L’intervention civile de paix : une présence civile qui protège

Le Comité français pour l’intervention civile de paix œuvre depuis plusieurs années à la résolution des conflits et l’établissement de la paix. Cette organisation de la société civile, trop peu connue en France, présente ici ses activités et ses objectifs.

Depuis 1997, le Comité français pour l’intervention civile de paix (Comité ICP) œuvre en faveur de la promotion d’une stratégie alternative de résolution non violente des conflits sur des terrains de conflits locaux, l’intervention civile de paix (ICP). Entendue comme « l’envoi, à la demande d’acteurs locaux, d’équipes non armées mais formées à la protection civile dans des zones de conflit »1Cécile Dubernet, « Intervention civile de paix : idée pertinente … et dérangeante », Justice et paix., elle contribue à la préservation de la sécurité humaine locale2Créé en 1994 par le PNUD, le concept de sécurité humaine implique de repenser la sécurité, son contenu, ses objets. Au contraire de la sécurité nationale, qui ne garantit pas la sécurité des personnes, il prend en compte des dimensions politique, militaire, économique, sociale, environnementale et culturelle.. À partir de méthodes telles que l’analyse stratégique, l’observation, l’accompagnement, le contrôle des rumeurs, la communication non violente et la médiation locale, sont créés des espaces de sécurité et de dialogue. Ceux-ci permettent aux acteurs.trices de paix locaux de construire les conditions d’une paix positive3« La coopération, une vie à l’abri de la peur, du besoin et de l’exploitation, la croissance et le développement économiques, l’égalité et la justice, le pluralisme et le dynamisme et où la violence est moindre, mais pas absente », Johan Galtung, Theories of Peace: A Synthetic Approach to Peace Thinking, Oslo, International Peace Research Institute, septembre 1967, 238 p. ; « La paix positive décrit les attitudes, les structures et les institutions qui fondent et soutiennent la paix sociétale », Grainesdepaix.org, Paix positive, paix négative. et durable dans le respect de l’État de droit. Malgré son efficience et sa reconnaissance dans de nombreux pays, elle est encore peu connue et enseignée en France.

En France, le Comité ICP, un collectif d’associations engagées dans la solidarité internationale et dans le domaine de la non-violence, œuvre depuis 1997 à la promotion de ces approches novatrices à travers la formation, le plaidoyer, l’information et la sensibilisation du public francophone. En 2018, conjointement à l’Institut catholique de Paris et à l’ONG Nonviolent Peaceforce4ONG membre du Comité ICP pionnière dans l’intervention civile de paix., le Comité ICP a créé un diplôme dédié à l’intervention civile de paix. Aujourd’hui reconnu comme formation professionnelle par le ministère du Travail, il forme aux compétences-clés de la protection humaine civile et non armée.

L’intervention civile de paix (ICP) comme stratégie de résolution non violente des conflits

D’origine gandhienne, l’intervention civile de paix (« unarmed civilian peacekeping » ou « unarmed civilian protection ») est une stratégie d’intervention non armée sur le terrain d’un (post)-conflit local, mobilisée à la demande des acteurs.trices locaux. Complémentaire et/ou alternative aux interventions militaire et humanitaire, elle est centrée sur la recherche de la paix sociale et civile. Les équipes travaillent à l’émergence d’espaces propices à la recherche d’« une solution politique du conflit qui reconnaisse et garantisse les droits fondamentaux de chacune des parties en présence et leur permette de définir les règles d’une coexistence pacifique »5Jean- Marie Müller, Dictionnaire de la non-violence, Éditions du Relié, 2005, p. 185. Si les activités menées à bien sont variables selon les organisations6Organisations internationale – OSCE, UE, ONU – ou non gouvernementale – Christian Peacemakers Team, Peace Brigades International, Non-violent Peace Force, ACOGUATE – un gouvernement, une collectivité locale., leurs mandats, le contexte et les problématiques locaux, les missions d’ICP se rejoignent dans l’observation du respect des droits humains, l’accompagnement physique protecteur aux civil.e.s en danger, le renforcement des capacités de la société civile locale, la médiation de proximité et l’interposition 7PBI-France, « L’intervention civile de paix (ICP) »..

