Les inégalités socio-spatiales en France et en Allemagne

Si les réalités économiques, politiques et institutionnelles des deux côtés du Rhin sont bien différentes, les deux pays connaissent, derrière des moyennes nationales rassurantes, des inégalités socio-spatiales qui s’aggravent au niveau régional et local. Ces disparités grandissantes jettent une lumière crue sur le risque, en France comme en Allemagne, d’une rupture de la communauté de destin entre citoyens d’une même nation. Des experts français et allemands livrent leur analyse pour les fondations Jean-Jaurès et Friedrich-Ebert.

Table des matières

Avant-propos 

UNE FRANCE INÉGALITAIRE 
Introduction 
Les inégalités socioéconomiques en France 
Les effets de la redistribution des richesses en France 

UNE ALLEMAGNE INÉGALITAIRE 
Introduction
Des conditions de vie inégales en Allemagne 
L’Allemagne aujourd’hui 
Une nouvelle politique pour l’égalité des conditions de vie et la cohésion sociale
Annexes

 

Avant-propos

Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès
Thomas Manz, directeur de la Fondation Friedrich-Ebert Paris

La France et l’Allemagne vivent, on le sait, des réalités économiques, politiques et institutionnelles très différentes. État jacobin d’un côté, fédéral de l’autre. Culture présidentielle quasi monarchique ici, culte du compromis parlementaire là-bas. Économie lestée d’un chômage systémique à l’ouest du Rhin, quasi plein emploi sur la rive d’en face. Mais en dépit de ces divergences fondamentales, les mêmes périls semblent nous guetter. À Paris comme à Berlin, l’ombre des forces populistes d’extrême droite se fait chaque jour, après chaque élection, plus menaçante. Pour mieux les empêcher d’avancer, il faut avant toute chose comprendre leur origine. Il s’agit donc ici de répondre à une seule question : d’où ces mouvements tirent-ils leur force actuelle ? La carto-graphie des résultats électoraux effectuée au lendemain des derniers scrutins laissait deviner de fortes corrélations entre la prévalence de ces votes de colère et certaines inégalités socio-spatiales. Notre travail le confirme.

Il trouve son origine dans la volonté de la Fondation Friedrich-Ebert d’enrichir la réflexion menée en Allemagne, au printemps 2019, au sein de la commission gouvernementale « L’égalité des conditions de vie », dont l’objectif, pour le gouvernement allemand, était de répondre aux inégalités croissantes des conditions de vie en Allemagne. Il donnait ainsi, pour la première fois, la priorité à la lutte contre les inégalités. Tout naturellement, dans le cadre de la longue coopération entre nos deux fondations, il nous est apparu pertinent de procéder à ce même travail en France pour obtenir une photographie des inégalités qui y sont à l’oeuvre. Ce sont ainsi les situations politique, économique et sociale de nos deux pays qui sont mises en lumière afin que, sur cette base, soient proposées des solutions politiques concrètes pour plus d’égalité.

En France comme en Allemagne, on observe ainsi des phénomènes identiques : après plusieurs décennies de baisse continue, les inégalités sont reparties à la hausse depuis les années 1990. Ainsi, alors que le patrimoine immobilier et financier de l’ensemble des Français a doublé entre 1998 et 2012, celui des 20 % les plus pauvres a en réalité diminué. Dans les deux pays, tandis que certaines zones sont en plein essor, d’autres – du fait du chômage, de la pauvreté, de l’absence de diplômés, de la monoparentalité, du vieillissement et, surtout, du recul des services publics – sont menacées d’un décrochage de long terme. Derrière les rassurantes moyennes nationales, les réalités régionales et locales analysées ici laissent entrevoir des disparités grandissantes qui jettent une lumière crue sur le risque, des deux côtés du Rhin, d’une rupture de la communauté de destin entre citoyens d’une même nation.

Face à ce processus de délitement, l’État n’est pas inactif. Il fait même en réalité déjà beaucoup. Notre étude rappelle en effet l’ampleur exceptionnelle des politiques de protection sociale et des mécanismes de redistribution mis en place depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les territoires prospères et à forte densité, il faut le souligner, assument leur devoir de solidarité avec les zones en difficulté. Mais peut-être l’État veut-il justement en faire trop. Les déséquilibres locaux mis en lumière par notre étude illustrent ainsi le besoin pour celui-ci de déléguer plus de pouvoir aux échelons intermédiaires, mieux à mêmes d’orienter et d’affiner la redistribution en fonction des besoins des territoires. Pour reprendre la marche de la réduction des inégalités, c’est de cette nouvelle étape de la décentralisation à engager dont il faut désormais débattre.

 

Les auteurs 

Hervé Le Bras est démographe et historien. Directeur d’études à l’EHESS et directeur de recherches émérite à l’Ined, il a publié plusieurs ouvrages sur les inégalités dont : Le mystère français (avec Emmanuel Todd, Seuil, 2013), L’Atlas des inégalités (Autrement, 2014) ou encore Se sentir mal dans une France qui va bien (Aube, 2019). Il est l’auteur de la première partie de « Un France inégalitaire ».

Achille Warnant est doctorant en géographie à l’EHESS. Il a participé au cycle de réflexion sur les villes petites et moyennes mené à la Fondation Jean-Jaurès entre septembre 2017 et janvier 2019. Il est l’auteur de la seconde partie de « Un France inégalitaire ».

Dr. Philipp Fink était conseiller en politique climatique, environnementale, énergétique et structurelle au département de politique économique et sociale de la Friedrich-Ebert-Stiftung et directeur du groupe de travail sur les politiques structurelles durables. Il dirige depuis le 1er juillet 2019 le bureau des pays nordiques de la fondation à Stockholm.

Martin Hennicke, ancien Ministerialdirigent (chef de service d’un ministère), a dirigé jusqu’en 2017 le département de planication politique de la chancellerie du Land de Rhénanie-du-Nord–Westphalie. Il est membre du groupe de travail sur les politiques économiques structurelles et durables de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

Heinrich Tiemann, ancien secrétaire d’État, a occupé le poste de Ministerialdirektor (chef de direction d’un ministère) à la chancellerie fédérale et de secrétaire d’État dans différents ministères fédéraux. Il est membre du groupe de travail sur les politiques économiques structurelles et durables de la Friedrich-Ebert-Stiftung.

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