Le Rassemblement national au pouvoir : vers un désert de services publics

Le Rassemblement national se présente comme le défenseur des services publics et des territoires ruraux et périphériques. Pourtant, comme le montrent Louis-Samuel Pilcer, maître de conférences en économie à Sciences Po Paris, Francis Soulas, haut fonctionnaire, et Riwan Yahmi, agrégé d’économie et de gestion, dans cette note de l’Observatoire de l’économie de la Fondation, cela ne repose que sur une posture de façade et ne saurait masquer la vague d’austérité économique et le démantèlement des services publics que le parti d’extrême droite mettrait en œuvre s’il accédait au pouvoir.

Le Rassemblement national (RN) se présente comme le défenseur des services publics et des territoires ruraux et périphériques. Pourtant, les votes du RN à l’Assemblée nationale sont contradictoires avec cette posture de façade et son programme économique pour les élections législatives de 2024 conduira à une vague d’austérité. À cet égard, le projet de privatisation du service public audiovisuel porté par le RN illustre, au-delà de sa volonté d’abattre un contre-pouvoir, le peu d’importance que l’extrême droite accorde à l’idée de service public et d’intérêt général. En outre, la série de baisses d’impôts que proposent Marine Le Pen et Jordan Bardella, qui bénéficieront d’abord aux plus aisés, serait nécessairement accompagnée du démantèlement de nombreux services publics indispensables pour garantir l’accès des Français à la santé, à l’éducation et aux mobilités. 

Le programme du RN conduirait au recul des services publics, notamment en matière de santé et de transports

Le Rassemblement national proposait en 2022 d’augmenter significativement le budget attribué aux ministères en charge de la sécurité intérieure et de la justice, avec un réabondement à hauteur de 1,5 milliard d’euros par an pour créer 7000 postes de policiers et gendarmes et doubler le nombre de magistrats1Voir la page « Le projet » dédiée sur le site du Rassemblement national.. S’ils prévoient d’ouvrir de nouveaux commissariats et brigades de gendarmerie, Marine Le Pen et Jordan Bardella portent un programme de démantèlement des services publics dans tous les autres domaines, notamment en matière de santé, d’éducation ou de transports.

Le plan de débureaucratisation du système hospitalier pourrait être synonyme de casse sociale, au détriment de la qualité des soins

En 2022, le projet de Marine Le Pen pour le système de santé consistait à « desserrer l’étau bureaucratique » qui pèserait sur le système de santé afin de rendre l’hôpital public « efficace »2M La santé, livret thématique, Rassemblement national, 2022.. Le Rassemblement national estime pouvoir dégager des marges de manœuvre pour recruter du personnel soignant en réduisant la part des effectifs du système hospitalier composé de personnel administratif. Un plafond serait fixé à chaque hôpital, qui ne pourrait employer plus de 10% de son personnel sur des postes administratifs. Alors que l’hôpital public manque cruellement de moyens, aucune cible n’est donc fixée par le RN en matière de recrutement de personnel soignant : les recrutements en question seraient réalisés en fonction de la marge de manœuvre offerte par la débureaucratisation. Reposant sur le mythe selon lequel la réduction du nombre d’agents administratifs réduirait mécaniquement la production administrative – conception déjà erronée du temps de la Révision générale des politiques publiques –, ce projet pourrait avoir pour effet pervers de reporter la charge de fonctions administratives essentielles de planification, de transmission d’informations et gestion des ressources sur des personnels soignants et donc de diminuer le temps que ces derniers consacrent aux soins.

Si la critique du prétendu carcan administratif pesant sur les hôpitaux est un classique des programmes économiques de droite – François Fillon déclarait à titre d’exemple, en 2017, qu’il « y a beaucoup plus de gens qui administrent la santé que de médecins et d’infirmières qui soignent »3« Présidentielle : Fillon dénonce « l’énorme bureaucratie » qui « écrase le système » », Les Échos, 20 avril 2017. –, il est peu vraisemblable qu’une politique de débureaucratisation de l’hôpital public libère des ressources supplémentaires. En 20184Les évolutions des effectifs salariés du secteur hospitalier, Drees., sur les 1,05 million de salariés du secteur hospitalier public, les médecins, internes et sages-femmes représentaient 136 000 salariés (13%) et le personnel soignant non médical (infirmiers et aides-soignants) 638 000 (61%). Le personnel administratif ne représentait, selon la Drees, que 105 000 personnes, soit 10% de l’effectif total de l’hôpital public.

Structure de l’effectif de l’hôpital public

Source : Les évolutions des effectifs salariés du secteur hospitalier, Drees.

