Avec plus de 100 millions d’auditeurs hebdomadaires aux États-Unis, les podcasts sont devenus un outil central de la communication politique et sont plébiscités par les responsables politiques. Grégory Pouy, fondateur des podcasts Vlan ! et Ping !, analyse la manière dont ils ont transformé le paysage médiatique et leur impact lors de la dernière campagne électorale américaine.
« Trump a tellement d’humour, même moi je l’ai trouvé sympathique ». Ce commentaire d’une électrice démocrate rapporté par Scott Galloway, professeure de marketing à la NYU Stern School of Business, sur le podcast The diary of a CEO est intervenu après qu’elle a écouté le candidat républicain dans le podcast de Joe Rogan durant trois heures1Joe Rogan Experience #2219 – Donald Trump, 26 octobre 2024.. Et cela illustre une transformation profonde de la communication politique américaine.
En 2024, l’élection américaine s’est autant jouée dans les écouteurs des électeurs que dans les urnes car, si les meetings rassemblent quelques dizaines de milliers de personnes, un seul podcast peut en toucher des dizaines de millions aux États-Unis. Le 5 novembre dernier, si les Américains se sont rendus aux urnes pour élire leur président, beaucoup avaient déjà passé des dizaines d’heures à écouter les candidats – non pas à travers les médias traditionnels, mais par des podcasts.
Les podcasts ont été la plus grande évolution de la communication politique de cette élection et tous les experts américains comme Mo Allibhai, analyste senior chez Forrester, ou Ashley Mann, co-fondatrice de The Colab, s’intéressent à ce phénomène. Cette influence décisive du format audio n’est pas le fruit du hasard. Les neurosciences ont démontré l’existence d’une connexion directe entre l’audition et le système limbique, la partie du cerveau qui gère nos émotions.
Par exemple, comme le note Isabelle Peretz, titulaire d’une chaire de recherche en neurocognition de la musique à l’université de Montréal, l’amygdale, une structure clé du système limbique, est activée lors de l’écoute de sons émotionnellement significatifs, tels que des cris ou des mélodies agréables, influençant ainsi notre réponse émotionnelle à ces stimulis auditifs2Sandrine Patenaude, « Le cerveau musical et les émotions », L’amnésique, 3 février 2024.. Cette particularité neurologique, qui a fait de la tradition orale le premier vecteur de transmission culturelle dans l’histoire humaine, prend aujourd’hui une nouvelle dimension politique.
Lorsqu’un candidat parle pendant plusieurs heures dans les écouteurs d’un auditeur, il ne s’agit plus d’un simple échange d’informations, mais d’une expérience profondément personnelle. Cette puissance de l’audio n’est pas nouvelle – Hitler l’avait comprise avec la radio, tout comme les génocidaires au Rwanda, pour ne citer que ces deux exemples. Ainsi, le régime nazi a développé le Volksempfänger (récepteur du peuple) en 1933, pour diffuser largement sa propagande. En effet, Joseph Goebbels, alors ministre de la Propagande, considérait la radio comme l’instrument le plus moderne et important pour influencer les masses, puisqu’en 1941 près de cinquante millions d’Allemands écoutaient la radio3Musée Holocauste Montréal, « La radio DKE38 ».. Cette technique reprise au Rwanda par la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) a été un vecteur majeur de l’idéologie génocidaire qui alternait musique populaire, informations sportives et messages de haine codés contre les Tutsis. Mais les podcasts y ajoutent une dimension inédite : l’intimité du choix personnel et du temps long. Même si les médias sociaux ont essayé de nous faire croire que le secret était aux contenus les plus courts possible, les podcasteurs ont bien compris l’intérêt du temps long et que la plupart des médias ont perdu en cours de route. « 2024 sera reconnue comme l’élection des podcasts », affirme Steve Johnston, ancien directeur des opérations de FlexPoint Media4Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024.. Une conviction étayée par les chiffres : 100 millions d’Américains écoutent désormais des podcasts chaque semaine selon Edison Research.
