Les nationalistes à la conquête de la Corse ?

La campagne électorale entre dans sa dernière ligne droite en Corse. Les 244 000 inscrits sur les listes électorales sont appelés aux urnes les 3 et 10 décembre prochain pour désigner les 63 conseillers territoriaux (dont 11 forment le Conseil exécutif) de la collectivité unique née de la fusion de la région et des deux départements de l’île. Par l’analyse des scrutins précédents, Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach montrent en quoi les nationalistes sont favoris lors de ces élections.

Les enseignements des primaires en Corse

Primaire de la droite : avantage au discours « corsiste » et à la ligne identitaire

Même si elle ne portait que sur une partie spécifique et limitée du corps électoral corse (à savoir les électeurs de droite), la primaire de la droite et du centre, qui s’est déroulée pratiquement un an après les élections régionales de décembre 2015, a mis de nouveau en lumière certaines tendances observées lors de ce scrutin.

Si tous les candidats à la primaire étaient favorables au maintien des dérogations fiscales, à un report de la mise en place de la collectivité unique (en lieu et place de la Collectivité territoriale de Corse – équivalent du conseil régional – et des conseils départementaux) et à un rapprochement des prisonniers nationaliste, seuls Alain Juppé et Nicolas Sarkozy se sont prononcés en faveur d’une loi spécifique pour la Corse. L’ancien président de la République a même évoqué la modification de la Constitution pour y insérer le statut fiscal de la Corse. François Fillon, quant à lui, s’est montré nettement moins allant sur l’affirmation et la reconnaissance de la spécificité corse, campant sur un discours républicain assez classique pour un élu de droite continental, même s’il s’est déclaré favorable au bilinguisme. Or, alors que le Sarthois a très largement dominé ses concurrents sur le continent (avec un score de 44 % contre 28 % à Alain Juppé et 21 % à Nicolas Sarkozy), le rapport de force a été très différent sur l’île de Beauté. C’est Nicolas Sarkozy qui est arrivé en tête avec 43,8 % des voix, devant le maire de Bordeaux (26,8 %) suivi par le député de Paris qui, avec 24,8 % des voix, accusait un retard de près de 20 points sur sa moyenne nationale. Les liens privilégiés que Nicolas Sarkozy entretient de longue date avec la Corse ont sans doute pesé, mais sa prise en compte des revendications liées à la spécificité insulaire a également constitué un sérieux atout (quand François Fillon est apparu plus jacobin et Alain Juppé dans une position intermédiaire). Ses soutiens ont d’ailleurs abondamment insisté sur ce point, comme en témoignent ces propos de Stéphanie Grimaldi ur le site Corse Net Infos : « Il connaît parfaitement les dossiers corses, que ce soit en matière d’agriculture, de PEI (Plan exceptionnel d’investissement) ou d’arrêtés Miot. Il a agi pour l’université de Corse, pour ViaStella dont il a poussé la création et pour la langue corse. C’est lui qui a mis en place les crédits qui nous ont permis, quand nous étions au pouvoir à la région, de passer des conventions avec l’État pour faire en sorte d’arriver à un bilinguisme affirmé. »

Comme les élections régionales l’avaient montré en décembre 205, la problématique de la spécificité corse sous ses aspects fiscaux, institutionnels, culturels et linguistiques est centrale et a donc aussi pesé d’un poids certain lors de la primaire de la droite. Un autre parallèle peut être tracé avec les régionales, celui de l’influence des élus locaux, qui continuent de structurer les votes dans leur commune, même si le pouvoir prescripteur des grands barons (les « chefs de clans ») sur des territoires plus étendus est de plus en plus remis en question. À cet égard, il est intéressant de souligner que le vainqueur du premier tour de la primaire est le candidat qui a aligné le plus de soutiens locaux dans l’île. Nicolas Sarkozy pouvait s’appuyer sur Stéphanie Grimaldi, présidente de la fédération Les Républicains de Haute-Corse, sur Marcel Francisci, son homologue en Corse-du-Sud, et sur Sauveur Gandolfi-Scheit, député-maire de Biguglia, commune où Nicolas Sarkozy a obtenu 60,9 %. Les résultats ont été plus spectaculaires encore à Zicavo (79,3 %), fief de Marcel Francisci, ou à La Porta, commune de Stéphanie Grimaldi (78,5 %). Il enregistre le même résultat à Borgo, dirigée par Anne-Marie Natali, 75,7 % à Calacuccia, dont le maire Jean-Baptiste Castellani le soutenait, tout comme Tony Sindali, maire de Corte (62,2 %). Alain Juppé, quant à lui, enregistre un score de 40,7 % et la première position à Calvi dont le maire, Ange Santini, était membre de son comité de soutien. Les deux rivaux font jeu égal à Ajaccio : 38 % pour Alain Juppé soutenu par le maire Laurent Marcangeli contre 39,1 % pour son adversaire, épaulé par José Rossi. Dans la cité impériale, les deux influences se sont neutralisées.

François Fillon, de son côté, alignait un réseau de soutiens nettement moins étoffé au premier tour, et cela a pesé négativement sur son score. Si Camille de Rocca Serra s’est engagé pour lui et si cet appui lui a apporté des voix à Porto-Vecchio, où il a viré en tête avec 53,8 % des suffrages, cette influence ne s’est guère fait ressentir au-delà des limites de cette ville (avec néanmoins 40,6 % et la première place dans la commune voisine de Lecci). Les élections régionales avaient fait apparaître un phénomène de rétraction géographique de l’influence rocca-serriste en Corse-du-Sud, phénomène confirmé d’une certaine manière lors de cette primaire et qui est apparu avec plus de force encore quelques mois plus tard avec la perte par Camille de Rocca Serra du fief historique de la seconde circonscription de Corse-du-Sud, comme nous le verrons.

Cette primaire de la droite livre enfin un autre enseignement sur le climat d’opinion prévalant aujourd’hui en Corse. Les analyses que nous avons menées au plan national avec Hervé Le Bras ont fait ressortir la très grande similitude entre la géographie des zones de force de Nicolas Sarkozy à la primaire et la carte du vote FN. C’est dans les territoires les plus favorables aux idées frontistes et de la droite identitaire que la campagne très droitière de Nicolas Sarkozy a connu le plus de succès. Or, les deux départements corses sont ceux où l’ancien président a enregistré ses meilleurs résultats. L’île de Beauté est également une des régions où François Fillon, incarnant au second tour une ligne plus identitaire qu’Alain Juppé, a le plus progressé entre les deux tours. Ces éléments traduisent bien le durcissement de la société insulaire sur les questions identitaire et migratoire. Le premier tour de la primaire a donc souligné la prime accordée aux candidats les plus favorables aux revendications « corsistes » (Nicolas Sarkozy et Alain Juppé.), mais aussi au candidat tenant le discours le plus droitier sur l’immigration et l’islam (Nicolas Sarkozy), ce tropisme bénéficiant pleinement au second tour à François Fillon.

