Quels rapports le socialisme, les partis socialistes et les gouvernements socialistes européens ont entretenus avec le capitalisme ? Loin d’être purement linéaire, l’analyse de ces relations, du XIXe siècle jusqu’à nos jours, en dit beaucoup sur l’identité du socialisme aujourd’hui et sur ses perspectives futures.
Synthèse
« La meilleure façon de parler de l’avenir est toujours de parler du passé, de l’histoire. » (Massimo D’Alema)
Quels rapports le socialisme, les partis socialistes et les gouvernements socialistes européens ont entretenus et doivent entretenir avec le capitalisme ? Originellement, la situation semblait d’une certaine manière évidente : la SFIO était un « parti de classe qui a pour but (…) de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste » (statut 1er). Néanmoins, les bouleversements des schémas économiques et sociaux, ajoutés à l’accroissement fort du capitalisme (jusqu’à sa domination mondiale), amènent légitimement à repenser les rapports entretenus entre socialisme et capitalisme.
Loin d’être purement linéaire, l’analyse de ces relations, du XIXème siècle jusqu’à nos jours, offre sans nul doute une réponse intéressante quant à l’identité du socialisme aujourd’hui, ce qui le définit, ce qui fait sa particularité. De plus, l’analyse engage une réflexion essentielle quant aux perspectives futures du socialisme, métamorphosé face au capitalisme mondialisé qui domine depuis les années 1980.
Fruits de 23 contributeurs (historiens, politistes, sociologues), les textes qui composent cet ouvrage collectif sont issus de quatre séminaires de réflexion et d’un colloque placés sous la direction de Daniel Cohen, économiste, président du Conseil d’orientation scientifique de la Fondation Jean-Jaurès, et d’Alain Bergounioux, historien et directeur de La Revue socialiste.
L’intérêt de l’ouvrage est double. D’une part, il s’agit de comprendre l’identité du socialisme à travers l’analyse historique de ses rapports avec le capitalisme, à la fois dans la pensée, dans les doctrines et dans les politiques menées par les partis et les gouvernements socialistes européens. L’évolution de ces rapports est analysée à travers quatre périodes principales (avant 1914 ; les années 1930 ; la période post Seconde Guerre mondiale ; les années 1970) au sein desquelles la perspective visant à l’effacement du capitalisme (horizon originel de la doctrine socialiste) se réduit peu à peu pour laisser place à une sorte de « compromis durable » avec le capitalisme, conjuguant à la fois efficacité économique et réformes sociales. En outre, les années qui suivent la fin de la Seconde Guerre mondiale donnent naissance à une nouvelle dynamique dans l’histoire des partis socialistes européens et de la social-démocratie (bien que tout ne soit pas purement linéaire), comprenant peu à peu le marché comme facteur efficace de redistribution sociale et de prospérité (Congrès de Bad Godesberg, 1959). Ainsi, on note différentes transformations du socialisme sous l’effet du capitalisme, passant successivement, pour reprendre les catégories de Fabrice d’Almeida, d’un « socialisme compréhensif » à un « socialisme déceptif », laissant place à un « socialisme réceptif », puis à un « socialisme prospectif ».
D’autre part, l’ouvrage doit éclairer les relations que le socialisme entretient et qu’il doit entretenir aujourd’hui avec le capitalisme, notamment à travers l’enjeu de la domination du capitalisme financier. Ainsi, analyser ces relations permet de réfléchir à ces outils nouveaux dont doivent se servir les partis et gouvernements socialistes européens, afin d’apporter des réponses appropriées, tenant compte à la fois de l’évolution du capitalisme depuis le XIXème siècle et des valeurs originelles du socialisme : justice sociale, démocratie, solidarité.
Bien sûr, les divergences entre partisans d’une idéologie de type marxiste, en proie à une critique constante du capitalisme, et les partisans d’un certain « réformisme », acceptant les compromis avec le capitalisme, ont toujours structuré les partis socialistes à l’échelle européenne et demeurent encore aujourd’hui objets de débat, bien que minimisés. Ce sont ces débats et ces oppositions entre « innovateurs » et « gardiens du temple » (Marc Lazar). Cependant, bien que certains revendiquent aujourd’hui leur hostilité face à la mondialisation, les partisans d’un certain « réformisme » voient en elle des vertus évidentes, en adéquation avec les valeurs socialistes, comme le fait, par exemple, qu’elle puisse faire sortir de la pauvreté certains pays (aujourd’hui pays émergents) ou qu’elle puisse assurer la mondialisation écologique et culturelle (défense de la démocratie dans le monde).
Rechercher les nouveaux instruments permettant de concilier développement capitaliste et justice sociale, croissance par le profit et prospérité collective, devient alors une clef possible – et non des moindres – pour répondre aux défis et aux enjeux actuels du socialisme. Cette analyse permet ainsi de répondre de manière pertinente et efficace aux questions de l’avenir du socialisme, offrant des outils qui permettent de conjuguer principes fondamentaux du socialisme et réalités du capitalisme mondialisé.
Bien qu’ayant l’histoire comme objet d’analyse principal, l’ouvrage réalise ce « droit d’inventaire » (Daniel Cohen) à tous points de vue essentiel, fondamentalement tourné vers l’avenir, à la recherche d’une identité qui doit permettre d’éclaircir la position, le rôle et l’action des socialistes européens vis-à-vis de l’évolution du capitalisme et de sa complexité actuelle. Que l’on parle d’alternative au capitalisme ou d’économie sociale de marché, la claire compréhension du rapport qu’entretient le socialisme avec le modèle capitaliste est un enjeu de taille, apparaissant comme l’un des points qui mérite de ne plus susciter l’ambiguïté, souvent néfastes pour les socialismes européens.
« Les défis actuels imposent (…) la reconstruction patiente d’une pensée politique qui s’inscrive dans le temps long, en somme une politique durable. » (Fabrice d’Almeida)