Le coût de l’immigration en France : une « fake news » à l’épreuve de la vérité

Le thème de l’immigration est aujourd’hui omniprésent et instrumentalisé à outrance, ad nauseam serait-on tenté de dire, par l’extrême droite mais bien au-delà, accompagné de manipulations et autres mensonges assénés sans scrupules. Parler objectivement de l’immigration n’est pas chose aisée. Charly Salkazanov, avocat, s’y essaie en interrogeant la réalité de ce « coût » de l’immigration.

C’est une idée bien répandue, un totem quasi indéboulonnable : l’immigration coûte cher. Pis, elle représente un poids exorbitant pour les finances de l’État. Mais en est-on vraiment sûr ? À force de le répéter, on finirait par l’être. En tout cas, le sujet catalyse les angoisses de certains Français au point de devenir un argument clé contre l’immigration. L’idée ne vient pas seule. Elle est accompagnée de ses variations : la France serait trop généreuse, les gens qui n’ont jamais travaillé bénéficieraient des prestations sociales, etc. Cette conviction d’une immigration qui plombe les finances publiques semble acquise. Elle a imprégné les mentalités, si bien que plus de 60% des Français pensent que « de nombreux immigrés viennent en France uniquement pour profiter de la protection sociale »1Commission nationale consultative des droits de l’Homme, Rapport 2023 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 20 juin 2024.. Le sujet est complexe. Mais c’est justement une raison de s’y frotter. Sur quelle réalité se basent les partisans de ce dogme ? Il est important de ménager une place de choix à la raison et à des faits avérés pour un débat rigoureux et dépassionné sur le coût de l’immigration en France.

Le coût de l’immigration : une question complexe

Faire primer la raison sur l’émotion

Évaluer le coût de l’immigration est une question complexe. D’abord, parce que notre système de statistiques n’a pas été bâti pour évaluer les différentes composantes par catégories de population et donc sous le prisme de « sous-catégorie ». Ensuite, parce le sujet touche aux croyances des uns et des autres. Aussi faut-il dépassionner le débat en évitant une dichotomie manichéenne entre des « bons » et des « méchants ». Enfin, parce que ce thème est au croisement de problématiques et d’enjeux politiques, que ce soit du droit national, du droit international, de la géopolitique, de la politique, et même de l’histoire ou encore de la sociologie.

Une évaluation plutôt que des vérités

Pour éviter de sombrer dans ces écueils, il semble impératif de se fonder sur les travaux des institutions menées par des universitaires qui nourrissent le débat avec des données quantitatives. D’emblée, une précision s’impose : en matière d’immigration, les chiffres n’ont pas valeur d’absolu. Tout recours aux chiffres est conditionné par la méthodologie mise en œuvre. Aussi, un résultat n’est pas une vérité indéboulonnable mais une évaluation qui dépend de la méthode et des hypothèses utilisées. Ceci étant rappelé, deux études retiennent l’attention : celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)2OCDE, Perspectives des migrations internationales 2021, Paris, Éditions OCDE, 2021. et celle du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII)3Xavier Chojnicki, Lionel Ragot et Sokhna Ndeye-Penda, « L’impact budgétaire de trente ans d’immigration en France : une approche comptable », Revue économique, vol. 73, n°4, 2022, pp. 529-583. rattaché au Premier ministre. Ces rapports ont le mérite de faire la part belle à la raison plutôt qu’à l’émotion. Toutefois, en dépit de leur sérieux, ces rapports ont donné lieu aux interprétations les plus ubuesques.

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Des rapports sérieux, le point de départ d’une interprétation ubuesque