Cette proportion n’est pas plus élevée que la cible fixée par le Rassemblement national et reste relativement faible, ce qui s’explique par la situation de tension budgétaire qui pèse sur les hôpitaux depuis des années et qui a imposé aux directions d’établissements hospitaliers d’optimiser leur organisation. Une réduction supplémentaire de l’emploi administratif des hôpitaux serait vraisemblablement incompatible avec un maintien de la qualité des soins : à titre d’exemple, la part du personnel administratif est 35% plus élevée dans le secteur hospitalier privé que dans l’hôpital public.

Si la part de l’emploi non soignant est plus élevée en France qu’en Allemagne ou en Italie selon les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)5François Ecalle, « Les dépenses publiques hospitalières en France et en Europe », Finances publiques et économie, 26 mai 2020., celle-ci comprend les personnels administratifs mais également les équipes techniques et les agents de service dont les fonctions peuvent être externalisées par certains systèmes de santé, introduisant un biais majeur. Le système de santé français est un des plus optimisés du monde : selon le rapport Health at a glance 2023 de l’OCDE, les dépenses de santé par personne sont deux fois plus faibles en France qu’aux États-Unis et sont plus faibles que dans de nombreux pays comme l’Allemagne, la Norvège, l’Autriche ou les Pays-Bas, alors que les indicateurs de qualité du système de santé français sont parmi les meilleurs de l’OCDE.

Certes, certains aspects de l’organisation des hôpitaux peuvent encore être optimisés. Mais les principales marges de manœuvre pour réaliser des économies sur le système de santé portent sur des dépenses essentielles à la qualité des soins. Le programme du Rassemblement national conduira donc nécessairement à un recul du service public hospitalier.

Dépenses de santé par habitant des pays de l’OCDE
Screenshot

Source : OCDE, p. 159.

Le projet du RN en matière de mobilités se limite à une promotion de la voiture individuelle

Le programme de Marine Le Pen en matière de mobilités se rapproche de la copie blanche. Les principales propositions de la candidate à l’élection présidentielle de 2022 sur ce sujet essentiel pour de nombreux territoires portent sur la promotion de la voiture individuelle, par le biais d’une baisse de TVA de 20% à 5,5% sur le carburant et d’une renationalisation des autoroutes pour réduire de 15% le tarif des péages. Cette vision de la mobilité basée sur la promotion du transport en véhicule individuel sans prendre en compte l’urgence écologique n’est guère surprenante au regard des positions défendues par Jordan Bardella pendant la campagne européenne, notamment son opposition à l’interdiction des véhicules thermiques en Europe à horizon 2035.

Ce soutien à la mobilité en voiture individuelle ne serait pas un soutien efficace au pouvoir d’achat des classes populaires. Certes, la baisse de la TVA sur le carburant aurait un impact immédiat sur le pouvoir d’achat des habitants de nombreuses communes qui restent très dépendantes du transport en voiture individuelle. Mais si cette mesure représente un gain net de pouvoir d’achat pour les nombreux Français concernés, il convient de rappeler que la consommation d’essence est très fortement inégalitaire et que les plus riches dépensent deux fois plus d’essence que les plus pauvres. Cette mesure serait donc très inefficace : chaque euro dépensé pour soutenir la mobilité et le pouvoir d’achat des Français les plus pauvres qui dépendent de la voiture individuelle serait associé à 2 euros économisés par les Français les plus riches. Ces moindres recettes de TVA impliqueraient, en proportion, une baisse des dépenses publiques qui bénéficient aux Français les plus défavorisés. Pour chaque euro économisé sur l’essence, les bénéficiaires de cette mesure payeront 3 euros de plus sur le coût ou la qualité des autres services publics6Voir l’infographie ci-dessous réalisée par Alternatives économiques. Le premier décile dépense deux fois plus en essence que le dernier décile..

Dépenses annuelles en carburant pour le transport, 2021

Source : Alternatives économiques, 2021.

Certes, Marine Le Pen proposait en 2022 la gratuité des transports aux heures creuses pour les 18-25 ans, et indiquait son souhait d’engager un « plan national de circulation, de manière à améliorer la complémentarité entre rail, transport aérien et réseau routier »7Voir la page « Le projet » dédiée sur le site du Rassemblement national.. Pourtant, aucune mesure précise ne figure dans le programme du Rassemblement national en matière de développement d’infrastructures ferroviaires, de transition vers la voiture électrique ou de développement des transports en commun. Le programme de Jordan Bardella pour les élections européennes invitait l’Union européenne à « créer les conditions d’un redéploiement massif du transport ferroviaire qui passe notamment par la possibilité accrue pour les États de déroger aux règles européennes de concurrence »8Partie 3 : L’Europe qui respecte, Vivementle9juin.fr., sans prévoir le moindre budget pour financer une relance ferroviaire, qui passerait nécessairement par des investissements nationaux.