La primaire du Parti socialiste : Manuel Valls, le pourfendeur de l’islamisme, s’impose sur l’île de Beauté face à Benoît Hamon

Deux mois plus tard, c’est au tour du Parti socialiste d’organiser sa primaire. Si le nombre de votants s’est révélé faible (4 400 au premier tour et 5 900 au second), les résultats ne sont pas dénués d’intérêt. Avec 43 % des voix au premier tour, Manuel Valls est sorti vainqueur au premier tour en Corse, devançant Benoît Hamon (30 %) et Arnaud Montebourg (15 %). Une nouvelle fois, la Corse manifestait son particularisme puisque, au plan national, c’est Benoît Hamon qui a remporté le premier tour (36,4 %) devant Manuel Valls (31,1 %). Cette spécificité est encore davantage apparue au second tour. Les deux départements corses ont été les seuls, avec l’Aude et les Pyrénées-Orientales, à placer Manuel Valls en tête.

Au-delà d’un hypothétique paradoxe corse, deux facteurs que nous avons déjà rencontrés lors de l’analyse de la primaire de la droite ont conduit à ce résultat s’inscrivant à rebours de la tendance nationale. On peut évoquer en premier lieu le poids des soutiens locaux, qui peut d’autant plus jouer que le corps électoral est restreint. Lors de cette primaire de la gauche, quelques milliers d’électeurs seulement se sont déplacés. Dans ce contexte peu mobilisateur, Manuel Valls a pu compter sur le soutien de quelques figures locales, alors que les autres candidats n’ont pas réussi à rallier des personnalités de la gauche insulaire. L’ancien Premier ministre était ainsi appuyé par François Orlandi, président du conseil général de Haute-Corse, et par Emmanuelle de Gentili, secrétaire nationale du PS et adjointe au maire de Bastia. Ces soutiens « nordistes » lui ont manifestement permis de creuser nettement l’écart avec son rival en Haute-Corse, avec un score de 61,7 % contre 38,3 % pour Benoît Hamon, alors que sa victoire a été beaucoup plus serrée en Corse-du-Sud : 50,3 % contre 49,7 %.

On peut également penser que le positionnement assez strict de Manuel Valls sur les questions de laïcité et d’immigration ont résonné auprès de l’électorat de gauche dans une île où ces questions sont très sensibles. En août 2016, au moment de la polémique sur les arrêtés « anti-burkini » notamment pris par le maire socialiste de Sisco après les violences ayant opposé une famille maghrébine et des villageois sur une plage de la commune, Manuel Valls, alors Premier ministre, avait ainsi déclaré : « Je comprends les maires qui, dans ce moment de tension, ont le réflexe de chercher des solutions, d’éviter des troubles à l’ordre public […] les plages, comme tout espace public, doivent être préservées des revendications religieuses. Le burkini n’est pas une nouvelle gamme de maillots de bain, une mode. C’est la traduction d’un projet politique, de contre-société, fondé notamment sur l’asservissement de la femme. » L’ancien Premier ministre et ex-ministre de l’Intérieur a d’ailleurs obtenu 62,5 % à Sisco et 80,9 % des voix dans le bureau de vote du quartier populaire bastiais de Lupino, où résidait la famille maghrébine en question et où se sont rendues plusieurs centaines de Corses prêts à en découdre après la rixe de Sisco. Le score de Manuel Valls s’est en revanche révélé nettement moins élevé à Ghisonaccia (51 %) sur la plaine orientale, petite ville qui abrite une importante communauté maghrébine.

La présidentielle : un tropisme lepéniste confirmé

Emmanuel Macron fait moins recette en Corse que sur le continent

En fin politique, Paul Giacobbi, ancien président Parti radical de gauche (PRG) de la Collectivité territoriale de Corse, s’est prononcé en janvier 2017 en faveur de la candidature d’Emmanuel Macron. Le positionnement de centre gauche du leader d’En marche correspondait assez à la ligne giacobbiste et, sur le continent, d’autres radicaux de gauche ont fait le même choix. Mais la perspective de miser sur le bon cheval à la présidentielle pour se remettre en selle localement après avoir perdu les élections régionales et avoir été condamné dans l’affaire dite des « gîtes ruraux » sans doute également compté. Ce choix n’a pas été anodin : Paul Giacobbi a entraîné avec lui bon nombre de ses réseaux. Ainsi, si le futur président de la République n’a recueilli que 7 paraphes en Corse-du-Sud, il en a récolté 21 en Haute-Corse, terre d’élection de Paul Giacobbi, avec notamment des communes comme Vivario, Pietroso ou bien encore Santo-Pietro-di-Venaco situées autour de Venaco, fief familial des Giacobbi, et dont le maire Michel Mezzadri a lui aussi apporté son soutien à Emmanuel Macron. Quand on observe dans le détail la liste des signataires, le poids des giacobbistes apparaît encore plus flagrant. On retrouve ainsi Barthélémy Leca, maire de Serriera, ou Pierre-Michel Simonpietri, maire de Furiani, qui étaient présents sur la liste giacobbiste lors des régionales de 2015. On croise également Jean-Hyacinthe Vinceguerra, maire de Perelli, Augustin Dominique Viola, maire de Santo-Pietro-di-Venaco, et Stéphane Domarchi, maire de Sant’Andrea-di-Cotone, tous très proches de Paul Giacobbi. et dont les noms ont été cités dans la procédure judiciaire des « gîtes ruraux ». Cette liste de parraineurs compte également des personnes qui ont figuré sur la liste de Paul Giacobbi lors des régionales de 2010, certains ayant pris leurs distances, d’autres étant restés proches. On pourra ainsi citer en Haute-Corse : Paul Lions, maire de Corbara, Marie-Antoinette Filippi, maire de Pietroso, et Guy Armanet, premier édile de Santa-Maria-di-Lota ; et, en Corse-du-Sud, François Faggianelli, maire d’Appietto, et Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio.

À quelques semaines du premier tour, Emmanuel Macron a rencontré une partie de ses soutiens corses lors d’un déjeuner à Vescovato. Étaient présents le sénateur PRG de Haute-Corse Joseph Castelli, par ailleurs proche de Paul Giacobbi et mis en examen dans une affaire de pots-de-vin concernant la construction de sa villa, mais aussi Pierre-Siméon de Buochberg, conseiller départemental de Haute-Corse et condamné en 2016 et 2017, ainsi que Pierre-Marie Mancini, lui aussi conseiller départemental de Haute-Corse et giacobbiste et ayant écopé de trois ans de prison dans l’affaire des « gîtes ruraux ».

Emmanuel Macron avait préempté la thématique du renouvellement sur le continent. La mise en mouvement du ban et de l’arrière-ban des troupes giacobbistes en faveur du leader d’En marche lui a certes permis de bénéficier de blocs de voix dans certaines localités, comme on va le voir, mais cela s’est fait au prix d’un brouillage de son image sur l’île. Le soutien de ces représentants archétypaux de la « vieille politique » et de personnalités condamnées l’a empêché de surfer dans l’île sur la vague « dégagiste », créneau occupé par les nationalistes, qui ont précisément fait de la lutte contre les clans et l’affairisme – et notamment contre le « système Giacobbi » – un axe fort de leur discours politique. Avec 18,5 % au premier tour en Corse, Emmanuel Macron a enregistré un score sensiblement inférieur à sa moyenne nationale (23,5 %) et a fini en troisième position derrière Marine Le Pen et François Fillon.

