Le temps des congrès

Les principales forces politiques françaises ont tenu leur congrès lors de ces derniers mois, afin de tirer les leçons des dernières échéances électorales et de se mettre en ordre de bataille pour celles à venir. Émeric Bréhier, directeur de l’Observatoire de la vie politique de la Fondation, analyse le nouveau paysage politique qui en résulte.

Aux lendemains de la dernière élection présidentielle, rares sont les formations politiques à ne pas avoir traversé d’importants soubresauts interrogeant jusqu’à leur existence même. Décidément, la déstructuration de la vie politique française, loin d’être derrière nous, ne cesse de produire des effets. Il n’est d’ailleurs pas illusoire de penser que jusqu’à la prochaine présidentielle en 2027, les équilibres politiques ne sont pas près d’être restaurés ou recréés. Pour une raison en réalité assez simple : les clivages politiques qui avaient prévalu ces cinquante dernières années ont perdu de leur force propulsive et sont désormais insuffisamment puissants pour être les principaux éléments structurants – ils n’ont jamais été les seuls. Il revient donc aux forces politiques d’imaginer les nouveaux attributs idéologiques, stratégiques et tactiques leur permettant d’être à la manœuvre pour imposer leurs clivages. À ceci s’ajoute un dernier phénomène conjoncturel : le président de la République actuel étant dans l’incapacité juridique de se présenter une nouvelle fois à la magistrature suprême, et n’étant pas adossé à une formation politique empreinte d’une histoire longue, la tentation de croire que ses deux quinquennats constitueront in fine une parenthèse s’impose à nombre d’acteurs politiques. C’est dans cet entre-deux politique et idéologique que se sont déroulés les congrès des principales forces politiques françaises. Toutes se devaient à la fois de tirer les leçons des dernières échéances électorales et de se mettre en ordre de bataille pour celles à venir.

Quelles sont donc tout d’abord les leçons du dernier cycle électoral ? Avant toute chose, une fois de plus, preuve a été apportée que l’apathie démocratique a gagné ces dernières années en puissance. Cela s’est évidemment vu avec la montée de l’abstention, tant lors de l’élection présidentielle qu’à l’occasion des législatives qui ont suivi. Si l’on y rajoute les millions de voix de nos concitoyens s’étant déplacés aux urnes pour le second tour de l’élection présidentielle sans pour autant choisir entre les deux finalistes, le sentiment – réel – d’une insatisfaction grandissante de nos concitoyens vis-à-vis de l’offre politique ne peut que se confirmer et saisir d’effroi. Ensuite, ce second tour opposait les deux mêmes candidats qu’en 2017, ce qui était prévu de longue date par l’ensemble des enquêtes d’opinion, au grand désarroi de nombre d’acteurs politiques. À cette différence près, et elle est colossale, que la victoire du président de la République sortant, si elle ne fut jamais véritablement mise en question, apparut pendant plusieurs jours comme bien plus serrée qu’elle ne l’a été finalement. Et on peut souligner surtout que la victoire de 2022 d’Emmanuel Macron fut bien moins large que celle de 20171En 2022, Emmanuel Macron recueille 58,55% des suffrages exprimés contre 41,45% à Marine Le Pen. En 2017, le premier avait obtenu 66,10% des suffrages exprimés lorsque la seconde n’en avait obtenu alors que 33,90%.. Autre conclusion de cette élection présidentielle, la capacité du troisième homme à attirer à lui un vote « utile » d’une part importante des électrices et électeurs de gauche, désolés de la désunion, non convaincus des candidatures d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot et/ou déçus – à tout le moins – de l’action du président de la République et de sa majorité ces cinq dernières années. Vote utile qui avait d’ailleurs tout autant pénalisé la candidature de Valérie Pécresse au profit de celle d’Emmanuel Macron et celle d’Éric Zemmour au profit de celle de Marine Le Pen. Apathie démocratique, votes utiles, structuration de la vie politique autour d’un pôle central et de deux pôles de radicalité, cette réalité ne s’est pas démentie à l’occasion des législatives qui ont suivi. La force centrale a été renvoyée à son isolement politique. Elle s’est avérée incapable de remporter une majorité absolue que la tradition politique lui promettait lorsque les deux pôles de radicalité ont optéchacun pour des stratégies politiques opposées : l’un a imposé son refus du rassemblement et s’est affirmé comme l’opposition principale au président de la République conformément à la présence de sa présidente au second tour de l’élection présidentielle ; lorsque le second, à l’inverse de 2017, a fait en sorte de devenir l’aimant d’une gauche de gouvernement renvoyée à un statut de limailles.

