L’OTAN, toujours une nécessité pour l’Europe?

L’entretien d’Emmanuel Macron dans The Economist du 7 novembre dernier où il a évoqué la “mort cérébrale” de l’OTAN a été diversement apprécié en Europe, et notamment en Allemagne. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès, ancien secrétaire général de la FEPS et docteur en sciences politiques, analyse dans cette chronique les enjeux pour l’Union européenne de se doter d’une souveraineté dans un contexte globalisé et où les conflits se multiplient.

Les commentaires récents du président de la République, Emmanuel Macron sur l’état de l’OTAN ont déclenché un débat en Allemagne et plus largement en Europe. Dans l’entretien qu‘Emmanuel Macron a accordé au journal hebdomadaire anglais, The Economist, il a jugé que « ce qu’on est en train de vivre, c’est pour moi la mort cérébrale de l’OTAN. Il faut être lucide. »

Ce jugement est perçu outre-Rhin comme une véritable provocation de la part du président français à un moment où l’OTAN se prépare à fêter son 70anniversaire lors d’un sommet début décembre à Londres. Cet entretien n’était pas anodin car il a été publié dans un hebdomadaire anglais et l’objectif affiché était de faire comprendre aux leaders européens, mais aussi au président américain, qu’il se place comme leader de facto de l’Alliance atlantique.

Emmanuel Macron:  une provocation stratégique ?

Si l’on analyse l’entretien intégral, il n’y a rien de nouveau dans son analyse géopolitique. Il est néanmoins frappant et significatif de noter qu’aucun leader de l’Alliance ne s’était exprimé de la sorte depuis le Général de Gaulle en 1965 et n’avait pointé la situation critique dans laquelle se trouve en ce moment l’Alliance transatlantique et ses membres européens. Le président Emmanuel Macron semble vouloir utiliser la faiblesse actuelle de l’Allemagne à l’approche de la fin du « règne » de la chancelière Angela Merkel pour montrer son leadership européen.

Angela Merkel : une réaction immédiate

Les réactions en Allemagne ont été évidemment virulentes. La chancelière Angela Merkel a tout de suite réagi en disant qu’elle trouvait cela inutile : « Le président a choisi des mots dramatiques. Cela n’est pas mon opinion. » Une telle réaction immédiate n’est pas fréquente.

Cependant, la chancelière avait déjà dit plus ou moins la même chose en 2017 à Munich lors de la conférence annuelle de sécurité lorsqu’elle en appelait à ce que l’Europe prenne plus de responsabilité. Mais elle a rappelé très clairement que l’Allemagne ne laissera pas l’Europe développer une politique de défense en dehors de l’OTAN. 

L’enjeu géostratégique européen n’est pas l’OTAN !

Stratégiquement, l’enjeu européen se situe plus sur la scène internationale qu’au niveau des relations franco-allemandes ou qu’au niveau de l’OTAN. La discussion autour du rôle de l’OTAN, ses objectifs et la manière dont elle fonctionne est néanmoins plus qu’urgente. L’Europe se trouve dans une situation dramatique depuis quelques années. La situation d’après-guerre – à l’origine de la nécessité de l’OTAN – est totalement révolue. Un nouvel ordre international est à l’horizon mais il n’est pas encore établi. Dans ce vide géostratégique se développe un scénario de retour à l’ordre international de la Guerre froide avec l’influence des deux grandes puissances (États-Unis et Russie) mais aussi, de manière plus large, de la Chine et de plus en plus d’acteurs régionaux qui ont des capacités nucléaires (Inde, Pakistan, Iran, Israël). Évidemment, dans une telle situation complexe, la question se pose sur la raison d’être de l’OTAN et sur son ennemi principal depuis la disparition du bloc soviétique en 1989. L’enjeu de sécurité pour l’Europe reste pourtant Moscou, et par conséquent la nécessité d’un pacte militaire pour garantir la sécurité, surtout pour les pays baltes et la Pologne. 

Si l’on prend en considération les nouveaux défis internationaux – le changement climatique, la maîtrise des données et du numérique, les enjeux de l’espace (la guerre dans l’espace), etc. –, on ne peut que déplorer l’absence de volonté politique pour définir les enjeux géostratégiques du continent européen qui sont aussi militaires et qui touchent la sécurité des citoyennes et citoyens en Europe.

Dans ce contexte, l’Europe ne peut pas se permettre une « mort cérébrale de l’OTAN ». Le conflit en Syrie, la question non résolue de la Crimée, celle du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), le renouvellement du traité START (Strategic Arms Reduction Treaty) et particulièrement les problèmes avec la Turquie, membre de l’OTAN, sont des questions stratégiques que seule l’OTAN avec l’Union européenne est en mesure de traiter. C’est ici que se pose le problème de l’OTAN et de l’Europe. 

En finir avec la fragmentation de la politique européenne de sécurité et défense

Comme toujours, la France et l’Allemagne devraient être à l’initiative pour lancer des actions crédibles. L’Europe devrait discuter stratégiquement les changements géopolitiques dans un monde globalisé. Elle ne peut pas simplement continuer sur le chemin du marché commun et s’abstenir stratégiquement. Elle a besoin d’une autonomie stratégique pour ne plus être coincée entre les trois géants comme un « punching ball ». Si chaque État membre de l’Union européenne ne consent pas à mettre en place une politique de sécurité commune, l’UE n’aura pas de souveraineté stratégique et donc pas sa place dans un monde globalisé. Et cela ne s’inscrirait pas dans l’intérêt de la France et de l’Allemagne.

Le bien-être des citoyennes et citoyens en Europe dépendra en grande partie de sa capacité à bâtir une souveraineté géostratégique dans un monde qui est en changement quasi permanent. Comme cela a été le cas lors du lancement du marché commun, la sécurité géostratégique devrait être la priorité absolue de la nouvelle Commission, qui plus est sous la présidence d’une ancienne ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, qui a eu les faveurs de la France notamment en raison de ces questions essentielles. 

Si les propos du président Emmanuel Macron sur l’OTAN et la géostratégie européenne ont eu, entre autres, pour objectif de profiter du vacuum allemand relatif à la fin de mandat de la chancelière Angela Merkel, le danger d’une impasse européenne est évident, même en présence d’une personnalité politique allemande à la tête de la Commission européenne. Mais si sa volonté était de faire comprendre que lEurope doit gérer les dysfonctionnements au sein de l’OTAN, on ne peut que se réjouir de linitiative.
 

 

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