Parallèlement à cette contre-performance, la géographie du vote Macron s’est caractérisée par certaines particularités. Alors que, partout sur le continent, c’est dans les agglomérations que le futur président a été le plus soutenu, ses résultats à Ajaccio (18,7 %) et Bastia (19,3 %) étaient juste dans la moyenne insulaire. Les classes moyennes et supérieures corses ainsi que la jeunesse diplômée, assez sensibles aux thèses autonomistes, ont moins adhéré que leurs homologues continentales au « macronisme », qui inversement (et là aussi à rebours de ce que l’on observait sur le continent) a récolté de meilleurs résultats dans les zones rurales. Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, cela a notamment été le cas dans le centre de l’île et en Haute-Corse, qui constitue le cœur de la « Giacobbie », quand les campagnes du sud de l’île votaient traditionnellement davantage pour la droite.

Cette carte fait également apparaître des survotes importants en faveur d’Emmanuel Macron dans les communes dont le maire l’a parrainé. Comme à l’occasion d’autres scrutins, les maires ont joué le rôle d’agents électoraux dans leurs villages respectifs et ont influencé le vote d’une partie de leurs administrés en faveur de leur candidat. Les chiffres présentés dans le tableau ci-dessous sont assez éloquents à cet égard.

Le score d’Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle 2017 dans certaines communes dont le maire l’avait parrainé

Communes Pourcentage en faveur d’Emmanuel Macron au premier tour
Bigorno 77,1 %
Novale 73,7 %
Sant’Andrea-di-Cotone 69,2 %
Perelli 58,6 %
Serriera 39,8 %
Pietricaggio 36,1 %
Campitello 34,6 %
Venaco 28,6 %
Vivario 28,5 %
Pietroso 27,5 %

Un fort vote Le Pen, signe d’un raidissement identitaire

Si la structure géographique du vote Macron en Corse, caractérisée par des zones de force dans les régions isolées et enclavées et de faibles performances dans les aires urbaines et la plupart des zones touristiques, apparaît donc inversée par rapport à la physionomie qu’il a prise sur le continent, on retrouve néanmoins un trait commun avec la tendance nationale. En effet, vote Macron et vote Le Pen au premier tour semblent bien, en Corse comme sur le continent, quasiment antithétiques. Avec 27,9 %, la candidate frontiste obtient un score très élevé dans l’île et vire en tête au premier tour. Comme sur le continent, le vote Front national se concentre dans les zones périurbaines et en bordure des agglomérations. C’est le cas dans la périphérie d’Ajaccio, avec des scores très élevés à Alata (33,1 %), Appietto (36,3 %), Sarrola-Carcopino (39 %) ou Tavaco (39,4 %). On retrouve le même phénomène en périphérie de Bastia (35,9 % à Furiani, 36,5 % à Biguglia et 40,8 % à Lucciana) ou à proximité de Calvi (32,5 % à Calenzana et 42,2 % à Moncale).

La carte fait également apparaître d’autres points d’appui traditionnels du FN le long de la plaine orientale, où des rapatriés se sont installés dans les années 1960, rejoints ensuite par une importante communauté maghrébine, cette présence venant doper le vote frontiste notamment autour de Ghisonaccia. Au sud de la plaine orientale, on distingue également la commune de Ventiseri (46,4 % pour Marine Le Pen) où est implantée une base aérienne. La présence de nombreux militaires, dont des études ont montré le tropisme frontiste assez marqué, explique sans doute en bonne partie ce résultat, tout comme le niveau de ce vote dans les communes voisines : 35,6 % à Solaro et 38,4 % à Serra-di-Fiumorbo.

La forte audience du FN en Corse ne constitue pas un fait nouveau et les événements du quartier des Jardins de l’Empereur à Ajaccio en décembre 2015 et de Sisco en août 2016 ont rappelé que les tensions communautaires étaient très vives sur l’île. Mais on peut également penser que la situation institutionnelle et les liens avec la France continentale ont également pesé. En décembre 2015, pour la première fois, une liste d’union des autonomistes et des nationalistes a remporté les élections régionales. Depuis, ils dirigent la collectivité corse et ce sont leurs thématiques (co-officialité de la langue corse, statut de résident, rapprochement des « prisonniers politiques », charte sur la priorité à l’embauche des Corses…) qui sont au centre du débat insulaire. Tout cela contribue à alimenter l’idée qu’ils sont en position de force et peuvent imposer leur agenda. Or, comme en Nouvelle-Calédonie, la Corse est à la veille d’un rendez-vous politique historique. En décembre 2017, des élections seront organisées pour désigner les membres de la collectivité unique, institution qui concentrera de nombreux pouvoirs en lieu et place des deux conseils départementaux et de l’actuelle Collectivité territoriale de Corse.

Dans ce contexte, la question du lien au continent se trouve posée pour de nombreux Corses. Le vote FN, puissant au premier tour et quasi majoritaire au second (48,5 %), renvoie certes à une sensibilité aiguë de la société corse à la problématique de l’immigration et au développement du communautarisme. Mais ce vote peut aussi s’analyser comme l’affirmation radicalisée d’un sentiment d’appartenance à la nation française dans un contexte où les nationalistes et les régionalistes corses marquent des points. Comme le montre le tableau ci-dessous, de même qu’en Nouvelle-Calédonie, territoire où la question de l’indépendance et du rapport au continent pose d’une manière encore plus aiguë, les reports des électeurs de François Fillon sur Marine Le Pen au second tour ont été beaucoup plus élevés qu’ailleurs, ce qui accrédite la thèse d’un durcissement de l’électorat de droite locale autour de l’enjeu national et du lien au continent.

Les scores comparés de Marine Le Pen aux deux tours de la présidentielle 2017 : une progression nettement plus sensible en Corse et en Nouvelle-Calédonie que dans l’ensemble du territoire

Pourcentages en faveur de François Fillon au premier tour Pourcentages en faveur de Marine Le Pen au premier tour Pourcentages en faveur de Marine Le Pen au second tour Progression de Marine Le Pen entre les deux tours
Corse 25,6 % 27,9 % 48,5 % +20,6 points
Nouvelle-Calédonie 31,1 % 29,1 % 47,4 % +18,3 points
France entière 19,9 % 21,3 % 33,9 % +12,6 points

Comme les Caldoches de Nouvelle-Calédonie inquiets face à la perspective de l’indépendance, les électeurs de droite corses ont voté par réflexe « unioniste » en faveur du FN pour signifier leur opposition à un scénario de sortie du cadre national. On peut comparer ce vote à celui des loyalistes protestants d’Irlande du Nord en faveur du « Leave » (la sortie de l’Union européenne) lors du référendum sur le Brexit, traduisant ainsi comme les Anglais leur attachement à l’État nation britannique quand les catholiques irlandais ou les Écossais votaient pour le « Remain » (le maintien dans l’UE).

