Quels sont aujourd’hui les sujets majeurs dans l’opinion et quels sont les thèmes qui occupent l’esprit de nos concitoyens à la veille d’une année électorale chargée ? Analysées à l’aune des sujets qui vont beaucoup compter dans le choix des électeurs en 2017, les priorités des Français apparaissent aujourd’hui multiples tout en étant dominées par la menace terroriste et la lutte contre le chômage.
La lutte contre le terrorisme et le chômage au cœur des préoccupations des Français
Au lendemain de l’attentat de Nice et comme le montre le graphique ci-dessous, c’est aujourd’hui la lutte contre le terrorisme qui pèserait le plus dans les choix électoraux des Français pour la prochaine élection présidentielle avec 67 % de réponses « va beaucoup compter ». La lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique en France (60 % de réponses « va beaucoup compter »), qui occupe depuis des décennies la pole position dans les priorités de nos concitoyens, est donc toujours très présente mais est néanmoins détrônée par l’enjeu du terrorisme./sites/default/files/redac/commun/priorites_francais_fourquet.pdf
À part en 2002, où l’enjeu de l’insécurité avait été premier dans les préoccupations des Français, toutes les élections présidentielles de ces trente dernières années se sont déroulées dans un contexte où la question économique, synthétisée dans la lutte contre le chômage, était centrale. Si la sensibilité à la menace terroriste se maintient à ce niveau dans les mois qui viennent, l’élection présidentielle de 2017 se déroulerait donc dans un climat d’opinion inédit et très particulier, avec tout ce que cela peut impliquer comme conséquences sur les rapports de forces électoraux. On rappellera qu’en 2002, à l’issue d’une campagne marquée par la prégnance de la thématique sécuritaire, Lionel Jospin fut éliminé au soir du premier tour.
On peut certes penser que la primauté accordée à la lutte contre le terrorisme mesurée dans ce sondage tient au fait que le terrain d’enquête a été réalisé juste une semaine après l’attentat au camion de Nice. Mais si cet effet n’est pas à négliger, les données de l’Ifop montrent que nous sommes sur une tendance plus lourde. La rupture s’est en fait produite il y a plus de sept mois, en novembre 2015 au moment des attaques contre les terrasses parisiennes, le Bataclan et le Stade de France. Comme le montre le graphique suivant, les 6 et 7 novembre 2015, soit une semaine avant cette vague d’attentats massifs, c’est encore traditionnellement la lutte contre le chômage qui domine, et de loin, en termes de priorités avec deux fois plus de citations (35 %) que la sécurité et la lutte contre le terrorisme (18 %). Le paysage change radicalement à la suite du 13 novembre avec une inversion spectaculaire de la hiérarchie. À quelques jours du premier tour des régionales, c’est désormais la sécurité et la lutte contre le terrorisme qui surclassent toutes les autres thématiques, dont le chômage.
Quatre mois plus tard, à la mi-avril, alors que le bruit de fond terroriste n’a pas diminué et a été alimenté par les attentats de Bruxelles (22 mars 2016), cette hiérarchie demeure inchangée. La prégnance de la menace terroriste au cours de cet été 2016 n’est donc pas un phénomène conjoncturel mais s’inscrit dans une tendance de fond résultant d’un basculement survenu en novembre 2015. Le drame de Nice, la série d’attaques en Allemagne puis le meurtre du prêtre dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray sont autant d’éléments qui ont conforté et consolidé la prédominance de cette thématique dans les esprits.
Ce contexte sécuritaire pèse très lourdement dans la mesure où dans l’enquête sur les déterminants du vote pour l’élection présidentielle de 2017, le thème qui arrive en troisième position après la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique en France est celui de la lutte contre la délinquance, avec 51 % de réponses « va beaucoup compter dans mon vote ». Tout se passe comme si la multiplication des attaques terroristes, souvent l’œuvre d’individus en lien ou ayant eux-mêmes eu une expérience délinquante préalable, venait créer un continuum entre la criminalité ordinaire et le terrorisme. Dès lors, pour assécher ce terreau terroriste, il conviendrait de lutter plus énergiquement contre la petite et la grande délinquance. À l’appui de cette thèse, on constate que la demande d’une sévérité accrue de la justice qui s’exprimait déjà avec force il y a quelques années a encore augmenté en 2016, la part des personnes estimant que les peines prononcées en matière de grand banditisme ne sont pas assez sévères passant de 72 % à 85 % entre 2013 et 2016 et de 62 % à 70 % pour ce qui est de la petite délinquance.
