Lula et le sens du retour au monde du Brésil

Quelques mois après le début de son troisième mandat présidentiel, quelles ambitions Lula et sa nouvelle administration affichent-ils en matière de politique étrangère ? Jean-Jacques Kourliandsky, directeur de l’Observatoire de l’Amérique latine de la Fondation, analyse le retour du Brésil sur la scène internationale, en rappelant le bilan des trois précédents mandats du Parti des travailleurs en la matière.

Le Brésil a perdu ces dernières années le « nord » de ses ambitions extérieures, régionales, sud-américaines et globales. Michel Temer, président intérimaire contesté (2016-2018), a été internationalement absent. Jair Bolsonaro, chef de l’État brésilien de 2019 à 2022, a détricoté les principaux acquis de ses prédécesseurs Luis Inacio Lula da Silva et Dilma Rousseff, et même, de manière plus lointaine, Fernando Henrique Cardoso (1994-2002).

« Le Brésil est de retour au sein de la société internationale », a revendiqué haut et fort Luis Inacio Lula da Silva, au lendemain de sa victoire présidentielle du 30 octobre 2022 à l’occasion de déplacements, comme chef d’État élu, en Égypte où il a assisté à la COP27 et au Portugal. Cette déclaration, réitérée depuis sa prise de fonction, était attendue. La diplomatie brésilienne des mandatures Lula (2003-2010) et Dilma Rousseff (2011-2016) a été, régionalement comme internationalement, active et imaginative. Nombreuses sont les nations qui, sur la base de ce passé, sont venues assister à l’investiture de Lula comme président du Brésil, le 1er janvier 2023. Ainsi, 65 délégations ont assisté à l’événement, dont 18 chefs d’État – quatre Africains, une Centraméricaine, neuf Sud-Américains, un Asiatique, trois Européens1Angola, Cap-Vert, Guinée Bissau, Zimbabwe ; Honduras ; Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Guyana, Paraguay, Surinam, Uruguay ; Timor Est ; Allemagne, Espagne, Portugal. –, 10 Premiers ministres et vice-présidents2Vice-présidents : Chine, Cuba, Iran, Panama, Salvador ; Premiers ministres : Mali, Pérou ; vice-Premiers ministres : Azerbaïdjan, Lesotho, Ukraine., et 8 présidents de Parlement. Soit, au total, 19 délégations de plus qu’en 2019, mais 45 de moins qu’en 2003.

Le contexte actuel, en 2023, n’est pas – n’est plus – celui des années 2003-2016. On comprend l’intention politique et on perçoit le volontarisme diplomatique. Lula a repris ses marques dans les palais de Planalto et d’Alvarado. Ses collaborateurs directs l’étaient déjà et lui sont très proches. Le nouveau ministre des Relations extérieures, Mauro Vieira, a occupé cette charge sous Dilma Rousseff. Son conseiller diplomatique, Celso Amorim, a été son ministre des Affaires étrangères et a détenu ultérieurement le portefeuille de la Défense. Mais quelles que soient les qualités, l’expérience et les capacités des uns et des autres, la « berline » Brésil a beaucoup souffert de 2016 à 2022.

Le retour à la « vitesse de croisière » diplomatique des années 2003-2016 paraît à première vue au minimum problématique. Ne relève-t-il pas du volontarisme, plus que des potentialités réelles du Brésil d’aujourd’hui ? Une révision sévère du moteur institutionnel semble un préalable incontournable à toute tentative de retour sur les circuits exigeants de la « communauté internationale ».

Un volontarisme diplomatique préservé

Celso Amorim, conseiller diplomatique du candidat, puis du président Lula, a été son ministre des Affaires étrangères de 2003 à 2010, puis le titulaire de la Défense, sous l’autorité de Dilma Rousseff, de 2010 à 2014. Il revient aux responsabilités en 2023 avec en mémoire les ambitions et les réalisations d’un hier très proche. Il en a résumé les contours dans une formule sans concession, celle de reprendre « une politique active et de haut niveau », rappelée tout au long de la campagne de l’élection présidentielle3Par exemple dans le trimestriel Nueva Sociedad, NUSO, n°301, septembre-octobre 2022, « Entrevista a Celso Amorim : América del Sur en la nueva geopolítica gobal »..