Si l’opposition à une immigration musulmane et un attachement à la nation française demeurent les principaux ressorts du vote FN en Corse, Marine Le Pen n’a pas hésité à « corsiser » son discours. Elle déclarait ainsi le 8 avril 2017 dans Corse-Matin : « Il existe des spécificités corses qui nécessitent des lois particulières sur le plan fiscal et budgétaire pouvant être réfléchies et discutées, je n’y suis pas opposée. » Cette tentative d’incursion sur les plates-bandes des régionalistes n’a pas échappé à une frange de la mouvance « natios » qui a perturbé le meeting que Marine Le Pen tenait le même jour à Ajaccio pour bien affirmer l’opposition résolue de ces mouvements au FN.

Une prime régionaliste pour Jean Lassalle

Si la Corse a été, avec la Nouvelle-Calédonie, l’un des territoires qui ont le plus massivement voté pour Marine Le Pen aux deux tours, c’est également la région française qui a accordé à Jean Lassalle son meilleur score : 5,6 %. La nature montagneuse et méditerranéenne de l’île peut en partie expliquer cette performance car, comme nous l’avons montré ailleurs, le berger béarnais a obtenu ses meilleurs résultats dans les massifs montagneux et les terroirs de la langue d’oc.

La carte suivante montre d’ailleurs que, pour l’essentiel, les scores les plus importants de Jean Lassalle se concentrent dans la partie centrale et montagneuse de la Corse et que ses résultats sont nettement plus faibles sur les côtes et dans les plaines.

Mais un autre paramètre a également joué et le candidat de la ruralité n’a pas misé que sur son accent et sa proximité en termes de vécu de montagnard pour s’adresser à l’électorat corse. Lors d’un déplacement sur l’île quelques jours avant le premier tour, Jean Lassalle a ainsi déclaré souscrire aux revendications des régionalistes sur les principaux sujets alors en débat en Corse. En tant qu’élu d’une région où la question de l’usage de la langue régionale et celle des prisonniers séparatistes basques sont sensibles, Jean Lassalle s’est prononcé en faveur de la co-officialité de la langue corse, du rapatriement des détenus « politiques » corses sur l’île et pour le statut de résident (octroyant aux insulaires une priorité à l’achat d’un bien immobilier) afin de lutter contre l’urbanisation des terres agricoles, mais aussi pour que les Corses puissent se loger ou devenir propriétaires sur leur propre île. Ces prises de position ont manifestement été reçues cinq sur cinq par l’électorat nationaliste puisqu’on constate des scores importants pour ce candidat dans les fiefs nationalistes. Jean Lassalle obtient ainsi 37,8 % à Belgodère, dont le maire nationaliste a appelé à voter pour lui, 30,1 % à Balogna, 17,9 % à Palasca ou bien encore 15,5 % à Tralonca (commune où, en janvier 1996, eut lieu une conférence de presse clandestine du FLNC Canal Historique réunissant plus de 500 militants armés et cagoulés) et 14,2 % à Lozzi, berceau de la famille Simeoni dont l’un des membres, Edmond, est une figure historique du mouvement et qui a pour fils Gilles, actuel président du conseil exécutif de Corse. L’attrait particulier d’une partie de l’électorat corse pour un candidat ayant mis en avant ces problématiques constitue un indice parmi d’autres de l’influence grandissante du courant régionaliste sur l’île, qui s’est traduite quelques semaines plus tard par la conquête de trois des quatre circonscriptions insulaires par les « natios ».

Les « natios » raflent la mise aux législatives

La vague nationaliste

L’élection à l’Assemblée nationale de trois députés nationalistes corses en juin 2017 a fait l’effet d’un véritable coup de tonnerre. Or, s’il s’agit là assurément d’un événement historique, il s’inscrit néanmoins dans un processus de montée en puissance du camp nationaliste. Cette dynamique a commencé de façon fracassante aux municipales de 2014 avec la prise par le régionaliste Gilles Simeoni de Bastia, bastion de la famille Zuccarelli, qui détenait la mairie depuis 1968. Deuxième étape, lors des régionales de 2015, les « natios » s’emparent de l’exécutif régional et défont Paul Giacobbi, héritier et représentant d’un autre puissant clan corse. Ces victoires successives ont conféré une crédibilité gestionnaire aux régionalistes, qui sont apparus capables d’administrer la ville de Bastia, mais également la Collectivité territoriale de Corse. Cela a nourri une dynamique et un effet domino s’est ensuite produit aux législatives avec l’élection de trois députés nationalistes, ce qui est inédit dans l’histoire parlementaire, d’autant plus que leur victoire est sans appel. Dans la seconde circonscription de Corse-du-Sud, le régionaliste Paul-André Colombani l’a emporté avec 55,2 %, balayant le député de droite sortant Camille de Rocca Serra. En Haute-Corse, les deux candidats nationalistes ont obtenu 61 % et 63 %. Ce sont des victoires larges. Ils confirment leur domination dans leurs fiefs – 63,9 % à Bastia et 69,8 % à Corte – mais arrivent également en tête dans les bastions historiques des caciques : 52 % à Porto-Vecchio, fief familial des Rocca Serra, 50,2 % à Biguglia dont le député-maire, Sauveur Gandolfi-Scheit, était le candidat des Républicains dans la première circonscription de Haute-Corse.

La carte suivante montre que les candidats nationalistes obtiennent des scores élevés dans quasiment toutes les régions de l’île à l’exception de la région d’Ajaccio, du Valinco et de l’extrémité du Cap Corse. Ils sont en revanche très puissants en Balagne et dans le Niolo. On constate également un survote lié à l’implantation personnelle d’un candidat, comme si le phénomène de notabilisation s’observait également pour cette famille politique. C’est le cas par exemple pour Paul-André Colombani, qui au premier tour obtient 45 % des voix à Zonza, où il exerce la profession de médecin généraliste, 45,7 % à Conca et 36,3 % à Quenza, communes voisines de la première, pour un score moyen de 29,1 % sur l’ensemble de la circonscription.

Plusieurs facteurs ont alimenté ce puissant mouvement de fond. Le premier tient au besoin de renouvellement de la vie politique présent en Corse depuis longtemps, mais qui s’est exprimé avec une force inédite lors de ce scrutin. Alors que, sur le continent, ce sont les candidats de La République en marche qui l’ont incarné, en Corse, ce sont les « natios » qui ont surfé sur la vague « dégagiste », et cela, pour deux raisons. La première est que le combat contre le clanisme, c’est-à-dire la domination de la vie politique par les mêmes familles depuis le XIXe siècle (voire parfois au-delà) est l’un des chevaux de bataille historiques des nationalistes. De la même manière qu’Emmanuel Macron a bousculé les deux grands partis de gouvernement, ce sont les nationalistes, opposants historiques aux vieilles familles, qui ont été choisis par une majorité d’électeurs corses pour défaire Camille de Rocca Serra en Corse-du-Sud et les restes du clan Giacobbi en Haute-Corse. Nous touchons là au second facteur expliquant pourquoi ce sont les régionalistes qui ont capté l’aspiration au renouvellement en lieu et place des candidats macronistes. En effet, ces candidats du camp présidentiel aux législatives étaient tous liés, de près ou de loin, au clan Giacobbi, qui avait régné sur la Corse ces dernières années avant d’être battu lors des régionales de 2015 et avant que son chef ne soit ensuite condamné par la justice. Dans la première circonscription de Haute-Corse, c’est ainsi François Orlandi, proche de Paul Giacobbi et qui l’a remplacé à la tête du conseil départemental, qui a porté les couleurs de LREM. Dans l’autre circonscription de ce département, l’investiture a été accordée, au terme d’une rude concurrence, à Francis Giudici, maire de Ghisonaccia, mais aussi vice-président de ce même conseil départemental et colistier de Paul Giacobbi en 2015 aux régionales. En Corse-du-Sud se présentaient, dans la circonscription d’Ajaccio, Maria Guidicelli, qui occupait la seconde place sur la liste de Giacobbi aux régionales de 2015 et, dans la circonscription de Sartène, Jean-Charles Orsucci, maire de Bonifacio et ancien allié « sudiste » de Paul Giacobbi lors des régionales de 2010. Le profil de ces candidats, ajouté au fait que de nombreux maires giaccobistes avaient parrainé Emmanuel Macron quelques mois plutôt, a sans doute brouillé l’image du parti présidentiel sur l’île.

