Les Français et la guerre en Ukraine

L’opération militaire en Ukraine décidée par le président russe Vladimir Poutine constitue un « retour de la guerre » sur le continent européen. Quelle est l’opinion de la population française concernant ce conflit ? Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’Opinion de la Fondation, interroge dans le temps le rapport des Français à leur armée et à d’éventuelles interventions militaires.

Dans la nuit du 23 au 24 février dernier, le président russe Vladimir Poutine a décidé de lancer une opération militaire majeure contre l’Ukraine. De manière unanime, les dirigeants politiques européens ont condamné cette agression, multiplié les sanctions contre la Russie et décidé d’envoyer de manière significative du matériel militaire au régime ukrainien. Dans une nouvelle escalade des tensions, Vladimir Poutine a déclaré “mettre les forces de dissuasion de l’armée russe en régime spécial d’alerte au combat”.

La guerre en Ukraine, par sa soudaineté, sa violence et les risques globaux qu’elle porte en germe, est ainsi venue bouleverser le paysage politique français à moins de quarante jours du premier tour de la présidentielle. En France, même s’ils ne s’entendent pas forcément sur les causes du conflit, les différents candidats à la présidentielle ont condamné l’agression russe. Néanmoins, alors que les décisions gouvernementales peuvent avoir des conséquences décisives, peu d’informations circulent concernant l’opinion de la population française, qui semble finalement être une donnée absente de ce conflit.

Quelle est l’opinion de la population française concernant ce conflit et concernant l’attitude à adopter ? Les Français sont-ils prêts à mettre en place des sanctions économiques majeures contre la Russie ? Accepteraient-ils un déploiement armé, même si cela n’est pas encore à l’ordre du jour ? Et si l’on replace ce conflit sur le temps long, l’attitude générale des Français est-elle différente de ce que l’on a pu connaître dans d’autres conflits ? C’est à l’ensemble de ces questions que nous nous proposons de répondre dans cette note.

Un soutien global à l’armée

Pour bien comprendre les enjeux actuels, il est tout d’abord nécessaire de les remettre en perspective. Un premier élément clé est la confiance que les Français manifestent dans leur armée : le taux de confiance est de 75%, des chiffres supérieurs à ce que l’on constate pour l’école (74%), la justice (46%) ou encore les médias (29%). Deux tiers des Français considèrent par ailleurs que l’armée française est bien équipée et 81% que c’est une chance pour la France d’avoir l’arme nucléaire. Néanmoins, si 81% de nos concitoyens considèrent que l’armée française pourrait protéger le pays en cas de conflit « classique », seulement un sur deux est optimiste en cas de conflit nucléaire.

Ce rapport à l’armée française se double par ailleurs d’un sentiment patriotique puissant. Dans une enquête comparative menée à l’échelle européenne en 2017, 70% des Français se disaient « prêts à se battre pour défendre leur pays », si une guerre devait arriver, un chiffre dans la moyenne haute des pays européens.

Figure 1. Pourcentage de personnes se déclarant prêtes à se battre pour défendre leur pays en cas de guerre (EVS 2017)

Néanmoins, ce type de données, récoltées dans les « temps creux » de l’actualité internationale, là où le risque de guerre n’est pas présent, manque un point essentiel : lorsque les conséquences d’un conflit se matérialisent, l’attitude des Français change drastiquement.

Favorables aux interventions armées tant qu’elles ne prêtent pas à conséquence : l’ambiguïté des Français

L’opinion des Français concernant les interventions armées est pour le moins ambiguë. D’un côté, dans la première phase des conflits, on note quasiment systématiquement un soutien de l’opinion publique aux différentes interventions armées auxquelles la France a pu participer et ce depuis les années 1990. 65% des Français considèrent ainsi que la France a vocation à mener des opérations militaires extérieures. On peut ainsi noter quelques exemples marquants. En mars 2011, 66% des Français étaient favorables à l’intervention militaire française en Libye. En 2014, 64% de nos concitoyens soutenaient également une opération militaire au Mali.