Ces méthodes sont portées par des équipes civiles non armées 8Et non nationales du territoire dans lequel elles sont déployées afin de garantir l’impartialité de l’équipe/organisation. et lient ainsi directement les sociétés civiles locales et internationales. Le travail s’appuie sur un large réseau diplomatique, non gouvernemental et institutionnel qui constitue un «  système »9NVXXI et Comité ICP, Mini-guide de l’intervention civile de paix, 2019-2020, p. 9. d’appui essentiel. Il permet « aux acteurs de paix locaux de travailler en sécurité, dans un environnement de conciliation plus serein et rationnel »10Martine Dufour, Intervention civile de paix. Une expérience au Kosovo, Éd. du MAN, 2013, p. 10-11.. En Colombie, au Guatemala, aux Philippines, au Sud Soudan et dans d’autres contextes, les programmes de Peace Brigade International (PBI), ACOGUATE-Nonviolent Peaceforce (NP), ou de lEAPPI (Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et en Israël) ont ainsi favorisé l’émergence et/ou le renforcement d’espaces de sécurité et de dialogue, essentiels à la « transformation » des conflits11Cette approche souligne l’essentialité de changements structurels, relationnels et culturels de long terme dans la construction de la paix. Le conflit y est vu comme un phénomène social de rupture avec l’ordre établi qui ne peut s’achever qu’à travers la transformation sociale des perceptions (culture), des relations (relationnel) et des structures (structurel) répondant à la demande de changement cristallisée dans le conflit. Cette transformation, propre à chaque contexte, passe par le passage de cycles destructeurs violents à des cycles constructifs non violents de dignité et engagement respectueux. Cf Irenees.net, Transformations de conflit, avril 2014 ; John Paul Lederach, The Moral Imagination: The art and soul of building peace, Oxford University Press, 2005, 199 p. et à la construction progressive de paix locales pérennes.

Par son orientation non violente, l’ICP se différencie des approches militaires en faisant concorder moyens employés et fins recherchées. Il s’agit de travailler à une « posture proactive »12Liam Mahony, Proactive Presence, field strategies for civilian protection, Humanitarian Dialogue Centre, 2006. orientée vers la recherche de solutions alternatives à la violence. L’ICP repose sur des principes spécifiques tels que l’impartialité et la non-ingérence, plaçant ainsi les acteurs.trices locaux au centre du travail de « tissage » de la paix13John Paul Lederach, The moral imagination: The art and soul of building peace, Oxford University Press, 2005, 199 p.. Le déploiement d’une mission ICP ne se fait qu’à la demande explicite des acteurs.trices locaux. Par extension, « les communautés locales [sont] au cœur de l’équation sécuritaire et œuvrent au renforcement de leur résilience face aux violences endogènes et importées »14Revuesilence.net, Sans arme face à la violence : l’intervention civile de paix. En effet, les stratégies ICP sont l’héritage des premières missions d’ICP réalisées durant les conflits armés internes centre-américains (Nicaragua, Guatemala). Opérationnelle depuis les années 1980 en Amérique latine notamment, l’ICP s’est fortement développée dans les années 1990 ; elle est appliquée tant par des organisations non gouvernementales (ONG) créatrices des concepts clés, que par des organisations internationales15ONU, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Ligue arabe, Union africaine, etc.. Elle est aujourd’hui pratiquée sur tous les continents du monde, dans des contextes de conflits ou post-conflits et tend de façon croissante à s’appliquer aussi dans des contextes qui ne relèvent ni des uns ni des autres. À titre d’exemple, dans le cadre de l’élection présidentielle étasunienne de 2020, Nonviolent Peaceforce a formé et déployé des citoyen.ne.s volontaires pour sécuriser le vote de tou.te.s16Nonviolent Peaceforce, Democracy Defenders in the Twin Cities, MN, USA, novembre 2020..

Enfin, si les efforts d’imposition de la paix par deux décennies de « guerre contre la terreur » ont largement échoué à garantir un minimum de sécurité humaine aux populations des pays d’intervention, ces succès, réels, intéressent et interrogent.

Le terrain au cœur du travail conjoint de défense et de protection

La complémentarité des acteurs.trices civil.e.s locaux et internationaux est essentielle en ICP ; elle se joue sur le terrain en fonction des contraintes et des enjeux de sécurité locaux.

Si la stratégie ICP peut se décliner en des mandats différents, l’une des approches historiques clé de l’ICP est l’accompagnement international17PBI France, Nos moyens d’actions.. Celui-ci est développé depuis plus de vingt ans par des ONG telles que Peace Brigade International18En Colombie, Guatemala, Honduras, Kenya, Mexique, Indonésie, Népal, Nicaragua, et Costa Rica. ou Acoguate19Au Guatemala.. Leur mandat consiste à apporter un accompagnement intégral aux personnes défenseures des droits humains20OHCHR, Qui sont les défenseurs des droits de l’homme ?.. Celles-ci peuvent le demander lorsqu’elles sont menacées ou craignent de l’être pour le travail qu’ils/elles effectuent « en faveur du respect des droits humains et de la constitution d’un État de droit dans leurs pays »21PBI-France, « L’intervention civile de paix (ICP) ».. À travers différents moyens d’action22L’accompagnement physique protecteur et l’observation internationale, les relations publiques et le plaidoyer auprès d’institutions locales, nationales et internationales, la production et la diffusion d’informations et le renforcement des capacités des défenseur.e.s., les personnes accompagnatrices travaillent à la création d’espaces de sécurité23Objectifs et subjectifs (sentiment de sa propre sécurité). pour les acteurs.trices de paix locaux24COPINH (Honduras), FAMDEGUA, Bufete Juridico de derechos humanos (Guatemala), Esteban Cela, Francis Sakwa (Kenya), Centro Regional de Derechos Humanos Bartolomé Carrasco Briseño (Mexique), Asociación para la Promoción Social Alternativa (Colombie), etc..