Le premier à tenir son congrès est le mouvement présidentiel à la fin du mois de septembre dernier à Metz. Il s’agit alors de rassembler une partie de la coalition présidentielle au sein d’une nouvelle formation dénommée Renaissance sous la houlette du président du groupe du même nom au Parlement européen, Stéphane Séjourné. Proche parmi les proches du président de la République, celui-ci parvient à rassembler La République en marche, Agir – le petit parti du ministre chargé des relations avec le Parlement, Franck Riester – et Territoires de Progrès –rassemblant une partie de celles et ceux venant de la gauche et dont Olivier Dussopt a pris la tête à l’issue d’un congrès tendu ayant conduit à une césure au sein de ce petit parti. Toutefois, cette stratégie de rassemblement n’a pas été une pleine réussite puisque tant l’allié historique d’En marche, le MoDem, que le nouveau parti fondé par Édouard Philippe, Horizons, ont refusé toute idée de fusion dans un magma pour eux source de confusions. La démarche mise en place n’est ainsi pas allée jusqu’à son terme et qui plus est à susciter des réserves très fortes au sein de Territoires de Progrès. Enfin, elle n’a pas suscité une adhésion extrêmement dynamique auprès des militantes et militants de La République en marche puisqu’à peine plus de 12 000 d’entre eux ont participé aux votes2Le Parisien, 21 septembre 2022. – chiffre montrant l’affaissement et la faiblesse du môle présidentiel. Pas facile de passer du statut d’un parti-personne à celui d’un véritable parti politique. L’élection des instances départementales le week-end dernier a ainsi dans quelques départements été l’objet de luttes internes qui font bien de ce mouvement un parti de plus en plus classique. Dans un quart des départements, ce furent ainsi deux listes3L’Opinion, 26 janvier 2023., voire trois, qui s’affrontèrent, avec parfois des listes rassemblant l’essentiel des élus et responsables du parti présidentiel d’un département concurrencés par des militants ne disposant d’aucun mandat électif, parfois à l’inverse des listes composées chacune de députés, d’anciens députés ou de responsables départementaux. Ce fut notamment le cas en Gironde. On relèvera d’ailleurs que, dans ce département, c’est bien l’ancien référent Aziz Skalli qui l’emporte contre la liste soutenue par la secrétaire d’État Bérangère Couillard avec finalement 50,58% des suffrages exprimés4Élections départementales des 28 et 29 janvier 2023, Renaissance, 29 janvier 2023.. Relevons enfin que dans une petite dizaine de départements métropolitains, ainsi qu’en Corse et dans les départements et régions d’outre-mer, nulle élection interne n’a été tenue. À ce stade, tout au moins. Un parti de « l’ancien monde », confronté aux mêmes phénomènes de déception, de crispation interne et de désaffiliation que les autres.