Mais bien souvent, cette attitude interventionniste vient frapper contre le mur des réalités tangibles de la guerre. Un engagement armé comporte des conséquences et notamment des conséquences en termes de vie humaine pour les militaires engagés sur le terrain. Or c’est précisément quand ces conséquences se donnent à voir concrètement que l’opinion publique a tendance à se retourner.

L’exemple caractéristique de cette dynamique est clairement celui de l’intervention militaire française en Afghanistan1Pour un développement en profondeur de cette question, voir la note de Barbara Jankowski, dont les différents chiffres suivants sont tirés.. En octobre 2001, 66% des Français sont ainsi favorables à une intervention militaire de la France en Afghanistan. Puis, début 2008, alors que la guerre s’enlise mais que le président Sarkozy annonce l’envoi de troupes supplémentaires, la lassitude de la population Française face à ce conflit qui s’éternise commence à se faire sentir : 68% des Français désapprouvent ces nouveaux envois de troupes. Mais c’est un autre événement qui vient définitivement modifier la donne. En août de cette même année, dix soldats Français sont tués sur le champ de bataille. Dans la foulée, en septembre 2008, 62% des Français se disent opposés à ce que la France maintienne des troupes sur ce terrain d’opération.

Ces chiffres nous enseignent ainsi à quel point la question du soutien de l’opinion aux interventions militaires, quelles qu’elles soient, nécessite d’être prise avec énormément de prudence. Si le soutien aux interventions militaires est souvent assez élevé dans un premier temps lorsque la cause semble « juste », les Français ne sont souvent pas prêts à payer les conséquences de ces conflits, en particulier lorsque ceux-ci sont coûteux en termes de vie humaine. C’est un point essentiel à garder en tête dans la situation actuelle.

Le conflit en Ukraine, des Français inquiets et prudents

La situation internationale inquiète fortement les Français et c’est pour cela qu’ils souhaitent rester prudents. Ainsi, 92% des Français se disent « intéressés » par la guerre de la Russie à l’Ukraine, un chiffre très élevé si l’on considère à quel point cette thématique était encore largement absente des intérêts politiques et médiatiques il y a quelques semaines de cela. Plus encore, 8 Français sur 10 se disent inquiets par la situation. Quant à Vladimir Poutine, 93% des Français le voient comme un homme dangereux.

Dans ces conditions, la prudence semble de mise pour nos concitoyens. Seulement 37% des Français sont favorables à une intervention militaire en Ukraine. L’action sur le plan économique est alors privilégiée : 84% des Français souhaitent que des sanctions économiques soient prises contre la Russie et 83% sont favorables au gel des avoirs financiers des personnalités russes. Néanmoins, à l’heure actuelle, ces sanctions ne doivent pas être prises à tout prix et on retrouve ainsi l’ambivalence dont nous parlions dans la partie précédente. 61% des Français s’opposent ainsi à des sanctions qui pourraient avoir comme conséquence une augmentation du prix de l’énergie.

Conclusion : une ligne de crête

La situation en Ukraine est explosive et fortement évolutive. Dans ces conditions, les Français sont loin d’être apathiques et critiquent vivement l’action du président russe. Néanmoins, comme on a déjà pu le constater à de nombreuses reprises dans des conflits précédents, la peur des conséquences d’une guerre est un frein majeur au soutien à une mobilisation armée. Généralement, le retournement du soutien se remarque lorsque l’engagement des troupes armées est déjà réalisé et que le conflit s’enlise ou qu’il provoque des morts au sein des forces françaises. C’est là où la situation diffère largement aujourd’hui : la peur des représailles économiques, mais surtout militaires de la part du régime de Vladimir Poutine pousse une majorité de Français à la prudence quant à l’action de la France.

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    Pour un développement en profondeur de cette question, voir la note de Barbara Jankowski, dont les différents chiffres suivants sont tirés.

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