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Les prises de position du RN à l’Assemblée nationale sont en opposition constante avec les propositions de la gauche visant à défendre les services publics

Une opposition à plusieurs textes importants pour la défense des services publics, notamment à l’instauration d’une « école vraiment gratuite » 

Les députés du Rassemblement national se sont illustrés par leur opposition à de nombreuses propositions législatives visant à défendre le pouvoir d’achat et à restaurer la qualité de nos services publics. Si l’opposition des parlementaires d’extrême droite au rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et à l’augmentation du Smic à 1600 euros nets est bien connue, le groupe RN s’est également opposé à plusieurs propositions emblématiques portées par la gauche depuis 2022.

Les députés de la gauche ont notamment déposé en début de mandat une proposition de loi pour « garantir la gratuité de l’éducation » par la gratuité totale des cantines scolaires ainsi que des manuels, du matériel et des activités périscolaires pour les écoliers et élèves du second degré9Jason Wiels, « Cantine, transport et fournitures : la Nupes veut rendre l’école publique totalement gratuite », LCP, 30 août 2022.. Si l’éducation est théoriquement gratuite en France, celle-ci a un coût important pour les familles que les allocations de rentrée scolaire (400 euros par an) ne couvrent que très partiellement. La proposition de loi de la gauche présentait un coût estimé à près de huit milliards d’euros, et a fait l’objet d’une opposition du Rassemblement national qui s’est allié à la majorité présidentielle pour bloquer cette proposition législative.

Le Rassemblement national s’est également abstenu ou opposé dans l’hémicycle vis-à-vis de plusieurs propositions visant à renforcer les services publics : recrutement de sapeurs-pompiers et revalorisation de leurs salaires, augmentation du budget des universités, revalorisation de 10% du salaire des fonctionnaires10Timothée Duverger et Thierry Germain, Les contradictions du programme social du Rassemblement national, Fondation Jean-Jaurès, 14 juin 2024., revalorisation des bourses étudiantes au niveau de l’inflation.

Une opposition du RN à la proposition de loi transpartisane visant à lutter contre les déserts médicaux par une régulation de l’installation des médecins

Alors que la qualité des services publics français a permis une forte augmentation de l’espérance de vie depuis 1990, les disparités entre les métropoles et les territoires ruraux et périphériques se sont progressivement creusées. Si l’espérance de vie des Français vivant dans une commune rurale et urbaine était équivalente en 1990, les territoires les plus éloignés des services publics souffrent de difficultés croissantes en matière d’accès aux soins, qui ont conduit à un écart d’espérance de vie entre les ruraux et urbains désormais estimé à deux ans chez les hommes et à un an chez les femmes. Au niveau national, cet écart d’espérance de vie pourrait expliquer 14 000 décès supplémentaires par an dans les zones rurales11Santé – Nouvelle étude de l’AMRF sur la mortalité, Association des maires ruraux de France.. Ces déséquilibres territoriaux expliquent en partie les inégalités sociales en matière d’espérance de vie : les 5% des Français les plus aisés vivent en moyenne treize ans de plus que les 5% les plus pauvres12Nathalie Blanpain, « L’espérance de vie par niveau de vie : chez les hommes, 13 ans d’écart entre les plus aisés et les plus modestes », Insee, 6 février 2018..

Les habitants de nombreux territoires sont affectés par ce déséquilibre en matière d’accès à des services publics essentiels. Huit millions de Français vivent dans un désert médical, et six millions de Français n’ont pas de médecin traitant13Collectif, « Déserts médicaux : quarante députés déposent une proposition de loi transpartisane centrée sur la régulation », Le Journal du dimanche, 7 janvier 2023.. Le nombre de médecins généralistes par habitant est trois fois plus élevé dans les Hautes-Alpes que dans l’Eure, le nombre de pédiatres est 33 fois plus élevé à Paris que dans l’Indre. Ces déséquilibres ont des conséquences sanitaires graves : à titre d’exemple, le département de l’Eure ne compte que 58 médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants, contre une moyenne nationale 45% plus élevée14Éric Turpin, « Cartes – Déserts médicaux : les médecins généralistes en Normandie, département par département », France bleu Normandie, 6 mars 2023., et l’association de consommateurs UFC-Que choisir signalait que 57% des patients eurois rencontrent des difficultés pour trouver un rendez-vous médical15Jean-Christophe Lalay, « Déserts médicaux en Normandie : selon UFC-Que choisir, la situation se dégrade », Ouest-France, 21 novembre 2023.. Une étude menée par l’Insee en 2013 montrait que cette situation pouvait avoir des conséquences très importantes : la surmortalité dans le département de l’Eure était 13% plus importante que la moyenne de la France métropolitaine, en grande partie liée à des cancers ou à des maladies de l’appareil circulatoire ou digestif16Nabil Mouchit, « En Normandie, plus d’un décès sur deux dû à des maladies tumorales ou circulatoires », Insee, 23 septembre 2016.. Un rapport du Sénat de 202017Hervé Maurey et Jean-François Longeot, « Déserts médicaux : l’État doit enfin prendre des mesures courageuses ! », rapport d’information n°282, Commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Sénat, 29 janvier 2020. soulignait que les zones dans lesquelles la mortalité précoce est la plus importante sont les mêmes que celles qui connaissent des difficultés en matière d’accès aux soins. 

