Les fonctionnaires face à l’élection présidentielle

À l’occasion de la sortie de la nouvelle étude du Cevipof sur les fonctionnaires face à l’élection présidentielle, Chloé Morin, pour l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès, a posé trois questions à son auteur, Luc Rouban, directeur de recherche CNRS au Cevipof. Quelles évolutions par rapport aux vagues d’enquêtes précédentes ? La fonction publique a-t-elle totalement délaissé la gauche ? Comment expliquer les rapports entre policiers, militaires et Front national ? 

Quelles évolutions vous ont le plus frappé par rapport aux vagues d’enquêtes précédentes ?

Deux phénomènes. Le premier est l’ancrage durable du vote Front national dans les fonctions publiques et notamment chez les agents de catégorie C. Cette évolution se confirme. Par ailleurs, on perçoit une recomposition électorale forte chez les fonctionnaires qui rejettent autant le candidat du Parti socialiste que celui des Républicains en s’orientant massivement vers Emmanuel Macron. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2012, les fonctionnaires de l’État avaient ainsi voté pour François Hollande à hauteur de 35 % (19 % aujourd’hui pour Benoît Hamon) et pour Nicolas Sarkozy à concurrence de 18,5 % (12,6 % aujourd’hui pour François Fillon).

Mais alors la fonction publique ne vote plus à gauche… ?

La fonction publique n’est pas homogène et les variations sont fortes d’un secteur et d’un métier à l’autre. Néanmoins, au total, l’ensemble des fonctionnaires ne voterait globalement qu’à hauteur de 35 % pour l’ensemble des candidatures de gauche (dans lesquelles je n’intègre pas Emmanuel Macron). On enregistre une droitisation de l’électorat fonctionnaire qui passe par le vote Front national, par le vote Fillon, bien que ce dernier se soit affaissé depuis janvier, et par le vote potentiel en faveur de candidats centristes comme François Bayrou ou Emmanuel Macron. Ces deux derniers candidats réuniraient environ 36 % des suffrages des professeurs du second degré, considérés pourtant comme le bastion du vote du Parti socialiste. Benoît Hamon ne réunirait que 24 % de leurs suffrages, alors que François Hollande en avait réuni 43 % au premier tour de 2012.

Comment expliquer cette force du vote des policiers et militaires pour le Front national ? Cela peut-il à votre sens jouer dans le rapport police-population dans les zones de tension ?

Sur ce terrain, il ne faut pas procéder à des raccourcis. La dernière vague de l’enquête confirme le fait que les policiers et militaires voteraient à hauteur de 50 % en moyenne pour Marine Le Pen. Néanmoins, ces intentions de vote ne peuvent être réduites à du racisme ou à de la xénophobie. Elles expriment un profond malaise de personnels confrontés à des situations professionnelles dures, souvent soumis à des injonctions contradictoires (assurer le maintien de l’ordre mais sans déclencher de heurts avec la population), ayant le sentiment de ne pas être soutenus par leur hiérarchie et n’ayant pas les moyens d’exercer correctement leur travail. On est ici, tout comme chez les enseignants ou les personnels hospitaliers, dans une situation d’anomie, ou de manque de normes, qui peut conduire à des dérives individuelles violentes et à des autorégulations au sein des collectifs de travail qui partagent des micro-cultures. N’oublions pas non plus que le nombre des suicides a considérablement augmenté dans la police, comme dans la fonction publique hospitalière d’ailleurs, ce qui confirme la dangerosité de cette situation. Le vote Front national traduit donc une demande d’autorité mais aussi le déclin du service public dans sa capacité à produire ou du moins à protéger le lien social. Cette question sous-jacente est centrale dans le débat politique actuel.

Retrouvez la note de Luc Rouban, Les fonctionnaires face à l’élection présidentielle de 2017 (étude n°4), Cevipof, février 2017.

 

Sur le même thème