Suite aux élections législatives de juin 2016 et face à la reconfiguration de la scène politique avec l’émergence de Podemos et Ciudadanos, les deux partis autrefois dominants, le PP et le PSOE, sont en crise, comme l’a montré la récente démission de Pedro Sanchez, secrétaire général du PSOE. Joël Le Deroff revient sur les dernières élections et dresse un panorama complet des forces politiques en présence en Espagne.
Au lendemain des élections législatives espagnoles du 20 novembre 2011, EuroCité publiait une note d’analyse sur un système partisan ébranlé. Le choc était à la dimension de la crise économique : un cataclysme pour les socialistes. La crise continuant, et les scandales de corruption s’accumulant, il a été suivi de répliques magistrales, qui ont redessiné l’ensemble du paysage politique lors des doubles élections des 20 décembre 2015 et 26 juin 2016.
Il y a cinq ans, le Parti populaire (PP), appuyé sur une répartition territoriale avantageuse, s’imposait comme un véritable parti dominant. Le PSOE, très affaibli, restait cependant sans véritable concurrent à gauche. Enfin, pour la première fois depuis des décennies, le total de voix cumulé par les deux grands partis diminuait, créant un espace pour des forces tierces.
EuroCité avait alors identifié les questions desquelles dépendait l’équilibre de la politique espagnole :
– Le PP maintiendrait-il une position de parti dominant dans la durée, ou serait-il aussi rattrapé par la crise ?
– Les zones géographiquement acquises à la gauche (au sud) et la droite (centre-nord et ouest) continueraient-elles à s’effriter ?
– Des forces tierces réussiraient-elles à s’imposer, comme le suggéraient les scores croissants mais encore modestes d’Union et progrès (UPyD), parti centriste aujourd’hui en déclin, et de la Gauche unie (IU)?
– Les forces régionalistes et nationalistes périphériques seraient-elles en situation de profiter du recul du bipartisme PP-PSOE ?
À l’issue des élections de 2016, le PP, diminué, mais appuyé par Ciudadanos et servi par les crises qui secouent le PSOE et les autres formations de gauche depuis l’été, semble finalement prêt, après près d’un an d’instabilité, à se succéder à lui-même au gouvernement. Pour autant, toutes ces questions ont connu des développements inattendus.
L’amplitude d’une recomposition encore en cours est à la hauteur du terrain perdu par le bipartisme. De 2008 à 2015, PP et PSOE ont, en effet perdu, à eux deux, exactement un tiers de l’électorat, une chute vertigineuse néanmoins stoppée en juin 2016.
Le bipartisme : touché mais pas coulé ?
Touché, le bipartisme l’est incontestablement. Coulé, c’est moins sûr. Si les élections de juin 2016 permettaient la formation d’un gouvernement durable, trois longues années s’ouvriraient avant les prochaines élections importantes : les municipales et celles des communautés autonomes, en Catalogne ou encore en Andalousie. Un répit, au minimum, qui pourrait permettre au PP comme au PSOE de se consolider au cœur du système institutionnel.
Le PP sauvé par son équation territoriale ?
C’est à une heure très avancée de la soirée électorale que Mariano Rajoy, président en exercice du gouvernement, a fini par paraître au balcon du siège du PP, calle de Genova à Madrid. Son discours commence par ces mots : « chères amies et chers amis, je vais vous dire une chose, ceci est le discours le plus difficile de ma vie, et pourtant j’en ai fait ». Ces mots sont suivis d’un long quart d’heure dont plus de la moitié est dédiée au PP, « un instrument très important qui ne fera jamais défaut à l’Espagne. »
Le PP a survécu et vaincu, sauvé par sa discipline. Il a pourtant subi en décembre 2015 la plus grosse perte de voix jamais enregistrée par un parti entre deux élections : 3,5 millions de voix, et 16 points de pourcentage. Légèrement pire que l’effondrement du PSOE en 2011. Plus tôt dans l’année, le parti a été sévèrement sanctionné aux élections municipales et autonomiques, avec la perte de ses plus grosses municipalités (Madrid, Valence, Séville) et de bon nombre de communautés, y compris certains fiefs comme la communauté valencienne. En Catalogne, le parti émergent Ciudadanos s’est largement imposé comme leader du camp centralisateur. Sur la base des élections législatives de décembre, le PP pouvait parfaitement être marginalisé et écarté du pouvoir central.
