Chaque veille d’élection présidentielle, les mêmes complaintes surgissent : « Oui, je suis certain d’obtenir les parrainages pour présenter ma candidature à mes concitoyens, même si les règles sont trop dures et visent à empêcher le courant politique que j’incarne à me présenter »… Bien évidemment, ces récriminations ne viennent jamais des rangs des partis dits de gouvernement. La chose pourrait être différente pour des organisations politiques moins centrales dans l’offre politique depuis de longues années et/ou ne disposant pas d’une assise territoriale suffisante. L’élection de 2022 ne fait évidemment pas exception.
Sous les IIIe et IVe République, le président de la République (qui disposait d’un certain nombre de prérogatives bien plus importantes que le souvenir que l’on en a conservé) est élu par ses pairs : les parlementaires des deux Chambres. Inutile de revenir sur les modifications voulues par le dernier président du Conseil de la IVe République lors de la rédaction de la Constitution de la Ve, sinon pour rappeler qu’alors le président de la République est élu par un corps électoral bien élargi comprenant 80 000 membres. L’ordonnance organique du 7 novembre 1958 prévoyait que les candidatures devaient être présentées par au moins 50 membres du Collège électoral. L’adoption du principe de l’élection présidentielle au suffrage universel direct à l’automne 1962 ne fait pas disparaître cette volonté de filtrer les candidatures à la magistrature suprême puisqu’est instauré un parrainage de 100 élus issus de 10 départements ou territoires d’outre-mer différents. Trois candidats en 1959, six en 1965, sept en 1969 et douze en 1974, et voilà que le Conseil constitutionnel dans sa déclaration à l’occasion de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle de 1974 appelle à resserrer les conditions d’accès à la candidature. Ce qui sera chose faite à peine deux ans plus tard par la loi organique de juin 1976. Il convient alors que les aspirants à la candidature disposent de 500 signatures d’élus nationaux ou territoriaux issus d’au moins 30 départements, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être issus du même département. 10 candidats en 1981, 9 en 1988, 9 en 1995, 16 en 2002, 12 en 2007, 10 en 2012, 11 en 2017… Le moins que l’on puisse dire est que si ce dispositif visait à restreindre le nombre de candidatures, l’objectif n’a pas été atteint. Dès lors, rares furent les courants politiques incarnés par une femme ou un homme ne parvenant pas à atteindre ce seuil fatidique des 500 paraphes. À tel point d’ailleurs qu’en 2016 une nouvelle modification de la loi organique prévoit que désormais les parrainages sont tous rendus publics (alors qu’auparavant les 500 étaient tirés au sort avant d’être rendus publics parmi l’ensemble des parrains déposés par un candidat) au fur et à mesure de leur réception (et validation) par le Conseil constitutionnel et qu’une fois donné, un parrainage ne saurait être retiré. Donner c’est donner, en quelque sorte.
Ainsi, pour qui se rend sur la page internet du Conseil constitutionnel, il est loisible de découvrir l’ensemble des parrainages apportés par des élus à des personnalités politiques qui, pour certaines d’entre elles, n’avaient pas souhaité être candidat, ou, pour d’autres, qui ne parvinrent pas à atteindre le seuil fatidique. En dépit de ce qui peut donc être perçu comme un durcissement des règles pour accéder à la candidature à l’élection présidentielle, ce furent en 2017 11 candidats qui se présentèrent à nos suffrages : Nathalie Arthaud (637), François Asselineau (587), Jacques Cheminade (528), Nicolas Dupont-Aignan (707), François Fillon (3635), Benoît Hamon (2039), Jean Lassalle (708), Marine Le Pen (627), Emmanuel Macron (1829), Jean-Luc Mélenchon (805) et Philippe Poutou (573). La diversité des options politiques n’a ainsi pas été empêchée par ce système de filtres, même si seuls 34% des élus pouvant donner leur parrainage le firent en 20171Site Vie.publique.fr, contre 36% en 2012… Ce qui laisse penser que le fait de rendre public l’ensemble des parrainages n’a pas eu, ou si peu, d’influence sur la capacité des candidates et candidats à obtenir les signatures..
La liste des parrains fut ainsi publiée sur le site du Conseil constitutionnel à six reprises, lors de la dernière élection présidentielle : les 1er, 3, 7, 10, 14 et 18 mars 2017. Le tableau ci-dessous récapitule la montée en puissance des signatures recueillies pour chacune des candidatures.