Une droite recroquevillée sur ses bastions

Conformément à l’histoire politique de l’île, la droite enregistre au premier tour des législatives d’assez faibles scores dans le nord de la Corse et des résultats plus élevés dans le sud, comme le montre la carte ci-dessous. Dans les deux circonscriptions de Haute-Corse, elle se situe en dessous de 20 % dans de nombreuses communes. Les points d’appui des candidats LR sont très épars et correspondent le plus souvent aux fiefs personnels de ces personnalités (autour de Biguglia pour Sauveur Gandolfi-Scheit et autour de La Porta pour Stéphanie Grimaldi). Cette dernière a également pu compter sur le soutien des maires de Taglio-Isolaccio et de Vallica, mais a souffert de la dissidence de Jean-Martin Mondoloni qui bénéficiait des soutiens de droite mais aussi giacobbistes, nous y reviendrons.

En Corse-du-Sud, la droite a mieux résisté, comme on le voit sur la carte. Camille de Rocca Serra enregistre des scores élevés à Porto-Vecchio et dans les communes voisines, bastion familial oblige, mais aussi à Solenzara ainsi que dans la vallée du Taravo, également appelée la « vallée des croupiers ». Cette vallée isolée a été marquée par l’empreinte de fortes personnalités qui ont fait fortune dans les jeux, à Paris ou en Afrique, et qui ont durant des décennies fourni des emplois de croupiers ou d’hommes de salle aux jeunes habitants de ces communes, mais également apporté des subsides financiers à ces villages déshérités. Eux-mêmes ou leurs proches ont alors assez naturellement converti cette influence en un capital électoral en devenant maires de leur commune, voire conseillers généraux. On peut citer le cas de Jean Tomi, maire de Tasso et frère de Michel Tomi, qui régnait sur de nombreux établissements de jeux au Gabon et dans d’autres pays africains. Toute une partie de la population villageoise travaillait pour lui en Afrique, ce qui valut au village le surnom de « Burkina Tasso »…

À quelques kilomètres de là, toujours dans cette vallée, se situe la commune de Ciamannacce, fief de la famille des Francisci. L’un de ses illustres représentants était Marcel Francisci, que l’on appelait l’« empereur des jeux ». Il cumulait ses activités lucratives dans les cercles de jeux parisiens avec un engagement politique dans le mouvement gaulliste et les réseaux Pasqua. Conseiller général RPR du canton de Zicavo, il fut assassiné en 1982. Son neveu, également dénommé Marcel Francisci, occupe aujourd’hui son poste de conseiller départemental et préside la fédération Les Républicains de Corse-du-Sud. La sœur de ce dernier, Félicia Francisci, est quant à elle maire de Ciamannacce.

Plus bas dans la vallée, on trouve la commune de Pila-Canale d’où étaient originaires Jean-Jérôme Colonna, qualifié par de nombreux observateurs de « parrain de la Corse-du-Sud », et Robert Feliciaggi, autre personnalité gravitant dans l’univers des jeux et dans les réseaux Pasqua, et qui fut maire de cette commune de 1994 à 2006 avant d’être lui aussi assassiné. Dans la plupart de ces villages, l’empreinte de ces influences demeure prégnante et la droite néogaulliste continue de dominer nettement le paysage électoral local. Camille de Rocca Serra y a bénéficié de nombreux soutiens, plusieurs maires figurant en bonne place sur sa liste lors des régionales de décembre 2015. Il a ainsi obtenu 89,1 % des voix à Ciamannacce et 51,5 % à Pila-Canale au premier tour.

Plus au nord, dans la première circonscription, sous l’impulsion du jeune maire d’Ajaccio, Laurent Marcangeli, la droite a présenté un visage renouvelé en la personne de Jean-Jacques Ferrara, ce qui lui a sans doute permis de sauver ce siège face à la concurrence d’En marche et à la vague régionaliste. Jean-Jacques Ferrara, président de la communauté d’agglomération d’Ajaccio, a su s’appuyer sur cette image de renouveau, mais aussi sur l’implantation de la droite dans l’agglomération ajaccienne, territoire qui représente la majeure partie de l’électorat de la circonscription. On distingue également sur la carte quelques communes rurales (Arbon, Salice, Rezza) votant traditionnellement à droite et dont les maires soutenaient Ferrara. On repère également la commune de Peri, dont le maire Xavier Lacombe était le suppléant de Jean-Jacques Ferrara, et qui a voté à 52,6 % pour lui au premier tour.

Dans la circonscription voisine de Haute-Corse (la seconde de ce département), la représentante des Républicains, Stéphanie Grimaldi, a rencontré des difficultés beaucoup plus importantes, on l’a vu, et a dû s’incliner à l’issue du premier tour. Cela s’explique en bonne partie par la candidature dissidente de Jean-Martin Mondoloni, qui a fait quasiment jeu égal avec elle (13,4 % pour le divers droite contre 14,1 % pour elle) et a gelé une partie des voix de droite qui ont manqué à la candidate officielle. C’est manifeste dans la région de Calvi, dont le maire, l’influent Ange Santini, ainsi que ses collègues de Lumio, Cateri et Sant’Antonio ont apporté leur soutien à Mondoloni.