Le deuxième parti à tenir son congrès fut le Rassemblement national. On pouvait s’attendre à un moment de félicité, car, en dépit d’une troisième défaite de sa candidate, le cycle électoral s’était achevé de manière improbablement satisfaisante pour le parti de Marine Le Pen. Une nouvelle qualification au second tour, un score jamais atteint à la présidentielle513 288 686 voix, soit 41,45% des suffrages exprimés., des législatives au résultat inespéré avec non pas seulement un groupe parlementaire (véritable objectif politique), mais l’élection de 89 députés, faisant du Rassemblement national le deuxième groupe le plus important de l’Assemblée nationale. Pourtant, le choix de sa présidente de se dégager des affres de la gestion quotidienne de l’organisation en en confiant pleinement les rênes à Jordan Bardella fit l’objet d’une inédite contestation avec la candidature concurrente de Louis Aliot, personnage historique du Rassemblement national et maire conquérant de la ville de Perpignan. Le résultat final importe moins que la normalisation de la vie interne du Rassemblement national que symbolise cette candidature alternative. Annoncé le 29 juillet, le processus s’achève le 5 novembre avec l’annonce des résultats de cette double élection. D’abord celle du président du parti, mais également celle du Conseil national (CN). On peut noter à cet égard le taux de participation : 71,49% avec 22 130 voix pour Jordan Bardella et 3 955 voix pour Louis Aliot. Quant au Conseil national, il est constitué de 100 responsables élus par les militants et de 20 membres désignés par le nouveau président. C’est ce conseil national qui valide la liste du Bureau national proposé par le président et composé de 40 membres. Signe des tensions internes, deux membres éminents du Rassemblement national et soutiens de Louis Aliot, Bruno Bilde et Steeve Briois, refusent d’y être maintenus, rejetant ce qu’ils dénoncent comme une radicalisation de la nouvelle équipe dirigeante. Aux côtés de Jordan Bardella, on retrouve enfin un Bureau exécutif avec 5 vice-présidents, dont son concurrent et deux « jeunes pousses », Julien Sanchez6Maire de Beaucaire dans le Gard depuis 2014 et réélu aisément en 2020. et Edwidge Diaz7Tête de file du Rassemblement national en Gironde, conseillère régionale et élue députée en juin 2022., un trésorier et 5 autres membres, dont Marine Le Pen elle-même et Sébastien Chenu, pièce centrale du Rassemblement national à l’Assemblée nationale.

De l’autre côté du spectre politique, Europe Écologie-Les Verts a tenu son congrès en deux temps, les 26 novembre avec les congrès décentralisés d’abord, puis le rassemblement fédéral le 10 décembre à l’issue duquel non seulement est votée une motion de synthèse à la quasi-unanimité des 400 délégués nationaux, mais où a été officiellement élue la nouvelle secrétaire nationale, Marine Tondelier. Premier constat : chacun des textes d’orientation a comme premier signataire une militante, ce qui signifie que, quelle que fut l’issue des votes, c’est bien une femme qui, une fois de plus chez Europe Écologie-Les Verts, en prendrait la tête. Deuxième constat : alors même que plus de 100 000 personnes avaient participé à la primaire numérique ayant abouti à la désignation, dans la douleur, de Yannick Jadot comme candidat à l’élection présidentielle, ce ne sont que 5 625 militantes et militants sur les 12 648 en mesure de le faire qui départagent les cinq textes d’orientation soumis à leurs votes8Lors du précédent congrès en 2019, il y avait eu 3 200 votants sur 7 700 inscrits. Voir EELV.fr.. La massification des Verts attendra encore un peu. Troisième constat : si les résultats tranchent dans l’histoire interne des Verts par leur clarté (la motion de Marine Tondelier obtient 46,97% des suffrages exprimés9Le Monde, 10 décembre 2022.), ils marquent surtout la volonté des militants de sortir de l’affrontement entre Sandrine Rousseau et Yannick Jadot avant, pendant et après la désillusion de l’élection présidentielle. Au-delà de la volonté affirmée par la nouvelle secrétaire nationale de procéder à un profond renouvellement de l’organisation afin de la rendre plus attractive, il n’y a pas de remise en cause de l’accord de la Nupes signé par une ancienne direction qui soutenait fortement Marine Tondelier. En revanche, a été, et à plusieurs reprises, rappelée la volonté farouche des Verts de se présenter de manière autonome aux élections européennes de 2024, en dépit des appels des pieds pressants de La France insoumise. Ce qui ne manquera pas – si ce n’est déjà pas le cas –, de fait, d’entraîner une question de stratégie pour La France insoumise.

