L’inhabituel voyage en Chine du chancelier allemand

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, s’est récemment rendu en Chine. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, revient dans cette note sur les enjeux d’une visite qui a rappelé la difficulté pour l’Allemagne, comme pour de nombreux pays, de se défaire de sa dépendance économique avec la Chine.

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a récemment entrepris un voyage de trois jours en Chine, accompagné d’une délégation de leaders économiques allemands. Cette visite s’inscrit dans la continuité de la politique allemande visant à consolider et à approfondir les relations et les échanges commerciaux avec la Chine.

Cette fois-ci, le chancelier souhaitait particulièrement aborder avec le président chinois Xi Jinping la question d’un cessez-le-feu et d’une paix juste en Ukraine, un enjeu majeur pour la sécurité en Europe et dans le monde. Il espérait que la Chine, en tant que partenaire géopolitique de longue date de la Russie, pourrait influencer cette dernière et jouer un rôle crucial dans la résolution du conflit ukrainien.

La dépendance économique de l’Allemagne

La Chine occupe une place prépondérante dans le paysage économique allemand. Selon l’Office fédéral de la statistique (Destatis), la République populaire de Chine demeure en 2023, et pour la huitième année consécutive, le principal partenaire commercial de l’Allemagne. Les échanges commerciaux entre les deux pays ont considérablement augmenté au fil des années, passant de 1,5 milliard d’euros en 1990 à environ 100 milliards d’euros en 2022 pour les exportations allemandes vers la Chine, et de plus d’un milliard à près de 200 milliards pour les importations en provenance de Chine.

En 2022, la Chine était donc le plus grand partenaire commercial global de l’Allemagne, son principal fournisseur et l’un de ses cinq principaux marchés d’exportation. Elle joue également un rôle crucial dans l’approvisionnement des entreprises manufacturières allemandes, notamment le « Mittelstand », en fournissant plus de la moitié des produits nécessaires au maintien des chaînes de production en Allemagne. Cependant, depuis le déclenchement de la guerre par la Russie en Ukraine en 2022, le chancelier a multiplié les initiatives diplomatiques pour diversifier les sources d’approvisionnement des entreprises allemandes, désormais conscient des risques liés à une dépendance excessive à l’égard de la Chine.

L’attaque de la Russie en Ukraine a en effet mis en évidence la fragilité du modèle économique allemand, notamment sa dépendance aux sources d’énergie russes. La réduction de cette dépendance a été menée avec succès, bien que cela ait entraîné des coûts considérables. Cependant, les conséquences d’un éventuel découplage économique, commercial et politique de l’Allemagne et d’autres pays occidentaux en cas d’invasion de Taïwan par la Chine pourraient être encore plus dévastatrices.

Une étude de l’Institut für Weltwirtschaft Kiel souligne que de telles mesures pourraient provoquer une chute du PIB de plus de 5% à court terme, comparable à la crise financière de 2007-2008 ou au début de la crise sanitaire en 2020. Même un découplage progressif aurait des coûts similaires à long terme, sans générer les baisses initiales à court terme.

Il est donc dans l’intérêt de l’Allemagne de maintenir et de stabiliser ses relations commerciales avec la Chine pour le moment. Le chancelier a souligné lors de sa visite que la coopération avec la Chine devrait être développée « dans toutes ses dimensions ».

Le défi du « de-risking » 

Le chancelier social-démocrate se positionne clairement à l’encontre de sa propre ministre des Affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock, qui a qualifié Xi Jinping de « dictateur ». Elle préconise une stratégie de « dérisquage », visant à réduire les dépendances et à désolidariser l’industrie allemande, voire européenne, de la Chine.

Pour l’industrie allemande, le « dérisquage » souligne un problème fondamental des chaînes de commerce et de production internationales. Les produits qui pourraient être obtenus dans d’autres pays que la Chine sont souvent fabriqués à partir de composants et de matières premières elles-mêmes en provenance de Chine. Bien consciente de cette réalité, l’industrie allemande explore d’autres marchés, tout en continuant de miser sur la Chine pour le moment.

La Chine, quant à elle, est consciente de sa position stratégique et oppose une résistance constante aux critiques, que ce soit sur les droits humains, le traitement des Ouïghours, les pratiques d’espionnage ou les pratiques commerciales douteuses. Par exemple, des fournisseurs chinois inondent les marchés européens de produits hautement subventionnés comme les panneaux solaires ou les voitures électriques. Lors d’une conférence de presse, le ministre-président chinois Li Qiang a souligné avec un sourire que la Chine se conformait aux lois du marché, fondées sur l’offre et la demande, et que les subventions étatiques étaient une pratique courante dans le monde entier.

La Chine réagit de manière assertive, surtout depuis la crise sanitaire et les années de croissance économique modérée qui l’ont suivie, afin de maintenir une croissance satisfaisante malgré une demande intérieure faible, un chômage élevé parmi sa population jeune, une crise immobilière et des inégalités croissantes.

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Les commentaires politiques en Allemagne

Du point de vue allemand, il est dans l’intérêt de l’Europe, représentée par le chancelier allemand, d’inciter la Chine à intervenir auprès de Vladimir Poutine concernant l’Ukraine. Dans son esprit, chaque contact de haut niveau pourrait contribuer à maintenir une chance de progresser vers la paix en Ukraine. Le chancelier a réaffirmé à maintes reprises son engagement à soutenir militairement l’Ukraine dans sa lutte défensive contre la Russie. 

Cependant, les commentaires à l’issue de la réunion entre le chancelier et le dirigeant chinois n’ont pas été encourageants. Olaf Scholz n’a ainsi pas obtenu l’engagement de la Chine à participer à la conférence sur l’Ukraine prévue en Suisse le mois prochain, même si la conférence a été mentionnée dans un document officiel du ministère chinois des Affaires étrangères.

Les responsables sociaux-démocrates ont salué le chancelier Olaf Scholz pour avoir obtenu des commentaires positifs de Pékin sur la conférence de paix en Suisse. En revanche, les Verts ont défendu leur ministre Annalena Baerbock et ont souligné qu’il fallait rester réaliste. Ils ont également mis en doute la participation de la Chine à la conférence en Suisse.

Malgré l’absence de promesse de la Chine quant à sa participation à la conférence en Suisse, ce voyage n’a pas été inutile. Il a permis au chancelier de clarifier le fait qu’il existait des intérêts communs en dépit des différences existantes, tout en démontrant son engagement pour la paix et les intérêts allemands et européens sur la scène internationale.

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