Les poings sans la rose. Les groupuscules d’extrême droite en campagne en 2022

Différents faits divers émanant de groupuscules d’extrême droite ont récemment fait l’actualité. Louis Garrand et Frédéric Potier, membres de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation, analysent le poids des ces organisations dans le cadre de la campagne présidentielle.

Le retour d’une violence politique assumée

Le 5 décembre 2021 à Villepinte, les images des militants de SOS Racisme violemment agressés par des sympathisants d’Éric Zemmour – alors à la tribune – ont fait le tour des médias suscitant une indignation légitime. Plus discrètes, mais tout aussi choquantes, étaient les images tournées avant le début du meeting : on y voit arpenter les alentours du Parc des expositions de Villepinte des dizaines d’hommes vêtus de jeans, de blousons noirs et kaki, visages dissimulés, drapeaux fleurdelysés. Leurs cibles sont les militants ayant répondu au contre-rassemblement, activement traqués par le groupe armé de parapluies, de béquilles ou de casques de moto1À 5:58 de la vidéo, on aperçoit Marc de Cacqueray-Valmenier, alors leader des Zouaves (habillé en noir, casque de moto à la main), charger un passant pour demander s’il est antifasciste, le mob le suit puis ils repartent.. Les forces de l’ordre qui assistent à la scène seront accusées par les organisations militantes présentes d’avoir laissé faire, puis d’avoir contrôlé et embarqué les militants antifascistes2Mathieu Dejean et Mathilde Goanec, « À Villepinte, des antifascistes interpellés à “l’abri des regards” », Mediapart, 7 décembre 2021. Sur cette même vidéo de Clément Lanot, on voit la police arrêter de nombreux contre-manifestants.. Selon le procureur de Bobigny, il y a eu à ce moment-là 58 privations de liberté pour six gardes à vue prolongées. Ces mêmes extrémistes identitaires, qu’ils appartiennent à des groupes comme les Zouaves, l’ex-Génération identitaire, la Cocarde étudiante ou l’Action française3Daphné Deschamps, « Néonazis, royalistes, identitaires… Bienvenue au meeting de Zemmour », Politis, 6 décembre 2021. ont répondu par la violence à l’action pacifique de SOS Racisme. Ils ont ensuite été remerciés officiellement par le service d’ordre de l’équipe de campagne d’Éric Zemmour.

Quinze jours plus tôt, le registre n’était pas si différent. Matraques télescopiques, bombes lacrymogènes, bouteilles de verre, ceintures, mobilier urbain, chaises de café… La manifestation contre les violences faites aux femmes du 20 novembre 2021, à Paris, a été perturbée de manière peu pacifique. Le collectif Nemesis, composé de jeunes féministes nationalistes, s’est invité dans la manifestation en arborant une pancarte volontairement provocatrice : « 99% des Afghans favorables à la charia et 85% des Afghans pour la lapidation des femmes adultères. La haine des femmes n’est pas un enrichissement culturel ». Autour de leurs fumigènes allumés et de leur slogan « On est chez nous ! » se dresse un service d’ordre. Là encore sont présents les mêmes membres des groupuscules identitaires : Action française, Zouaves Paris, Cocarde étudiante, ex-Génération identitaire, tous sont munis d’armes et/ou des projectiles cités plus haut. Le groupe de nationalistes est finalement chassé de la manifestation par les antifascistes, sans intervention de la police, mais des coups violents sont échangés.

Cette démonstration du collectif Nemesis s’ajoute à la liste des nombreuses agressions physiques violentes qui ont émaillé cet été les rassemblements contre le passe sanitaire4Voir Fabien Leboucq et Mathilde Roche, « Un cadre local du RN a-t-il participé à une attaque de l’extrême droite lors de la manif contre le passe sanitaire à Nantes », Libération, 5 août 2021 ; « Attaque de la manifestation antipasse à Toulouse : ce que l’on sait des militants d’extrême droite impliqués », France 3, 16 septembre 2021 et « Albi : la mouvance identitaire à l’origine de la rixe en marge de la manifestation antipasse sanitaire », La Dépêche, 8 septembre 2021.. Chaque week-end de manifestation, des connexions entre les groupes présents en France ont permis de rassembler jusqu’à deux cents personnes dans un seul cortège, prêtes à en découdre, à arracher et piétiner les banderoles et les drapeaux qui n’étaient pas bleu blanc rouge et à s’approprier le mouvement de contestation sociale contre le passe sanitaire et le gouvernement.