Face à cette fracture territoriale en matière d’accès aux soins, un groupe de travail transpartisan mené par les deux députés de Mayenne, Guillaume Garot (Parti socialiste) et Yannick Favennec (Horizons), a proposé une loi visant à permettre à l’État d’organiser l’installation des médecins et des chirurgiens-dentistes en fonction des besoins de santé des territoires, en imposant aux professionnels qui souhaitent s’installer dans des zones déjà bien pourvues en médecins d’avoir une autorisation de leur Agence régionale de santé (ARS). Une régulation similaire existe déjà pour de nombreuses professions afin d’assurer une forme d’égalité entre les territoires : pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes, notaires, etc. La proposition de loi et les amendements déposés par Guillaume Garot ont réuni des cosignataires et soutiens de la quasi-totalité des groupes politiques de l’Assemblée nationale. Si la gauche et le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT) ont unanimement soutenu cette initiative transpartisane, de nombreux députés de la droite et du groupe présidentiel sensibles à la problématique des déserts médicaux ont également voté en faveur du texte. L’amendement déposé par Guillaume Garot le 14 juin 2023 a été refusé en séance avec 168 oppositions contre 127 soutiens : l’opposition unanime des 39 députés du Rassemblement national présents (sur 88) a empêché l’adoption de cette proposition législative18Voir le dossier législatif à cet égard.. Le Rassemblement national a suivi l’avis du gouvernement pour empêcher l’adoption de cette proposition de loi soutenue par des députés de l’ensemble des autres groupes politiques, et qui aurait permis de remédier efficacement au manque de médecins généralistes et spécialistes qui affecte les habitants de nombreux territoires.

En matière de lutte contre la désertification médicale, le Rassemblement national défend en effet une vision néolibérale, qui a montré depuis vingt ans son caractère inopérant. Le parti d’extrême droite propose en effet dans son programme pour l’élection présidentielle de 2022 de « réduire le nombre de déserts médicaux grâce à des incitations financières fortes », notamment « une rémunération de la consultation modulée selon le lieu d’installation », « complétée par une action résolue de l’État en matière d’infrastructures et de services publics pour augmenter l’attractivité de ces zones vis-à-vis des médecins et de leur famille »19M La santé, livret thématique, Rassemblement national, 2022..

Ces politiques incitatives existent déjà et ont démontré leur inefficacité. La Cour des comptes soulignait notamment dans son rapport public thématique de 2024 concernant l’organisation territoriale des soins de premier recours que malgré les aides significatives à l’installation des médecins généralistes (32 millions d’euros en 2020 au titre des différents contrats), la part des médecins dans des zones sous-dotées a diminué entre 2015 et 2021. La revue de littérature réalisée par la Cour des comptes explique cette inefficacité par le fait que les médecins prennent en compte des facteurs comme les conditions de travail, les responsabilités professionnelles et l’autonomie dans l’exercice de leurs fonctions, ou encore la proximité d’un hôpital et d’autres professionnels de santé, bien avant les aspects financiers, qui passent au second plan dans le choix du lieu d’installation. Selon la Cour des comptes, « qu’elles soient versées par les collectivités territoriales, les ARS ou par l’Assurance maladie » (ce qui serait le cas dans le schéma de modulation des rémunérations proposé par le Rassemblement national), « les aides financières à l’installation ou au maintien en zones sous-denses ont un effet réduit, même si leurs montants sont parfois élevés ». En matière de lutte contre la désertification médicale, la politique des primes proposée par Marine Le Pen n’aura pas plus d’impact que celle défendue par Emmanuel Macron.