40 à 54 milliards d’euros par an ? Une fake news

40 milliards d’euros par an. Ce serait le coût net de l’immigration pour l’économie française selon l’association Observatoire de l’immigration et de la démographie. Cette association prétend proposer une « vision rationnelle et dépassionnée » des questions migratoires. Pourtant, son conseil d’orientation est composé d’universitaires et de hauts fonctionnaires proches de l’extrême droite4Charles Sapin, « L’Observatoire de l’immigration, « boîte à outils » de la droite parlementaire », Le Point, 13 novembre 2023 ; « « Coût » de l’immigration : attention aux chiffres trompeurs de « 35 à 40 milliards » d’euros annuels », AFP, 5 avril 2024.. Il n’en reste pas moins qu’en 2023 son directeur, Nicolas Pouvreau-Monti, évaluait le coût annuel net de l’immigration à 40 milliards d’euros5Nicolas Pouvreau-Monti, « Plan d’économies : l’angle mort de l’immigration », Le Point, 25 mars 2024.. Le 26 mars 2024, il récidivait en affirmant le même chiffre dans une publication sur le réseau social X. Pour l’association des Contribuables associés, le coût de l’immigration avoisinerait même les 54 milliards d’euros selon une étude réalisée par Jean-Paul Gourévitch6Jean-Paul Gouvévitch, « Le coût de l’immigration en 2023 : Dépenses, recettes, investissements, rentabilité », Étude n°45, Contribuables associés, août 2023.. Sans avoir besoin de le dire, ces chiffres laissent penser qu’une réduction drastique du nombre d’immigrés ou d’étrangers présents en France permettrait de réduire significativement le déficit public. Mais d’où viennent ces montants exorbitants ?

Une interprétation fallacieuse des données

La méthode hasardeuse de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie

C’est que, à se plonger dans le détail, l’Observatoire de l’immigration et de la démographie et son directeur Nicolas Pouvreau-Monti semblent avoir commis plusieurs erreurs. Aussi faut-il décortiquer leur méthode. Tout d’abord, ils ont pris un chemin erroné pour arriver à ces 40 milliards d’euros. En effet, le directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie indique avoir pris les chiffres tirés des deux études sérieuses précédemment citées, celles de l’OCDE et du CEPII. Jusqu’ici rien de mal. Mais ce n’est pas les sources qui sont en cause. C’est la méthode des Contribuables associés qui interroge. Celle-ci consiste à prendre des pourcentages des années précédentes pour les appliquer au PIB de l’année la plus récente. Par exemple, pour une contribution au déficit de 1,64% de PIB en 2011, ils appliquent ce même 1,64% au PIB en 2019. Or, le PIB en 2019 étant de 2,639 milliards d’euros, ils obtiennent 38,85 milliards d’euros de déficit. Toutefois, cette méthode n’a aucune validité scientifique. Pour cause, les pourcentages retenus par les experts sont des moyennes sur plusieurs années (2006 à 2018 pour l’OCDE, 1979 à 2011 pour le CEPII). Il est donc hasardeux de les appliquer à une seule année. De fait, il est d’autant plus erroné de prendre une projection linéaire tirée d’une période passée pour l’appliquer à une année ultérieure.

Un cumul d’erreurs et de faux pas

Mais ce n’est pas tout. L’erreur principale commise par l’Observatoire de l’immigration et de la démographie concerne la population observée. Le rapport de l’OCDE prend en compte les « personnes nées à l’étranger », et pas uniquement les immigrés ou les étrangers. Or, ces personnes nées à l’étranger comptent parmi elles de nombreux Français. En effet, selon l’Insee, 1,7 million de Français résidant en France en 2023 étaient nés à l’étranger. Autre source de difficulté : cette catégorie intègre des ressortissants de l’Union européenne (UE) au sein duquel ils peuvent circuler librement au sein de l’espace Schengen. En 2023, 32% des sept millions d’immigrés étaient originaires d’un pays de l’UE. À y regarder de plus près, la méthode utilisée cumule donc les erreurs. Parmi les autres faux pas, celui de prendre en compte le coût des immigrés pour des dépenses publiques dont la population profite collectivement et qui, partant, sont impossibles à comptabiliser individuellement. Il en va ainsi des dépenses militaires, du service de la dette ou encore des dépenses de fonctionnement de l’État. Peu importe la taille et la composition de la population, leur coût pour les finances publiques reste le même.

En réalité, les rapports sur lesquels s’est fondé le directeur de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie n’aboutissent jamais au montant de 40 milliards. Bien au contraire, ils présentent une toute autre vision.