En effet, pendant la période 2003-2016, entre l’entrée en fonction présidentielle de Lula et la destitution inconstitutionnelle de Dilma Rousseff, le Brésil avait pour la première fois de son histoire donné un contenu à son potentiel de puissance émergente. Il suffit ici de rappeler quelques événements et initiatives ayant marqué leur temps : participation déterminante à la création d’institutions multilatérales – groupe IBAS (Inde-Brésil-Afrique du sud), G20 de l’OMC, UNASUL (Union des nations sud-américaines) –, partie prenante du groupe BRICS, du G4 (Allemagne-Brésil-Inde-Japon), de la CELAC (Communauté des pays d’Amérique latine et de la Caraïbe), du G20, invention des forums UNASUL/Ligue arabe et UNASUL/Afrique subsaharienne, et encore la proposition avec la Turquie d’une médiation sur le nucléaire iranien. Le Brésil a impulsé la reconnaissance de l’État palestinien par la quasi-totalité des pays sud-américains. Il a été l’initiateur, après les interventions des « Occidentaux » en Libye, d’une interprétation contrôlée du droit d’ingérence et de la responsabilité de protéger4Le concept brésilien de responsabilité « à protéger » a été présenté par la présidente Dilma Rousseff aux Nations unies en septembre 2011.. Cet activisme, effectivement de haut niveau, avait été récompensé par la « communauté internationale » : deux diplomates brésiliens avaient en effet été portés à la tête de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) et de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). La direction d’une opération de paix des Nations unies (la MINUSTAH, Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) avait été pour la première fois confiée à un Latino-Américain, un Brésilien en l’occurrence.

On a eu l’occasion de prendre la mesure du volontarisme diplomatique réaffirmé par Lula dès novembre 2022. Lula, président élu, mais pas encore aux commandes du pays, en a exprimé haut et fort la réactualisation à Charm el-Cheikh et à Lisbonne. Dès le premier moment de sa mandature, le 1er janvier 2023, il en a renouvelé à plusieurs reprises les intentions et les propos tenus à Buenos Aires, au sommet de la CELAC, le 24 janvier 2023, ont été d’une grande clarté. Les dés du retour brésilien dans le grand jeu du concert des nations ont bel et bien été lancés. La politique extérieure du Brésil, a déclaré le 2 janvier 2023 Mauro Vieira, le nouveau ministre des Relations extérieures, sera « vigoureuse », afin, a-t-il ajouté, « de réinsérer le Brésil dans sa région et dans le monde »5Discurso do Embaixador Mauro Vieira por ocasião da posse no cargo de Ministro de Estado das Relações Exteriores, Brasilia, 2 janvier 2023, ministère des Relations extérieures..

Une présence diplomatique dégradée par les présidences Temer et Bolsonaro

Il reste néanmoins à vérifier la faisabilité d’une diplomatie internationalement affirmative, renouant avec celle des années 2003-2016. Le contexte brésilien, régional, hémisphérique et mondial a en effet sensiblement changé, alors que l’héritage des années 2016-2018 légué par Michel Temer et Jair Bolsonaro réduit la capacité de rayonnement et d’influence du Brésil. Le Brésil a renoncé à assumer un rôle directeur en Amérique du sud et a abandonné toute ambition d’acteur autonome pour privilégier un partenariat avec les États-Unis. Aligné, le Brésil a suivi le mouvement suggéré par la Maison-Blanche, visant à fragmenter les concertations entre Latino- et Sud-Américains. Le Brésil a ainsi participé à l’isolement du Venezuela, entrant dans le groupe dit de Lima en 2017, il a présenté une demande d’adhésion à l’OCDE et il s’est retiré de la CELAC et de l’UNASUL. Les forums articulant un dialogue avec les pays africains et les pays arabes ont perdu leur nécessité. Des ambassades ont été fermées. Les contributions au système des Nations unies n’ont plus été honorées. La participation au G20 et au groupe BRICS a survécu pour des raisons économiques et commerciales, les principaux partenaires commerciaux du Brésil participant à ces entités.