Le Rassemblement national propose également un développement de la télémédecine qui « contribue à résoudre les problèmes posés par les déserts médicaux et limite les déplacements longs et coûteux pour les patients » et suggère d’augmenter « le nombre de maisons et de centres de santé »20M La santé, livret thématique, Rassemblement national, 2022.. À noter d’ailleurs, ces propositions étaient également formulées par Emmanuel Macron dans ses programmes présidentiels, avec l’engagement en 2022 à « doubler le nombre de maisons de santé pour lutter contre les déserts médicaux » et la proposition dans son programme de 2017 d’« encourager la télémédecine »21Voir programme en 2017.. Le projet du Rassemblement national en matière de lutte contre les déserts médicaux est sensiblement le même que celui du président de la République : un refus de toute contrainte relative à l’installation des professionnels de santé, et des palliatifs pour les nombreux Français qui vivent dans des déserts médicaux.

La privatisation de l’audiovisuel public souhaitée par le RN priverait les Français d’un service public essentiel à la vie démocratique

La privatisation de l’audiovisuel public conduirait à une dégradation de la qualité de l’information et à un appauvrissement de la création culturelle

Contrairement aux autres services publics qu’il prétend défendre, le Rassemblement national ne cache pas son hostilité à l’égard de l’audiovisuel public. Comme lors de la campagne présidentielle de 2022, l’extrême droite affiche ainsi sa volonté de privatiser une part substantielle de l’audiovisuel public en cas de victoire aux élections législatives 2024. Deux justifications principales sont avancées par les responsables du RN. Ils affirment d’une part qu’une « grande démocratie comme la France n’a pas besoin d’un audiovisuel public de cette taille »22Charles Sapin, « Marine Le Pen : « Je veux nationaliser les autoroutes et privatiser l’audiovisuel public » », Le Figaro, 8 septembre 2021., or aucune autre grande démocratie européenne ne s’est privée d’un service public de l’audiovisuel et plusieurs études établissent même une corrélation positive entre la robustesse de l’audiovisuel public d’un pays et la qualité de sa démocratie23Timothy Neff et Victor Pickard, « Funding democracy: public media and democratic health in 33 countries », Academia.. Ils avancent d’autre part que la cession de France Télévisions et de Radio France (France Médias Monde et l’Institut national de l’audiovisuel resteraient dans le domaine public) permettrait d’économiser au moins trois milliards d’euros24Caroline Sallé, « Le RN compte bien privatiser l’audiovisuel public, confirme Jordan Bardella », Le Figaro, 16 juin 2024.. Derrière cet argument financier, les critiques régulièrement adressées par l’extrême droite à l’encontre des médias suggèrent qu’elle souhaite avant tout abattre un contre-pouvoir important, en mettant fin à l’existence d’un audiovisuel public fort, dont les modalités de financement doivent notamment garantir l’indépendance25Décision n° 2022-842 DC du 12 août 2022, Conseil constitutionnel, communiqué de presse, 12 août 2022.. En outre, les obligations légales auxquelles l’audiovisuel public est soumis sont sans commune mesure à celles qui sont applicables aux éditeurs privés. Ainsi, l’existence d’un service public de l’audiovisuel trouve sa légitimité dans les missions de service public dont il s’acquitte, qui sont définies dans la loi de 1986 relative à la liberté de communication. Ces missions ont notamment trait à la promotion du débat démocratique, de la cohésion sociale, de la diversité culturelle, de la lutte contre les discriminations et des droits des femmes, à l’éducation à l’environnement ainsi qu’à l’information sur la santé et la sexualité. 

Le projet de privatisation de France Télévisions et de Radio France est d’autant plus préoccupant qu’il interviendrait dans un contexte de concentration des médias privés et de dégradation de la qualité de l’information. Ainsi, la propriété des médias français est de plus en plus concentrée entre grands groupes industriels (groupe Bouygues pour le groupe TF1, groupe Bolloré pour Canal+, groupe Bertelsmann pour M6, Altice Média pour BFM TV racheté par le groupe CMA CGM)26Aurélien Saintoul, Rapport n°2610 de la commission d’enquête sur l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre, Assemblée nationale, rapport d’enquête, 7 mai 2024.. Or plusieurs chaînes privées de la télévision numérique terrestre (TNT), notamment celles détenues par Vincent Bolloré, s’acquittent de moins en moins des obligations d’intérêt général – pourtant bien moindres que celles pesant sur l’audiovisuel public – qui leur incombent en contrepartie de leur utilisation gratuite des fréquences hertziennes. Les atteintes au pluralisme se sont ainsi multipliées sur CNews et C8, conduisant l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à prononcer à leur encontre plus de quarante mises en garde, mises en demeure et amendes depuis 201227Adel Miliani, « Retrouvez toutes les sanctions de l’Arcom contre C8 et CNews », Le Monde, 24 mai 2024..