Les Républicains ont, pour leur part, conclu leur démarche de renouvellement interne le 11 décembre dernier avec la victoire, attendue, d’Éric Ciotti face au président du groupe au Sénat Bruno Retailleau. Ils n’étaient que trois sur la ligne de départ : en plus des deux finalistes s’était ajouté Aurélien Pradié, député du Lot, au discours parfois dissonant au sein de sa famille politique. Première remarque, c’est bien au sein de cette famille politique que le nombre de votants a été le plus important : 65 877 votants au premier tour (soit 72,68% des inscrits) et 62 586 votants au second tour (soit 69,75%)10Le Monde, 11 décembre.. Même si les chiffres sont moins élevés que lors de la primaire interne, ils méritent d’être relevés : il existe bel et bien toujours une base militante chez Les Républicains. Deuxième remarque : les scores d’Aurélien Pradié (14 765 voix et 22,29%) et Bruno Retailleau (22 815 voix et 34,45%) au premier tour ont montré combien l’offensive conduite par Éric Ciotti a été moins flamboyante qu’escompté. Loin d’être le fruit de désaccords politiques internes, ce résultat somme toute décevant pour le député des Alpes-Maritimes est d’abord la conséquence du travail reconnu du président du groupe Les Républicains au Sénat ainsi que la volonté, sans aucun doute présente chez beaucoup, de ne pas donner un blanc-seing trop immédiat à Laurent Wauquiez, dont Éric Ciotti est extrêmement proche. Les résultats du second tour, 53,7% pour Éric Ciotti (33 609 voix) contre 46,3% pour Bruno Retailleau (28 977 voix) confirment cette lecture. Il n’en demeure pas moins que son accession à la présidence de son parti constitue une belle revanche pour le député niçois. Relevons également que les résultats ne donnèrent lieu à nulle contestation, ce qui ne fut pas toujours le cas dans l’histoire de cette famille politique. La direction provisoire confiée à Annie Genevard, députée et personnalité reconnue au sein des rangs des Républicains, n’y fut sans doute pas pour rien. On peut toutefois s’interroger, à l’issue de ce congrès, sur la capacité de cette organisation politique à être sortie de la difficulté stratégique et doctrinale dans laquelle elle se trouve, tant les positions défendues, à tout le moins par les deux finalistes, différaient peu sur le fond. Si la mise en place d’une direction acceptée par tous constitua un premier test pour l’habileté du nouveau président, sur le moyen terme, il lui faudra surtout parvenir à harmoniser les positions des députés et des sénateurs, non pas seulement sur le prochain projet de loi portant sur la réforme des retraites, mais bien sur l’ensemble du travail législatif. Avec en ligne de mire le maintien de la majorité sénatoriale et la préparation des élections européennes. Il n’est donc absolument pas certain que ce congrès de bonne tenue ait réglé quoi que ce soit, et ce d’autant moins que l’ancienne candidate à la présidentielle comme son challenger des Hauts-de-France ont brillé par leur discrétion.

