Il y a trente ans, les lois Auroux sont votées. Alors qu’elles modifient près d’un tiers du Code du travail, mettant en place le droit d’expression des salariés et l’obligation de négocier dans l’entreprise, elles restent méconnues. Matthieu Tracol revient sur leur genèse et les replace dans une perspective plus actuelle.
Synthèse
Les lois Auroux, bien qu’aujourd’hui méconnues, ont été un des principaux chantiers législatifs de l’année 1982. Ces quatre lois préparées par Jean Auroux, ministre du Travail de François Mitterrand entre mai 1981 et mars 1983, ont modifié près d’un tiers du Code du travail. Ayant l’ambition d’affermir la démocratie sociale, elles ont notamment mises en place le droit d’expression des salariés et l’obligation de négocier dans l’entreprise. Si elles n’ont guère marqué les mémoires, l’esprit de conciliation sociale dont elles témoignaient se retrouve pourtant aujourd’hui au sein du projet de François Hollande.
En mai 1981, François Mitterrand commande à son gouvernement un rapport sur les droits nouveaux des travailleurs. Il est confié au nouveau ministre du Travail, Jean Auroux. Novice en matière de droit du travail, il nomme à ses côtés une jeune énarque, spécialiste des relations sociales françaises : Martine Aubry. Elle rédige le rapport Auroux, terminé dès le mois de septembre 1981. Celui-ci est organisé autour de l’idée que « citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise ».
Pourtant, ce rapport est éloigné de la lettre et de l’esprit des promesses électorales de François Mitterrand, est critiqué pour son manque d’ambition. Puisant son inspiration dans les travaux d’« Echange et projets », le club de Jacques Delors, plutôt que dans les programmes du Parti socialiste, il est nettement apparenté, dans son ton et sa philosophie, aux conceptions défendues par la CFDT. La « nouvelle citoyenneté de l’entreprise » que le rapport se fait fort de mettre en place doit ainsi servir à poser les bases d’une négociation sociale enfin équilibrée, sans pour autant remettre en cause l’autorité du chef d’entreprise.
Le rapport Auroux est rendu public au mois d’octobre 1981, puis quatre projets de loi sont déposés à l’Assemblée nationale au printemps 1982. Jugeant que ces derniers ne sont pas assez audacieux, les députés socialistes restent fidèles aux analyses antérieures du Parti socialiste : limitation du pouvoir patronal, développement des contre-pouvoirs et de la capacité de contrôle des syndicats. Mais, soucieux de ne pas bloquer la marche des entreprises, le gouvernement refuse d’amender ses textes en profondeur, et les députés socialistes doivent s’incliner. Après des discussions parlementaires longues et laborieuses, les différents textes sont votés puis promulgués au cours du deuxième semestre 1982.
L’ensemble composé de quatre lois est donc impressionnant, si ce n’est par son audace, du moins par son volume. A bien y regarder, il s’agit en fait surtout d’un rattrapage, après une décennie de relative stagnation en matière de droit du travail, stagnation qui contrastait avec la floraison de projets qu’avait connue la décennie 1970, portée par la vague autogestionnaire.
Qu’en est-t-il des changements intervenus concrètement dans les entreprises ? Les résultats sont plutôt mitigés. Beaucoup de réformes techniques ou de détail ont été mises en œuvre, mais sans changer fondamentalement le fonctionnement des entreprises. Issues de réflexions entamées dans les années 1960, les lois Auroux avaient été conçues pour répondre aux défis sociaux posés par l’économie fordiste des Trente Glorieuses, avec ses grands établissements et ses collectifs de travail structurés et syndiqués. Elles ont buté sur les transformations de l’organisation du travail et du management, mais aussi sur la crise du syndicalisme français.
Est-ce à dire que ces lois sont obsolètes ou que les enjeux dont elles s’étaient saisies n’ont plus d’objet ? Ce serait plutôt le contraire. Depuis une quinzaine d’années, la montée des « risques psychosociaux », le phénomène des suicides au travail, très médiatisés, montrent que les enjeux liés aux conditions de travail restent cruciaux. Enfin le programme adopté par le Parti socialiste en vue des élections de 2012 est à ce sujet placé explicitement dans « le prolongement des lois Auroux » prônant négociation sociale et participation des salariés à la gouvernance des entreprises.