Dislocation des réseaux « giacobbistes » et contre-performance des « marcheurs »

Mais Jean-Martin Mondoloni, ce candidat dissident, n’a pas bénéficié que d’appuis de droite. Une partie des réseaux giacobbistes en déliquescence se sont également rangés à ses côtés. Paul Giacobbi étant dans l’incapacité judiciaire de se présenter, trois personnalités ont affiché leur velléité de concourir et de reprendre le flambeau local passé entre-temps sous le pavillon En marche : le conseiller départemental de Corte (ayant parrainé Emmanuel Macron), Pierre Ghionga ; le maire de Calenzana, Pierre Guidoni ; et le maire et conseiller départemental de Ghisonaccia, Francis Giudici. C’est ce dernier qui a été investi par La République en marche. Mais tous les notables giacobbistes ne lui ont pas fait allégeance et, dépourvu de sa tête, ce réseau s’est désagrégé. Pierre Guidoni a ainsi décidé de soutenir Jean-Pierre Mondoloni, qui obtient 27,2 % dans sa commune de Calenzana. Le candidat divers droite a également engrangé de bons, voire très bons résultats dans d’autres villages, historiquement giacobbistes : 86 % à Sant’Andréa-di-Cotone (fief des Domarchi), 31,4 % à Castellare-di-Casinca ou bien encore 23,4 % à Venaco, berceau du clan Giacobbi, contre seulement 14,7 % pour Francis Giudici. Ce dernier est cependant parvenu à mobiliser en sa faveur une partie des réseaux giacobbistes : 56,9 % dans la commune de Costa (dont le maire Pierre-Marie Mancini est un proche de l’ex-président de la Collectivité territoriale de Corse) ou bien encore 65,3 % dans la commune de Crocicchia (dirigée par un autre giacobbiste, Pierre-Pascal Piacentini, ayant parrainé Emmanuel Macron à la présidentielle).

Face à la dispersion de ce capital électoral giacobbiste, Francis Giudici a dû compter sur sa propre assise politique organisée autour de sa commune et de son canton de Ghisonaccia. Mais, si son audience débordait au sud les limites de son canton et s’étendait sur une partie de la plaine orientale, c’est Jean-Félix Acquaviva, candidat des régionalistes, qui a viré en tête dans la majeure partie de la circonscription, et notamment en Balagne et dans tout l’ouest de la circonscription, comme on peut le voir sur la carte suivante. Il atteint ainsi 84,7 % à Lozzi, berceau des familles Acquaviva et Simeoni (et dont il est maire), 39,5 % à Corte ou bien encore 54 % à Tralonca.

Même si Francis Giudici n’était pas l’héritier politique de Paul Giacobbi au sens strict du terme, son positionnement politique et le soutien de certaines personnalités peuvent indiquer une certaine proximité. Or la comparaison des scores de Giacobbi au premier tour en 2012 (43,6 %) et de Giudici cette année (23,4 %) montre l’ampleur de la décomposition du système giacobbiste. Le contenu du dossier du procès de l’affaire des « gîtes ruraux » a révélé l’une des facettes de ce système politique : le clientélisme. L’instruction a ainsi démontré que la quasi-totalité des subventions indues versées par le conseil général de Haute-Corse, présidé au moment des faits par Paul Giacobbi, pour des faux projets de gîtes ruraux, avait été accordée à des personnes résidant dans la seconde circonscription de Haute-Corse, soit précisément celle de Paul Giacobbi. Et la carte détaillée fait apparaître non seulement Venaco, fief familial du clan Giacobbi, mais aussi des communes dirigées par des proches.

Cette affaire des « gîtes ruraux » a mis pleinement en lumière une pratique clientéliste sur la base d’une distribution indue d’argent public. Mais un système politique comme il en existe en Corse repose également sur bien d’autres piliers, comme les liens interpersonnels, les fidélités familiales, et la relation vote contre service rendu est encore largement pratiquée, notamment pour les scrutins locaux. Les maires constituent le pivot de base d’un tel système. Par le biais de ces relations multiples, ils contrôlent ou influencent un nombre de voix plus ou moins important en fonction de leur poids politique et sont eux-mêmes liés, selon une intensité variable, à une personnalité. Le degré de sujétion et le nombre de maires ou d’agents électoraux contrôlés déterminent l’ampleur et la surface de la clientèle électorale ainsi constituée. Les relations interpersonnelles et familiales constituant la base du système clanique, c’est principalement dans la partie de l’électorat autochtone insulaire que le système s’enracine. Être né sur l’île confère en effet à un électeur une probabilité beaucoup plus importante d’être intégré et inséré dans ces réseaux faits de liens familiaux et amicaux ou de renvois d’ascenseur en échange de services rendus par un élu à un électeur ou à ses proches. L’Ifop s’est procuré la quasi-totalité des listes électorales communales et nous avons ainsi pu évaluer commune par commune la part de la population née sur l’île. D’après ce décompte fastidieux, nous avons établi que cette population, que l’on appellera « autochtone », représente environ 50 % du corps électoral insulaire. Cet indicateur ne permet pas de distinguer les personnes issues de familles corses mais nées sur le continent ni, inversement, les électeurs qui, bien que nés en Corse, n’ont pas d’ascendance corse. Cette variable statistique est cependant riche d’enseignements. Elle montre d’une part l’ampleur aujourd’hui de la population « allogène » (continentaux + immigrés) sur l’île, avec un poids particulièrement important sur le littoral, alors que la proportion d’autochtones est plus élevée dans les communes de l’intérieur. Cette variable calculée commune par commune placée en regard des résultats électoraux permet par ailleurs de mettre en lumière l’assise plus ou moins clientélaire de tel ou tel électorat.

Quand on se livre à cet exercice pour les élections régionales de 2015, on constate ainsi que le score de la liste Giacobbi est très fortement corrélé à la proportion d’autochtones dénombrés sur les listes électorales dans la commune en question. Comme le montre le graphique ci-dessous, alors que l’ancien président de la Collectivité territoriale de Corse n’a obtenu que 15,2 % en moyenne dans les communes où les natifs de l’île étaient les moins nombreux, ce score moyen a doublé dans les communes présentant des taux plus élevés d’électeurs autochtones (30,5 %). Ces chiffres illustrent de manière très claire que le système Giacobbi tirait principalement sa force de son assise dans la composante autochtone du corps électoral et que l’influence de son réseau clientélaire s’étendait de manière beaucoup plus limitée dans l’autre moitié de l’électorat, nettement moins insérée dans ces réseaux familiaux et d’interrelations. La poursuite des flux d’arrivées de continentaux et la diminution du poids des autochtones constituent un véritable danger pour un système clientélaire comme celui du clan Giacobbi, car la base sociale sur laquelle il repose voit ainsi sa surface relative se réduire.

Le vote au premier tour des régionales de 2015 en fonction de la proportion d’électeurs de la commune nés en Corse

Il est en revanche intéressant de constater à partir de ce même graphique que le score de la liste Rocca Serra n’est absolument pas corrélé à cette variable, contrairement à celui de la liste Giacobbi. Toutefois, il ne faudrait pas en déduire que l’héritier de la dynastie des Rocca Serra ne s’est pas appuyé sur la persistance de vieux mécanismes claniques, mais plutôt qu’il a su trouver les voies et les moyens d’étendre son assise électorale parmi les non-autochtones. Le fait que son fief de Porto-Vecchio soit situé sur le littoral touristique, où les continentaux se sont installés en nombre, a sans doute permis d’agréger au socle traditionnel de voix du clan parmi les autochtones cette nouvelle clientèle composée pour partie de retraités et de commerçants (catégories socioprofessionnelles acquises à la droite) continentaux. Cette hypothèse est corroborée par l’analyse des scores de l’autre liste de droite en 2015. Les résultats de la liste emmenée par José Rossi sont en effet nettement corrélés, mais négativement, avec le pourcentage d’autochtones dans la commune. Cela indique que son électorat a été principalement composé par des continentaux. Implanté lui aussi en Corse-du-Sud, mais dans la région d’Ajaccio et du golfe de Valinco, zones marquées par les activités touristiques, il a su capter, comme Camille de Rocca Serra ou d’autres représentants de la droite sur la côte d’Azur ou dans les régions littorales, un électorat de retraités et de professionnels du tourisme, du bâtiment et de l’immobilier, catégories de la population où, dans cette partie de la Corse, les continentaux sont très nombreux. Mais, alors que Camille de Rocca Serra a pu s’appuyer en parallèle sur les restes de la base sociale du système clientélaire familial, José Rossi, qui n’est pas un héritier, disposait d’une assise beaucoup plus restreinte parmi la composante autochtone de l’électorat, d’où ses faibles scores dans les communes majoritairement peuplées de « natifs ».