1er mars | 3 mars | 7 mars | 10 mars | 14 mars | 18 mars | Total | |
Artaud | 201 | 113 | 243 | 36 | 30 | 14 | 637 |
Asselineau | 60 | 0 | 420 | 44 | 45 | 18 | 587 |
Cheminade | 61 | 102 | 207 | 27 | 72 | 59 | 528 |
Dupont-Aignan | 31 | 174 | 354 | 64 | 49 | 35 | 707 |
Lassalle | 14 | 56 | 163 | 56 | 164 | 255 | 708 |
Mélenchon | 87 | 49 | 220 | 76 | 234 | 139 | 805 |
Le Pen | 25 | 59 | 399 | 94 | 41 | 9 | 627 |
Poutou | 35 | 1 | 161 | 48 | 112 | 216 | 573 |
Macron | 229 | 235 | 610 | 192 | 282 | 281 | 1829 |
Hamon | 184 | 150 | 705 | 278 | 400 | 382 | 2039 |
FIllon | 738 | 417 | 634 | 322 | 842 | 682 | 3635 |
Mais une analyse plus détaillée de la provenance des signatures peut également être conduite pour les candidates et les candidats ayant obtenu le moins de signatures. Rappelons à cet égard que les élus pouvant parrainer un candidat sont les parlementaires nationaux (sénateurs et députés), les titulaires de mandats européens (députés européens français et élus en France), de mandats régionaux et départementaux (y compris donc les conseillers de Paris et les conseillers métropolitains de Lyon), les titulaires de mandats communaux (maires, maires délégués d’une commune associée ou déléguée, les maires d’arrondissement de Paris, Lyon, Marseille, les présidents d’une métropole, d’une communauté urbaine, d’une agglomération ou d’une communauté de communes), les élus d’Outre-mer, les conseillers des Français de l’étranger et les présidents de conseil consulaire, ainsi, enfin, que les présidents des exécutifs de Corse, Martinique, Polynésie ou du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. En sachant, bien évidemment, que les titulaires de différents mandats donnant la possibilité de parrainer ne peuvent utiliser que l’un de leurs mandats…
Ainsi l’ensemble des parrains de Nathalie Arthaud étaient-ils maires, ou maires délégués, à l’exception d’un conseiller départemental et de deux membres de l’Assemblée de Martinique. Même réalité pour François Asselineau qui obtint également la signature de 3 conseillers départementaux et d’un conseiller régional. De même pour Jacques Cheminade qui n’obtint que 2 conseillers départementaux et 526 maires ou maires délégués. Nicolas Dupont-Aignan, quant à lui, obtint 687 parrainages de maires ou maires délégués, 13 conseillers départementaux, 2 conseillers régionaux, 2 parlementaires, 2 conseillers consulaires et 1 membre de l’Assemblée de Corse. Phénomène similaire pour Jean Lassalle avec 22 conseillers départementaux, 1 conseiller consulaire, 4 conseillers régionaux, 2 de l’Assemblée des Français de l’étranger, 1 de l’Assemblée de Corse et 1 parlementaire. Quant à Philippe Poutou, outre ses 533 maires ou maires délégués, il obtint le soutien de 14 conseillers départementaux, 15 conseillers régionaux, 3 conseillers de Paris, 5 parlementaires, 1 conseiller métropolitain de Lyon, 1 de l’Assemblée de Corse et 1 de l’AFE.
Mais penchons-nous, en quelques lignes, sur le cas des deux candidats qui lors de la dernière élection présidentielle parvinrent à la deuxième et quatrième place. Car, à l’évidence, l’enjeu de leur capacité à obtenir de nouveau les parrainages nécessaires est bien plus prégnant que pour les autres précédemment cités.
Ainsi, Marine Le Pen en 2017 obtint 334 parrainages de conseillers régionaux, 50 de conseillers départementaux, de 22 parlementaires (dont 18 du Parlement européen), de 202 maires, de 3 élus de l’Assemblée de Corse, de 2 de celle de Polynésie et d’1 de la Métropole de Lyon. Ainsi donc, 384 provinrent des assemblées renouvelées lors des dernières élections de juin dernier, soit 61% de ses parrainages. Or, les résultats de ces dernières élections furent mauvais pour le Rassemblement national, et particulièrement lors des dernières départementales. Ainsi, seuls 22 candidats étiquetés RN furent élus dans les départements, contre 47 six ans auparavant. De même que le nombre de conseillers régionaux RN est passé de 261 à 252. Par contre, le RN a quelque peu accru sa représentation parlementaire. Plus encore que les années précédentes, la possibilité de Marine Le Pen à se présenter aux suffrages de ses concitoyens dépendra plus que jamais de sa capacité à convaincre les maires de parrainer sa candidature. Or, en la matière, l’irruption de la comète Éric Zemmour constitue un nouvel élément de concurrence (de même que pour Nicolas Dupont-Aignan) la fragilisant. Et ce d’autant plus, rappelons-le, que tout parrainage accordé à une candidature, quand bien même celle-ci n’irait pas jusqu’au bout, ne pourra pas être retiré. Bien sûr, le recueil officiel des parrains n’a pas encore débuté. Pour l’instant, il ne s’agit que de promesses peu engageantes. Les parrainages ne pourront ainsi être envoyés, par la Poste, au Conseil constitutionnel que dix semaines avant le premier tour de la prochaine présidentielle fixé au 10 avril 2022.