Les communistes, on le sait moins, tiennent aussi leur congrès. Celui-ci a été lancé le 12 septembre dernier avec des dates bien arrêtées : un projet de base commune soumis au vote du Conseil national les 3 et 4 décembre dernier, la possibilité de déposer un projet alternatif à ce texte jusqu’au 8 janvier, les votes pour le choix de la base commune du 27 au 29 janvier, puis les congrès des sections (4, 5, 11 et 12 mars) et des fédérations (18, 19, 25 et 26 mars) avant un congrès national à Marseille du 7 au 10 avril prochains. Si, historiquement, il était rare que les débats internes – qui ont toujours existé au sein du Parti communiste français – soient rendus publics, la démocratie interne y a tout au long de ces dernières années acquis ses droits. Ainsi, première historique, lors du dernier Congrès à Ivry-sur-Seine en 2018, le texte de la majorité sortante du secrétaire national d’alors, Pierre Laurent, avait-il été mis en minorité par le texte alternatif porté par André Chassaigne (inoxydable président du groupe de l’Assemblée nationale) et celui qui allait en devenir le nouveau secrétaire national Fabien Roussel. Il l’avait alors emporté avec 42,14% des suffrages exprimés contre 38% au texte de Pierre Laurent, lorsque deux autres textes alternatifs recueillaient les suffrages restants. La même mésaventure pourrait fort bien survenir cette année pour la direction actuelle. Ainsi, alors que son texte « L’ambition communiste pour de nouveaux “jours heureux” » (référence à la campagne présidentielle de Fabien Roussel) a été adopté par 84 voix contre 55 et 5 abstentions11Le Figaro, 20 décembre 2022. début décembre, un texte alternatif – « Urgence de communisme, ensemble pour des victoires populaires » – a été signé par Elsa Faucillon et Stéphane Peu, deux députés, mais aussi par Marie-George Buffet et Pierre Laurent, deux anciens secrétaires nationaux du Parti communiste. Retour à l’envoyeur en quelque sorte ! La question du positionnement par rapport au partenaire de La France insoumise dans le cadre de l’alliance avec la Nupes est évidemment centrale. Ici, les résultats tombés ce dernier week-end tranchent avec ceux du Parti socialiste. Avec un corps électoral similaire de 42 000 votants putatifs, la participation est importante puisque 30 000 d’entre eux auraient pris part au scrutin. Avec, seconde singularité, un résultat qui tranche par sa netteté : plus de 80% des votants s’étaient déclarés en faveur du texte présenté par la direction sortante. Dans le cas présent, la stratégie de réorientation et d’affirmation conduite par Fabien Roussel a bel et bien été plébiscitée12Le Monde, 29 janvier 2023..

Les socialistes, quant à eux, au cours de leur congrès qui se tient également à Marseille, sont tout autant confrontés, notamment, à cette question : la Nupes stop ou encore ? Grande messe pour beaucoup, la période des congrès joue un rôle crucial dans l’histoire de cette « vieille maison ». Raconter son histoire, c’est en réalité se remémorer les noms des villes au sein desquels les congrès se sont tenus : ceux des revirements stratégiques, ceux des luttes doctrinales intenses, ceux des affrontements irrésolus, ceux des moments d’unité… La liturgie est d’ailleurs codifiée : d’abord le temps des contributions thématiques et générales, ensuite celui des motions, enfin (depuis la réforme de 1995 introduite par Lionel Jospin), l’élection du premier secrétaire national et, on l’oublie souvent, des premiers secrétaires fédéraux à la suite du congrès national. Dernière évolution suite au congrès de Reims, seuls les premiers signataires des motions peuvent se présenter au suffrage des militantes et militants pour devenir le premier d’entre eux. Nulle « sortie du frigidaire » n’est plus possible13L’article 3.2.7 des statuts du Parti socialiste stipule : « Le premier signataire des deux motions arrivées en tête qui le souhaitent, est candidat. ».

Lors du dernier congrès, le premier secrétaire sortant, Olivier Faure, avait su convaincre près des trois quarts des militantes et militants socialistes de lui renouveler son bail, mettant en avant les résultats des dernières élections intermédiaires et, selon ses soutiens, du repositionnement de son parti au cœur de la gauche, dans une opposition assumée au quinquennat d’Emmanuel Macron. Seule une minorité, plus importante que prévu, s’était refusée à un soutien, réunie autour d’une motion portée par la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy. Mais depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts : d’abord, le résultat de la candidature d’Anne Hidalgo, lors de la dernière présidentielle, plus qu’un échec a été ressenti comme un profond affront pour nombre de militants ; quant à l’accord avec La France insoumise dans le cadre de la Nupes, il a soulevé de nombreuses incompréhensions, voire oppositions. Et même s’il fut assez aisément voté par le Conseil national, il n’en a pas moins laissé des traces dans nombre de territoires. Faisant ainsi émerger l’envie d’une troisième voie entre les deux motions qui s’étaient opposées avant la présidentielle et qui entendaient bien continuer. Assumant le choix stratégique qui fut le sien lors de l’accord avec le parti de Jean-Luc Mélenchon, le premier secrétaire estime que seule cette participation à une nouvelle forme d’union de la gauche permettra d’offrir une alternative aux politiques libérales de la majorité présentielle et à la menace d’extrême droite.