Alors que les nationalistes corses ont fait de la défense et de la primauté du peuple corse le cœur de leur discours politique (statut de résident, accès préférentiel aux emplois pour les Corses…), il est intéressant de constater sur le graphique ci-dessous que le score cumulé de leurs listes au premier tour est assez faiblement corrélé avec la proportion d’autochtones dans la commune. Les natifs ont donc une propension un peu plus importante à voter pour les nationalistes, mais ces derniers recrutent manifestement de manière non négligeable parmi les électeurs qui ne sont pas nés en Corse. Cette capacité à mordre sur l’électorat d’origine continentale confère aux nationalistes une surface électorale large et a constitué sans doute une des clés de leur victoire.

Le vote au premier tour des régionales de 2015 pour les listes Simeoni et Talamoni en fonction de la proportion d’électeurs de la commune nés en Corse

Au second tour des législatives, la dynamique des nationalistes a été alimentée par des reports nombreux et très hétéroclites

Qualifiés dans trois des quatre circonscriptions corses et arrivés en tête dans deux d’entre elles (les deux de Haute-Corse), les nationalistes ont transformé l’essai au second tour en raflant ces trois circonscriptions, et ce, d’une manière très large. Jean-Félix Acquaviva l’emporte ainsi haut la main dans la seconde circonscription de Haute-Corse, avec 63,2 % des voix et une progression de 27 points d’un tour à l’autre. Dans la circonscription voisine, Michel Castellani détrône le député sortant, Sauveur Gandolfi-Scheit, avec 60,8 % des voix (et un bond de 30 points d’un tour à l’autre). Et dans la seconde circonscription de Corse-du-Sud, Paul-André Colombani s’empare du fief historique des Rocca Serra avec 55,2 % des voix (+26 points par rapport au premier tour) contre 44,8 % pour le député sortant Camille de Rocca Serra. « L’héritier » n’a progressé que de 9 points par rapport au premier tour : les électeurs des candidats éliminés se sont donc très majoritairement reportés sur son opposant.

Pour la première fois, la Corse est donc représentée à l’Assemblée nationale par trois nationalistes. Cette victoire historique s’est accompagnée d’un dynamitage du vieux système clanique. En effet, en l’espace de trois ans, toutes les citadelles familiales ont succombé aux coups de boutoir des nationalistes. Lors des municipales de 2014, comme on l’a vu, c’est tout d’abord la ville de Bastia qui est conquise, mettant un terme à la domination des Zuccarelli sur la préfecture de Haute-Corse. Un an plus tard, lors des élections régionales, la mort du zuccarellisme est confirmée en Haute-Corse (avec un score de 4 % seulement sur le département et de 13,5 % à Bastia pour la liste conduite par Jean Zuccarelli), mais c’est également au tour du clan Giacobbi d’être battu et de perdre la présidence de la Collectivité territoriale de Corse au profit de Gilles Simeoni et de Jean-Guy Talamoni. La condamnation de Paul Giacobbi dans l’affaire des « gîtes ruraux » précipite le déclin et, comme nous l’avons vu, le premier tour des législatives est marqué par la dislocation des réseaux électoraux giacobbistes. Au second tour, les nationalistes remportent son ancienne circonscription, mais battent également dans la circonscription voisine, dès le premier tour, François Orlandi, président du conseil général de Haute-Corse et proche de Paul Giacobbi.

À l’occasion de ce scrutin, les nationalistes s’emparent d’une autre place forte, la seconde circonscription de Corse-du-Sud que Camille de Rocca Serra détenait depuis 2002. Avant cela, cette circonscription avait eu pour député un certain Jean-Paul de Rocca Serra (père du premier) depuis 1962 ; et, de 1928 à 1940, Camille de Rocca Serra (grand-père du premier). Le cœur même du fief familial est conquis puisque le régionaliste Paul-André Colombani s’impose avec 52 % des voix dans la ville de Porto-Vecchio. Camille de Rocca Serra, qui a largement viré en tête dans cette commune avec 43,3 % au premier tour, s’est manifestement trouvé à cours de réserves puisqu’il n’a gagné que 4,7 points au second tour quand son adversaire passait de 30 % à 52 %, comme si un large front anti-Rocca Serra s’était mis en place jusque dans le cœur même du fief historique.

L’une des principales clés de cette large victoire des régionalistes est qu’ils ont su incarner depuis plusieurs années un renouvellement politique face au vieux système clanique. Alors que, sur le continent, Emmanuel Macron puis ses candidats aux législatives ont surfé sur cette tendance, ce créneau très porteur sur l’île de Beauté a été préempté par les nationalistes. Cela s’est traduit au premier tour par les bonnes performances de ces derniers mais aussi, au second tour, par une très forte dynamique en leur faveur, et ce, qu’ils soient opposés à la droite (Sauveur Gandolfi-Scheit dans la première circonscription de Haute-Corse et Camille de Rocca Serra dans la seconde de Corse-du-Sud) ou à La République en marche (Francis Giudici dans la seconde circonscription de Haute-Corse). Ce dernier cas est intéressant car il montre que, même face à un candidat « macronien », c’est le représentant des nationalistes qui a bénéficié des meilleurs reports et qui a eu la dynamique pour lui.

L’analyse de la carte de la progression du candidat nationaliste Jean-Félix Acquaviva entre les deux tours ci-dessous fait apparaître des gains particulièrement massifs dans des communes politiquement très diverses. Acquaviva progresse ainsi de 30 à 40 points dans la région de Calvi, et notamment dans les communes qui ont le plus fortement voté pour le divers droite Jean-Martin Mondoloni, cet électorat a donc manifestement basculé en faveur du régionaliste contre le candidat « macronien », Francis Giudici. Cela est corroboré par les reports très élevés en faveur de Jean-Félix Acquaviva à Aléria et Tallone, dont les maires ont activement soutenu le divers droite Jean-Martin Mondoloni au premier tour. On retrouve le même phénomène au nord de la circonscription dans des communes comme Ortiporio, Monte, Loreto-di-Casinca ou Silvareccio, qui ont elles aussi fortement voté Jean-Martin Mondoloni. L’orientation « corsiste » de ce dernier peut expliquer en partie que le choix de ses électeurs se soit préférentiellement porté sur le candidat régionaliste. Mais la dynamique qui a porté Jean-Félix Acquaviva n’a pas émané que de l’électorat « mondoloniste ». On constate en effet de très bons reports dans les communes où la candidate des Républicains, Stéphanie Grimaldi, a enregistré ses meilleurs résultats au premier tour. C’est tout à fait flagrant dans sa propre commune de La Porta, où elle a obtenu 64,1 % au premier tour. Au second, Jean-Félix Acquaviva l’emporte avec un score écrasant de 86 % des voix et progresse de… 63 points d’un tour à l’autre quand Francis Giudici n’améliore son score que de 8 points. Le même constat s’impose par exemple dans le village de Taglio-Isolaccio, qui a pour maire la filloniste Marie-Thérèse Mariotti : +49 points pour Jean-Félix Acquaviva contre +17 points pour Francis Giudici.