Manipulation et manque de rigueur scientifique pour les Contribuables associés

Du côté des Contribuables associés, une association qui milite pour la réduction des dépenses publiques, ce n’est guère plus reluisant. Le directeur de l’étude qui avance le montant de 53,9 milliards d’euros, Jean-Paul Gourévitch, n’est ni économiste, ni statisticien. Cet ancien consultant international sur l’Afrique est désormais un adepte de la théorie du « grand remplacement ». Il avait déjà réalisé plusieurs études pour dénoncer le coût de l’immigration, sévèrement critiquées pour leur manque de rigueur scientifique. Son étude pour les Contribuables associés n’échappe pas à ces mêmes travers. Tout d’abord, l’auteur reconnaît lui-même ne pas avoir eu accès aux chiffres officiels des dépenses. Aussi les a-t-il tout simplement remplacés par des estimations. Ensuite, Jean-Paul Gourévitch reconnaît qu’il y a des bénéfices réels à éduquer les immigrés et leur progéniture mais, selon lui, ils sont impossibles à calculer, tout comme le seraient ceux des autres aides aux migrants. Or, si l’on retire ces bénéfices de la balance, la comparaison avec les dépenses est faussée. C’est dire qu’entre manipulation des chiffres, estimation erratique et manque de rigueur scientifique, on ne sait pas d’où viennent les chiffres tirés de cette étude ni même à quoi ils se rapportent. Il convient donc de s’intéresser à d’autres approches.

Le véritable coût de l’immigration

Une réalité tangible : l’approche comptable

La contribution des immigrés aux recettes

En matière de comptes publics, l’approche comptable a le mérite de la rigueur. Il s’agit donc de regarder ce que coûte l’immigration et ce qu’elle rapporte. Pour cela, il faut prendre en considération d’un côté les recettes générées par les étrangers qui paient des impôts (impôt sur le revenu, TVA) et qui cotisent (cotisations sociales, contribution sociale généralisée, etc.)7OCDE, Perspectives des migrations internationales 2021, op. cit., 2021, p. 122 : « Le présent chapitre évalue l’impact budgétaire net des immigrés dans 25 pays de l’OCDE entre 2006 et 2018. Il utilise une méthode comptable descendante dans laquelle toutes les catégories de dépenses et de recettes du budget public, telles que rapportées dans les comptes nationaux, sont attribuées aux populations nées dans le pays et immigrées ».. Et de l’autre, il faut prendre les dépenses publiques qu’ils engendrent, parmi lesquelles les allocations familiales, allocations chômage, aides au logement et dépenses en matière de santé et d’éducation. L’OCDE a fait la soustraction entre recettes et impôts pour arriver au résultat suivant : pour 1 euro de dépensé, les étrangers rapportent en moyenne 0,88 euro8Ibid., voir tableau 4.4 « Dépenses relatives par habitant (immigrés/natifs) dans les différents postes de dépenses du budget national, 2006-18 », p. 135 ; voir également p. 164.. De quoi relativiser l’idée de départ.

Réduire l’immigration : un non-sens pour les comptes publics

Un impact budgétaire neutre

En effet, l’étude menée par l’OCDE démontre que la contribution budgétaire nette totale des immigrés oscille entre -1% et + 1% du PIB. Le constat est sans appel : à peu de chose près, l’impact de l’immigration est neutre. Cette analyse est corroborée par le Centre d’études prospectives et d’informations internationales rattachée au Premier ministre. Dans une étude publiée en 2022, il a été constaté que l’impact de l’immigration est proche de zéro. L’immigration a donc un impact budgétaire quasiment neutre. Voilà de quoi tordre le cou aux chiffres pharaoniques.

Aux origines du malentendu : une concurrence exacerbée entre précaires

Dans une France minée par le chômage, la précarité peut susciter un sentiment de concurrence. Aussi, l’attention des personnes modestes, des travailleurs précaires aux petites retraites en passant par les mères célibataires, se focalise sur l’accès aux aides et au logement. Dès lors, permettre aux étrangers d’en bénéficier suscite la défiance. Cette inquiétude se traduit par une interrogation : y en aura-t-il pour tout le monde et aurais-je ma part ? La question est légitime. Mais elle ne repose sur aucune réalité tangible. Baisser l’immigration ne va pas rétablir l’équilibre des comptes publics en France. C’est une idée fallacieuse. L’immigration n’est pas la cause du déficit. Elle n’en est pas non plus la solution.