Le tableau de bord à disposition du gouvernement a donc été sensiblement affaibli. Tout d’abord dans l’économie : un certain nombre d’entreprises publiques ont été privatisées. Le capital de Petrobras, instrument des ambitions affichées par Lula pendant son deuxième mandat, a ainsi été ouvert au capital étranger. L’influence, déjà importante, du secteur agro-exportateur a pris une dimension déterminante.

Institutionnellement, les légitimités collectives et démocratiques ont été gravement érodées. La destitution inconstitutionnelle de la présidente Dilma Rousseff en 2016 avait ouvert une boîte de Pandore. Le scrutin présidentiel de 2018 a été marqué par la mise à l’écart de Lula, incarcéré avant l’élection, puis remis en liberté une fois l’élection passée par des magistrats politiquement engagés. Les procédures électorales ont été contestées par le président en exercice, Jair Bolsonaro, plus d’un an avant la consultation. Les forces armées ont acquis, ou repris, un espace qui leur avait été contesté à la sortie de la dictature militaire. Elles ont ainsi pesé sur le pouvoir judiciaire en 2018 afin qu’il maintienne en prison l’ancien président Lula et ont occupé des responsabilités politiques au sein du gouvernement Bolsonaro, et administratives dans les ministères civils. L’appui matériel et médiatique de groupes financiers, agricoles, et d’entrepreneurs religieux, au discours du président Bolsonaro diabolisant l’opposition a aussi contribué à réduire la confiance à l’égard des institutions démocratiques.

La victoire de Lula en 2022 a été difficile. Son périmètre institutionnel et politique, minimal, le contraint à réactiver un présidentialisme de coalition, dont il a pu mesurer les risques et les aléas de 2003 à 2010. Il l’a, en effet, emporté en obtenant 50,9% des suffrages exprimés. Ses appuis parlementaires sont en minorité, forcés à négocier avec un marais partisan majoritaire. Son adversaire du deuxième tour, Jair Bolsonaro, dispose, avec les 99 députés du Parti libéral, du groupe parlementaire le plus important. Seuls 4 des 27 gouverneurs élus sont membres du PT (Parti des travailleurs). Les forces armées acceptent mal de perdre le rôle de modérateur politique retrouvé sous la mandature de Jair Bolsonaro6Voir Jean Jacques Kourliandsky, « Brésil 2018-2022 : une démocratie précarisée », Problèmes d’Amérique latine, 2022, n°119-120, p. 51.. Les églises pentecôtistes, réservées à l’égard de Lula et pour beaucoup hostiles, maintiennent une emprise populaire. Le « bolsonarisme » de conviction ou d’intérêt est présent dans la haute administration. Certains des acteurs majeurs de l’économie, de la finance et de l’agro-commerce acceptent difficilement l’alternance. Le bras de fer du nouveau pouvoir avec les uns et les autres est permanent. En témoignent les rapports conflictuels avec le directeur de la Banque centrale qui, refusant de baisser le taux du loyer de l’argent, privilégie les revenus rentiers. L’occupation brutale des lieux de pouvoir fédéraux le 8 janvier 2023 par les partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro, avec la complicité du gouverneur du district fédéral et d’éléments policiers et militaires, a été le révélatrice du rapport de force politique dans le pays.

Avant donc d’afficher une politique extérieure ambitieuse, « active et de haut niveau »7Titre d’un livre publié par Celso Amorim : Celso Amorim, Teerãn, Ramalá e Doha. Memórias da Política Externa Ativa e Altiva, São Paulo, Benvirá, 2015., le président Lula doit donc remettre le pays en ordre de marche internationale, démocratique, et rendre à l’État ses capacités d’intervention dans l’économie.