En six mois, quelque chose a changé, une dynamique nouvelle s’est installée. La résilience du PP tient en deux facteurs presque mécaniques. Elle doit bien peu à une stratégie de reconquête inexistante, fort peu également à une remontée électorale très limitée.
Premièrement, Mariano Rajoy a compté sur l’incapacité de ses adversaires à s’entendre. En renonçant à tenter l’investiture après les élections de 2015, il a fait le pari que le PSOE, Podemos et Ciudadanos ne réussiraient pas à se mettre d’accord, et qu’une alliance des gauches et des nationalistes catalans et basques (autre combinaison arithmétiquement possible) ne serait pas tenable. Il a aussi compris qu’un accord entre le PSOE et Podemos, nécessaire en toute hypothèse et déjà réalisée dans bien des gouvernements régionaux, serait rendue délicate au niveau national : les deux partis s’y disputent la domination de la gauche. Mariano Rajoy ne s’est pas trompé. Il n’a eu qu’à attendre.
Deuxièmement, le PP a bénéficié à plein de la loi électorale espagnole (proportionnelle dans le cadre des 52 circonscriptions provinciales). Très faible dans certaines circonscriptions peuplées, notamment en Catalogne et au Pays basque, il est largement premier dans de nombreuses circonscriptions peu peuplées des régions de Castille et limitrophes. Dans ces circonscriptions, le parti, arrivé en tête, obtient de fait une prime : il peut, même avec moins de 40% des voix, s’adjuger 2 sièges sur 3, 2 sur 4 ou 3 sur 7. Ainsi, le PP a nettement limité la casse en nombre de sièges. Ses 123 députés de décembre 2015 représentent 35% des élus (pour 28,7% des voix). En juin 2016, en remontant à 137 élus (presque 40% des députés pour 33% des voix), il rend à peu près impossible toute coalition alternative, qui nécessiterait cette fois un accord de tous les autres partis pour trouver une majorité.
Le PSOE sauvé par le gong ?
Lors de la même nuit électorale, l’ambiance est paradoxale au moment où s’exprime Pedro Sánchez, au siège du PSOE, calle de Ferraz. Le leader socialiste « n’est pas satisfait ». Pourtant c’est un autre message qu’il martèle sur un ton emphatique : le PSOE « a de nouveau réaffirmé son statut de parti hégémonique de la gauche », c’est « un parti, un seul, avec un seul projet pour l’Espagne », « le grand parti de la gauche », « une référence pour des millions d’Espagnols ». Les militants l’acclament : « président, président ! ».
En vérité, le PSOE, qui vient d’obtenir son plus faible nombre de voix depuis les élections de 1977, vient d’échapper de justesse à la relégation au statut de vestige de l’histoire. Pedro Sánchez, quant à lui, vient de gagner un pari difficile et de gagner un répit politique.
En décembre 2015, le PSOE était resté de justesse le premier parti de la gauche, mais il était minoritaire en voix dans ce camp (22% contre 24,3% pour le total Podemos/IU-Izquierda Unidad). Dans les six mois suivants, Pedro Sánchez, propulsé au premier plan en raison du renoncement de Mariano Rajoy pour briguer l’investiture, a tenté le tout pour le tout. Scellant une alliance avec Ciudadanos, il s’assurait d’une majorité relative au Congrès en cas d’abstention de Podemos et des forces nationalistes. Podemos ne lui a pas fait ce cadeau. Ciudadanos, de son côté, aurait vraisemblablement refusé de soutenir un gouvernement d’alliance PSOE-Podemos.
Coincé dans cette intenable équation, le PSOE a subi la convocation des élections de juin 2016.
La réunion de Podemos et d’IU dans la coalition « Unidos Podemos » était vouée à lui porter le coup de grâce. Appuyant toutes les prévisions qui ont circulé pendant la campagne électorale, les sondages à la sortie des urnes reléguaient le PSOE au troisième rang. Et puis, les heures passant, le résultat s’est inversé, jusqu’à confirmer l’incroyable nouvelle : Unidos Podemos perdait un million de voix, le PSOE remontant très légèrement à 22,7% redevenait le premier parti de la gauche, majoritaire au sein de son camp.