Alors que France Télévisions et Radio France représentent respectivement 29% et 30% des parts d’audience télévisuelle et radiophonique, leur privatisation viendrait donc priver la population d’un service public essentiel. Sa disparition serait particulièrement dommageable pour les 22 millions de Français vivant en zone rurale, ainsi que pour de nombreux foyers aux revenus modestes, pour lesquels les chaînes et les radios publiques constituent souvent la principale offre culturelle disponible.

À cet égard, il convient de souligner que la privatisation de l’audiovisuel public conduirait également à un appauvrissement conséquent de la création audiovisuelle française, dont le financement repose en grande partie sur l’audiovisuel public. France Télévisions a ainsi l’obligation d’investir un minimum de 420 millions d’euros par an dans la création audiovisuelle et de 3,5% de son chiffre d’affaires dans le cinéma28Voir le rapport du Sénat sur le sujet et cet article de la SACD.. En 2023, France Télévisions a investi plus de 500 millions d’euros dans la création audiovisuelle et cinématographique29Ibid.. La perte de cette source de financement serait extrêmement préjudiciable au secteur culturel, sans qu’aucune compensation ne soit prévue par le Rassemblement national. 

Par ailleurs, il n’est pas acquis qu’une telle privatisation soit conforme à la Constitution. En effet, se fondant sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui proclame la liberté de communication, le Conseil constitutionnel a déjà ouvert la voie à la reconnaissance d’une exigence constitutionnelle d’existence d’un service public audiovisuel. En effet, la liberté de communication implique non seulement que l’État s’abstienne d’entraver la liberté de diffusion du secteur privé mais aussi que celui-ci garantisse aux auditeurs et téléspectateurs la réception de contenus échappant à ces mêmes intérêts privés30Sacha Sydoryk, « Le Conseil constitutionnel sacralise l’existence d’un audiovisuel public indépendant », Dalloz Actualité, 12 août 2022.. C’est à cette garantie démocratique essentielle que la privatisation de l’audiovisuel public porterait atteinte.

Alors qu’il est peu probable que la vente de France Télévisionet de Radio France apporte les recettes escomptées par le RN, elle aurait des effets économiques néfastes sur l’ensemble du secteur audiovisuel

Le montant de la vente de France Télévisions, estimé à trois milliards d’euros par le Rassemblement national, devrait sans doute être revu à la baisse. Cette estimation se fonde sur le chiffre d’affaires de France Télévisions en 2023, qui s’élève à trois milliards d’euros. Mais sur ces trois milliards d’euros, 2,4 milliards d’euros (80%) proviennent de subventions publiques (depuis la suppression de la redevance audiovisuelle)31Rapport annuel 2023. Volet financier, France Télévisions.. Or, il semble quasiment impossible de compenser la perte de 2,4 milliards d’euros de subventions publiques par un montant équivalent de recettes publicitaires, au regard de la taille du marché de la publicité télévisuelle (3,5 milliards d’euros), de la concurrence des acteurs privés (TF1 et M6 notamment) et de la part d’audience de l’audiovisuel public (29%, alors que le montant de recettes nécessaires pour compenser la perte de fonds publics s’élèverait à 70% du marché publicitaire). En réalité, les perspectives de recettes sont limitées pour France Télévisions en dehors d’un soutien public. En conséquence, une privatisation serait sans doute suivie ou précédée d’une restructuration importante, avec une forte diminution des effectifs.

Vu la situation du marché, plusieurs analystes financiers (Oddo BHF, Bernstein) s’accordent donc sur le fait que la demande pour les chaînes publiques serait faible, voire proche d’un prix nul, au point de décourager une privatisation totale de France Télévisions32Fabio Benedetti Valentini, « Les craintes de privatisation de l’audiovisuel public font chuter TF1 et M6 en Bourse », Les Échos, 11 juin 2024.. Au demeurant, les groupes susceptibles de se porter candidat au rachat des chaînes publiques devraient se conformer aux règles anti-concentration sous le contrôle de l’Autorité de la concurrence. En particulier, l’interdiction pour un groupe de détenir plus de sept chaînes sur la TNT pourrait exclure certains candidats potentiels (comme le groupe TF1) ou conduire à un rachat partiel synonyme de démantèlement de France Télévisions. 

En outre, la privatisation de l’audiovisuel public pourrait mettre en difficulté financière les chaînes privées, en accroissant considérablement la concurrence sur le marché publicitaire. En effet, France Télévisions et Radio France accordent aujourd’hui une place limitée à la publicité pour se conformer à diverses règles visant à préserver le service public audiovisuel d’une logique commerciale. Ainsi, France Télévisions a l’interdiction de diffuser des publicités commerciales de 20 heures à 6 heures du matin, tandis que Radio France fait l’objet d’un plafonnement de ses recettes publicitaires à hauteur de 42 millions d’euros annuels. C’est pourquoi les recettes publicitaires de France Télévisions ne s’élèvent en 2023 qu’à 430 millions d’euros, sur un marché de la publicité télévisuelle de 3,4 milliards d’euros33Kantar Media, BUMP : Baromètre unifié du marché publicitaire et de la communication 2023, rapport, 14 mars 2024..