« Le mandat moral de la présence »25PBI-France, « L’intervention civile de paix (ICP) »., défini par l’impartialité, est basé sur « la seule défense des droits humains, la dénonciation en cas de violations, et un positionnement stratégique afin d’être respecté par toutes les parties du conflit »26Ibid.. Par leur présence, les accompagnateurs.trices deviennent alors des « témoins privilégiés de possibles violations [des droits humains] »27Ibid.. Ils/elles sont, à ce titre, des « yeux et oreilles de la communauté  internationale »28Ibid.. Dès leurs débuts, les missions ICP « ont permis de protéger de nombreux défenseurs des droits humains (avocats, journalistes, syndicalistes, environnementalistes), des migrants et des civils piégés par la guerre, et ce, dans des contextes aussi différents que la Colombie, le Kosovo, le Soudan du Sud, l’Indonésie ou l’Irak »29Ibid.. L’efficience de ce travail et son adaptation aux situations de conflits contemporains sont notamment visibles dans la multiplication des demandes d’accompagnement de la part des partenaires locaux.

Une approche et ses limites

Comme toute autre stratégie, l’approche ICP ne fonctionne pas dans n’importe quelle situation ni auprès de n’importe quels acteurs. C’est en fonction des contextes locaux et des analyses30En coordination avec la société civile locale, et avant de déployer les intervant.e.s civil.e.s de paix, les conflits sont étudiés à travers une analyse intégrale qui comprend la nature des violences rencontrées, l’évaluation minutieuse et systématiquement renouvelée du contexte, des relations de domination, leviers de pouvoirs, liens en présence. Le travail effectué mobilise ainsi des concepts similaires aux approches réalistes des relations internationales (analyse des forces, notions d’équilibre, prudence) et libérales (accent mis sur le droit). Avant de développer un programme dans un pays, des missions exploratoires de plusieurs années sont mises en place. qui en sont faites qu’elle peut ou ne pas être mobilisée31Elle peut ne pas pouvoir être déployée à l’échelle d’un pays ou de certaines localités d’un pays.. Ainsi, les missions ICP ne peuvent être déployées dans un contexte où les mandataires n’ont pas les capacités d’assurer leur propre sécurité et de dissuader de l’usage de la violence sur le terrain. Par exemple, lorsque « la violence est une fin en soi »32Exemple du crime organisé., qu’elle « est pleinement assumée », « socialement ancrée » [violence rituelle], et « irrationnelle » ou « lorsque l’impunité est complète »33Cécile Dubernet, « Intervention civile de paix : idée pertinente … et dérangeante », Justice et paix., la stratégie ICP ne peut avoir d’effets sur l’usage de la violence.

Le diplôme universitaire/formation professionnelle sur l’intervention civile de paix

Comme le laissent transparaître les paragraphes précédents, les compétences clés de l’ICP et des professionnel.le.s qui la pratiquent s’articulent autour de l’analyse des conflits et des différents savoir-faire et savoir-être de terrain. C’est pour cela que, depuis 2018, le Comité ICP, l’Institut catholique de Paris et Nonviolent Peaceforce proposent une formation universitaire et professionnelle dédiée à la protection civile non-armée (connaissances, savoir-faire, savoir-être) aux niveaux théorique et pratique. Dispensé par une équipe mixte (professionnel.le.s de la sécurité, chercheur.euse.s, enseignant.e.s, médiateur.trice.s, etc.), le diplôme s’adresse à des étudiant.e.s, professionnel.le.s d’ONG, organisations internationales et institutions actives dans les domaines des droits humains, de l’humanitaire, du développement, de l’environnement. Cette formation est aujourd’hui reconnue par le ministère du Travail comme formation professionnelle et référencée au Registre national des compétences professionnelles (RNCP).