Alors que le gouvernement a annoncé de nouvelles baisses d’impôts pour certaines catégories de la population, le niveau des impôts se situe en quatrième position, quasiment au même niveau que la lutte contre la délinquance avec 50 % de réponses « va beaucoup compter dans mon vote ». La thématique de la pression fiscale apparaît même comme étant aujourd’hui le second déterminant du vote chez les ouvriers (avec 59 % de réponses « va beaucoup compter ») derrière la lutte contre le terrorisme, mais devant le chômage et l’insécurité. À l’inverse, et alors qu’ils ont été particulièrement concernés par la hausse de la fiscalité ces dernières années, les cadres supérieurs et les professions libérales se détermineront beaucoup moins en fonction du niveau des impôts (39 % de réponses « va beaucoup compter »), ce thème n’arrivant chez eux qu’en cinquième position.
Au même niveau que la fiscalité et que la lutte contre la délinquance se situe la question des migrants avec 49 % de réponses « va beaucoup compter ». Ce score peut sembler étonnant dans la mesure où l’actualité médiatique (qu’il s’agisse de Calais en France ou des flux d’arrivants en Méditerranée) a été moins riche sur ce sujet ces derniers mois. Ce score est néanmoins très proche de ce que l’on mesurait en janvier dernier (45 % de réponses « va beaucoup compter ») au lendemain des événements de Cologne et alors que des milliers de migrants débarquaient chaque jour sur les îles grecques. La stabilité de ce résultat démontre que cette thématique, en dépit d’une actualité récente moins chargée, a durablement infusé dans l’opinion publique française.
L’Éducation nationale et l’instruction civique (42 % de réponses « va beaucoup compter ») apparaissent également comme un thème important, mais dans une moindre mesure. Viennent ensuite l’intégration des immigrés (36 %) ou bien encore le fonctionnement de l’Union européenne (31%), qui malgré le Brexit ne se classe qu’en neuvième position.
Plus de six mois après la COP 21, la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique (29 % mais 76 % dans l’électorat EELV, où ce thème serait le plus déterminant nettement devant le terrorisme, 62 %, ou la lutte contre le chômage, 49%) ferment la marche suivies de près par l’encadrement du secteur de la finance (27 %). Ce score est faible et l’on mesure ainsi que le climat d’opinion prévalant aujourd’hui diffère sensiblement de celui dans laquelle la campagne électorale de 2012 s’est déroulée au moment où la crise financière faisait encore sentir ses effets.
Une hiérarchie des enjeux un peu différente dans l’électorat socialiste
Parmi les sympathisants socialistes, la hiérarchie des déterminants du vote est également dominée par la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le chômage sauf que ces thèmes sont symboliquement quasiment à égalité alors que l’avance du terrorisme est plus nette dans l’ensemble de la population, comme on vient de le voir.
Autre différence, c’est la thématique scolaire et non pas la lutte contre la délinquance qui se place en troisième position dans cet électorat. Comme l’indique le graphique suivant, les sympathisants socialistes se distinguent également par une sensibilité nettement moins importante que la moyenne à la problématique des migrants (30 % de réponses « va beaucoup compter » contre 49 % en moyenne).
Si le niveau des impôts arrive au quatrième plan des thématiques qui auront le plus d’impact pour les sympathisants socialistes, ces derniers s’y montrent néanmoins un peu moins sensibles que l’ensemble de la population.
L’électorat du Front de gauche est, quant à lui, encore beaucoup plus polarisé sur la lutte contre le chômage et la relance de l’activité économique en France, qui devancent de très loin (65 %) la lutte contre le terrorisme (46 %, soit 21 points de moins que dans la moyenne de la population). Les sympathisants de la gauche de la gauche se détermineront ensuite sur l’enjeu de l’Éducation nationale et de l’instruction civique (42 %), puis sur le niveau des impôts (40 %), précédant de peu l’encadrement du secteur de la finance (39 %). Si sur la question du chômage et de l’école, ces deux électorats présentent des réponses assez proches, les sympathisants du Front de gauche semblent nettement moins sensibles que leurs homologues du PS à la thématique de la lutte contre le terrorisme, sujet qui a encore renforcé son emprise dans l’opinion au lendemain de l’attentat de Nice.