La situation est à maints égards semblable pour le candidat de La France insoumise (LFI). Sur les 805 parrainages obtenus par ce dernier lors de l’élection présidentielle de 2017, 133 provenaient des mandats départementaux et régionaux, 29 des mandats parlementaires, 4 de la Métropole de Lyon, 8 de Paris, 5 de la Martinique, 3 de la Corse, 2 conseillers consulaires et 1 de Saint-Pierre-et-Miquelon. Et surtout de 617 maires ou maires délégués. Or, chacun se souvient que lors des deux dernières élections présidentielles, le député des Bouches-du-Rhône fut le candidat commun de LFI et du Parti communiste français (PCF). Et même si son implantation municipale a tendance à se rétracter depuis de nombreuses années, il demeure une force politique territorialement présente. Certes, lors des dernières municipales, il perdit encore quelques-uns de ses bastions historiques notamment, mais pas uniquement dans le Val-de-Marne, et si ces pertes aboutirent à la disparition de son dernier bastion départemental lors des dernières échéances de juin, son nombre de conseillers départementaux et régionaux demeure stable par rapport à 2017. Or, le choix du Parti communiste de présenter son secrétaire général à l’élection présidentielle limite le vivier d’élus en faveur de la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Bien assurément, tous les militants du PC ne partagent pas cette orientation stratégique et il n’est pas impossible que certains élus préfèrent choisir de soutenir une troisième, et ultime, candidature, de Jean-Luc Mélenchon. Cela n’en constitue pas moins un affaiblissement de son dispositif politique. Combien des 617 maires ayant apporté leur parrainage au candidat de La France insoumise en 2017 feront de même (au-delà de leur maintien ou non à la tête de leur commune) en 2022 ? Question d’autant plus légitime que, depuis 2017, la force politique créée autour de l’ancien sénateur socialiste de l’Essonne n’a pas, c’est le moins que l’on puisse dire, renforcé son implantation territoriale. Il y a là donc un double écueil à franchir.
À l’heure où les enquêtes d’opinion se succédant jour après jour – et c’est somme toute normal – testent l’ensemble des candidatures déclarées sans se soucier de leur capacité à obtenir ces précieux sésames, imaginons quelques instants que Marine Le Pen ou Éric Zemmour ou Jean-Luc Mélenchon, ou deux des trois, ne parvenaient pas à réunir sur leur nom les 500 parrainages, comment se comporteraient électoralement celles et ceux disant envisager de voter pour chacune de ces candidatures ? Exercice futile ? Peut-être. Mais rien, à ce stade, compte tenu du précédent de 2017, dans les circonstances politiques d’aujourd’hui n’interdit que cette hypothèse puisse, en tout ou partie, devenir un fait politique. Il s’agirait, bien évidemment, d’un véritable séisme politique qui aurait des conséquences difficilement envisageables. Assurément, les candidats en mal, en vrai, ou de manière exagérée, de parrainages fermes et définitifs ont tout intérêt à faire monter la pression et se poser en victimes d’une procédure de sélection qu’ils ne découvrent pas.
À l’évidence, au-delà de l’effet de sidération momentanée, si un tel tremblement de terre politique devait survenir, cela remettrait au cœur de nos débats les modalités de sélection des candidats à l’élection présidentielle.
Le système des parrainages par les seuls élus est depuis plusieurs années périodiquement remis en cause. Ainsi, s’inspirant des préconisations issues du Comité Jospin, Jean-Luc Mélenchon et son groupe parlementaire déposèrent-ils une proposition de modification de la loi organique ajoutant à côté de la modalité actuelle une procédure permettant le parrainage citoyen. S’appuyant sur des exemples étrangers, la proposition de loi préconisait que 150 000 citoyens inscrits sur les listes électorales puissent parrainer une candidature, dès lors que celles-ci étaient issues d’au moins 30 de nos départements et que pas plus de 5% des signatures provenaient d’un seul et même département. Déposée le 26 octobre 2020 et débattue dans l’hémicycle le 5 mai dernier, cette proposition ne fut néanmoins pas adoptée en dépit du soutien plus ou moins enthousiaste de la part d’autres groupes parlementaires, notamment du groupe GDR ou Parti socialiste. On peut, effectivement, débattre du seuil requis, des modalités techniques pour recueillir et vérifier les signatures, mais dès lors que l’on estime que l’élection présidentielle est la rencontre d’un peuple avec celle ou celui qui souhaite le représenter et l’incarner, il n’est pas indécent d’estimer que le filtre des élus locaux n’est non seulement pas utile, mais contradictoire. Il est certes singulier de voir une organisation dont l’ADN « institutionnel » est de critiquer le présidentialisme de nos institutions promouvoir un lien direct sans passer par les corps intermédiaires que sont les élus, mais la remarque n’est pas indigente. Elle mériterait à tout le moins de trouver sa place dans un véritable débat sur nos Institutions.
- 1Site Vie.publique.fr, contre 36% en 2012… Ce qui laisse penser que le fait de rendre public l’ensemble des parrainages n’a pas eu, ou si peu, d’influence sur la capacité des candidates et candidats à obtenir les signatures.