Le paradoxe Macron

Il y a un paradoxe Emmanuel Macron : comment un candidat fait-il pour être aussi bien placé dans la course à l’élection présidentielle quand nombre de ses valeurs personnelles ou de ses propositions dans des domaines majeurs paraissent éloignées des opinions majoritaires et de la « dépression française »? Analyse avec Chloé Morin pour l’Observatoire de l’opinion.

Emmanuel Macron, candidat par défaut ? Difficile à croire quand on constate l’affluence de ses meetings et la dynamique qu’il enregistre à nouveau dans les intentions de vote depuis le ralliement de François Bayrou… Il est en effet crédité de 25 % à 26 % des intentions de vote selon les dernières enquêtes Ifop, BVA et OpinionWay. 

Et pourtant… Interrogés par BVA sur les éléments qui motivent avant tout leur choix d’un candidat, les électeurs citent généralement en première position « ses propositions politiques » (49 % en moyenne). Si cet item est cité par 54 % des électeurs potentiels de François Fillon comme de Marine Le Pen, par 55 % des électeurs de Benoît Hamon et par 60 % des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, il n’est en revanche cité que par 34 % des électeurs potentiels d’Emmanuel Macron. Une proportion presque équivalente (33 %, en hausse de deux points en une semaine) considère qu’il constitue un « choix par défaut », car « il est le moins pire de tous ». 

Longtemps d’ailleurs, cette caractéristique était citée en premier par les électeurs d’Emmanuel Macron : mi-février, 38 % de ses électeurs se tournaient vers lui « par défaut » (contre 25 % pour la moyenne des candidats) et 25 % seulement pour ses propositions. C’est à la fin février que les lignes ont commencé à bouger, et les proportions de choix par défaut et de choix par adhésion aux propositions à converger. La présentation de son programme semble donc avoir permis de rééquilibrer sa structure d’image, renforçant ainsi son socle électoral et confortant sa position. Pour autant, il reste le candidat que l’on choisit le plus par défaut et le moins pour ses propositions politiques.

De plus, pour des observateurs avisés de la vie politique française, marqués depuis plusieurs années par les tendances révélées annuellement par les enquêtes « Fractures françaises » (Ipsos-Fondation Jean-Jaurès-Le Monde-Sciences Po), « Baromètre de la confiance politique » (OpinionWay-Cevipof) et autre « Baromètre d’image du Front national » (Kantar TNS-TNS Sofres), force est de constater qu’il y a quelque chose d’étonnant à ce que ce candidat « progressiste » soit le mieux placé pour remporter l’élection présidentielle. En effet, nombre de ses valeurs personnelles ou de ses propositions dans des domaines majeurs paraissent éloignées des opinions d’une majorité de Français. 

Quelques exemples:

  • Emmanuel Macron est sans doute le plus « pro-européen » des candidats – il est d’ailleurs apprécié par nombre de nos partenaires européens pour cela, son voyage en Allemagne l’a encore démontré ces derniers jours. Or, tant sur des questions spécifiques, comme celle des frontières (55 % des Français souhaiteraient, selon l’Ifop, la « fin des accords de Schengen ») que sur la direction que prend l’ensemble du projet européen depuis quelques années (l’Ifop, en 2015, indiquait que 62 % des Français voteraient « non » au référendum de 2005 si le débat avait lieu à nouveau), Emmanuel Macron a donc des positions a priori éloignées de la majorité des Français dans ce domaine.

  • La « loi travail » – rejetée par environ 70 % des Français au moment de son passage – reste impopulaire. Pourtant, Emmanuel Macron ne cache pas sa volonté d’aller encore plus loin, notamment sur la question des prud’hommes et sur celle de la place donnée au dialogue dans l’entreprise par rapport à la loi.

  • Quant aux questions régaliennes, il a fait de son opposition à la déchéance de nationalité pour les terroristes un marqueur fort lors de son passage au gouvernement. Or, cette proposition reste soutenue par une très large majorité de Français. De même, Emmanuel Macron a plaidé à maintes reprises dans ses meetings pour sortir de l’état d’urgence, or le maintien de ce dernier est soutenu par 61 % des français (Ifop).

On pourrait citer d’autres exemples où une majorité de Français ne partage pas les positions du candidat d’En Marche !, mais ce sont moins les mesures une à une qui comptent que le positionnement global du candidat qui tranche avec une France qui semble glisser sans cesse un peu plus à droite et réclamer davantage d’autorité : libéral sur le plan économique dans un pays où même la droite n’a jamais été franchement libérale ; ouvert au monde dans une France qui juge majoritairement que « la mondialisation est une menace » et où seulement 26 % considèrent l’ouverture de l’économie aux entreprises étrangères comme une opportunité ; optimiste pour l’avenir alors que 67 % des Français pensent que leur pays est en déclin (Ipsos, février 2017).

Jusqu’ici, malgré ses paradoxes, tout semble aller pour le mieux pour Emmanuel Macron : il agrège tant à gauche qu’à droite, des sociaux-démocrates orphelins auxquels Benoît Hamon ne parle pas assez (sur la première quinzaine de mars, Emmanuel Macron a encore gagné un point de transferts d’électeurs de Benoît Hamon, selon la dernière vague Ipsos-Cevipof-Fondation Jean-Jaurès-Le Monde) aux Républicains écoeurés par le « Penelope-gate ». Il semble pouvoir réconcilier ce qui était hier inconciliable, et occupe un espace central où la plupart des Français s’autopositionnent, mais que ses concurrents ont déserté. Conséquence, peut être, de cette campagne hors norme – ou de son talent personnel – l’électorat de gauche ne lui tient jusqu’ici pas rigueur de son libéralisme économique; et l’électorat de droite de son ouverture sur les questions sociétales et de sa modération en matière régalienne.

Alors que la mise en examen de François Fillon va peut être tourner la page des affaires et que se profile le premier débat entre les principaux candidats, Emmanuel Macron va-t-il transformer l’essai, et s’imposer comme la meilleure – ou du moins la moins mauvaise – solution à la « dépression française » ? Ou risque-t-il, à la lumière des débats, de devenir trop libéral pour ses électeurs de gauche, pas assez autoritaire pour ses électeurs de droite, et d’apparaître insuffisamment solide sur le plan personnel face à des concurrents aguerris et rodés aux joutes verbales ? Lorsqu’on les interroge, les Français semblent attendre beaucoup du débat de ce lundi 20 mars.

Emmanuel Macron a, pour réussir, un allié de choix : Marine Le Pen, et le réflexe de vote utile. Car cette campagne, on le sait depuis longtemps, se jouera sans doute au premier tour. Reste à savoir, dans la perspective des deux seconds tours à ce jour les plus probables, à quel point ce réflexe pourra encore fonctionner… Rappelons-le : dans cette campagne, rien n’est écrit.

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