Le coup d’État manqué du 8 janvier 2023 a paradoxalement consolidé le poids en interne du président Lula. Il a pu en effet réaffirmer la primauté en démocratie des autorités élues au suffrage universel. Les auteurs physiques des troubles ont été arrêtés, leurs discours délégitimés, et leurs inspirateurs et complices civils et militaires ont été destitués et pour certains incarcérés. Le président a redéfini le rôle des forces armées en démocratie : un corps subordonné à l’autorité élue, responsable de la défense des frontières et de la souveraineté nationale. Les forces armées ont été mobilisées en Amazonie pour en chasser les chercheurs d’or8Ou Garimpeiros, en terminologie locale., à l’origine de la pollution des cours d’eau et de la grave crise sanitaire affectant les Indiens Yanomamis.

Lula a pu obtenir les moyens financiers lui permettant de bonifier le programme social, la « Bourse familles », et de recréer l’organisme en charge des personnes mal ou sous-alimentées, le Consea (Conseil national de sécurité alimentaire et nutritionnelle), supprimé dès 2019 par Jair Bolsonaro. Les privatisations ont été suspendues, en particulier celle d’Electrobras. Petrobras a été repris en main. Une forte pression a été, au lendemain des événements de janvier dernier, exercée sur les dirigeants de la Banque centrale afin de les inciter à baisser le taux du loyer de l’argent, qui est l’un des plus élevés au monde.

L’état dégradé de l’instrument diplomatique hérité de la présidence Bolsonaro ne permettait pas son utilisation efficiente et optimale. Une remise à niveau était nécessaire. Le Brésil du président Lula a donc, avant toute initiative d’envergure, procédé à une double rectification. Il a payé les arriérés dus par le Brésil aux Nations unies. Le cabinet de transition a fait adopter dès le 26 décembre 2022 la dotation par le ministère de l’Économie de 4,6 milliards de reals permettant au ministère des Affaires étrangères de solder les dettes onusiennes. Il a ensuite restauré sa présence dans la société internationale. Le Brésil a retrouvé la CELAC, abandonnée en janvier 2019. Il a repris une place active au sein de l’OPAS (Organisation panaméricaine de la santé) et a mis à jour ses engagements internationaux. Il est à nouveau engagé par l’accord de Marrakech, le « Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières », abandonné par son prédécesseur. Il a en revanche décidé de quitter le consensus de Genève de 2020, limitant le droit à l’interruption de grossesse. Il s’est associé au Compromis de Santiago de 2020 et à la Déclaration de Panama de 2022, instruments régionaux renforçant l’égalité de genre9Note de presse n°13 du ministère brésilien des Relations extérieures..

Il reste un dernier point à éclaircir. L’arrivée au pouvoir de présidents de gauche, ou progressistes, au Mexique, au Chili, en Argentine, en Bolivie et en Colombie offre-t-elle l’opportunité d’inventer une diplomatie de convergences collectives, régionales, ou au contraire va-t-elle mettre en évidence la difficulté de mutualiser des projets restant avant tout nationaux, et finalement concurrents ? La quasi-totalité des Latino-Américains a condamné par exemple l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et pratiquement tous se sont refusés à sanctionner Moscou. Pourtant, il n’y a pas eu de concertation entre les uns et les autres. Pas même entre l’Argentine, le Brésil et le Mexique, tous trois membres du G20. Le souhait partagé d’une initiative en faveur d’un dialogue entre belligérants, révélateur d’un parallélisme diplomatique, s’est matérialisé en trois projets portés de façon autonome par le Brésil, la Colombie et le Mexique.

Vers une diplomatie du possible

Replacer le Brésil au centre du concert régional et international est bien l’objectif affiché et recherché. La concrétisation de cette ambition suppose, comme signalé précédemment, de surmonter divers obstacles, internes comme régionaux.

