer une majorité législative dirigée par la Nupes plutôt que par la majorité présidentielle – les électeurs du Rassemblement national se divisant en deux parts égales sur cette question.
Pour aller au-delà d’une belle défaite, deux défis doivent cependant être relevés simultanément. Mobiliser, tel est le premier défi. Selon Ipsos, le taux de participation se situerait aujourd’hui aux alentours de 47% – l’abstention progressant ainsi davantage encore qu’en 2017 entre l’élection présidentielle et les élections législatives. Mais, ce qui est frappant, c’est que ce sont les catégories qui avaient le plus voté pour Jean-Luc Mélenchon dont l’abstention relative est la plus forte : 68% chez les 18-24 ans, 63% chez les employés, 53% chez les sympathisants des partis de gauche. Il y a là, comme en avril dernier, une réserve de progression potentielle pour la Nupes. Rassurer, tel est le second défi. C’est vrai du programme de la Nupes dont 22% des Français pensent que sa mise en œuvre améliorerait leur situation personnelle mais dont 50% estiment qu’elle la dégraderait – ces données, pour être précis, n’étant guère différentes en cas de victoire de la majorité présidentielle (17% et 43%). C’est vrai davantage encore s’agissant de l’image de Jean-Luc Mélenchon dont 57% des Français déclarent qu’il les « inquiète » et 65% qu’ils le considèrent « autoritaire » – même s’ils lui reconnaissent à 59% la volonté de « changer les choses ».
La principale limite à la réussite de la Nupes tient en définitive à autre chose : la difficulté à rassembler pleinement la gauche modérée. Cette difficulté peut être mise en lumière en concentrant l’analyse, d’une part, sur les « sympathisants socialistes » et, d’autre part, sur les Français qui s’auto-positionnent sur la case 4 dans une échelle gauche-droite de 0 à 10 (0 indiquant la case « très à gauche » et 10 « très à droite »). Ces deux catégories ne pèsent pas pour rien. 7,5% des Français se déclarent proches du Parti socialiste – très au-dessus du score obtenu par Anne Hidalgo et peu en dessous des 10% de LFI. Quant aux Français qui se positionnent au centre-gauche (la case 4), ils représentent à eux seuls près de 30% du total des Français qui se positionnent à gauche (entre 0 et 4). Or, ces deux catégories expriment une réticence du même ordre face à la Nupes. Il n’y a que 58% des premiers et 41% des seconds à déclarer aujourd’hui avoir l’intention de voter pour la Nupes. Et les chiffres sont similaires quand il s’agit d’approuver l’accord ou de souhaiter la victoire de la Nupes plutôt que celle de Ensemble. Bref, c’est au sein de cet électorat de gauche modérée, sans lequel aucune majorité de gauche ne peut se dégager, que se dessine une nouvelle ligne de faille – un électorat habitué à être le cœur des coalitions et qui a le sentiment de se trouver aujourd’hui aux marges des offres politiques.