Face aux violences des groupuscules qui sévissent dans la capitale depuis plusieurs années, et après le coup d’éclat ultramédiatisé du meeting d’Éric Zemmour de Villepinte, le gouvernement a pris la décision de dissoudre le groupe des Zouaves Paris sur décret en Conseil des ministres. Néanmoins, trois jours après sa publication au Journal officiel, on retrouve ces mêmes nationalistes violents dans les rues de la capitale, cherchant à en découdre toute l’après-midi avec des militants de gauche. En fin de manifestation, le mob « 5A large, angry crowd, especially one that could easily become violent. » Source : Dictionnary Cambridge. pose avec un drapeau « F[U]CK A[NTI]F[ASCIST]A[CTION] ». Parmi eux, cinq militants forment clairement le Z de Zemmour avec leurs mains.

Source : Ouest Casual (8 janvier 2022).

Le 15 janvier 2022, une semaine plus tard, les groupes nationalistes revendiquent un rassemblement « white block » de deux cents personnes en tête de la manifestation dite des Patriotes. Deux journalistes de l’AFP sont agressés à cette occasion, illustrant une stratégie assumée d’intimidation de la presse et des médias français. Le même soir se tient à Paris une marche aux flambeaux annuelle à l’appel notamment d’anciens cadres de Génération identitaire. Là encore, au moins deux passants sont agressés. Des Zouaves Paris et des Zoulous Nice sont identifiés parmi les agresseurs6Yann Castanier, Pierre Plottu et Maxime Macé, « Le groupuscule interdit Génération identitaire défile et agresse dans Paris », Street Press, 18 janvier 2022..  

Les milices nationalistes d’extrême droite aux quatre coins de la France

La situation de Paris n’est cependant pas isolée. À Lille, les ratonnades et les implantations locales de Génération identitaire ont été extrêmement bien documentées depuis plusieurs années, notamment grâce au documentaire Generation Hate7. tourné en 2018. On y entend des « Seig Heil » entre les militants pour se dire bonjour, des passantes8« Filles ou pas filles, ce sont juste des Arabes. » On entend ces mots après que l’agression a été filmée. sont insultées et frappées à coups de poing. Cela ne perturbe en rien un cocktail organisé dans la Citadelle en compagnie des ténors du Rassemblement national (élus locaux et députés européens)… Ces images côtoient celles d’un militant de Génération identitaire qui affirme de manière édifiante que si un jour une maladie incurable lui est diagnostiquée, il foncera avec sa voiture sur le marché de Lille fréquenté par « des Arabes »9Il affirme également que s’il ne meurt pas, il recommencera et qu’il tient à garder ses papiers d’identité sur lui, afin de signer son acte « comme Daesh ».. Trois membres de Génération identitaire ont été poursuivis et ils ont écopé de peines allant de trois à huit mois de prison avec sursis pour l’agression des jeunes femmes.

Depuis une dizaine d’années, l’agglomération lyonnaise se trouve elle aussi confrontée à une flambée de violence alimentée entre autres par Génération identitaire. Le groupe nationaliste y a été très actif, allant jusqu’à ouvrir un local, la Traboule, puis un club de boxe, L’Agogé. Même si l’association est dissoute par le gouvernement par un décret du 3 mars 2021 longuement motivé, leurs deux locaux lyonnais sont restés ouverts10Clémence Bauduin, « À Lyon, les identitaires reprennent du service sur les fondations de leur QG, la Traboule », Le Parisien, 13 septembre 2021., et servent de base aux expéditions punitives menées dans le centre-ville. Le 20 mars 2021, pendant une collecte en faveur de sans-abri, la librairie de La Plume noire où a lieu le ramassage des denrées est vandalisée11Dolores Mazzola, « Lyon 1er : une librairie libertaire des pentes de la Croix-Rousse vandalisée, une plainte a été déposée », France 3, 21 mars 2021.. Sur les vidéos captées par les riverains, on aperçoit une trentaine de gaillards descendre à 14 heures un samedi les pentes de la Croix-Rousse pour s’attaquer aux vitrines de la librairie et lancer des bouteilles en verre à l’intérieur. Le lendemain, à l’ouverture, les bénévoles de la librairie trouvent un tag sans équivoque signant les dégâts matériels subis. La croix cerclée ne laisse évidemment pas de doute quant aux motivations politiques des assaillants de la veille et la référence à la dissolution de Génération identitaire est flagrante.

Source : inconnue (21 mars 2021).