« Hégémonie » est un grand mot, mais le PSOE avait, en effet, de quoi être très soulagé. L’écart avec le PP s’accroissant, le mode de scrutin a fait perdre quelques sièges au PSOE. Puisque désormais aucune coalition alternative au PP ne semble arithmétiquement possible, il s’agit peut-être d’une libération : il n’y a plus d’obligation de réussir l’accord impossible entre tous les autres partis. Le PSOE sera, incontestablement, la première force d’opposition. Il a, en outre, retrouvé un appréciable pouvoir régional, assise précieuse pour durer, lors des élections de mars 2015.
Reste l’attitude de Pedro Sánchez. Lors de la nuit électorale de juin, les astres semblaient s’aligner de manière favorable pour lui. En Andalousie, fief traditionnel du parti, Susana Díaz, la présidente de la communauté, est une étoile montante et une rivale. Or, si l’Andalousie a, en départageant nettement le PSOE de Podemos, assuré le résultat du 26 juin, la légère remontée du PP a relégué de justesse les socialistes à la seconde place dans la région : ce sera la plus grosse déception de la soirée, ce qui n’avait sans doute pas trop inquiété le secrétaire général.
Pourtant, le 1er octobre, Pedro Sánchez présente sa démission, après une rébellion de la moitié de l’exécutif fédéral du parti et un vote contraire de son comité fédéral. Pendant trois mois, il a poursuivi, malgré des critiques grandissantes, une stratégie d’obstruction à la mise en place d’un gouvernement PP. Il a refusé d’envisager une abstention de son groupe parlementaire, même conditionnée à une négociation sur la mise en œuvre d’objectifs politiques des socialistes.
Devant l’impossibilité de proposer une coalition alternative, cette stratégie ne pouvait qu’aboutir à la convocation de troisièmes élections législatives. Pour Pedro Sánchez, il s’agissait d’un pari audacieux : croire que sa bonne étoile ne pâlira pas, jouer le tout pour le tout, sa seule chance d’arriver à la Moncloa à brève échéance. Pour le parti, d’une véritable roulette russe : perdre, sans aucune garantie d’amélioration, le bénéfice de la bonne surprise du 26 juin, au lieu de profiter de quatre ans de répit pour se reconstruire dans un confort relatif. C’est ce dernier scénario que la majorité du parti a choisi en se débarrassant de son leader.
Des concurrents sérieux mais fort déçus
(Unidos) Podemos
Pour Podemos, tout allait très bien. Créé en 2014, Podemos est passé de 10% aux élections européennes à plus de 20% lors des élections de décembre 2015.
Indispensable à la formation de tout gouvernement d’alternance, il s’est trouvé en position de mettre en échec les stratégies du PSOE pour succéder au PP. Il a été désigné par le PP lui-même comme le principal adversaire en amont des élections de juin 2016, comme si le PSOE n’était plus qu’un souvenir. Propulsé par l’alliance avec IU, déjà en compétition pour la position de premier parti, Pablo Iglesias attendait le grand « sorpaso » (dépassement) pour s’assurer la domination à gauche. Il annonçait un gouvernement où il aurait invité le PSOE en tant que partenaire minoritaire, sur le modèle des municipalités de Madrid, Barcelone et Valence.
Podemos est, toutefois, tombé de haut.
Si sa coalition électorale est celle qui a perdu le plus de voix en six mois, cela reste spectaculaire d’obtenir 21,1% des voix, moins de trois ans après la fondation du parti. Mais son élan a été coupé, achevant cette séquence euphorique par un échec. Il faudra désormais tenir plusieurs années avant de repartir à l’assaut.
D’ici aux échéances de 2019 et 2020, les discours enflammés ne pourront plus faire la différence. Ce qui comptera, ce sera maintenant l’action locale des maires de grandes villes et des nombreux gouvernements régionaux dans lesquels Podemos appuie un président socialiste (Aragon, Baléares, Estrémadure, Castille-la-Manche, Asturies, Communauté valencienne). Une communication moins centralisée s’impose pour mettre en valeur des bilans forcément contrastés.
Les débats internes, révélés depuis l’été par les prises de parole publiques antagonistes de Pablo Iglesias et Iñigo Errejón, son secrétaire en charge de la politique, de la stratégie et des campagnes, sont tendus et brouillent la lisibilité du positionnement de la formation.
Ciudadanos
Ciudadanos a également rêvé d’un succès historique. Né en Catalogne face à la montée du nationalisme, le parti y a connu son moment de gloire.
