« Les secrets de la France au Rwanda » : de fausses allégations

Le 15 mars dernier, était publié dans le journal Le Monde un article signé du journaliste David Servenay et intitulé « Les secrets de la France au Rwanda : les révélations d’un officier français ». Cet article contribuait à la campagne de promotion d’un livre (Rwanda, la fin du silence, témoignage d’un officier français, éditions Les Belles Lettres) à paraître quelques jours plus tard, sous la signature d’un ancien militaire, Guillaume Ancel.

Guillaume Ancel est cet ancien capitaine qui, depuis 1994, livre, par des canaux divers, son témoignage sur l’opération Turquoise, intervention dite militaro-humanitaire que mena l’Etat français entre juin et août 1994 au Rwanda, au moment du génocide commis contre les Tutsis du Rwanda. Les autorités françaises d’alors déclarèrent que l’opération avait pour objectif de mettre fin aux massacres partout où cela serait possible, éventuellement en utilisant la force. Guillaume Ancel, qui participa à l’opération, affirme quant à lui que celle-ci fut en réalité menée par le gouvernement français dans le but de réinstaller au pouvoir les forces extrémistes qui avaient perpétré les tueries, puis, dans un second temps, de les aider à s’enfuir et à continuer leur œuvre génocidaire. 

Au cœur de l’article, qualifié d’« Enquête », le journaliste faisait la relation d’un colloque qui s’était tenu au mois de février 2014 à la Fondation Jean-Jaurès et auquel Guillaume Ancel était invité. Selon David Servenay, ce colloque avait marqué le moment où l’ancien militaire avait pris la décision de rendre public son témoignage sur l’opération Turquoise. Il s’y était en effet retrouvé confronté à des intervenants qui, l’un après l’autre, avaient tressé des louanges à la politique menée par la France au Rwanda à l’époque du génocide. Bien davantage, Guillaume Ancel, après une intervention qui allait à l’encontre des propos de ces intervenants dans une atmosphère électrique et marquée par une tension croissante, avait été pris à partie par l’ancien président de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda et un temps ministre socialiste, Paul Quilès. Celui-ci, furieux et exaspéré de voir Ancel lui tenir tête, avait fini par quitter la salle.

Ce récit dépeint ainsi Guillaume Ancel comme un homme courageux qui décide de briser une omerta face à une assemblée de personnes toutes farouchement déterminées à ce que la vérité historique soit étouffée. A n’en pas douter, une telle présentation est de nature à assurer une commercialisation efficace du livre de M. Ancel. Un problème interpelle toutefois : David Servenay ne participait pas au colloque concerné et ce qu’il décrit est à l’exact opposé des faits.

Trois des intervenants qui se succédèrent dans le cadre du colloque se montrèrent en effet très critiques sur les responsabilités françaises dans la tragédie rwandaise : ils avaient du reste chacun déjà publié dans ce sens sur cette question. La discussion, ouverte, s’est déroulée sans aucune tension et Guillaume Ancel a pu prendre la parole quand il l’a demandée et répondre autant qu’il l’a voulu aux questions que lui a posées un auditoire intéressé. Il n’eut à subir aucune manifestation d’hostilité et Paul Quilès ne l’agressa nullement, ni ne quitta la salle avant la fin de la réunion. De nombreux témoins peuvent corroborer ce compte-rendu.

Il est regrettable que David Servenay n’ait pas jugé bon de mener son « enquête » avec la rigueur à laquelle l’on pourrait s’attendre de la part d’un journaliste. Il n’a tout simplement pas vérifié les informations qui lui ont été confiées auprès des nombreux participants au colloque de la Fondation Jean-Jaurès. Il a ainsi pris le risque que d’une part l’ensemble de son article, mais également le livre écrit par M. Ancel, soient lus à la lumière d’une relation d’un événement qui n’est que pure affabulation.

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