Le choc de Nice
À la veille de l’Euro de football, les autorités comme le grand public partageaient une vive crainte face à une attaque terroriste qui aurait pu viser notamment une fan-zone et occasionner ainsi de très nombreuses victimes. Selon un sondage Ifop pour Dimanche-Ouest-France, 79 % de nos concitoyens craignaient une telle attaque durant cet événement sportif. En dépit de la défaite des Bleus en finale, la société française poussa un soupir de soulagement à la fin de la compétition et le gouvernement félicita les forces de l’ordre qui avaient su déjouer ce funeste pronostic. En dépit des appels de Daech à faire de la période du ramadan un « mois de sang », l’Euro s’était bien déroulé et les Français avaient pu goûter en toute sécurité aux plaisirs d’une vie normale en se retrouvant dans les stades ou dans les rues pour suivre ensemble les matches de football. C’est ce regain d’optimisme que l’attentat de Nice allait brutalement briser. Le nombre de victimes (86 morts et plus de 200 blessés), le public visé (une foule familiale représentant la diversité de la population française), l’événement (le feu d’artifice organisé pour la fête nationale), le lieu (une ville de province et non pas Paris comme lors des attaques précédentes) tout comme le mode opératoire très différent des autres attentats allaient conférer à cet événement une très forte puissance d’impact dans l’opinion. Alors que la France avait cru pouvoir respirer au lendemain d’un Euro de football à haut risque, l’horreur djihadiste se rappelait soudain à notre bon souvenir sous une forme totalement inédite et impensable mais néanmoins ultraviolente et meurtrière. Interviewé par Le Figaro dans les jours qui suivirent cet attentat, le député UDI des Alpes-Maritimes, Rudy Salles, évoqua « une baisse de vigilance et un relâchement ». Dans le cadre de la polémique sur les failles du dispositif de sécurité entre la droite niçoise et le gouvernement, ce diagnostic du parlementaire visait le gouvernement mais l’on peut avancer l’idée selon laquelle, d’une manière plus générale, les Français, en dépit du double meurtre de Magnanville, étaient parvenus à reléguer au fond de leur esprit le spectre de la menace terroriste ces dernières semaines et ont donc été d’autant plus saisis par cet événement.
Si l’on se base sur le Tableau de bord politique Ifop-Fiducial pour Paris-Match et Sud-Radio, baromètre qui mesure chaque mois quels ont été les thèmes qui ont animé les conversations des Français, on constate en effet qu’au début du mois d’avril, c’est encore la thématique terroriste qui monopolise l’attention. 90 % des Français déclarent alors avoir parlé des attentats de Bruxelles avec leurs proches. Avec 76 % de citations, l’arrestation de Salah Abdeslam arrive en seconde position suivie par les manifestations contre la loi El Khomri (68 %). Un mois plus tard, au début du mois de mai, cette hiérarchie s’inverse : 69 % des Français ont parlé de ces manifestations (sujet le plus discuté ce mois-là) suivies en seconde position par le transfert de Salah Abdeslam en France (59 %). Au début du mois de juin, l’actualité terroriste est alors nettement moins présente et ce sont les inondations en Île-de-France, dans le Centre et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie qui se taillent la part du lion avec 89% de citations, suivies par les divers blocages liés à la mobilisation contre la loi Travail et les manifestations contre ce texte (79 % pour chacun des items).
Entre les grèves, manifestations et violences liées à la mobilisation contre la loi Travail, la météo capricieuse et les inondations, le moral des Français avait été durement mis à l’épreuve ces derniers mois. L’arrivée des vacances, le bon déroulement de l’Euro de football et le départ du Tour de France avaient remis du baume au cœur de nos concitoyens qui voyaient le cours normal de la vie estivale reprendre ses droits. L’attaque de Nice n’en fut que plus traumatisante. Ainsi, alors que l’idée selon laquelle « la France a basculé dans une véritable situation de guerre avec tout ce que cela implique comme conséquences » avait fortement reflué entre novembre et décembre 2015 en passant de 59 à 37 % de citations, un Français sur deux la partage de nouveau au lendemain des attentats de Nice.
Ce constat est autant partagé dans l’agglomération parisienne (48 %), territoire déjà plusieurs fois ciblé, que dans les villes de province ou les communes rurales (50 %). Et signe que l’impact de l’attentat a été très puissant, la proportion de personnes jugeant la menace terroriste comme étant très élevée a grimpé à 61 % au lendemain du 14 juillet, soit un niveau proche de celui mesuré après les attentats de novembre (68 %) mais bien supérieur à celui que nous enregistrions en janvier 2015 (49 %).
Dans ce contexte, 40 % de nos concitoyens déclarent que leur propre vie quotidienne dans les prochains mois va beaucoup (10 %) ou assez (30 %) changer suite à ces attentats. Ces événements ne produisent donc pas uniquement des effets sur les opinions et les représentations, ils conduisent également, et cela montre bien la force d’impact qu’ils ont sur notre société, à des modifications de comportements et d’habitudes. C’est particulièrement vrai dans l’agglomération parisienne dont 19 % des habitants (contre 9 % en province) déclarent avoir l’intention de changer « beaucoup » leur vie quotidienne. On pense bien entendu à l’usage des transports en commun ou à la fréquentation des cafés, des restaurants et des salles de spectacle, dont le taux de remplissage n’a jamais retrouvé le niveau qui était le sien avant les attentats de novembre.