Lors des élections parlementaires anticipées du 27 septembre 2015, qui se sont jouées sur la question de l’indépendance, le parti a fait campagne sur une position claire : le refus intransigeant de toute modification constitutionnelle adoptant une position plus tranchée que le fédéralisme de compromis prôné par les socialistes du Parti socialiste catalan (PSC). Moins répulsif que le discours d’un PP globalement rejeté par la société catalane, Ciudadanos était propre à rassurer certains électeurs centristes de l’ancienne coalition autonomiste Convergence et Union (CiU), fracturée par sa conversion récente et brutale à l’indépendance.
Avec 18% des voix, Ciudadanos a alors conquis la deuxième place sur l’échiquier catalan, reléguant un PSC usé et déprimé depuis son éviction du gouvernement en 2010.
Pendant l’automne, de nombreux sondages ont annoncé que le parti devenait un rival sérieux au niveau national, piochant à la fois au centre-droit et au centre-gauche, concurrençant le PP comme le PSOE, et disposant d’une marge de progression plus vaste que Podemos. Peine perdue, avec 13,9% des voix, étant pénalisé par le système électoral, Ciudadanos a dû revoir ses ambitions à la baisse dès décembre 2015. En Catalogne, le parti arrive seulement cinquième, au-dessous de sa moyenne nationale. Juin 2016 a été encore plus cruel. Ne bénéficiant pas des efforts tentés pour former un gouvernement avec les socialistes, Ciudadanos abandonne un cinquième de ses députés.
Le groupe parlementaire n’est plus suffisamment important pour participer à une coalition dépassant le PP. Il ne l’est pas non plus pour garantir la stabilité d’un gouvernement populaire en échange d’accord avec une formation tierce. Cela révèle combien Ciudadanos s’est mal positionné lors des négociations. Reste, comme pour Podemos, l’attitude des élus régionaux et locaux. En Catalogne toujours. Ailleurs aussi, où le parti soutient des exécutifs de droite (Communauté de Madrid) comme de gauche (Andalousie).
Des dynamiques régionales très contrastées
L’étude de la carte électorale espagnole appelle à la prudence. Le paysage politique est bien loin d’être stabilisé. La comparaison entre les élections législatives de 2015 et 2016 le met en évidence. Par exemple, les transferts de voix ne se sont pas faits dans le même sens selon les régions. Les stratégies des différents partis, en particulier de la coalition Unidos Podemos, n’ont pas partout rencontré le même accueil.
Pour faciliter des comparaisons de long terme, il a été choisi de prendre comme point de repère les élections de 1993. En effet, le score du PP, qui commençait alors à peine à être perçu comme une force d’alternance, était proche de son résultat de juin 2016 (34,8% contre 33%). Le score des gauches, de son côté, était également proche du résultat cumulé du PSOE, de Podemos et d’IU lors des élections de décembre 2015 (48,4% contre 46,4%).
L’Espagne centrale : le PP, affaibli mais encore dominant
L’Espagne centrale est définie comme comprenant Madrid, les deux Castilles, ainsi que la Rioja. Si la capitale est depuis longtemps un terrain propice aux partis tiers (IU puis UPyD), elle partage avec le reste de l’Espagne centrale cette domination du PP, solide depuis les années 1990, le PSOE ayant cependant conservé la présidence de la Castille-la-Manche jusqu’en 2011, et l’ayant retrouvée de justesse en 2015. C’est dans les 15 provinces (sur 52 au total) des deux Castilles et de la Rioja que le PP profite à plein du système électoral.
Les élections de 2015 et 2016 confirment des évolutions lentes mais significatives, qui accentuent la spécificité madrilène mais tendent à homogénéiser sa périphérie. À Madrid, le PP recule nettement par rapport à 1993 (5,65 points en moins). C’est aussi le cas de la gauche (5,54 points en moins). La capitale confirme ainsi sa prédilection pour les tiers partis, avec un bon score pour Ciudadanos et Podemos devançant le PSOE. Pour autant, c’est aussi à Madrid que s’est jouée la déconvenue de Podemos en juin 2016, le parti échouant à rallier les 5% de voix qui s’étaient portées sur IU en 2015, alors que le PSOE effectuait une remontée.