La transformation du paysage médiatique : de la méfiance à l’alternative
Il y a encore vingt ans, l’écosystème de l’information politique était simple : quelques chaînes de télévision, des journaux majeurs et une poignée de talk shows suffisaient à façonner le débat public. Aujourd’hui, ce paysage est méconnaissable. Comme l’explique Kate Downs Mulder, cheffe d’édition du Washington Post, entendue lors d’une table-ronde à Lisbonne, au Portugal : « Les réseaux sociaux ont eu deux impacts majeurs sur les médias : la polarisation de l’information et la désintermédiation ». Cette affirmation est désormais largement validée par la science5Emily Kubin et Christian von Sikorski, « The role of (social) media in political polarization: a systematic review », Annals of the International Communication Association, 45(3), 2021, pp. 188–206. et, d’ailleurs, les chiffres confirment cette érosion de confiance, puisque 44% des Français n’ont « plutôt pas confiance » dans les médias, et 24% « pas confiance du tout »6Enquête Fractures françaises 2024, 12e édition, Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, Sciences Po – Cevipof et l’Institut Montaigne, novembre 2024..
Selon le Pew Research Center, les adultes de moins de 30 ans accordent une confiance quasi équivalente aux réseaux sociaux (52%) et aux médias traditionnels (56%)7Kirsten Eddy, « Republicans, young adults now nearly as likely to trust info from social media as from national news outlets », Pew Research Center, 16 octobre 2024.. Aux États-Unis, cette tendance est particulièrement marquée chez les électeurs républicains, où la confiance dans les médias traditionnels chute à 40%. Les réseaux sociaux, qui promettaient une démocratisation de l’information, ont paradoxalement créé de nouveaux problèmes. L’introduction des algorithmes a transformé ces plateformes en machines à engagement, privilégiant la réaction à la réflexion.
Les questions politiques complexes se sont retrouvées réduites à des extraits vidéos et à des messages de 280 caractères sur X, tandis que la « rage » est devenue le moteur principal de l’engagement en ligne pour les algorithmes qui les régissent. Cela est particulièrement vrai pour TikTok, véritable machine d’ingérence chinoise à travers son algorithme, tandis que la Russie utilise les réseaux américains pour faire de l’ingérence à sa manière. Plus insidieux encore, des techniques comme l’astroturfing, qui consiste à faire croire à simuler un mouvement populaire spontané sur les réseaux sociaux pour influencer l’opinion publique, ont permis à certains groupes politiques, en particulier d’extrême droite, de manipuler artificiellement le débat public8Grégory Pouy, « Peut-on faire confiance à « l’avis populaire » sur Internet ? avec Nicolas Vanderbiest », Vlan !, 5 novembre 2019..
Recevez chaque semaine toutes nos analyses dans votre boîte mail
Abonnez-vousL’émergence des podcasts : la revanche du temps long
Quand on connaît bien les médias sociaux, lancer un podcast, c’est aussi se détacher partiellement des réseaux sociaux et de la tyrannie de leurs algorithmes. D’abord parce que les podcasts permettent de toucher la très grande majorité des personnes qui décident de s’y abonner et, ce faisant, de créer une véritable relation de confiance entre l’hôte et les auditeurs. Cela est renforcé par le côté souvent artisanal et sans filtre du média. À noter également que les podcasts ont émergé comme une alternative puissante, exploitant un territoire délaissé : l’attention partagée.
Alors que les réseaux sociaux se battent pour quelques secondes d’attention, les podcasts accompagnent les auditeurs dans leurs activités quotidiennes – conduite, sport, tâches ménagères. Cette disponibilité d’esprit, combinée à l’intimité du format audio, crée un contexte unique d’écoute et de réflexion. Cette caractéristique est particulièrement visible dans le succès de podcasts spécialisés sur ce qui pourrait nous paraître comme des niches. Un média traditionnel se concentrerait sur les femmes mais par exemple, en France, Bliss Stories, consacré à la maternité, rassemble un million d’auditeurs mensuels et constitue sans doute le meilleur vecteur de message pour les femmes de 25-35 ans.
Si ce chiffre peut sembler modeste face aux statistiques des réseaux sociaux, il masque une réalité plus profonde : plus de 80% des auditeurs consomment les épisodes dans leur intégralité en 2024, représentant souvent plus d’une heure d’attention continue et un lien fort créé avec l’hôte du podcast9Buzzsprout, Podcast statistics and data, 17 septembre 2024.. Cette connexion qui peut sembler virtuelle ne l’est pas vraiment, comme le montre la tournée dans des salles de spectacle de Bliss Stories qui a réuni des milliers de personnes. De manière plus quotidienne, il arrive régulièrement qu’un podcasteur se fasse apostropher dans la rue ou un café car une personne a reconnu sa voix. Maintenant imaginez un entrepreneur qui écoute pendant son footing un entretien intimiste de trois heures avec un candidat à une élection présidentielle ou un chauffeur de taxi qui passe son temps derrière un volant. L’impact est évidemment immense car la relation avec le podcasteur est déjà créée et donc le pont avec le candidat est beaucoup plus facile à faire.