C’est bien ce cadre que contestent les soutiens d’Hélène Geoffroy, lorsque ceux du maire de Rouen critiquent ce qu’ils caractérisent comme un affaissement, fruit, selon eux, d’une absence de travail ces cinq dernières années. Avant donc le vote du 12 janvier, les enjeux étaient multiples : d’abord, savoir si la motion du premier secrétaire, soutenue par la gauche du Parti et nombre de maires (Johanna Rolland de Nantes, Mathieu Klein de Nancy, Luc Carvounas d’Alfortville, Nathalie Appéré de Rennes, etc.) dépasse les 50% et, si oui, de combien ? Ensuite, quels sont les équilibres entre les deux motions concurrentes ? Celle d’Hélène Geoffroy continue-t-elle à frôler les 30% ou a-t-elle été amoindrie par la montée en puissance de la troisième motion soutenue par Anne Hidalgo, des proches de Carole Delga, Michaël Delafosse, le maire de Montpellier, Valérie Rabault et une grande partie, notamment, de la Fédération de Seine-Maritime ? Les scores ont leur importance puisque les deux tiers de la composition du Conseil national en sont issus, et que l’instance exécutive du Parti socialiste, le Bureau national – composé de 72 membres, 54 issus des motions proportionnellement à leur score, et de 18 premiers secrétaires fédéraux, là aussi désignés par les motions selon leurs suffrages obtenus – en est aussi le fruit. Le dernier tiers du Conseil national est, quant à lui, composé des premiers secrétaires fédéraux, dont l’élection dans chacune des fédérations relève tout à la fois des scores des motions dans chacune d’entre elles et des réalités locales. Or, la composition de ces deux instances pourrait être lourde de conséquences sur la capacité de gestion du prochain premier secrétaire. Un dernier enjeu identifié était le nombre de votants. Alors qu’au Congrès de Villeurbanne, à l’automne 2021, ce furent près de 21 000 militantes et militants qui y participèrent, le corps électoral – ce qui est bien différent du nombre de votants – putatif était fixé à 41 000 par le Bureau national des adhésions14Le PV des votes du 12 janvier fait ainsi apparaître que 42 365 personnes étaient inscrites, que 23 185 prirent part aux votes et que 22 944 suffrages furent exprimés..

Au lendemain des votes du 12 janvier, plusieurs réponses étaient apportées : d’abord, le nombre de votants est relativement stable, à un étiage finalement relativement bas, compte tenu de l’intensité des débats, avec plus de 23 000 votants15Chiffres issus des travaux de la commission de recollement repris par la presse.. Ensuite, le texte d’orientation présenté par Olivier Faure parvient très largement en tête avec 49,15% des suffrages exprimés (11 277 voix)16Ces chiffres sont ceux validés par la Commission de recollement du Parti socialiste., même si cette victoire est amoindrie par la déception de ne pas dépasser la barre fatidique des 50% qui lui aurait assuré une majorité au sein des instances. Quant aux deux autres textes d’orientation, s’ils peuvent être satisfaits d’être parvenus à empêcher le premier secrétaire sortant d’obtenir cette majorité claire et nette sur le vote des motions, ils doivent constater dans le même mouvement que leur tentative n’a pas permis, en dépit d’une stratégie du râteau, de parvenir eux-mêmes à obtenir une majorité franche. On relèvera aussi que le texte d’orientation de Nicolas Mayer-Rossignol a incontestablement profité de sa position centrale sur l’enjeu des alliances pour apparaître comme le « vote utile » face à Olivier Faure. Ce qui explique in fine l’écart avec le score décevant pour les partisans d’Hélène Geoffroy. Au soir du 12 janvier, nulle majorité claire ne ressort des votes de ses militants : le Parti socialiste est bel et bien coupé en deux. Il faudra attendre l’élection des premiers secrétaires fédéraux pour savoir si une majorité se dégage au sein du Conseil national et si celle-ci sera en soutien ou non au premier secrétaire. En tout état de cause, si l’élection des premiers secrétaires fédéraux peut permettre au premier secrétaire, quel qu’il soit, d’obtenir une majorité, il lui sera bien difficile d’en disposer au Bureau national. En tout état de cause sur le plan comptable. Pour y parvenir, il faudra que ses proches l’emportent dans un nombre suffisant de fédérations. À moins qu’il ne parvienne, ce qui est tout à fait envisageable, à ouvrir sa majorité vers tout ou partie des représentants des deux motions concurrentes.