Forte de l’expérience acquise dans les années 2003 à 2016 et consciente des contraintes d’aujourd’hui, la diplomatie de la troisième présidence Lula combine ambition et réalisme.

La visite surprise, pour les participants, de Lula en Égypte, à la COP27, avant même son entrée en fonction, lui a permis de restaurer l’image internationale du Brésil, écornée par l’écho médiatique de la déforestation accélérée de l’Amazonie et le laisser-faire, pendant la pandémie, de la présidence Bolsonaro. Lula a proposé d’accueillir, en 2025, la COP30, à Belem do Para10Ministère des Relations extérieures, note à la presse n°11, 12 janvier 2023.. Un ambassadeur en charge du changement climatique a été nommé le 17 février 2023. Ces gestes ont effectivement été salués par les « Occidentaux » – les gouvernements d’Europe du Nord et des États-Unis. L’Allemagne et la Norvège ont annoncé dès janvier 2023 leur participation financière au Fonds Amazonie, le président Biden a dépêché son ambassadeur chargé des questions environnementales à Brasilia, et la France soutient la tenue à Belem de la COP30.

Les mesures énergiques prises pour expulser les garimpeiros du nord amazonien et la mobilisation de l’État en faveur des populations autochtones Yanomami ont crédibilisé le geste diplomatique de Charm el-Cheikh. Ces éléments ont permis au chef d’État brésilien de faire une mise au point sur la façon dont il concevait la coopération internationale sur ce dossier. Pas question, comme suggéré en 2019 par le président français, de déléguer au G7 la gestion de l’Amazonie11Discours du président Emmanuel Macron lors de la conférence Protection Amazonie à l’ONU, 23 septembre 2019.. Bienvenue aux bonnes volontés extérieures, a dit Lula le 16 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, « mais toujours sous la direction du Brésil, sans jamais renoncer à notre souveraineté »12Intégralité du discours du président élu, dans Carta Capital, 16 novembre 2022.. L’Amazonie relève du Brésil et des États parties du traité OTCA (Organisation du traité de coopération amazonienne).

Lula s’appuyant sur cet acquis a marqué son territoire extérieur dans plusieurs directions. Elles visent à marier la défense de la souveraineté brésilienne au renforcement des équilibres internationaux et du multilatéralisme. L’Union européenne avait mis un préalable environnemental à la ratification de l’accord trouvé avec le Mercosur en 2019. Les initiatives annoncées et prises sur cette question placent le Brésil en position favorable. Mais très vite, le président français a, au salon de l’agriculture le 25 février 2023, évoqué de nouveaux préalables environnementaux, qui selon lui interdisent la ratification en l’état du traité13Le président argentin Alberto Fernandez avait anticipé cette éventualité le 6 décembre 2022 au cours d’un sommet du Mercosur.. Le Brésil n’a effectivement pas remis en question la place commerciale, économique et politique centrale occupée par les secteurs agro-exportateurs, principaux responsables des dégradations environnementales et de la déforestation. Attaquer spectaculairement les chercheurs d’or était plus aisé. Il n’empêche, l’Allemagne a immédiatement saisi l’opportunité environnementale pour se rapprocher du Brésil. Ses industriels sont en quête de marchés pouvant remplacer celui perdu en Russie. L’Allemagne, comme le Brésil, aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, était présent à la prise de fonction de Lula le 1er janvier 2023. Le chancelier Olaf Scholz a effectué une visite au Brésil le 30 du même mois. L’Allemagne, a-t-il annoncé, soutiendra à Bruxelles les 17 et 18 juillet au troisième sommet UE/CELAC la nécessité d’une rapide ratification du traité avec le Mercosur. Ce message a été renouvelé par le vice-chancelier Robert Habeck à Belo Horizonte, le 11 mars 2023.