Dès lors, l’ouverture des chaînes publiques aux annonceurs publicitaires sur l’ensemble des vingt-quatre heures d’une journée et la nécessité de trouver de nouvelles recettes compensant la perte des fonds publiques pourraient priver les chaînes privées – notamment TF1 et M6 – d’une partie non négligeable de leurs recettes, sachant que leur financement dépend très largement de la publicité. C’est sans doute la raison pour laquelle la perspective d’une privatisation de l’audiovisuel public a conduit, dans les jours qui ont suivi la dissolution de l’Assemblée nationale, à une chute des valorisations boursières de TF1 et de M634Capucine Cousin, « Le marché zappe TF1 et M6 face à la menace d’un big bang dans le PAF », Agefi Dow Jones, Boursorama, 14 juin 2024..

Enfin, la comparaison entre le projet du Rassemblement national et la privatisation de TF1 en 1986 ne semble pas pertinente, dans la mesure où le marché de la publicité télévisuelle était alors en plein développement. La situation semble aujourd’hui inversée, puisque les acteurs traditionnels de l’audiovisuel sont de plus en plus concurrencés par les plateformes numériques, qui captent des parts de marché de plus en plus importantes35Évolution du marché de la communication et impact sur le financement des médias par la publicité, ministère de la Culture et Arcom, 20 juin 2023.

Une réduction des recettes de l’État plus sévère que celle mise en œuvre par Emmanuel Macron, qui ne pourrait être accompagnée que par une politique de démantèlement des services publics

Le programme du RN impliquerait une baisse massive des recettes de l’État

Le programme économique de Marine Le Pen se caractérise par une baisse significative des recettes de l’État et de la Sécurité sociale. En 2022, le Rassemblement national proposait en effet un certain nombre de baisses d’impôts, toutes d’une efficacité limitée en matière de soutien au pouvoir d’achat des classes populaires. Les trois baisses d’impôts les plus coûteuses du programme économique de Marine Le Pen sont les suivantes :

  • une baisse de TVA sur les carburants, l’électricité, le gaz et fioul domestique dont le coût était estimé par l’Institut Montaigne à 10,3 milliards d’euros à l’époque. Le chiffrage sera probablement revu à la hausse à la suite de l’augmentation des prix de l’énergie36Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, Présidentielle 2022. ;
  • une exonération de cotisations patronales sur les hausses de salaires de 10% octroyées à l’ensemble des salariés gagnant moins de trois fois le Smic, dont le coût est estimé par l’Institut Montaigne à 10,5 milliards d’euros37Ibid.. L’équipe de Marine Le Pen estime cette mesure sans impact sur les dépenses publiques, en considérant que cette exonération porte sur des recettes qui n’auraient pas existé sans cette mesure. En d’autres termes, les équipes du RN considèrent que les entreprises qui pourraient avoir recours à ce dispositif n’auraient pas augmenté les salaires de leurs collaborateurs sans cette exonération. Cette analyse est erronée : avec une inflation de 4,9% en 2023, l’exonération de cotisations patronales sur les augmentations de salaires des entreprises qui acceptent de revaloriser leurs collaborateurs prive la puissance publique des recettes additionnelles liées à la dynamique des salaires qui aurait été constatée même si cette proposition n’était pas mise en œuvre ;
  • une baisse des impôts de production et une suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE), dont le coût est estimé par l’Institut Montaigne à 9,6 milliards d’euros38Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, Présidentielle 2022.. Cette proposition aurait pu être remise en cause à la suite de la suppression par Emmanuel Macron de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), mais Jordan Bardella a confirmé récemment son intention de supprimer la CFE et la C3S dans le cadre de sa stratégie visant à rapprocher le RN des milieux économiques.

Le Rassemblement national prévoit d’autres baisses d’impôts ciblées, notamment une exonération d’impôt sur le revenu pour les jeunes de moins de 30 ans, chiffré à 3,7 milliards d’euros par l’Institut Montaigne39Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, Présidentielle 2022. et à deux milliards d’euros par le Rassemblement national. Au-delà du fond, cette mesure a été vivement critiquée par plusieurs spécialistes du droit constitutionnel40Valérie de Senneville, « Anne Levade : « Si Marine Le Pen décidait de passer outre les décisions du Conseil constitutionnel, on serait à la limite du coup d’État » », Les Échos, 13 avril 2022. en raison de la rupture d’égalité devant l’impôt qu’elle pourrait engendrer. Dans la mesure où l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 stipule que l’impôt « doit être également réparti entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », la juriste Anne Levade estime qu’une telle mesure ne serait pas conforme à la Constitution.

