Les Français et le président : état des lieux après l’été

Sur son style comme sur le fond, les critiques formulées à l’égard d’Emmanuel Macron en cette fin d’été convergent toutes vers le même point : une partie grandissante des Français doute d’être au cœur du projet du président de la République.

Avec 40% de Français se déclarant satisfaits de lui, Emmanuel Macron vient d’enregistrer une chute de 24 points au cours des deux derniers mois dans le baromètre Ifop/JDD. Sur la même période, François Hollande perdait 5 points (passant de 59 à 54%), et Nicolas Sarkozy en gagnait 4 (69% en septembre). Le nouveau président ne semble donc pas échapper à cette nouvelle loi qui veut que chaque chef de l’État soit rattrapé plus vite que son prédécesseur par l’impopularité – bien que pour des raisons tout à fait différentes. 

Interrogés par l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès, les Français qui se disent « satisfaits » convergent vers l’idée qu’Emmanuel Macron a su restaurer l’autorité et le prestige de la fonction présidentielle, et est parvenu – bien que dans une moindre mesure – à la moderniser. Sur ce point, c’est évidemment la place que le président a su (re)donner à la France à l’international qui reste le motif de fierté principal pour de nombreux interviewés.

En parallèle, le président de la République continue de capitaliser sur ses attributs de « jeunesse », de « dynamisme », de « nouveauté », de « renouvellement », etc. Bien que ces différents qualificatifs soient moins cités que dans les vagues antérieures de notre enquête, il n’en reste pas moins que les propos tels que « c’est toujours pareil », « tous les mêmes », etc. sont très rares en comparaison des vagues d’enquête réalisées au cours des deux précédents quinquennats. 

Quant aux opinions négatives – désormais majoritaires –, elles sont essentiellement portées par un sentiment croissant « d’injustice sociale ». La chute de l’exécutif dans les sondages est d’autant plus brutale que le « style » présidentiel semble répondre et conforter le « fond ».

Soulignons que, sur la politique menée comme sur l’image présidentielle, il semblerait que nous soyons sortis de la période où le seul contraste avec les défauts d’un prédécesseur rejeté suffisait à gagner la bienveillance d’une majorité de Français. Désormais, les actes et décisions présidentiels concrets semblent suffisamment nombreux pour que les Français, qui projetaient jusqu’ici des espérances diverses dans l’exécutif, commencent à former un jugement – non encore définitif – sur son action.

Alors que l’image présidentielle était jusqu’ici essentiellement rejetée pour des raisons « idéologiques » par une partie de la gauche et de l’extrême droite, force est de constater que ces critiques se nourrissent désormais d’éléments programmatiques identifiés et concrets perçus comme des menaces pour le pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires. 

À cet égard, l’augmentation de la CSG, déjà très durement critiquée par les retraités lors de la campagne présidentielle, se voit plus largement disqualifiée puisqu’elle ne s’accompagne plus, aux yeux des interviewés, de la certitude d’être compensée par une suppression de la taxe d’habitation ou par une réduction des cotisations sociales salariales. Conséquence de ces incertitudes, se fait jour dans le discours des interviewés l’idée que le président « diffère » ses promesses pour déguiser une augmentation d’impôts. On voit réapparaître ici les séquelles du « ras-le-bol fiscal » apparu en 2013, qui jette la suspicion sur toute annonce fiscale et provoque la colère des contribuables à la moindre ambiguïté. 

Plus récemment, l’annonce d’une réduction du montant des APL a aussi pu donner l’impression que le gouvernement « s’en prenait aux plus faibles » (« d’abord les retraités et maintenant les étudiants »). Les gestes comme la revalorisation de l’allocation adultes handicapés ou du minimum vieillesse étant par ailleurs passés inapperçus, l’idée qui s’impose est bien que le gouvernement ne « fait rien pour les plus démunis » et demande des efforts que les Français dans leur ensemble n’étaient pas prêts à consentir (un sondage Ifop réalisé avant l’été montrait à ce titre que 49% se disaient prêts à des efforts pour redresser les comptes publics, soit 13 points de moins qu’en 2012 à la même période).

L’injustice sociale est donc à ce stade la grille de lecture principale qui est en train de s’imposer dans l’opinion. Les mesures qui ont occupé les débats de l’été sont venues confirmer le doute originel d’une partie des Français quant à la capacité d’Emmanuel Macron à « comprendre les gens comme eux », et donc à mener une politique au bénéfice de tous (rappelons qu’il obtenait le même score que Marine Le Pen sur l’item « sa politique va me bénéficier personnellement » au moment de son élection, selon OpinionWay). À ce titre, les débats sur le budget à venir, qui promet des coupes significatives pour respecter l’objectif de 3% de déficits, s’annoncent périlleux pour l’exécutif.