Au soir, et les jours suivants, du vote du 19 janvier, la situation pour les socialistes s’est singulièrement dégradée : en dépit de la proclamation à plusieurs reprises de résultats favorables au premier secrétaire sortant, les partisans de Nicolas Mayer-Rossignol refusent de reconnaître leur défaite. S’appuyant sur des irrégularités lors des opérations de vote – ce qu’avancent tout autant les soutiens du premier secrétaire sortant – et sur un déroulement pour le moins erratique de la commission de recollement. Finalement, quel que soit le résultat officiel, les conséquences avant même la tenue du congrès à Marseille sont dramatiques : un processus démocratique interne délégitimé comme aux heures les plus sombres du congrès de Reims, une atteinte à la crédibilité des socialistes et, in fine, un parti résolument coupé en deux blocs. Si l’histoire du Parti socialiste est faite de ces moments de tourments, leur répétition adossée à de piètres résultats électoraux, son incapacité à être un aimant politique, sa difficulté à donner à voir une vision du monde, rendent les pronostics optimistes bien plus délicats à émettre à son endroit que par le passé. Mais nul ne peut douter que les responsables socialistes s’obligent à trouver une solution, même provisoire, à l’occasion la tenue du congrès à Marseille. Finalement, comme bien souvent dans l’histoire de ce vieux parti plus que centenaire, le réflexe – heureux – de sauvegarde a permis d’éviter le pire à Marseille, ville symbole d’une gauche rassemblée en 2020 qui était parvenue à mettre fin à un quart de siècle de domination de la droite, un pacte de gouvernance entre les trois motions, une novation avec deux premiers secrétaires délégués (un soutien d’Olivier Faure, Johanna Rolland, et son concurrent au poste de premier secrétaire, Nicolas Mayer-Rossignol), et une présidence du Conseil national confiée à son opposante la plus farouche, Hélène Geoffroy. L’essentiel est donc sauf. On peut toutefois légitimement craindre, à ce stade, que le mal ne soit déjà fait. Il restera donc à cette gouvernance d’entrer dans les faits, et surtout dans les mœurs, en espérant pour le Parti socialiste, et ses militants, que le temps des injonctions, des propos hallucinants qui ont prospéré, notamment sur les réseaux sociaux, laissent place à un travail de concert. Il n’en reste pas moins qu’à l’occasion de ce congrès, deux lignes stratégiques se sont affrontées – légitimement – et que nulle n’en est sortie aussi clairement que souhaitable vainqueur par KO. Marseille ne fut pas Metz !

Finalement, à l’issue de l’ensemble de ces temps des congrès des forces politiques ressort une évidence : l’affaissement incessant de nombre d’entre elles. Même celles dont on pouvait estimer que le congrès s’était correctement déroulé se noient dans des divisions picholines, sans que ne semblent émerger de véritables volontés politiques. Quant à leur capacité à mobiliser, force est de constater que le nombre de nos concitoyens encore intéressés, pis adhérents, s’est effondré. Il y a là un signe supplémentaire d’une apathie démocratique grandissante. Or, sans partis politiques structurés, adossés à une vision du monde, enchâssés dans les réalités territoriales de la République, formant des cadres de l’action publique, l’expression démocratique perd de sa force structurante, laissant la place à toutes les aventures, y compris les moins envisageables.

