Le projet de loi « pour un État au service d’une société de confiance »

Alors que l’examen du projet de loi sur le droit à l’erreur (nouvellement nommé « pour une société de confiance ») vient de débuter en commission, la Fondation publie l’intervention de Pierre Bauby, directeur de l’Observatoire de l’action publique, tenue lors de la première table ronde organisée le 13 décembre 2017 par la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner ce projet de loi.

Il est bien rare – et c’est même peut être la première fois – qu’un projet de loi ait pour objet la « confiance » et que celle-ci soit mise en relation avec l’État ! S’agit-il d’un énième projet de réforme de l’État ou y a-t-il là une démarche nouvelle ?

Si l’on veut mettre l’accent sur la « confiance », c’est que l’on considère qu’il existe de la « défiance ». Ni l’exposé des motifs ni même l’étude d’impact annexée n’esquissent d’analyse en la matière. Il serait pourtant essentiel d’avoir une état des lieux des méfiances existantes pour en dégager des pistes et propositions de changement.

Je voudrais d’abord essayer de clarifier ce que sont les rapports de l’État à la société. Nous avons affaire à trois catégories d’acteurs :

  • les décideurs politiques, qui définissent les orientations, les stratégies, les politiques publiques ;
  • les services administratifs et les agents publics qui assurent l’interface avec tous ;
  • les « utilisateurs » – terme large utilisé par les textes européens –, citoyens, usagers, mais aussi tous les acteurs économiques et sociaux.

Ces acteurs entretiennent entre eux des rapports multiples et complexes dans lesquels se manifestent de manière souvent croissante des méfiances :

  • méfiance des citoyens à l’égard des politiques, que traduit en particulier la tendance à l’augmentation des abstentions, qui se conjugue avec une conception ancrée dans notre histoire longue d’une supériorité de l’action publique et de suspicions à l’égard de citoyens immatures ou fraudeurs potentiels ;
  • méfiance entre décideurs politiques et agents publics, qui s’auto-entretiennent entre démarches trop souvent autoritaires, management encore fréquemment fondé sur les moyens plus que sur les finalités, difficultés croissantes des normes et obligations à faire respecter, perceptions de menaces sur les emplois et les conditions de travail ;
  • méfiance dans les relations entre les « utilisateurs » et les services et agents publics, encore souvent marquées par des démarches bureaucratiques voire des comportements autoritaires, des désengagements, qui engendrent des craintes ou des stratégies d’évitement, des capacités différenciées de connaissance et de maîtrise des normes et lois entre les acteurs économiques et sociaux, les PME étant souvent plus méfiantes car se sentant particulièrement dépourvues et dépendantes.

Une société de confiance, que propose le projet de loi, implique de changer de vision, de paradigme – une révolution copernicienne – permettant de sortir par le haut du débat entre

  • plus d’État comme protecteur et solution de toutes les difficultés ;
  • moins d’État car fossoyeur des libertés.

Il faut remettre l’État à sa place et rompre avec ses tendances dominatrices. Mais lui donner toute sa place, au contraire des thèses sur l’État minimal-croupion, en repartant de son essence et de ses fondamentaux, qui consistent à assurer les conditions du « vivre-ensemble » :

  • garantir effectivement les droits de chacun ;
  • promouvoir des solidarités, de la cohésion économique, sociale, territoriale, environnementale, inter-générationnelle ;
  • préparer l’avenir, être garant du long terme ;

car les forces du marché génèrent spontanément des polarisations et des inégalités croissantes économiques, sociales, territoriales…

Dans leurs rapports à l’État, les « utilisateurs » devraient bénéficier d’une sorte de « présomption d’innocence », si l’on veut engager un processus de reconstruction de la confiance. Les premières pages de l’exposé des motifs du projet de loi semblent s’inscrire dans cette refondation.

C’est peu dire que l’auteur en octobre 2014 de la note de la Fondation Jean-Jaurès Réformer l’État par la société puis, en mai 2016, de Sept thèses pour refonder la réforme de l’État se retrouve dans

  • la stratégie de transformation définie (« présomption de conformité des comportements à la loi, conscience du service nécessaire et de son coût, évaluation régulière, choix pertinent des moyens pour limiter la production de normes, confiance dans les parties prenantes, auxquelles l’action doit être déléguée, présence au plus proche des territoires et des personnes, internalisation de la complexité, ouverture et modernisation, autonomie et responsabilité des agents formés à cette fin ») :
  • un État de service adapté aux besoins et à leurs évolutions ;
  • le droit à l’erreur ;
  • le développement du rescrit ;
  • la confiance a priori ;
  • le droit au contrôle ;
  • le rôle de conseil ;
  • l’expérimentation ;
  • le défaut de réponse emportant l’approbation ;
  • le recours à la transaction ;
  • le référent unique ;
  • la médiation.

On sent ici les perspectives de rupture, de ce qu’il est convenu de qualifier de « nouveau monde ».

Mais il ne faudrait pas créer de faux espoirs en assortissant chaque orientation ou disposition de telles exceptions ou exemptions qu’elles auraient peu d’effets et amèneraient à suspecter la volonté de transformation, à la manière dont « l’absence de réponse vaut acceptation » de la précédente législature. Il serait souhaitable que le Parlement :

  • encadre strictement les exceptions et exemptions ;
  • clarifie le sens de l’expression relative au droit à l’erreur (« en cas de première méconnaissance involontaire d’une règle applicable à sa situation »), car la « première fois » doit s’appliquer pour chaque règle et non pour « solde de tout compte » ;
  • complète les marques de confiance en créant les conditions de participation démocratique à l’élaboration des lois, à l’évaluation, au contrôle ;
  • développe les conditions d’un management de la confiance et d’un dialogue social fondé sur l’attachement massif des agents publics à des services publics de qualité, répondant aux besoins des citoyens et de leurs évolutions ;
  • aborde les conditions d’organisation d’un traitement des plaintes et réclamations, car elles mettent souvent l’accent sur des dysfonctionnements ignorés du management, et dont le traitement devrait permettre de résoudre bien des difficultés sans en arriver au contentieux.

Dans le projet de loi, le Titre II (« Vers une action publique modernisée, simple et efficace ») apparaît en décalage par rapport à son objet, sans rapport avec la « confiance » qu’il vise. On y trouve toute une série de mesures sans rapport les unes avec les autres – de la dématérialisation de procédures au regroupement des établissements d’enseignement supérieur, en passant par l’autorisation des associations cultuelles à collecter des fonds par SMS ou à la sur-transposition du droit de l’Union européenne dans le champ économique et financier.

Si chaque disposition peut avoir sa pertinence, elles ressemblent pourtant par trop aux « diverses dispositions » de l’« ancien monde » que des énarques de Bercy accolent ici. Ont-elles leur place dans ce projet de loi ? Et ne risquent-elles pas d’en atténuer le sens et la portée ? Ne serait-il pas pertinent de dissocier ce Titre II dans un projet de simplification ? Cela permettrait de laisser tout son sens et sa portée à l’objectif ambitieux d’un « État au service d’une société de confiance ».

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