La ministre du Travail a rappelé l’objectif assigné au projet de réforme du marché du travail en cours de préparation : « libérer les initiatives des entreprises et protéger les salariés ». Au vu des débats suscités par la loi travail du printemps 2016, ces éléments sont déterminants pour le succès de la réforme. Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, revient sur les leçons à tirer, en termes d’opinion, de la précédente loi travail.
Faute d’avoir été fermement arrimé, dès l’origine, à un objectif précis et crédible, qui permette à chacun de se prononcer sur les concessions qu’il serait prêt à faire pour obtenir les contreparties promises, le débat sur la « première » loi travail avait très vite déraillé. Au lieu d’un cercle vertueux qui aurait pu fonctionner selon la rhétorique du « donnant-donnant », le débat s’est rapidement encastré dans une sorte de rémanence de l’imaginaire de la lutte des classes, au terme duquel les concessions faites par les uns – salariés ou « patrons » – le seraient nécessairement au détriment des autres. Dès lors, syndicats d’un côté et « entreprises » de l’autre sont entrés dans un rapport de force qui ne pouvait faire que des perdants.
Dès lors que près des deux tiers des Français doutent qu’il soit possible de concilier les intérêts des entreprises – flexibilité – avec ceux des salariés – protection et aide à la mobilité –, toute réforme du marché du travail est-elle par avance condamnée ? D’ores et déjà, le gouvernement se trouve confronté à une opinion sceptique et divisée : 50% seulement pensent que l’action du gouvernement sur la réforme du code du travail va, à ce stade, dans le bon sens (Ipsos). Pour autant, au vu des enseignements tirés du premier épisode, il paraît possible d’enclencher un cercle vertueux aboutissant à une réforme équilibrée et acceptée de tous.
Tout d’abord, les objectifs de la loi doivent être bien compris. À ce stade, ce n’est pas acquis. Le gouvernement de Manuel Valls avait semblé multiplier les objectifs – une loi pour l’emploi, ou pour le dialogue social, ou encore pour les conditions de travail – et n’avait pas réussi à expliquer pourquoi cette loi intervenait à ce moment du quinquennat, ce qui avait provoqué une première rupture dans l’opinion.
Le gouvernement doit par ailleurs rester sur un discours de rupture, une rhétorique de « changement de modèle ». Ne sous-estimons pas ce que ces réformes proposées signifient pour les gens dans leur vie quotidienne : elles impliquent pour eux des risques réels. Ils peuvent être prêts à les prendre, à condition qu’il y ait, au bout, un horizon qui soit jugé souhaitable et ne soit pas juste un renoncement, une soumission à l’ordre économique établi – ce qu’a été, pour beaucoup, la première loi travail. Remettre sur pied notre modèle social, lui redonner un avenir dans le monde globalisé d’aujourd’hui, comporte la dimension aspirationnelle indispensable au succès de la réforme. Le nom de l’ensemble de lois – « rénovations du modèle social » – va dans ce sens. Il faudra savoir écrire et tenir ce récit, toujours ramener le débat à cet « horizon large », alors même que celui-ci va immanquablement se recentrer peu à peu sur la discussion de mesures très techniques.
Cela implique aussi d’aller au bout de l’affichage d’une rupture. La rénovation promise vient après trente ans de sentiment de fragilisation continue de notre modèle social, trente ans où les gouvernements successifs ont promis dix fois de le sauver sans jamais y parvenir. Les Français ne croiront donc que cette fois-ci peut être la bonne que si on leur donne le sentiment que le gouvernement tente quelque chose de radicalement différent de ce qui a été fait ces dernières décennies.
Enfin, il devra rendre crédibles les protections nouvelles instaurées par la loi. La mobilité n’est pas un problème en soi : 85% des Français pensent qu’il est bon de changer au moins une fois de métier dans sa vie (Odoxa). Mais ils n’ont pas confiance dans les dispositifs existants pour les accompagner. Aujourd’hui, pour beaucoup, la mobilité ou la reconversion revient à sauter dans le vide les yeux fermés, en espérant attraper une corde…
Le problème est donc d’accompagner et sécuriser la mobilité. Libérer ET protéger. Là sera le défi de la réforme. Le gouvernement l’a bien compris, qui a promis une réforme de la formation professionnelle et de l’assurance-chômage « en même temps » que la flexibilisation. Il lui sera nécessaire à la fois de garder cette idée de « pack », malgré des calendriers qui ne correspondront pas ; et surtout de « rendre crédible » ce qui est envisagé sur la formation et la sécurisation des parcours. Cela ne pourra pas rester une promesse hypothétique, lointaine, réservée à quelques-uns et sans garantie, alors qu’on leur demanderait maintenant d’accepter de prendre des risques.
Tribune parue dans Les Échos (15 juin 2017)