L’analyse des reports dans cette circonscription montre donc que le candidat régionaliste a bénéficié du soutien d’une bonne partie des électeurs divers droite « corsiste », mais aussi des électeurs des Républicains. Cette capacité à agréger des électorats hétéroclites a donné naissance à la puissante dynamique d’entre-deux-tours des régionalistes, qui se retrouve dans les autres circonscriptions où ils sont présents au second tour. Ainsi, alors que Jean-Félix Acquaviva, opposé à un candidat de La République en marche, a su capter une part importante de l’électorat de droite, dans les deux autres circonscriptions, c’est l’électorat « macronien » que les régionalistes sont allés chercher pour vaincre la droite.

La carte suivante montre en effet que c’est dans les communes où François Orlandi, candidat LREM, et Julien Morganti, candidat divers gauche / dissident d’En marche, ont fait leurs meilleurs scores au premier tour que le régionaliste Michel Castellani progresse le plus spectaculairement d’un tour à l’autre dans la première circonscription de Haute-Corse.

À l’autre extrémité de l’île, comme le montre la même carte, on observe le même phénomène dans la seconde circonscription de Corse-du-Sud. Si la progression du régionaliste Paul-André Colombani est relativement limitée dans la vallée du Taravo, où la droite dispose encore de solides relais, elle se révèle en revanche spectaculaire dans toutes les communes où Jean-Charles Orsucci, candidat LREM, a obtenu de bons scores au premier tour. C’est le cas notamment dans sa ville de Bonifacio où Orsucci a recueilli 59,3 % des voix au premier tour. Au second, Colombani vire en tête avec 55,6 % des voix (soit une progression de 44 points, quand Camille de Rocca Serra ne gagne « que » 21 points). C’est le cas également à Pietrosella (dont le maire était suppléant d’Orsucci), à Cozzano, Santa-Maria-Siché ou bien Olmeto, communes dont les maires ont soutenu Jean-Charles Orsucci au premier tour. Parallèlement à ces reports de l’électorat « macronien », le candidat régionaliste a également bénéficié d’apports de voix communistes ou « insoumises » avec des progressions au second tour particulièrement fortes à Ocana ou à Bilia, où la gauche de la gauche a recueilli de bons résultats au premier tour, ou bien encore à Sartène.

Les ressorts de la victoire des régionalistes

Comme on l’a vu, la capacité à incarner le changement face à un système politique insulaire figé depuis des années, combinée à l’affaiblissement des clans traditionnels, a constitué l’une des principales clés de la victoire pour les régionalistes. Par ailleurs, il convient de rappeler que, historiquement, les « natios » avaient été lourdement pénalisés par leurs divisions et par le recours à la violence d’une partie de cette mouvance. Le renoncement clair et net à la lutte armée a crédibilisé et normalisé le nationalisme comme force politique responsable et présentable. En gagnant une grande ville comme Bastia puis la Collectivité territoriale, les « natios » ont par ailleurs fait la preuve de leur capacité à gérer sans violences et sans difficultés de grandes collectivités locales. Et au second tour des régionales, comme cette année dès le premier tour des législatives, ils ont su se rassembler et présenter des candidats d’union, ce qui a alimenté leur dynamique alors que les autres forces politiques apparaissaient très divisées.

La comparaison des résultats du premier tour des législatives entre 2012 et 2017 est de ce point de vue assez instructive. Si la progression est spectaculaire dans la seconde circonscription de Haute-Corse (avec un score de 17 % en 2012 contre 36,4 % cette année) et conséquente dans la première circonscription de Corse-du-Sud (de 16,9 % à 21,4 %), elle est beaucoup plus modeste (de 28 % à 30,4 %) dans la première de Haute-Corse et inexistante dans la seconde de Corse-du-Sud (de 29,3 % à 29,1 %). Cette stabilité dans ces deux dernières circonscriptions masque le fait que, en 2012, cet étiage correspondait aux scores cumulés de deux, voire trois candidats régionalistes ou nationalistes qui se concurrençaient dans chaque circonscription, privant ainsi leur famille politique de l’accès au second tour. La leçon a été retenue. Hormis dans la seconde circonscription de Haute-Corse où la disparition du système Giacobbi a libéré un électorat qui s’est en partie reporté sur les nationalistes, ces derniers n’ont en fait que peu progressé au premier tour par rapport à 2012. Mais, en optant pour des candidatures uniques, ils ont pu cette année accéder au second tour et, surtout, créer une dynamique vertueuse.

Depuis plusieurs années, les nationalistes ont dicté l’agenda politique et su mettre au cœur du débat toute une série de sujets très populaires : la protection du littoral (interdiction du bétonnage des côtes), la co-officialité de la langue corse, le rapprochement des prisonniers politiques sur l’île, la maîtrise du foncier, le statut de résident, plus récemment la préférence insulaire à l’embauche, etc. Non seulement ces thématiques sont populaires, mais bon nombre d’acteurs politiques locaux les ont reprises à leur compte, venant ainsi légitimer le programme des « natios ».

Cette capacité à imposer les termes du débat, une grille de lecture et même un vocabulaire n’est pas sans rappeler la situation prévalant en Catalogne espagnole où, d’après un élu socialiste catalan interrogé par Le Monde, « les indépendantistes ont gagné la bataille du récit ». Un autre parallèle avec le contexte catalan peut être établi, du point de vue de l’influence de l’enseignement de la langue et de la culture régionale, qui est venue raviver le sentiment national chez les jeunes générations (l’université de Corte étant un des foyers du nationalisme corse). En ce sens, les « natios » récoltent aujourd’hui, dans un contexte particulier, les fruits d’un travail idéologique de fond amorcé il y a plus de trente ans.

Leur victoire aux législatives conforte leur dynamique. Ils abordent le prochain scrutin régional en position très favorable et leurs adversaires risquent d’être encore davantage fragilisés en cas de victoire de Gilles Simeoni et de Jean-Guy Talamoni. En Haute-Corse comme en Corse-du-Sud, en raison des emplois publics, des investissements et des subventions qu’ils créent et contrôlent, les conseils départementaux étaient les bras armés du clanisme. Si les nationalistes prennent le contrôle de la future collectivité unique (qui remplacera les conseils départementaux et la Collectivité territoriale de Corse), ils auront les coudées franches pour mener leur agenda.

Remerciements : Les auteurs remercient chaleureusement Charlène Jacquetton pour son aide sur la partie cartographique et Antoine Albertini pour les informations et les éléments qu’il leur a gentiment fournis.

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