La paix dans le monde, et donc en Ukraine et au Proche-Orient, a mobilisé la diplomatie brésilienne dès janvier 2023. C’était déjà le cas sur le nucléaire iranien en 2011, mais le partenariat avec la Turquie, État émergent, comme le Brésil, n’avait pas permis à la proposition de forcer la porte du Conseil de sécurité de l’ONU verrouillée par ses membres permanents. La structure BRICS a cette fois-ci été introduite dans la martingale brésilienne. Le Brésil appuie les propositions chinoises. Lula était en Chine le 28 mars 2023. La candidature de Dilma Rousseff pour présider la Banque des BRICS a officialisé la portée symbolique de ce partenariat. Condamnant l’invasion russe, le Brésil maintient une fenêtre ouverte sur les États-Unis et l’espace otanien élargi. Lula a défendu cette option auprès d’Olaf Scholz et, à travers lui, des Européens. Il s’est rendu à Washington le 10 février 2023 pour en mesurer l’acceptabilité, tout en rappelant à Joe Biden que le Brésil souhaitait « des relations sur un pied d’égalité » sur ces questions comme dans les rapports bilatéraux. Le conflit israélo-palestinien a aussi donné l’occasion au Brésil d’afficher une réactivité commune avec l’Argentine, le Chili et le Mexique14Communiqué conjoint du 17 février 2023, ministère des Relations extérieures, Noa a imprensa, n°80..

Le multilatéralisme pratiqué par le Brésil des années Lula-Rousseff a retrouvé sa place. Le Brésil a réintégré un certain nombre d’institutions intergouvernementales abandonnées et a actualisé ses engagements contractuels internationaux, comme signalé plus haut. Il a indiqué son intention d’exercer une présidence constructive du groupe IBAS (Inde-Brésil-Afrique du Sud), qu’il avait coinventé en 2003 pour assurer la participation des pays du Sud aux décisions de l’OMC. Le Brésil a annoncé qu’il fera des propositions au G20 qu’il va présider en 2024 et qu’il soutiendra la candidature argentine comme membre du groupe BRICS, qu’il va diriger en 2025. Le Brésil a participé avec une délégation importante à la conférence organisée par l’Unesco les 22 et 23 février 2023 sur la réglementation des réseaux sociaux. Tout cela s’est accompagné d’une demande de réforme et d’élargissement du Conseil de sécurité de l’ONU, évoquée de façon explicite dès janvier 2023 à l’occasion de la visite à Brasilia du chancelier allemand et rappelée le 2 mars au G20 des ministres des Affaires étrangères.

La diplomatie horizontale, c’est-à-dire sur un pied d’égalité, avec l’Afrique a été signalée de façon insistante comme l’une des priorités. Elle permet de rompre avec la diplomatie de Bolsonaro et de réutiliser à des fins diplomatiques des canaux tels que les liens de segments de populations migrantes, ou déportées, avec leurs pays d’origine, comme c’était le cas de 2003 à 2016. La conjoncture ne permettant pas de grandes initiatives, le Brésil de Lula III a surtout ciblé l’Afrique lusophone. À commencer par l’Angola, historiquement lié au Brésil, et pays pétrolier. Le 3 janvier 2023, les deux ministres des Affaires étrangères ont convenu de tenir au premier semestre de l’année la septième commission mixte bilatérale. Ce premier pas est conçu aussi comme une voie culturelle permettant, avec l’ensemble des pays membres de la CPLP (Communauté des pays de langue portugaise), avec donc aussi Timor Est en Asie et le Portugal en Europe, de construire un réseau intercontinental de pays amis. L’Angola préside la CPLP en 2023 et le Portugal, membre historique de la CPLP, a reçu Lula, président élu, le 18 novembre 2022, et sera le premier pays européen visité par Lula, président investi, le 25 avril 2023.