En Castille-et-Léon et dans la Rioja, le PP confirme un recul plus mesuré mais supérieur à la moyenne nationale, alors que c’est le scénario inverse en Castille-la-Manche. La gauche, elle, cède beaucoup de terrain dans cette région. En d’autres termes, la domination populaire s’érode lentement dans ses anciens fiefs du nord-ouest, mais la déprise socialiste s’accentue symétriquement dans son ancien fief de La Manche.
Le sud : poursuite du lent déclin socialiste
L’Espagne du sud, dans laquelle on pourrait également choisir d’inclure la Castille-la-Manche tant la continuité territoriale est claire du point de vue partisan, est traditionnellement un fief du PSOE. L’Andalousie, première communauté du pays par sa population, partage une histoire commune avec l’Estrémadure ainsi que la Communauté de Murcie.
Le dire aujourd’hui pourrait surprendre. L’Andalousie est la seule communauté espagnole qui n’a connu que des gouvernements socialistes. Depuis vingt ans en revanche, Murcie est une des communautés les plus à droite du pays, un fief absolu du PP. Ce serait oublier que jusqu’aux élections autonomiques de 1995, les socialistes y régnaient, au-dessus de leur moyenne nationale. Oublier ce passé contribue à invisibiliser l’évolution plus lente mais parallèle des deux autres communautés.
Les élections de 2015 et 2016 s’inscrivent dans cette tendance lourde. Alors que les gauches reculent de deux points entre 1993 et 2015 au niveau national, ce recul atteint 9,65 points à Murcie, 7,68 en Estrémadure et 9,36 en Andalousie. La baisse du seul PSOE est un peu moins spectaculaire, dans la mesure où Podemos ne réussit pas à percer.
L’écart avec Podemos (jusqu’à 20 points en Estrémadure) montre que le sud est encore, pour l’heure, un maillon essentiel dans le dispositif territorial socialiste. Mais jusqu’à quand ?
Symétriquement, le PP progresse. S’il a perdu 1,8 point de 1993 à 2016 au niveau national, il a gagné environ 4 points en Andalousie comme en Estrémadure, même s’il plafonne à Murcie. De manière intéressante, les résultats de Ciudadanos sont meilleurs à Murcie (région où il soutient le gouvernement PP) qu’en Andalousie (où il soutient le gouvernement PSOE). Il est le plus faible en Estrémadure (où le gouvernement régional se passe de lui).
La Catalogne : tout change pour que rien ne change ?
La Catalogne mérite un développement spécifique, tant le débat sur son degré d’autonomie ou son indépendance rythme la vie politique espagnole.
Jusqu’aux années 2011-2012, le système partisan catalan reposait sur un bipartisme imparfait entre un centre-droit autonomiste (CiU) et un parti socialiste disposant de son autonomie par rapport à Madrid, le PSC, lui-même traversé par des sensibilités régionalistes. CiU s’imposait lors des élections au Parlement autonome, même si deux mandats durant, le PSC avait pu former des coalitions pour gouverner (2003-2010). De son côté, le PSC s’imposait lors des élections législatives, d’autant plus facilement qu’il pouvait être perçu comme un rempart contre le centralisme du PP. Les élections de 2011, du fait de l’effondrement socialiste, avaient inversé de peu l’ordre d’arrivée, sans remettre en question ce mécanisme.
En cinq ans, le paysage politique a été entièrement recomposé. D’une part, la quasi-intégralité du camp autonomiste s’est convertie à l’indépendantisme. Ce mouvement s’accompagne d’un éclatement de CiU, abandonnée par sa composante la plus modérée. Convergence démocratique de Catalogne (CDC), qui hérite du capital électoral de l’ancienne coalition, s’est placée dans un tête-à-tête délicat avec la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), dont l’indépendantisme est historiquement ancré. D’autre part, les partis, qui ne soutiennent pas l’indépendance, n’ont pas pour autant de vision commune. Le PP et Ciudadanos refusent toute nouvelle évolution, le PSC joue la carte du fédéralisme, alors qu’En Comú Podem, coalition de gauche alliée à Podemos et dans laquelle la maire de Barcelone, Ada Colau, joue un rôle central, n’a pas de position commune et s’en remet à la revendication d’un référendum, donnant ainsi des gages à l’électorat indépendantiste.