La critique sur le style et la communication présidentielle joue le rôle d’adjuvant à la critique sociale portée sur son action. Elle se décline sur deux registres : d’abord, la perception d’un écart croissant entre la mise en scène du président et la réalité de son action – critique que l’on avait déjà observée s’agissant de l’action de Manuel Valls à Matignon. Ce contraste se révèle d’autant plus problématique qu’il tranche avec l’image du « réformateur », que l’on espérait déterminé et courageux (souvent par rejet du hollandisme qui l’a précédé), sachant où il allait et surtout détenteur d’une « méthode » nouvelle pour surmonter les blocages et les réticences d’un pays qui semblait jusqu’ici condamné à l’enlisement. En plus mineur, les critiques se portent sur une stratégie apparente de « verrouillage » de la communication qui nourrit les doutes sur la sincérité présidentielle et sur sa capacité à tolérer la contestation. Les interviewés sont par ailleurs de plus en plus nombreux – mais encore largement minoritaires – à décrypter l’ensemble des déclarations et initiatives d’Emmanuel Macron sous le prisme de la communication. Conséquence de cet « excès de communication  » perçu, des mesures normalement populaires peinent à venir rééquilibrer les perceptions négatives et ne sont pas totalement mises au crédit du président, car on soupçonne qu’elles servent seulement une stratégie d’image (par exemple, la loi sur la moralisation de la vie politique).

Les critiques formulées vis-à-vis de la communication personnelle du président sont d’autant plus vives qu’elles contrastent avec un sentiment grandissant d’absence, d’immobilisme, d’hésitation ou d’enlisement du gouvernement. Les apparents revirements sur le calendrier des réformes ont marqué l’opinion et donné l’image d’un exécutif « hésitant », « velléitaire » et, finalement, peut-être – mais cela reste encore à l’état de soupçon naissant – assez peu préoccupé par le succès de son projet politique. Il faut d’ailleurs noter que, contrairement à ce qui est souvent avancé, la chute de popularité d’Emmanuel Macron n’intervient pas au moment de l’affaire De Villiers, mais débute au moment du Congrès et du discours de politique générale, alors que les premiers flottements sur le calendrier des réformes fiscales se font jour.

Ces « cafouillages » perçus ont aussi affecté la crédibilité d’un gouvernement perçu comme « mal coordonné », « trop jeune », « mal préparé » etc. Des attributs qui viennent questionner la capacité de ce dernier à mener à bien les réformes promises et provoquent des interrogations sur les bienfaits réels du « renouvellement ».

Notons enfin que ces différents « revirements », et l’inévitable confusion qu’ils ont entraînés dans l’opinion publique, sont aussi parfois perçus comme un manque de transparence : le gouvernement ne souhaiterait pas (ou ne parviendrait pas) à exprimer clairement ses objectifs, son « cap » pour l’avenir. 

Si l’injustice sociale semble peu à peu s’imposer comme grille de lecture principale, et si tant d’importance paraît être prêtée à la communication au président, c’est sans doute parce qu’Emmanuel Macron n’a pas su, malgré le discours au Congrès dont c’était l’objectif, donner à voir le cap de son action et les valeurs sur lesquelles elle s’appuierait. Ce manque de clarté sur son projet politique explique la formation de grilles de lectures de son action échappant à son contrôle. 

Deux éléments constitutifs du « macronisme » viennent renforcer ce manque de lisibilité :

  • le « en même temps » est une approche qui véhicule un déficit de clarté idéologique et nuit à l’appropriation de la politique menée. Cela aboutit à une lecture séquencée et individuelle des mesures prises et des résultats attendus, propice aux déceptions et mécontentements. En l’absence de clés idéologiques, l’action présidentielle se trouve réduite à ce que représente celui qui la mène : à savoir le monde de la finance, des riches coupés des pauvres, etc. 
  • L’approche itérative (le fameux « test and learn » si cher aux start-ups) : Emmanuel Macron sait corriger ses erreurs, le revirement peut même d’une certaine façon être revendiqué comme une méthode de sa part, mais l’opinion ne l’entend ni ne le comprend comme cela. L’action présidentielle renvoie donc une image brouillonne, ce qui entre en contradiction avec ses attributs jupitériens.

Notons toutefois que, contrairement à ce qui fut le cas pour François Hollande, le manque de lisibilité ne se combine pas avec un doute sur la capacité présidentielle à « trancher ». Cela explique que l’on ne parle pas de « président sans cap », comme ce fut le cas pour François Hollande dès l’automne 2012. On pense qu’Emmanuel Macron a un cap, mais on ne comprend pas lequel – et on redoute de plus en plus de ne pas faire partie de son projet. L’histoire présidentielle semble trop souvent se décliner au singulier, l’autorité – souhaitée sur de nombreux sujets – introduit une forme de distance. Tout se passe comme si les Français souhaitaient davantage qu’on leur parle d’eux, et qu’on les rassure sur le fait que tous les efforts gouvernementaux sont dirigés vers l’amélioration de leur situation personnelle.

Un élément doit toutefois nous conduire à relativiser les jugements négatifs exprimés ici : nombre d’interviewés admettent ne pas encore avoir d’opinion définitive à propos du chef de l’État. Les réactions du type « il est trop tôt pour le dire », « il faut leur laisser le temps » ou « j’attends de voir à la rentrée », « on verra vraiment en septembre avec la loi travail » sont omniprésentes dans le discours des interviewés (y compris chez les sympathisants d’extrême droite et d’extrême gauche). C’est donc un avertissement sérieux que l’opinion adresse ici au président, mais il garde sans aucun doute des marges de manœuvre pour corriger ce qui doit l’être. Les Français n’ont pas encore définitivement tranché.

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