Pour autant, ces congrès ont-ils été inutiles et ne contribuent-ils pas à redessiner la structuration de la vie politique ? À l’évidence, les deux forces politiques ayant atteint le second tour de la dernière élection présidentielle se sont d’abord et avant tout employées à se mettre en mesure d’affronter les prochaines échéances électorales avec un objectif clair et assumé : poursuivre la construction d’une formation politique véritable, dotée d’une doctrine, de personnels politiques formés et de cette implantation territoriale qui leur fait tant, à des niveaux certes différents, défaut. Quant aux formations politiques engagées au sein de la coalition électorale de la Nupes, on l’a vu, elles ont toutes été marquées par ce débat stratégique essentiel : l’accord doit-il être poursuivi, voire accru, au risque – selon ses détracteurs – de voir s’affaisser leur propre identité partisane ? Le moins que l’on puisse dire est que les réponses apportées ne renforcent pas le pari stratégique de Jean-Luc Mélenchon : les Verts en ont profité pour en refuser un quelconque approfondissement à l’occasion des prochaines échéances européennes ; les communistes ont décidé de soutenir – massivement – la réorientation stratégique de son secrétaire général ; quant aux socialistes, s’ils sont parvenus à préserver leur unité, force est de constater que le congrès de Marseille n’aura pas permis de trancher franchement la controverse stratégique qui l’a étreint. Tout ceci venant s’ajouter aux difficultés traversées par l’organisation de Jean-Luc Mélenchon, cela peut laisser présager quelques moments difficiles pour cette coalition électorale en dépit du contexte favorable du débat sur les retraites. À n’en pas douter, la préparation des prochaines élections sénatoriales comme celle des européennes de juin 2024 constitueront pour la coalition électorale des moments délicats qu’il conviendra de suivre avec attention. Quant aux Républicains, on voit bien à l’occasion des débats parlementaires en cours que peu de choses ont été réglées à l’issue du congrès et que la question du positionnement stratégique par rapport au gouvernement du président de la République est loin d’être clarifiée.

Finalement, loin d’avoir été véritablement des moments de clarification stratégique et idéologique majeurs, ces congrès semblent à bien des égards avoir été des parenthèses au sein d’un paysage politique toujours à la recherche d’une structuration répondant aux attentes des Françaises et des Français. Nul doute que les prochaines sénatoriales et européennes constitueront de nouvelles étapes de cette recherche qui ne saura aboutir véritablement qu’au moment de la prochaine présidentielle qui demeure, qu’on le souhaite ou pas, l’élection reine de la Ve République.

  • 1
    En 2022, Emmanuel Macron recueille 58,55% des suffrages exprimés contre 41,45% à Marine Le Pen. En 2017, le premier avait obtenu 66,10% des suffrages exprimés lorsque la seconde n’en avait obtenu alors que 33,90%.
  • 2
    Le Parisien, 21 septembre 2022.
  • 3
    L’Opinion, 26 janvier 2023.
  • 4
    Élections départementales des 28 et 29 janvier 2023, Renaissance, 29 janvier 2023.
  • 5
    13 288 686 voix, soit 41,45% des suffrages exprimés.
  • 6
    Maire de Beaucaire dans le Gard depuis 2014 et réélu aisément en 2020.
  • 7
    Tête de file du Rassemblement national en Gironde, conseillère régionale et élue députée en juin 2022.
  • 8
    Lors du précédent congrès en 2019, il y avait eu 3 200 votants sur 7 700 inscrits. Voir EELV.fr.
  • 9
    Le Monde, 10 décembre 2022.
  • 10
    Le Monde, 11 décembre.
  • 11
    Le Figaro, 20 décembre 2022.
  • 12
    Le Monde, 29 janvier 2023.
  • 13
    L’article 3.2.7 des statuts du Parti socialiste stipule : « Le premier signataire des deux motions arrivées en tête qui le souhaitent, est candidat. »
  • 14
    Le PV des votes du 12 janvier fait ainsi apparaître que 42 365 personnes étaient inscrites, que 23 185 prirent part aux votes et que 22 944 suffrages furent exprimés.
  • 15
    Chiffres issus des travaux de la commission de recollement repris par la presse.
  • 16
    Ces chiffres sont ceux validés par la Commission de recollement du Parti socialiste.

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