À Nantes, en juillet 2021, Wilfried Van Liempd, ancien numéro deux du Rassemblement national aux élections municipales à Nantes, a été identifié et photographié en train de tabasser un manifestant avec six ou sept de ses compagnons, armés de planche en bois, de matraques télescopiques ou de ceintures12Manon Vautier-Chollet, « Nantes : un membre du RN impliqué dans une violente bagarre avec des “antifas” », France bleu, 2 août 2021.. Une enquête est toujours en cours à l’initiative du parquet concernant cette affaire, mais on retrouve sans surprise le même Wilfried Van Liempd dans les soutiens locaux d’Éric Zemmour en Loire-Atlantique pour structurer son parti13Xavier Boussion, Présidentielle : en Loire-Atlantique, les soutiens d’Éric Zemmour s’organisent », Ouest-France, 8 décembre 2021..

Source : Igor Maquet, Collectif Mise au poing (31 juillet 2021).

De même, le vendredi 25 février 2022, à Strasbourg, des éléments radicaux d’extrême droite appartenant au groupuscule nazi Strasbourg Offender ont attaqué à coups de bâtons et de projectiles une conférence organisée faisant deux blessés14Libération, 28 février 2022.. Ce groupuscule composé de hooligans s’était déjà fait connaître à de nombreuses reprises pour des violences en marge de matchs de football (exhibition de signes nazis en 2019 lors de la réception du club israélien Maccabi Haïfa, bagarres contre des supporters du FC Metz, agressions contre des collectifs antifas lors de manifestations en 2020).

Force est de constater que la violence d’extrême droite s’impose sur la place publique, mais pas seulement. Une intense propagande politique est délivrée quotidiennement sur les réseaux sociaux. Sur le groupe de revendication Ouest Casual, on trouve une vingtaine de groupes français autoproclamés répartis sur une douzaine de métropoles. Sa lecture est édifiante : sont revendiquées des agressions de militants de gauche et d’extrême gauche dans toute la France et toute l’Europe, des attaques de cortèges, des bagarres entre groupe de supporters de foot nationalistes… La plupart arborent des drapeaux nationaux ou des tatouages au lettrage gothique, des références aux cultures celtiques, germaniques ou nordiques, des références au royalisme ou au nazisme. Les discours y sont clairement virilistes, racistes, antisémites, islamophobes et LGBTQI+phobes. Les revendications entre militants de groupes dissous comme le Groupe union défense, Génération identitaire ou les Zouaves y sont quotidiennes.

Électrons libres ou supplétifs du zemmouristan ?

Le paysage politique français a été profondément marqué par la déclaration de candidature d’Éric Zemmour dans la mesure où il a élargi le champ de l’extrême droite pour capter un électorat beaucoup plus radical et marginal, assumant clairement des valeurs contraires à la démocratie et à la République. Ces groupuscules violents partagent clairement les thèses du candidat : falsification et réappropriation de l’histoire de France, thèses complotistes, violence exacerbée, appels à la guerre civile15« Vous êtes aux premières loges d’un combat de civilisation. Face à vous, ce ne sont pas que des délinquants, c’est une autre civilisation avec laquelle on ne peut pas coexister pacifiquement. » Éric Zemmour, le 2 février 2022 devant le syndicat Alliance.… Tous ces thèmes sont précisément ceux qui fédèrent les groupuscules violents et la présence d’Éric Zemmour dans le processus électoral tend à les renforcer dans leurs convictions et à justifier leurs pratiques violentes.

L’auteur du Suicide français16Éric Zemmour, Le Suicide français, Paris, Albin Michel, 2014. attire notamment à lui de jeunes hommes blancs, violents, lassés par la recherche du consensus démocratique. Cette lassitude a été petit à petit récupérée et orientée vers un militantisme de la rue, où le but est d’occuper l’espace public en marquant son « territoire » (usage de tags, de graffitis, d’affiches ou d’autocollants, soupe populaire pour les SDF « européens », etc.). En exportant le discours haineux de Zemmour dans l’espace de la rue, les groupuscules d’extrême droite cherchent à reprendre un terrain de contestation sociale qui appartient historiquement à la gauche, mais qui rappelle également furieusement les grandes heures des ligues des années 1930. Une reprise de la rue qui passe par des méthodes d’intimidation, de ratonnade ou de lynchage, sans oublier les menaces en direction des élus. La multiplication des agressions traduit indubitablement une banalisation, voire une exacerbation, de la violence physique dans le champ politique. Celle-ci est d’ailleurs mise en scène et valorisée, non seulement par le candidat Zemmour, mais aussi par des youtubeurs17« YouTube a mis 24 heures à supprimer une mise en scène de tirs sur des “gauchistes” du vidéaste Papacito », Numerama, 7 juin 2021. s’entraînant aux armes à feu sur des cibles « Macron », « Mélenchon », ou « militant de gauche », dans des vidéos visionnées plusieurs centaines de milliers de fois.