Les élections de 2015 et 2016 dégagent cinq tendances, bien que la situation politique demeure extrêmement volatile. Premièrement, le camp indépendantiste souffre (32% des voix en 2016 contre 37% en 1993 et 36% encore en 2011). Deuxièmement, en son sein, les indépendantistes de conversion récente, l’ancien parti dominant, s’effondrent (15% des voix en 2015, moins de 14% en 2016) au bénéfice d’ERC. Troisièmement, En Comú Podem gagne les élections, récupérant le rôle détenu par le PSC dans le système partisan traditionnel. Son résultat reste inchangé entre 2015 et 2016. Cette performance, obtenue à périmètre constant (IU ne se présentait pas en Catalogne), est donc meilleure que celle de Podemos à l’échelle nationale. Quatrièmement, le PSC, victime de ce phénomène, ne s’effondre pas. Il continue à faire mieux que lors des élections autonomiques, repasse (contrairement à 2011) devant les héritiers de CiU, et décroche à peine par rapport à ses séries historiques ramenées à la moyenne nationale du PSOE. Cinquièmement, le PP ne sort pas de la marginalisation, et Ciudadanos, contrairement aux forces de gauche qui recherchent un compromis entre statu quo et indépendance, semble pâtir du contexte des élections nationales.
Paradoxalement, si l’offre politique s’est considérablement renouvelée, les tendances de fond régissant les élections nationales ne semblent donc pas altérées.
Les Pays catalans : le retour de la gauche
Les Pays catalans, au sens le plus large, correspondent à l’aire d’extension des langues catalanes et apparentées. Tous sont caractérisés par un système politique dominé par les partis espagnols, dans lequel des partis locaux jouent un rôle secondaire. Il s’agit de l’Aragon, des Baléares et de la Communauté valencienne.
De très fortes disparités existent : l’Aragon oscille entre PSOE et PP au rythme du contexte national, alors que la Communauté valencienne était devenue jusqu’en 2015 un des fiefs emblématiques du PP. Les Baléares, qui connaissaient régulièrement l’alternance mais où le PP restait structurellement le premier parti, étaient dans une situation intermédiaire.
Pourtant, en 2015 et 2016, des tendances similaires peuvent être observées. Dans les trois communautés, le PP décroche fortement. C’est vrai aux Baléares (moins 11,32 points depuis 1993) et à Valence (moins 5 points, dans le contexte de graves scandales de corruption). C’est également vrai en Aragon, même s’il est difficile de le chiffrer : le PP y conserve son niveau de 1993, mais dans le cadre d’une candidature commune avec un parti local qui atteignait lui-même près de 20%, séparément, en 1993.
En miroir de ces tendances, Ciudadanos réalise des scores un peu supérieurs à sa moyenne nationale, et la gauche progresse. De 1993 à 2015, elle fait légèrement mieux que se maintenir à Valence et progresse de près de 4 points aux Baléares et en Aragon. Enfin, il faut noter la performance de Podemos, qui dépasse 25% à Valence et aux Baléares. De manière intéressante, en 2016, Unidos Podemos capitalise sur la fusion avec IU aux Baléares, mais échoue à le faire à Valence et en Aragon.
Nous assistons donc peut-être à une réelle perte de terrain de la droite, sans qu’il soit facile de déterminer à quelle force de gauche la situation profitera le plus à terme.
Pays basque et Navarre : les gauches face aux nationalismes
Il est tentant d’associer le Pays basque et la Communauté de Navarre, dont le nord-ouest comprend une forte population basque. Comme dans le cas catalan, le Pays basque lui-même constitue un système politique à part, alors que la Navarre accorde traditionnellement le premier rôle aux partis nationaux tout en laissant un espace à des partis basques.
Contrairement à la situation catalane en revanche, c’est ici une certaine stabilité qui prévaut. En 2015 et 2016, les scores du Parti nationaliste basque (PNV, centre-droit) et d’EH Bildu (gauche nationaliste) sont quasiment identiques à ceux réalisés en 1993 par le PNV et la formation pro-ETA Herri Batasuna, autour de 25% et 15% respectivement. Les nationalistes plafonnant à 40% environ, il existe cependant une perte, un troisième parti (EA), désormais fusionné au sein d’EH Bildu, ayant obtenu près de 10% en 1993. La situation en Navarre est également stable. Geroa Bai, la coalition locale dominée par le PNV, malgré une chute en 2016, réalise des résultats du même ordre qu’EH Bildu, qui retrouve les anciens scores d’Herri Batasuna (10%).