La fausse générosité de l’État français

Plus d’argent public pour les Français

Une autre réalité tangible ne saurait être ignorée. En moyenne, les immigrés perçoivent moins d’argent public que les Français. Toujours selon l’OCDE9OCDE, Perspectives des migrations internationales 2021, op. cit., 2021, Annexe 4.B. « Données et méthodologie », p. 165-173., lorsqu’un Français perçoit 1 euro, un immigré ne perçoit « que » 0,94 euro10Ibid, voir tableau 4.4 « Dépenses relatives par habitant (immigrés/natifs) dans les différents postes de dépenses du budget national, 2006-18 », p. 135.. La France ne fait pas figure d’exception. La situation est la même dans d’autres pays, notamment au Canada, aux Pays-Bas ou encore en Allemagne. Mais le calcul suffit à reléguer l’idée d’un État-providence plus généreux à l’égard des immigrés qu’avec les Français au rang des fake news.

Les solutions : changer notre façon de penser et investir

La solution : investir dans les politiques d’intégration

Cinq centimes de différence

Alors qu’un immigré contribue à hauteur de 0,88 euro pour 1 euro de dépense publique, un Français contribue à hauteur de 0,93 euro : il y a donc 5 centimes de différence entre un natif et un immigré. Et si ces 5 centimes suffisaient à tordre le cou à cette idée si bien répandue ? D’autant plus que la différence s’explique avant tout par un marché de l’emploi plus favorable aux Français ainsi qu’un taux de pauvreté inférieur. Parmi les explications, un pourcentage non négligeable d’immigrés n’avait pas de diplômes11Selon l’Insee, 38% des immigrés n’avaient aucun diplôme en 2021.. Ce ne sont donc pas les prestations individuelles qui expliquent cet écart. Pour réduire la marge entre Français et immigrés et améliorer la part contributive de ces derniers, il y a une solution : investir dans les politiques publiques d’intégration.

Innover et produire davantage

L’idée selon laquelle les immigrés coûtent cher aura la vie dure tant que les mentalités resteront sclérosées. L’économie comme les dépenses publiques ne sont pas limitées. Tant qu’on les verra comme un gâteau à partager, rien ne changera. En effet, l’économie n’est pas un modèle à taille fixe mais un système évolutif. D’année en année, l’innovation et le travail permettent de produire davantage. Aussi faut-il changer de paradigme et raisonner en termes de croissance et de dynamique. La taille du gâteau n’est pas limitée. Diverses études montrent que l’immigration a un effet positif sur la productivité12Anthony Edo et Farid Toubal, « Selective Immigration Policies and Wages Inequality », Review of International Economics, 2015.. Dès leur arrivée dans un pays et tout au long de leur séjour, les immigrés prennent une part inhérente à la vie économique. Ils travaillent, ils consomment et ils épargnent. Ainsi, chaque année, l’immigration qualifiée permet d’innover et de produire davantage. Quant à l’immigration moins qualifiée, elle comble les besoins élémentaires dans les métiers en tension. Restauration, chantiers, BTP, aides à la personne sont autant de secteurs dans lesquels le recours à du personnel étranger est indispensable. Sans elle, de nombreux secteurs seraient tout bonnement à l’arrêt. Par ailleurs, l’immigration aurait à terme une autre influence positive : elle pousserait les travailleurs « nationaux » vers des postes davantage spécialisés et les amèneraient à faire des tâches plus complexes13Christina Mitaritonna, Gianluca Orefice Gianluca et Giovanni Peri, « Immigrants and firms’ outcomes : Evidence from France », European Economic Review, 2017.. En ce sens, l’immigration crée indéniablement de la richesse.

Face aux débats passionnés, il est temps d’instiller une part de raison afin d’évaluer le coût réel des migrants pour les finances publiques. Se livrer à une interprétation simpliste des chiffres ou recourir à des méthodes douteuses ne soldera pas le sujet. Au contraire, cela ne fait qu’alimenter la controverse. Dès lors, il faut regarder la réalité en face et voir que le coût de l’immigration oscille entre contribution faiblement négative ou positive pour les finances publiques. Mais ces données ne reflètent pas les opportunités offertes à la France par le travail de ces migrants. « Immigration = chômage », scandait le Front national du temps de Jean-Marie Le Pen. Il serait de bon ton de le corriger par « Fin de l’immigration = récession économique ».

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