Mais ces changements pourraient aller bien plus loin que le choix du mode de transport ou que la fréquence des sorties le soir. Pour garantir leur sécurité, 81% des personnes interrogées seraient ainsi prêtes à accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de leurs libertés, dont 40 % qui s’y disent même « tout à fait prêtes ». Les sympathisants des Républicains (94 %) et du FN (84 %) se montrent les plus enclins à un tel renoncement à une part de liberté individuelle mais cette proportion est également très élevée dans les électorats de la gauche : 79 % parmi les sympathisants socialistes mais aussi 70 % chez ceux d’Europe Ecologie-Les Verts et 68 % auprès de ceux du Front de gauche. Même dans ces électorats idéologiquement plus libertaires, l’arbitrage penche aujourd’hui clairement plus du côté de la sécurité que de celui de la liberté.
Cet état d’esprit se traduit concrètement par le fait que 50 % des personnes interrogées souhaitent un renforcement de l’état d’urgence et 36 % son maintien en l’état, seulement 14 % optant pour sa levée. Dans le détail, pas moins de 68 % des Français seraient favorables à ce que les milliers de fichés « S » soient arrêtés et emprisonnés et 91 % pour ce qui est de la création d’une peine de prison à perpétuité réelle, dont 68 % qui y seraient « tout à fait favorables ».
Ces chiffres sont en cohérence avec d’autres données qui montrent que c’est d’abord sur le terrain de la réponse pénale que les attentes de l’opinion portent. Ainsi, les Français sont certes 69 % à penser que par rapport à la menace terroriste, les autorités n’en font pas assez pour ce qui est des effectifs de policiers, de gendarmes et de militaires et 77 % en ce qui concerne les moyens juridiques accordés aux forces de police et aux services de renseignement pour surveiller et interpeller les individus suspectés d’activités terroristes, mais cette proportion atteint 88 % pour les peines prononcées par la justice contre les membres des réseaux et des cellules terroristes.
La confiance dans le gouvernement fragilisée
Comme le montre le graphique suivant, François Hollande et son gouvernement bénéficiaient, depuis janvier 2015, d’une confiance majoritaire pour faire face et lutter contre le terrorisme. Une large partie de la population avait approuvé l’attitude du président au lendemain des attaques contre Charlie Hebdo et le Bataclan.
Pour toutes les raisons que nous avons évoquées précédemment, il semble que le climat ait profondément changé à la suite de ce troisième attentat majeur. 33 % des Français continuaient à faire confiance à l’exécutif dans ce domaine en juillet 2016, contre 49 % en janvier.
On peut penser que le chassé-croisé de François Hollande qui indiqua lors de son allocution du 14 juillet son intention de mettre fin à l’état d’urgence et de réduire le nombre de militaires affectés à l’opération Sentinelle avant de faire quelques heures plus tard, à la suite de l’attentat de Nice, des annonces totalement opposées a également durement porté atteinte à la crédibilité du « commandant en chef » aux yeux de l’opinion. L’opposition, droite et FN de concert, allait s’engouffrer dans cette brèche et attaquer durement le gouvernement. La polémique qui se développa dans les jours qui suivirent l’attentat n’était pas manifestement à la hauteur des attentes des Français. Seuls 23% d’entre eux estimaient ainsi que les Républicains feraient mieux que le gouvernement actuel pour lutter contre le terrorisme (15% qu’ils feraient moins bien et 60% ni mieux, ni moins bien). Et par ailleurs, 67 % des personnes interrogées se prononçaient à l’inverse de ce spectacle de division en faveur de la mise en place d’un gouvernement d’union nationale face au défi du terrorisme. 71% des sympathisants des Républicains et 68% de ceux du PS partageaient cette aspiration à un consensus et à une coopération de toutes les forces politiques pour contrer et répondre à la menace.
Si la polémique politicienne desservit majorité et opposition, elle contribua parallèlement à polariser la défiance envers François Hollande et le gouvernement. À une semaine d’intervalle, la confiance dans l’exécutif pour faire face et lutter contre le terrorisme passa ainsi de 33 à 35 % mais, dans le même temps, la part de ceux ne lui faisant pas du tout confiance progressait de 7 points (de 36 à 43 %). Cette hausse fut particulièrement marquée dans l’électorat frontiste (de 50 à 68 %, +18 points) et des Républicains (de 40 à 51 %, +11 points) mais aussi du Front de gauche (de 24 à 35 %, +11 points).