L’humour : la liberté conquise du désespéré

L’humour, dit-on, est la politesse du désespoir. Il est plus que cela : il est la liberté conquise du désespéré. En pleine période de confinement, le dessinateur Xavier Gorce nous rappelle l’importance de l’humour pour ne pas sombrer dans l’auto-affliction.

Vous êtes-vous déjà pris un mur de béton au sortir d’un virage au volant d’un bolide dont vous avez perdu les commandes ? Non ? Peu de chance que votre premier réflexe eut été de plaisanter de la situation. L’adrénaline et le stress auraient alors pris le contrôle de votre corps. Vous auriez croisé les bras devant votre visage, même en sachant que ce geste ne vous serait d’aucun recours.

Imaginons maintenant que vous soyez mineur d’extraction d’une époque passée. Au détour d’un forage, un coup de grisou effondre la galerie et vous vous retrouvez piégé avec vos camarades. Plus d’outil disponible pour vous en sortir par vous-même. Et la masse de la roche obstruant le boyau ne vous donne aucun espoir de pouvoir vous en tirer par vos propres (ridicules) ressources. Vous ne pouvez dorénavant que compter sur des énergies et une volonté extérieures pour vous tirer de ce mauvais pas. Sans aucun contrôle de celles-ci. Sans savoir du tout si ces forces sont en action. Sans aucune maîtrise de votre sauvetage.

À la différence du cas de figure précédent, et même si l’issue peut paraître tout autant désespérée, il vous reste un atout : le temps. Celui-ci vous permet alors de sortir de la sidération et de considérer votre situation.

Il n’y a dès lors plus qu’un choix limité d’attitudes possibles.

S’en remettre au destin, au sort, à la bonne étoile, au Bon Dieu, avec ou sans usage de formules magiques ou de prières : à l’espoir. C’est-à-dire demeurer dans une position d’objet balloté sur le courant de forces obscures en attendant une bienveillance ou une rédemption.

Ou reprendre le contrôle du peu que vous pouvez encore contrôler. Recréer une forme de déterminisme, fut-il fictif. Et le meilleur moyen inventé pour cela par l’Homme reste l’humour.

L’humour est cette forme de prise de distance avec l’inéluctable du réel pour réaffirmer la position conquise de sujet. C’est une puissance de l’intelligence – car l’humour est toujours du domaine de la raison et repousse le champ de l’émotion. L’humour conteste l’incontestable.

L’humour est en cela blasphématoire.

L’humour est une insoumission qui, par le second degré, propose une autre voie que celle de l’acceptation et du renoncement. Qui détermine que l’humain est autre chose que ce morceau de viande dont se repaissent les dieux ou le coup du sort ou le coup de grisou.

L’humour permet à l’homme de s’échapper de tout ce qui veut le réduire à l’état d’objet. En cela l’humour déplaît au religieux, à l’idéologue, aux systèmes.

L’humour est aussi un lien, un langage et une connivence établie entre les hommes. Il provoque le rire de complicité, par-delà les obstacles communs. Il soude et élève pour dépasser le désespoir partagé.

L’humour permet également de construire une distance à soi-même pour éviter de sombrer dans l’auto-affliction, dans le misérabilisme ou la victimisation de confort. Quoi de pire que de s’enfoncer dans la complaisance de larmoiement sur son sort, ce qui est une façon de s’accepter comme objet en rendant l’autre, forcément malveillant, responsable de son malheur ?

L’humour, dit-on, est la politesse du désespoir. Il est plus que cela : il est la liberté conquise du désespéré.

Désespéré n’est pas une malédiction : c’est notre état. Nous mourrons. C’est établi. Luttons donc : rions-en. C’est notre meilleure façon de vivre le temps bref (il l’est toujours) en plus grand…ou le confinement long (il l’est toujours) en plus libre.

 

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