Les partis espagnols profitent inégalement du léger recul nationaliste. Le PP ne parvient pas à accroître son espace politique, marginal au Pays basque (12,8% en 2016) mais important en Navarre (près de 32%). Les socialistes, si leur recul n’est pas plus fort qu’au niveau national, ne peuvent toutefois plus concurrencer le PNV au Pays basque. Le parallèle avec la Catalogne vaut donc également pour eux. À la gauche de la gauche, la coalition représentant Podemos, rejointe par plusieurs formations locales, l’emporte en voix en 2015 comme en 2016.
De manière intéressante, le Pays basque et la Navarre sont les seules régions où la fusion avec IU est un franc succès en 2016, avec des résultats supérieurs aux totaux Podemos/IU de 2015. Ces territoires apportent une preuve que Pablo Iglesias aurait bien pu réussir son pari à l’échelle nationale.
L’ouest atlantique : une lente érosion de la droite
L’ouest atlantique recouvre des réalités politiques différentes. La Galice est un fief traditionnel du PP. Elle était la région du fondateur historique du parti et ancien ministre de Franco, Manuel Fraga Iribarne. Les Asturies et la Cantabrie donnaient traditionnellement à la droite des scores moindres, mais supérieurs à sa moyenne nationale. La gauche est forte dans les Asturies, avec un PSOE solide et de bons scores pour IU. Dans les trois régions, des partis régionaux jouent un rôle : le Bloc national galicien (BNG), autonomiste, en Galice, et des partis à l’idéologie plus vague dans les deux autres régions : le Forum Asturies et le Parti régionaliste de Cantabrie (PRC).
Dans les trois régions, la tendance est actuellement à un effacement des partis régionaux tiers. Le PRC, qui gouverne au niveau régional, n’a pas présenté de candidature aux législatives. Le Forum Asturies s’est présenté en coalition avec le PP, marquant en cela une proximité idéologique d’autant plus évidente qu’il a initialement été fondé par un dissident du parti de Mariano Rajoy. En Galice, le BNG, en crise, a obtenu des résultats historiquement faibles (2,89% en 2016).
Pour le reste, les tendances lourdes sont à l’image du nord-ouest intérieur : le PP subit une baisse sensible de 5,63 points de 1993 à 2016 en Galice et baisse également dans les Asturies. Ce n’est pas le cas en Cantabrie, mais l’effacement du PRC peut l’expliquer. Le PSOE, en revanche, reste ou passe au-dessus de sa moyenne nationale dans les Asturies et en Cantabrie, et s’en rapproche en Galice. Le total des voix de gauche est globalement en progression depuis les années 1990.
À noter cependant que dans cette partie du territoire, la fusion Unidos Podemos de 2016 a été un échec patent avec une grosse déperdition de voix dans le fief IU des Asturies, et une liste Unidos Podemos en Cantabrie en recul par rapport au score de Podemos seulement six mois plus tôt. En Galice, la fusion était faite dès décembre 2015, mais avec un recul de 3 points, la coalition de gauche cède la deuxième place au PSOE.
Les Canaries : l’essoufflement régionaliste profite à la gauche
Les Canaries représentent un milieu politique à part, caractérisé par un système tripartisan, le PP et le PSOE étant confrontés à la Coalition canarienne régionaliste. Sur l’archipel, les comparaisons montrent que le PP jouit d’une relative stabilité sur le long terme. En revanche, la gauche semble avoir siphonné l’électorat nationaliste, avec une progression de 13,55 points entre 1993 et 2015. La Coalition canarienne, qui obtenait dans le passé jusqu’à un quart des voix, plafonne désormais à 8%. Le transfert de voix bénéficie autant au PSOE, qui atteint désormais sa moyenne nationale, qu’à Podemos, qui dans d’autres régions est le seul à profiter de ce phénomène.
Ceuta et Melilla : le bonus du PP
Melilla et Ceuta complètent à leur manière le bouclier électoral du PP. Les deux villes africaines constituent les seules circonscriptions électorales pourvues d’un siège unique. En d’autres termes, le parti arrivé en tête prend deux sièges d’avance, quel que soit son score. Le PP possède ces deux sièges sans interruption depuis 1996 et, malgré un fléchissement conjoncturel, totalise encore la moitié des voix dans les deux villes en 2016. Une rente de situation.