D’autres mesures fiscales présentent un soutien explicite aux catégories les plus aisées, notamment la baisse des impôts sur l’héritage. Les donations effectuées par des grands-parents à leurs petits-enfants sont actuellement défiscalisées jusqu’à 32 000 euros, et Marine Le Pen proposait en 2022 de rehausser le seuil à hauteur de 100 000 euros tous les dix ans41 Léo Monegier, « Patrimoine : les propositions de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron », Investir – Les Échos, 12 avril 2022.. Alors que 66% des Français héritent de moins de 30 000 euros et 87% des Français de moins de 100 000 euros42Rapport sur les riches en France, édition 2024, Observatoire des inégalités., une telle mesure permettrait aux familles les plus riches de transmettre jusqu’à 400 000 euros tous les dix ans – pour quatre grands-parents – avec une exonération supplémentaire à hauteur de 300 000 euros sur la transmission de biens immobiliers. Cette proposition coûterait environ un milliard d’euros43Voir Institut Montaigne, Présidentielle 2022 – Marine Le Pen., et l’exonération d’impôts sur la transmission de biens immobiliers près de quatre milliards d’euros44Voir Institut Montaigne, Présidentielle 2022 – Marine Le Pen..

Ce rétrécissement du périmètre étatique est incompatible avec les dépenses nouvelles prévues dans le programme de Marine Le Pen, et avec le maintien de la qualité de nos services publics

Le programme du Rassemblement national pour l’élection présidentielle de 2022 prévoyait ainsi des baisses de prélèvements obligatoires estimées par l’Institut Montaigne à environ 40 milliards d’euros45Lucie Castets, « Pourquoi le RN est l’ennemi des services publics », Alternatives économiques, 27 février 2024.. Cette politique implique nécessairement une révision à la baisse des prérogatives de la puissance publique : c’est quatre fois le budget de la Police nationale, les deux tiers du budget de la défense et la moitié de celui de l’enseignement scolaire.

Cette baisse des recettes fiscales est incompatible avec les multiples dépenses nouvelles que le Rassemblement national prévoyait d’engager en parallèle dans le cadre des dernières élections présidentielles : revalorisation des salaires des enseignants (5,8 milliards d’euros), augmentation du nombre de places de prison pour atteindre 85 000 (5,5 milliards d’euros), augmentation du budget de la défense (4 milliards d’euros), revalorisation de 10% pour les infirmiers (1,7 milliard d’euros), construction de 20 EPR et réouverture de Fessenheim (1,5 milliard d’euros), etc. L’Institut Montaigne estimait en 2022 que le programme économique de Marine Le Pen impliquerait une explosion du déficit public à hauteur de plus de 100 milliards d’euros, ce qui représente une augmentation de 65% du déficit public par rapport à 2023 PIB46Institut Montaigne, Programme de Marine Le Pen, Présidentielle 2022..

Le Rassemblement national revient dès à présent sur un certain nombre de mesures défendues dans le cadre de la dernière présidentielle, à commencer par l’abrogation de la réforme des retraites, et il est vraisemblable que la quasi-totalité des propositions coûteuses avancées par Marine Le Pen à l’époque seront passées au crible et que leur ambition serait revue à la baisse. Jordan Bardella a précisé qu’il hériterait d’une situation économique « compliquée » et qu’il engagerait un « audit » sur l’état des finances publiques et assumerait de « faire des choix », c’est-à-dire d’abandonner une partie des propositions formulées par l’extrême droite dans le cadre des précédentes campagnes électorales.

Comme le précise Lucie Castets du collectif Nos services publics47Lucie Castets, « Pourquoi le RN est l’ennemi des services publics », Alternatives économiques, 27 février 2024., Marine Le Pen s’est engagée pendant sa campagne présidentielle à ramener la dépense publique à 50% du PIB contre 56% aujourd’hui. Cet engagement est complètement incompatible avec les dépenses nouvelles que prévoyait son programme de 2022, et ne permettrait pas de maintenir le niveau de qualité de nombreux services publics essentiels en matière d’éducation, de santé ou de mobilités. Entre le plan de baisse d’impôts que souhaite engager le RN pour séduire les milieux économiques et le maintien des services publics qui bénéficient à tous les Français, des choix seront nécessaires. Les récentes déclarations de Jordan Bardella semblent indiquer que l’extrême droite a désormais tranché : ce qui attend la France en cas de victoire de leur parti, c’est une vague d’austérité.

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