L’ensemble de la communauté internationale est confronté à la pandémie de Covid-19. Si cette crise sanitaire sans précédent, notamment dans la vitesse et la violence de sa propagation, va très certainement interroger fortement nombre de dogmes de tous ordres jusqu’ici dominants, l’urgence est pour chaque État de parer à cette épidémie. Farid Vahid, coordinateur de Thinkestân et responsable produit chez Jahan Info, analyse le cas des pays du Golfe.
Aujourd’hui, de nombreux gouvernements sont conscients de l’intérêt du recours à l’intelligence artificielle dans une situation de crise telle que celle que nous vivons actuellement. Il leur est nécessaire d’avoir la bonne information au bon moment pour un processus de décision efficace et rapide. En effet, les nouvelles technologies nous permettent d’analyser une grande quantité de donnés en un temps limité. Grâce à la plateforme numérique de Jahan Info qui extraie et analyse les données en provenance de sources locales, nous avons pu identifier les tendances et avoir une image synthétique de la crise du Covid-19 dans trois des pays membres du Conseil de coopération du Golfe – l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar.
En raison du climat, les experts pensaient que les pays de la péninsule arabique seraient beaucoup moins touchés par le Covid-19. Pourtant, dès fin février 2020, des cas de contamination apparaissent. La grande majorité des personnes contaminées ont séjourné en Iran, qui était alors le deuxième grand foyer de l’épidémie. Les pays voisins ont alors fermé dès fin février et début mars derniers leurs frontières avec l’Iran. L’analyse de la propagation du Covid-19, des pays source et des pays touchés dans la région permet de mettre en lumière l’importance des liens qui unissent les pays du Golfe et l’Iran malgré les sanctions économiques actuelles. Le roi saoudien Salman a d’ailleurs accusé l’Iran de ne pas avoir contrôlé la situation sanitaire intentionnellement pour que le virus se propage dans les autres pays de la région.
Les enjeux auxquels ces pays font face sont à la fois d’ordre sanitaire et d’ordre économique. En effet, leur économie est fortement dépendante des exportations de pétrole, de gaz et de produits pétrochimiques, alors que l’on observe une baisse drastique de la demande internationale et du prix du baril (de 66 dollars le 1er janvier 2020 à 24 dollars le 30 mars 2020) en raison d’une guerre des prix entre l’Arabie saoudite et la Russie. Leur économie dépend également du commerce international. Les plus grandes compagnies aériennes du monde comme Qatar Airways sont originaires des pays du Golfe. Une trop longue crise pourrait porter un coup dur à leur économie.
L’Arabie saoudite est le pays le plus touché avec 4934 cas et 65 morts (au 13 avril 2020). Aussi, des mesures importantes ont été prises. Depuis début mars dernier, les écoles, universités et stades sont fermés et depuis le 15 mars les restaurants et les magasins. L’entrée dans les deux villes saintes de La Mecque et de Médine est quant à elle interdite pour les non-résidents depuis février dernier. Début avril, le ministre du Haj a demandé à tous les musulmans du monde de reporter leur pèlerinage, situation inédite. Cette crise sanitaire pourrait également se transformer en une crise sociale. En effet, la région de Qatif, majoritairement chiite et principalement touchée par l’épidémie en raison de ses relations privilégiées avec l’Iran, a été isolée depuis le 8 mars 2020. Cette région est victime d’une certaine discrimination car elle possède moins d’infrastructures que le reste du pays.
Sous la pression de Donald Trump, souhaitant protéger les intérêts des producteurs américains de pétrole, les pays membres de l’OPEP, la Russie et ses partenaires ont trouvé un accord sur la baisse de la production du pétrole le 10 avril dernier. Alors que Moscou et Riyad acceptent de baisser la production mondiale de 10 millions de barils par jour, le prix du baril au moment de la rédaction de ces lignes stagne toujours autour des 31 dollars. Malgré ses réserves financières solides, l’équilibre budgétaire du royaume saoudien dépend fortement des exportations de pétrole qui représentent deux tiers des revenus du pays. Dans ce contexte, l’Arabie saoudite a annoncé la semaine dernière un cessez-le-feu au Yémen, guerre coûteuse et qui s’enlise. La leçon que les responsables saoudiens peuvent tirer de la crise du Covid-19 est la nécessité absolue du royaume à diversifier son économie afin de la rendre moins dépendante des exportations de pétrole. Le plan « Arabie saoudite 2030 » du prince héritier surnommé MBS peine pour l’instant à voir le jour.
Le Qatar décompte 3231 cas de contamination et 7 morts. Dans ce contexte, la préparation pour la Coupe du monde de football de 2022 est une véritable épine dans le pied. Les conditions de travail des milliers d’ouvriers immigrés font à nouveau scandale. Ces derniers, touchés également par le Covid-19, sont confinés dans des camps de travail où règnent des conditions d’hygiène critiques. Ils sont les premières victimes de cette crise.
Enfin, les Émirats arabes unis sont le premier pays à avoir officiellement annoncé un cas de contamination (avant l’Iran). Ils ont eu 4521 cas et 25 morts depuis. Pour gérer la crise, le pays a opté pour une isolation en fermant ses aéroports. De plus, le pays commence à dématérialiser ses démarches administratives comme le mariage qui est possible par Internet depuis le 13 avril dernier. Avec 80% de ressortissants étrangers, forces vives du secteur privé, la maîtrise de l’épidémie est un enjeu majeur, le risque étant le rapatriement de ces ressortissants vers leur pays d’origine. Enfin, deux avions ont transporté des fournitures médicales vers Téhéran à la mi-mars 2020. Cette aide pragmatique illustre bien un premier pas de la part des Émirats arabes unis pour une coopération régionale plus importante, mettant de côté les rivalités.
Ainsi, même si les pays du Golfe ont eu un certain nombre de cas de contamination, la situation semble pour le moment sous contrôle. Jahan Info a identifié le fait que les inquiétudes n’y sont pas tant sanitaires qu’économiques, avec une incertitude forte quant à l’avenir du commerce international. Alors que la nécessité d’une coopération mondiale pour endiguer la crise sanitaire puis économique est évoquée, il est certain qu’une coopération régionale dans le golfe Persique s’impose. Le Conseil de coopération du Golfe, dont l’Iran ne fait entre autres pas partie, n’a malheureusement pas tous les outils nécessaires pour y parvenir. Par ailleurs, il reste à voir si les États seront capables de mettre de côté leurs rivalités. Néanmoins, à court terme, en raison d’un territoire et d’une population réduits, une sortie de crise via d’importantes campagnes de dépistage semble plus aisée.
L’enjeu à long terme pour ces pays est l’avenir de leur économie. La crise du Covid-19 démontre aux décideurs politiques et aux citoyens la nécessité d’une transition écologique et donc d’une économie moins dépendante des énergies fossiles. Pour survivre, les pétromonarchies devront s’adapter à cette économie du « monde d’après ».