Conclusion

Dans cette campagne présidentielle, on ne peut pas ignorer les pressions et intimidations physiques que les groupuscules d’extrême droite font peser sur la presse, les partis politiques et les simples citoyens. En dépit des dissolutions prononcées en Conseil des ministres, c’est finalement un sentiment de totale impunité qui continue de régner chez les membres de ces groupuscules et qui pose la question de la capacité de l’État à juguler cette violence déchaînée. Rappelons que, depuis 2017, plusieurs projets d’attentats terroristes de type nationaliste ont été évités 18Selon le parquet national antiterroriste, on compte depuis 2017 onze dossiers liés à l’extrême droite radicale, dont six informations judiciaires encore en cours. Douze personnes ont été condamnées et cinquante-deux personnes sont encore mises en examen..

Si la dissolution des groupuscules extrémistes est utile dans la mesure où elle permet de tarir une partie de leurs finances et de compliquer leur fonctionnement, elle ne résout rien définitivement. Il y a donc urgence à renforcer la surveillance de ces métastases démocratiques et à dénoncer leurs actions au service d’un candidat à la présidentielle dont le discours vient encourager et légitimer l’usage de la violence. Nous plaidons pour que, à l’instar des États-Unis, ce sujet devienne un véritable enjeu de sécurité nationale avant qu’une tragédie n’intervienne. 

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    À 5:58 de la vidéo, on aperçoit Marc de Cacqueray-Valmenier, alors leader des Zouaves (habillé en noir, casque de moto à la main), charger un passant pour demander s’il est antifasciste, le mob le suit puis ils repartent.
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    Mathieu Dejean et Mathilde Goanec, « À Villepinte, des antifascistes interpellés à “l’abri des regards” », Mediapart, 7 décembre 2021. Sur cette même vidéo de Clément Lanot, on voit la police arrêter de nombreux contre-manifestants.
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    Daphné Deschamps, « Néonazis, royalistes, identitaires… Bienvenue au meeting de Zemmour », Politis, 6 décembre 2021.
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    Voir Fabien Leboucq et Mathilde Roche, « Un cadre local du RN a-t-il participé à une attaque de l’extrême droite lors de la manif contre le passe sanitaire à Nantes », Libération, 5 août 2021 ; « Attaque de la manifestation antipasse à Toulouse : ce que l’on sait des militants d’extrême droite impliqués », France 3, 16 septembre 2021 et « Albi : la mouvance identitaire à l’origine de la rixe en marge de la manifestation antipasse sanitaire », La Dépêche, 8 septembre 2021.
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    A large, angry crowd, especially one that could easily become violent. » Source : Dictionnary Cambridge.
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    Yann Castanier, Pierre Plottu et Maxime Macé, « Le groupuscule interdit Génération identitaire défile et agresse dans Paris », Street Press, 18 janvier 2022.
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    « Filles ou pas filles, ce sont juste des Arabes. » On entend ces mots après que l’agression a été filmée.
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    Il affirme également que s’il ne meurt pas, il recommencera et qu’il tient à garder ses papiers d’identité sur lui, afin de signer son acte « comme Daesh ».
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    Clémence Bauduin, « À Lyon, les identitaires reprennent du service sur les fondations de leur QG, la Traboule », Le Parisien, 13 septembre 2021.
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    Dolores Mazzola, « Lyon 1er : une librairie libertaire des pentes de la Croix-Rousse vandalisée, une plainte a été déposée », France 3, 21 mars 2021.
  • 12
    Manon Vautier-Chollet, « Nantes : un membre du RN impliqué dans une violente bagarre avec des “antifas” », France bleu, 2 août 2021.
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    Xavier Boussion, Présidentielle : en Loire-Atlantique, les soutiens d’Éric Zemmour s’organisent », Ouest-France, 8 décembre 2021.
  • 14
    Libération, 28 février 2022.
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    « Vous êtes aux premières loges d’un combat de civilisation. Face à vous, ce ne sont pas que des délinquants, c’est une autre civilisation avec laquelle on ne peut pas coexister pacifiquement. » Éric Zemmour, le 2 février 2022 devant le syndicat Alliance.
  • 16
    Éric Zemmour, Le Suicide français, Paris, Albin Michel, 2014.
  • 17
    « YouTube a mis 24 heures à supprimer une mise en scène de tirs sur des “gauchistes” du vidéaste Papacito », Numerama, 7 juin 2021.
  • 18
    Selon le parquet national antiterroriste, on compte depuis 2017 onze dossiers liés à l’extrême droite radicale, dont six informations judiciaires encore en cours. Douze personnes ont été condamnées et cinquante-deux personnes sont encore mises en examen.

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