  • 1
    Cécile Dubernet, « Intervention civile de paix : idée pertinente … et dérangeante », Justice et paix.
  • 2
    Créé en 1994 par le PNUD, le concept de sécurité humaine implique de repenser la sécurité, son contenu, ses objets. Au contraire de la sécurité nationale, qui ne garantit pas la sécurité des personnes, il prend en compte des dimensions politique, militaire, économique, sociale, environnementale et culturelle.
  • 3
    « La coopération, une vie à l’abri de la peur, du besoin et de l’exploitation, la croissance et le développement économiques, l’égalité et la justice, le pluralisme et le dynamisme et où la violence est moindre, mais pas absente », Johan Galtung, Theories of Peace: A Synthetic Approach to Peace Thinking, Oslo, International Peace Research Institute, septembre 1967, 238 p. ; « La paix positive décrit les attitudes, les structures et les institutions qui fondent et soutiennent la paix sociétale », Grainesdepaix.org, Paix positive, paix négative.
  • 4
    ONG membre du Comité ICP pionnière dans l’intervention civile de paix.
  • 5
    Jean- Marie Müller, Dictionnaire de la non-violence, Éditions du Relié, 2005, p. 185.
  • 6
    Organisations internationale – OSCE, UE, ONU – ou non gouvernementale – Christian Peacemakers Team, Peace Brigades International, Non-violent Peace Force, ACOGUATE – un gouvernement, une collectivité locale.
  • 7
  • 8
    Et non nationales du territoire dans lequel elles sont déployées afin de garantir l’impartialité de l’équipe/organisation.
  • 9
    NVXXI et Comité ICP, Mini-guide de l’intervention civile de paix, 2019-2020, p. 9.
  • 10
    Martine Dufour, Intervention civile de paix. Une expérience au Kosovo, Éd. du MAN, 2013, p. 10-11.
  • 11
    Cette approche souligne l’essentialité de changements structurels, relationnels et culturels de long terme dans la construction de la paix. Le conflit y est vu comme un phénomène social de rupture avec l’ordre établi qui ne peut s’achever qu’à travers la transformation sociale des perceptions (culture), des relations (relationnel) et des structures (structurel) répondant à la demande de changement cristallisée dans le conflit. Cette transformation, propre à chaque contexte, passe par le passage de cycles destructeurs violents à des cycles constructifs non violents de dignité et engagement respectueux. Cf Irenees.net, Transformations de conflit, avril 2014 ; John Paul Lederach, The Moral Imagination: The art and soul of building peace, Oxford University Press, 2005, 199 p.
  • 12
    Liam Mahony, Proactive Presence, field strategies for civilian protection, Humanitarian Dialogue Centre, 2006.
  • 13
    John Paul Lederach, The moral imagination: The art and soul of building peace, Oxford University Press, 2005, 199 p.
  • 14
  • 15
    ONU, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, Ligue arabe, Union africaine, etc.
  • 16
    Nonviolent Peaceforce, Democracy Defenders in the Twin Cities, MN, USA, novembre 2020.
  • 17
  • 18
    En Colombie, Guatemala, Honduras, Kenya, Mexique, Indonésie, Népal, Nicaragua, et Costa Rica.
  • 19
    Au Guatemala.
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  • 22
    L’accompagnement physique protecteur et l’observation internationale, les relations publiques et le plaidoyer auprès d’institutions locales, nationales et internationales, la production et la diffusion d’informations et le renforcement des capacités des défenseur.e.s.
  • 23
    Objectifs et subjectifs (sentiment de sa propre sécurité).
  • 24
    COPINH (Honduras), FAMDEGUA, Bufete Juridico de derechos humanos (Guatemala), Esteban Cela, Francis Sakwa (Kenya), Centro Regional de Derechos Humanos Bartolomé Carrasco Briseño (Mexique), Asociación para la Promoción Social Alternativa (Colombie), etc.
  • 25
  • 26
    Ibid.
  • 27
    Ibid.
  • 28
    Ibid.
  • 29
    Ibid.
  • 30
    En coordination avec la société civile locale, et avant de déployer les intervant.e.s civil.e.s de paix, les conflits sont étudiés à travers une analyse intégrale qui comprend la nature des violences rencontrées, l’évaluation minutieuse et systématiquement renouvelée du contexte, des relations de domination, leviers de pouvoirs, liens en présence. Le travail effectué mobilise ainsi des concepts similaires aux approches réalistes des relations internationales (analyse des forces, notions d’équilibre, prudence) et libérales (accent mis sur le droit). Avant de développer un programme dans un pays, des missions exploratoires de plusieurs années sont mises en place.
  • 31
    Elle peut ne pas pouvoir être déployée à l’échelle d’un pays ou de certaines localités d’un pays.
  • 32
    Exemple du crime organisé.
  • 33
    Cécile Dubernet, « Intervention civile de paix : idée pertinente … et dérangeante », Justice et paix.

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