2024 : quand les podcasts redessinent la stratégie politique
La campagne présidentielle 2024 illustre parfaitement comment les candidats ont saisi le potentiel unique des podcasts. Donald Trump a, entre autres, choisit The Joe Rogan Experience pour toucher un public masculin et jeune, dans une conversation de trois heures générant 50 millions de vues sur YouTube uniquement – l’équivalent d’une semaine entière de l’intégralité des daily shows américains. De son côté, Kamala Harris a privilégié Unlocking Us de Brené Brown pour toucher un électorat féminin indécis. En refusant de se plier aux conditions du podcasteur Joe Rogan, à savoir une interview de trois heures dans son studio à Austin (Texas), Kamala Harris a sans doute fait une erreur stratégique. Car ces choix ne sont pas anodins. Les podcasts permettent aux candidats de déployer des stratégies de ciblage précises, impossibles dans les médias traditionnels, et de toucher des publics plus jeunes. En effet, les 25-35 ans raffolent des podcasts quand les médias, dits traditionnels, ont souvent des cibles dont l’âge moyen dépasse les 50 ans10Buzzsprout, Podcast statistics and data, 17 septembre 2024..
Plus qu’un simple canal de communication, les podcasts créent de véritables communautés engagées autour de leurs animateurs. Des émissions comme Pod Save America côté démocrate ou The Ben Shapiro Show côté républicain démontrent comment le format long permet de construire et de mobiliser des bases électorales fidèles.
Cette approche transforme fondamentalement la relation entre les candidats et les électeurs. Dans un podcast, les politiques peuvent se montrer sous un jour différent, plus décontracté, plus authentique. Les longues conversations permettent de dépasser les éléments de langage habituels pour créer une connexion personnelle avec l’auditeur qui croit entrer dans une forme d’intimité avec le candidat. Le fait que les podcasteurs soient indépendants des grands groupes de médias aident à leur crédibilité. Ils ont des contraintes différentes des journalistes et peuvent plus facilement assurer leurs prises de position. Leur partialité est une forme de signature de leurs podcasts respectifs. Bien qu’ils dépendent d’annonceurs, ils ont moins de contraintes éditoriales, sans compter qu’ils ne sont pas soumis à une charte déontologique, comme peuvent l’être les journalistes avec la Charte de déontologie de Munich. D’une certaine manière, ils peuvent sembler être hors du « système » et ont une connaissance fine de leur audience, puisque généralement ils essaient de poser les questions que leurs auditeurs se posent.
C’est un formidable outil de convictions, en particulier quand le candidat est capable d’humour et de paraître sympathique et empathique. Comme le note Tom Webster de Sounds Profitable : « Les chiffres d’audience seuls ne racontent pas toute l’histoire, car ces émissions génèrent un bouche-à-oreille significatif et un évangélisme de la part d’une audience très engagée11Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024. ».
L’anatomie d’un succès politique
Plusieurs facteurs expliquent l’efficacité politique des podcasts :
- l’indépendance éditoriale. À l’inverse des médias traditionnels, un podcasteur ne cherche pas la neutralité et ne va surtout pas chercher à la défendre, il assume totalement son impartialité et va donner de lui-même dans chacun de ses épisodes. Une phrase revient régulièrement quand des personnes qui écoutent Vlan ! parlent du podcast : « c’est comme une conversation à une table de café mais vraiment très intéressante ». Vlan ! comme beaucoup d’autres essaient d’apporter une vision nuancée des sujets abordés mais ne laissent pas supposer laisser de côté les convictions que l’animateur défend. Libérés des contraintes des algorithmes sociaux et des formats télévisuels, les podcasts permettent aux candidats de développer leurs idées sans interruption. Cette liberté attire particulièrement les électeurs les plus engagés – 81% des auditeurs de podcasts sont des votants actifs12Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024. ;
- la practicité. Les podcasts s’intègrent naturellement dans le quotidien des électeurs. Téléchargeables, ils peuvent être écoutés n’importe où, n’importe quand sans nécessairement avoir besoin d’une connexion internet ;
- la normalisation des écouteurs dans l’espace public a également joué un rôle crucial dans cette adoption massive.
Les défis du podcast pour la communication politique : entre promesses et dangers
Si les podcasts apparaissent comme un nouvel eldorado de la communication politique, l’élection de 2024 en révèle aussi les zones d’ombre. Le format lui-même, qui favorise l’intimité, qui est d’une telle importance pour créer des liens, peut également se transformer en outil de manipulation émotionnelle.
