Décryptant au plus près la géographie électorale de l’élection présidentielle de mai 2012, mise en perspective avec les précédentes, livrant une analyse fine des dynamiques territoriales et du nouvel état du clivage gauche-droite, Jérôme Fourquet donne des clés de compréhension d’un scrutin historique.
Synthèse
Le vote en faveur de Nicolas Sarkozy au premier tour : une baisse généralisée, de manière protéiforme
Le mouvement de baisse de Nicolas Sarkozy par rapport au premier tour de 2007 (-4 points) est perceptible sur l’ensemble du territoire. Des reculs importants sont à noter sur le littoral méditerranéen, en Corse, en Rhône-Alpes (zones où Marine Le Pen a fortement progressé), ainsi que des reculs, plus limités, sur la façade Ouest du pays ou dans les Pyrénées-Atlantiques. On note également un net recul dans les territoires de la « Grande Chiraquie », dû à la forte progression de François Hollande. Cependant, les lieux de résidence et de villégiature de la bourgeoisie sont restés fidèles à Nicolas Sarkozy par rapport au premier tour de 2007 (Neuilly = 72,6 % en 2007 et 2012 ; Paris XVI = de 64 % en 2007 à 64,9 % en 2012), tandis qu’une progression dans certains territoires est à noter, notamment en Vendée (terres de Philippe de Villiers) ainsi que dans les fiefs du Nouveau Centre et du MoDem (Eure ; Côte-d’Or).
La dynamique François Hollande
Le foyer principal de progression du vote François Hollande au premier tour a eu lieu dans la « Corrèze élargie » (+13 points par rapport à 2007). On observe aussi une progression au sein des territoires ayant voté massivement pour François Bayrou en 2007 (Pyrénées Atlantiques ; Finistère) ainsi qu’en Ile-de-France, en Haute-Normandie et dans le Nord. Des gains, certains mais plus limités, sont aussi à noter au sein de la France industrielle et populaire (Lorraine, Alsace, Franche-Comté). L’autre enseignement notable est la progression de François Hollande dans les « cantons nucléaires », contrairement à Nicolas Sarkozy, qui est en recul. Par rapport à 2007, François Hollande recule dans le Sud (Isère, Drôme, Var), notamment au sein de régions rurales et montagneuses. De même, on observe un recul dans toute une partie des Deux-Sèvres, terre d’élection de Ségolène Royal, qui allait elle aussi chercher au-delà de l’électorat de son camp.
Le vote Mélenchon : entre fiefs communistes et terres de mission
On observe en 2012 de nombreuses similitudes entre le vote pour Mélenchon et la géographie historique et traditionnelle du vote communiste, bien que ces scores demeurent en dessous des scores de Robert Hue en 1995. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon a été chercher au-delà, avec un vote supérieur à la moyenne dans les départements socialistes ou radicaux du Sud-Ouest, dans des régions rurales et montagneuses préoccupées par la question du maintien des services publics, ainsi que dans des territoires urbains de l’Ouest de la France. La situation est beaucoup plus contrastée au Nord de la Loire, dans des zones conservatrices de l’Est de la France et dans des zones de droite traditionnelle de l’Ouest, très réfractaires au candidat du Front de gauche.
La dynamique Marine Le Pen : le grand péri-urbain
Le vote du Front national s’est structuré par le « gradient d’urbanité » dans cette élection, c’est-à-dire la distance qui sépare la commune de résidence de la grande agglomération la plus proche. Marine Le Pen obtient un sur-vote dans les communes rurales et petites villes situées entre vingt et cinquante kilomètres des grandes agglomérations, tandis que des scores nettement inférieurs à la moyenne et en recul par rapport au vote frontiste de 2007, 2002 et 1995 sont à noter dans les métropoles. Ce sur-vote dans le grand péri-urbain est l’effet cumulé de deux facteurs : plus forte proportion des catégories populaires dans ces territoires ; facteur lié à la géographie de ces territoires et des difficultés qui y existent. Un climat d’opinion propre à ces territoires (sentiment d’insécurité plus développé, opposition au droit de vote des étrangers) conjugué au sentiment d’être des citoyens de seconde zone explique la réorientation du discours du Front national vers la France périphérique, et sa dénonciation de la « population aisée des centres villes ».
Second tour : Une géographie du clivage gauche/droite en évolution depuis 1981
Arithmétiquement assez nette avec plus de 1 100 000 voix d’avance, la victoire de François Hollande l’est aussi géographiquement, arrivant en tête dans 61 départements. Il s’est largement imposé dans un vaste bloc de départements couvrant tout le quart Sud-Ouest, grâce notamment au basculement de certains départements de droite ou de centre-droit (Cantal ; Aveyron ; Pyrénées-Atlantiques) et un prolongement au Nord de la Loire (Sarthe ; Indre-et-Loire ; Loire-Atlantique). D’une manière générale, François Hollande l’emporte largement dans les grandes villes et dans la France des banlieues, mais est largement distancé par Nicolas Sarkozy dans le péri-urbain. Le rapport de force gauche/droite varie en fait sensiblement selon le gradient d’urbanité. En outre, par rapport à 1981, on note une progression forte de la gauche dans la dorsale de l’Ouest intérieur, mais une nette érosion dans l’Est, le Sud-Est et les départements méditerranéens.
Un clivage de plus en plus marqué entre régions « ouvertes » et régions « fermées »
La cartographie de l’évolution du rapport gauche/droite au cours des trente dernières années renvoie à un clivage de plus en plus structurant entre ce que Pascal Perrineau qualifie de régions « ouvertes » et « fermées ». Des diversités d’opinion existent bel et bien selon le lieu dans lequel on réside. En outre, toutes les régions situées à l’Est de la fameuse ligne Le Havre/Valence/Perpignan (délimitant la zone de haute influence du FN) sont caractérisées par les indices de fermeture les plus élevés (part de la population supérieure à la moyenne pensant qu’il y a trop d’immigrés en France, que les chômeurs pourraient trouver un travail s’ils le voulaient vraiment, et que la peine de mort doit être rétablie). Inversement, les « terres de mission » du Front national comme l’Ile-de-France, la Bretagne ou l’Auvergne ont de forts indices d’ouverture.
La France se trouve donc travaillée par de lourdes mutations qui produisent des effets électoraux différents selon les territoires. Des fractures de plus en plus profondes entre les différentes régions se font sentir, dues entre autres à la crise et à la mondialisation. Le nouveau président devra alors tenir compte de cette nouvelle géographie sociale et politique, en s’adressant à la fois à cette France « ouverte » de l’Ouest et des grandes villes, mais aussi à cette France « fermée » de l’Est, du Sud-Est et du grand péri-urbain.