Ces positionnements de rupture supposaient une démocratisation du corps diplomatique, première vitrine extérieure du pays. Un effort visant à ouvrir les portes d’Itamaraty15Nom traditionnellement donné au ministère des Affaires étrangères du Brésil, en référence à son siège initial à Rio de Janeiro, capitale jusqu’en 1960. aux femmes, aux autochtones et aux descendants des esclaves africains, majoritaires dans la population, mais notoirement sous-représentés, a été annoncé par le ministre le 2 janvier 2023. Cette intention de diversifier le corps diplomatique a été réaffirmée le 4 janvier au cours de la cérémonie de prise de fonction de l’ambassadrice Maria Laura da Rocha, première femme occupant le poste de secrétaire générale du ministère.

L’Amérique latine ne permet pas paradoxalement le rétablissement du leadership occupé par le Brésil sous les mandats antérieurs de Lula. Les convergences idéologiques ne constituent pas un élément déterminant, si l’on se réfère aux déclarations de la nouvelle équipe. Le ministre des Relations extérieures a, de façon publique et explicite, déclaré que le Brésil dialoguerait avec toutes les familles politiques, avec pour seule idéologie celle de « l’intégration ». Lula a réinséré le Brésil dans le système diplomatique régional : il a retrouvé la CELAC ; il a manifesté son souhait d’un renouveau de l’UNASUR ; il a renvoyé un ambassadeur à Caracas ; et le Brésil a repris sa place dans le groupe des pays garants du dialogue entre l’ELN (Armée de libération nationale) et le gouvernement colombien. Ce retour a eu un effet interaméricain, un médecin brésilien ayant été le 31 janvier 2023 élu directeur de l’OPAS16Le Dr Jarbas Barbosa est directeur de l’OPAS de 2023 à 2028.

Mais les discours pan-latins du Brésil comme des Hispano-Américains masquent mal des divergences géopolitiques et d’intérêts, des ambitions personnelles et nationales incompatibles. Le Mexique, intégré dans l’espace économique nord-américain, développe une diplomatie visant à attirer dans cet espace les Latino-Américains afin de muscler un tant soit peu sa présence dans l’ensemble déséquilibré du T-MEC17Sigle en espagnol de l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.. Sa diplomatie, visant à conforter l’Alliance du Pacifique, instrument de régionalisme commercial ouvert, a été reçue positivement au Chili et en Colombie, alors que le Brésil d’aujourd’hui priorise l’intégration économique sud-américaine, comme pendant les années 2003-2016. En Colombie, Gustavo Petro, volontariste par tempérament, a par ailleurs multiplié les initiatives et propositions diplomatiques, sans concertation avec le Brésil. Celui-ci a donc réduit sa voilure économique et ses efforts sur le Mercosur. L’Uruguay, tenté par un accord particulier avec la Chine, a été visité par Lula le 22 janvier 2023. L’Argentine a fait l’objet d’une attention prioritaire. Lula, avant d’effectuer une visite d’État à Buenos Aires le 23 janvier 2023, a cosigné avec son homologue argentin un article de presse actant la relance d’une alliance stratégique entre les deux pays18Dans le journal argentin Perfil, 21 janvier 2023.. Les deux présidents ont annoncé un projet de monnaie commune et la construction d’un gazoduc. Ils ont également signé une déclaration conjointe de 82 points, une lettre d’intention sur les industries de défense, un protocole de coopération en matière de santé, un programme de coopération entre les ministères de la Science et de la Technologie, un mémorandum entre les ministères de l’Économie, et un accord de coopération bilatérale sur l’Antarctique. Mais ces annonces pourront-elles se concrétiser ? L’élection présidentielle argentine du 22 octobre 2023 s’annonce en effet difficile pour le président sortant et sa majorité. Le parti « officiel » est divisé entre partisans de la vice-présidente, Cristina Kirchner, que Lula n’a pas rencontrée, et du président Alberto Fernandez, avec lequel il entretient une relation régulière. La conjoncture économique et sociale difficile favorise la montée des oppositions. Par ailleurs, l’annonce de la création d’une monnaie commune entre l’Argentine et le Brésil, dont l’usage serait étendu au Mercosur puis à la CELAC, a fait l’objet de critiques, en particulier au Mexique, au Pérou et en Uruguay.