Lorsqu’un auditeur passe plusieurs heures par semaine à écouter un animateur qu’il considère comme familier, la frontière entre information et influence devient ténue. Plus préoccupant encore, les podcasts pourraient paradoxalement amplifier la polarisation politique qu’ils prétendent combattre. Quand Trump privilégie les podcasts conservateurs et Harris les émissions progressistes, chaque camp s’enferme dans sa propre bulle sonore. L’absence de contradiction et la durée des épisodes peuvent renforcer des convictions préexistantes plutôt que favoriser le dialogue démocratique.
Malgré leur apparente liberté, les podcasts n’échappent pas totalement aux logiques médiatiques traditionnelles. Certains créateurs adoptent des stratégies familières : invitations de personnalités controversées, titres accrocheurs, recherche du buzz. Ces pratiques, qui ont contribué à la décrédibilisation des médias traditionnels, menacent désormais l’intégrité du format podcast. En tant que podcasteurs, c’est à nous de résister aux sirènes de l’audience mais aussi de la reconnaissance égotique de telle ou telle personnalité politique afin de toujours proposer un contenu qui nous ressemblent. Au risque autrement de perdre son audience à moyen terme car le podcast est une course de fond.
Vers un nouveau modèle de débat démocratique ?
L’année 2024 marque un tournant car les podcasts sont devenus un des armes absolues de la conquête politique. Bien sûr, l’avenir du débat démocratique ne réside ni dans l’abandon des médias traditionnels, ni dans une adoption aveugle des nouveaux formats. L’expérience de 2024 suggère plutôt la nécessité d’une synthèse intelligente, préservant le meilleur des deux mondes. Les podcasts ont rappelé des principes essentiels que le journalisme moderne a parfois du mal à mettre en œuvre : l’importance du temps long, la valeur de l’authenticité, la possibilité de combiner nuance et conviction.
Le défi des années à venir sera de cultiver ces qualités tout en développant des garde-fous contre les dérives potentielles.
Comment garantir la qualité de l’information dans des conversations de plusieurs heures ? Comment favoriser le pluralisme des voix dans un format qui privilégie naturellement l’entre-soi ? Comment préserver l’authenticité du podcast face aux pressions commerciales et politiques ? La réponse à ces questions déterminera si les podcasts représentent une véritable renaissance du débat démocratique ou simplement une nouvelle forme de manipulation médiatique. Une chose est certaine : avec 100 millions d’auditeurs hebdomadaires aux États-Unis, ce format est devenu un acteur incontournable du paysage politique. Et il est fort probable que les prochaines élections présidentielles en France suivront le même chemin. La question n’est pas de savoir si les politiques vont s’en emparer mais qui saura le mieux et le premier les maîtriser. Emmanuel Macron, en passant sur le podcast Generation Do it yourself, un podcast dédié à l’entreprenariat, a tapé le premier en juin dernier. Il sera aussi intéressant d’observer l’évolution des médias traditionnels qui se lancent dans le format podcast et de voir s’ils arrivent à captiver l’audience comme peuvent le faire les podcasteurs indépendants. À nous de décider si ce format servira à enrichir ou à appauvrir notre démocratie.
- 1Joe Rogan Experience #2219 – Donald Trump, 26 octobre 2024.
- 2Sandrine Patenaude, « Le cerveau musical et les émotions », L’amnésique, 3 février 2024.
- 3Musée Holocauste Montréal, « La radio DKE38 ».
- 4Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024.
- 5Emily Kubin et Christian von Sikorski, « The role of (social) media in political polarization: a systematic review », Annals of the International Communication Association, 45(3), 2021, pp. 188–206.
- 6Enquête Fractures françaises 2024, 12e édition, Ipsos pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès, Sciences Po – Cevipof et l’Institut Montaigne, novembre 2024.
- 7Kirsten Eddy, « Republicans, young adults now nearly as likely to trust info from social media as from national news outlets », Pew Research Center, 16 octobre 2024.
- 8Grégory Pouy, « Peut-on faire confiance à « l’avis populaire » sur Internet ? avec Nicolas Vanderbiest », Vlan !, 5 novembre 2019.
- 9Buzzsprout, Podcast statistics and data, 17 septembre 2024.
- 10Buzzsprout, Podcast statistics and data, 17 septembre 2024.
- 11Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024.
- 12Travis Clark, « Why experts say this election showed the power of podcasts », The Current, 7 novembre 2024.