Dans la perspective des prochaines élections législatives, un fort taux d’abstention est attendu. La jeunesse, en particulier, est réputée plus abstentionniste que le reste de la population. Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation, analyse les enjeux du vote des jeunes.
Depuis le passage au quinquennat, l’intérêt pour les élections législatives s’est trouvé fortement diminué. Situées dans la foulée de l’élection présidentielle, elles seraient en effet devenues de simples élections de confirmation de la présidentielle, en fournissant au président élu une majorité confortable.
À ce niveau, la situation actuelle diffère sur plusieurs points de ce que l’on a pu observer par le passé. D’une part, l’intérêt pour cette élection semble accru, suite à une politisation du scrutin engagée par Jean-Luc Mélenchon et sa volonté d’être « élu Premier ministre ». D’autre part, l’union des différents partis de gauche – encore impensable il y a quelques semaines – apporte un vent de nouveauté au paysage politique. Enfin, la conséquence des deux premiers éléments est un rapport de force électoral qui ne semble pas être – au niveau national du moins – complètement favorable au président fraîchement réélu. Un sondage mené par l’institut Cluster 17 mesure ainsi la majorité présidentielle à 24,5% des intentions de vote au niveau national, contre 34% pour l’union de la gauche.
Si, bien sûr, ce rapport de force national ne présage rien du résultat final des législatives, tant les forces et les faiblesses de chaque camp ne sont pas réparties de manière équitable sur le territoire, il démontre néanmoins que le paysage politique est loin d’être stabilisé.
Dans cette campagne, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) semble vouloir se focaliser sur la mobilisation d’un électorat particulier, celui des jeunes, mais la mobilisation de cet électorat sera-t-elle suffisante pour espérer l’emporter ? C’est ce que nous cherchons à étudier dans cette note.
Les jeunes, un électorat très favorable à la gauche
Les travaux du politiste Vincent Tiberj l’ont montré avec beaucoup de précisions : plus les générations sont récentes, plus elles ont des valeurs « de gauche »1Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, Presses universitaires de France, 2017.. Insistons bien sur ce point essentiel, il ne s’agit pas d’un effet d’âge, qui se dissiperait au cours de la vie, mais bien d’un effet générationnel : les valeurs de gauche des nouvelles générations perdurent dans le temps.
Ce rapport de force favorable à la gauche au sein des jeunes générations s’est particulièrement vérifié lors du premier tour de la dernière présidentielle (graphique 1).
Graphique 1. Vote en fonction de l’âge au premier tour de la présidentielle de 2022
Chez les 18-24 ans, Jean-Luc Mélenchon a ainsi obtenu 36% des voix, soit 15 points de plus que le second au sein de cette catégorie d’âge, Emmanuel Macron. Si l’écart est moins important chez les 25-34 ans, le rapport de force demeure néanmoins également largement favorable à la gauche au sein de cette tranche d’âge.
Plus encore, ce que l’on observait pour la précédente présidentielle se retrouve également dans les intentions de vote pour le premier tour des législatives (graphique 2).
Graphique 2. Intentions de vote pour le premier tour des législatives en fonction de l’âge
La gauche rassemblée sous l’étiquette de la Nupes est en effet mesurée à 59% des intentions de vote chez les 18-24 ans et à 44% chez les 25-34 ans. Des chiffres bien supérieurs à ce que l’on constate pour les autres formations politiques.
Des jeunes beaucoup plus abstentionnistes que la moyenne
La problématique principale rencontrée par la gauche sur cet électorat est la faible mobilisation de ce dernier. Regardons par exemple les taux d’abstention lors du premier tour de la présidentielle en fonction des catégories d’âge (graphique 3).
Graphique 3. Abstention en fonction de l’âge au premier tour de la présidentielle de 2022
De manière extrêmement flagrante, les jeunes sont beaucoup plus abstentionnistes que les autres générations. Cela crée ainsi une situation paradoxale pour la gauche : si elle est largement en tête au sein de la jeunesse, cette dernière ne constitue pas sa réserve de voix principale ; les jeunes qui votent votent certes majoritairement à gauche, mais ils sont bien moins à voter qu’au sein des autres tranches d’âge. Regardons par exemple la composition de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle (graphique 4).
Graphique 4. Composition de l’électorat de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle de 2022
Alors que, comme nous le disions plus haut, Jean-Luc Mélenchon était largement en tête chez les 18-24 ans, ces derniers ne représentent pourtant que 14% des électeurs ayant voté pour lui. La majorité de son électorat est ainsi située chez les 35-49 ans, bien que cet électorat lui soit structurellement moins favorable.
Or, cette réalité, si elle s’exprime lors de la présidentielle, a également toutes les chances de se renforcer lors des élections législatives. Comme la recherche l’a ainsi démontré, les jeunes ont une pratique « intermittente » du vote, beaucoup plus marquée qu’au sein des générations plus anciennes2Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, op. cit., 2017.. S’ils se déplacent ainsi encore majoritairement pour l’élection présidentielle, c’est beaucoup moins le cas pour les autres élections. À titre d’exemple, le taux d’abstention lors du premier tour des législatives de 2017 s’élevait à 70% chez les 18-24 ans. De même, nous montrions dans une précédente note que, lors des dernières élections régionales, les soixante-cinq ans et plus pesaient dans les urnes 1,4 fois leur poids dans la population, quand les moins de trente-cinq ans pesaient deux fois moins que leur poids démographique.
Conclusion
Bien sûr, le résultat des prochaines élections législatives ne sera pas uniquement dépendant du comportement des plus jeunes électeurs. Il n’en demeure pas moins que c’est un électorat de première importance pour la gauche, tant il lui est structurellement favorable. Mais le risque est également grand pour la Nupes que cet électorat se démobilise largement entre la présidentielle et les législatives, ce que l’on constate de manière habituelle. C’est à n’en pas douter pourquoi Jean-Luc Mélenchon tente depuis plusieurs semaines maintenant de politiser et de personnaliser cette élection. Car sans mobilisation massive de cet électorat, la Nupes a une très faible chance de l’emporter.
- 1Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, Paris, Presses universitaires de France, 2017.
- 2Vincent Tiberj, Les citoyens qui viennent. Comment le renouvellement générationnel transforme la politique en France, op. cit., 2017.