Depuis le 1er janvier 2023, le Brésil a retrouvé une présence internationale. Les positions affichées, les initiatives prises et annoncées, l’agenda ambitieux du président Lula visent à recomposer la diplomatie « active et de haut niveau » des années présidentielles de Lula et Dilma, revendiquée par Celso Amorim, ancien ministre des Relations extérieures et aujourd’hui conseiller international du président.

Les ambitions signalées se heurtent toutefois à des obstacles internes, sources d’incertitudes institutionnelles et décisionnelles. Le coup d’État manqué du 8 janvier 2023 a paradoxalement donné au président la capacité de consolider les assises de son autorité. Il lui reste malgré tout à réduire durablement les résistances internes, qui sont nombreuses, et à convaincre les investisseurs étrangers qui continuent à manifester doutes et inquiétudes19Comme par exemple les Espagnols, très présents au Brésil, Telefónica et Santander..

Bien que non idéologisée, cette diplomatie contient des axes qui annoncent une politique extérieure en oxymore et affichant une combinaison de dialogues sur un pied d’égalité avec les grands de ce monde, sans exclusive, et valorisant les alliances avec des partenaires sud-américains partageant avec le Brésil un nationalisme souverain conçu comme porteur d’équilibres au niveau international.  

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    Angola, Cap-Vert, Guinée Bissau, Zimbabwe ; Honduras ; Argentine, Bolivie, Chili, Colombie, Équateur, Guyana, Paraguay, Surinam, Uruguay ; Timor Est ; Allemagne, Espagne, Portugal.
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    Vice-présidents : Chine, Cuba, Iran, Panama, Salvador ; Premiers ministres : Mali, Pérou ; vice-Premiers ministres : Azerbaïdjan, Lesotho, Ukraine.
  • 3
    Par exemple dans le trimestriel Nueva Sociedad, NUSO, n°301, septembre-octobre 2022, « Entrevista a Celso Amorim : América del Sur en la nueva geopolítica gobal ».
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    Le concept brésilien de responsabilité « à protéger » a été présenté par la présidente Dilma Rousseff aux Nations unies en septembre 2011.
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    Discurso do Embaixador Mauro Vieira por ocasião da posse no cargo de Ministro de Estado das Relações Exteriores, Brasilia, 2 janvier 2023, ministère des Relations extérieures.
  • 6
    Voir Jean Jacques Kourliandsky, « Brésil 2018-2022 : une démocratie précarisée », Problèmes d’Amérique latine, 2022, n°119-120, p. 51.
  • 7
    Titre d’un livre publié par Celso Amorim : Celso Amorim, Teerãn, Ramalá e Doha. Memórias da Política Externa Ativa e Altiva, São Paulo, Benvirá, 2015.
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    Ou Garimpeiros, en terminologie locale.
  • 9
    Note de presse n°13 du ministère brésilien des Relations extérieures.
  • 10
    Ministère des Relations extérieures, note à la presse n°11, 12 janvier 2023.
  • 11
    Discours du président Emmanuel Macron lors de la conférence Protection Amazonie à l’ONU, 23 septembre 2019.
  • 12
    Intégralité du discours du président élu, dans Carta Capital, 16 novembre 2022.
  • 13
    Le président argentin Alberto Fernandez avait anticipé cette éventualité le 6 décembre 2022 au cours d’un sommet du Mercosur.
  • 14
    Communiqué conjoint du 17 février 2023, ministère des Relations extérieures, Noa a imprensa, n°80.
  • 15
    Nom traditionnellement donné au ministère des Affaires étrangères du Brésil, en référence à son siège initial à Rio de Janeiro, capitale jusqu’en 1960.
  • 16
    Le Dr Jarbas Barbosa est directeur de l’OPAS de 2023 à 2028.
  • 17
    Sigle en espagnol de l’Accord de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.
  • 18
    Dans le journal argentin Perfil, 21 janvier 2023.
  • 19
    Comme par exemple les Espagnols, très présents au Brésil, Telefónica et Santander.

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