Le 8 décembre 2021, Olaf Scholz a été élu chancelier en Allemagne. Ernst Stetter, conseiller spécial du président de la Fondation pour l’Europe, analyse les défis auxquels le quatrième chancelier social-démocrate de l’histoire de la République fédérale devra désormais faire face avec ses alliés écologistes et libéraux.
Le 8 décembre 2021, Olaf Scholz a été élu chancelier de la République fédérale d’Allemagne. Il a reçu de la main du président de la République, Frank-Walter Steinmeier, son acte de nomination, avant de prêter serment devant le Bundestag et de proposer au président un cabinet paritaire dont les 17 membres ont à leur tour prêté serment devant le parlement. C’est par ces actes solennels requis par la Loi fondamentale que le gouvernement d’Angela Merkel a officiellement pris fin et que celui d’Olaf Scholz, neuvième chancelier de l’histoire de la République fédérale d’Allemagne, a débuté.
Dans sa première prise de parole en tant que chancelier, Olaf Scholz a tenu à faire référence aux trois sociaux-démocrates qui l’ont autrefois précédé à ce poste : Willy Brandt, Helmut Schmidt et Gerhard Schröder, qui a assisté en personne aux cérémonies. Chacun a marqué leur mandat en menant une politique inédite. Willy Brandt, au travers de son “Oser plus de démocratie” et de son “Ostpolitik” pour détendre les relations avec l’Est. Helmut Schmidt, en menant une lutte ferme contre le terrorisme d’extrême gauche de la Fraction Armée rouge, et surtout en faisant avancer l’Europe en parfaite entente avec la France de Valéry Giscard D’Estaing. Et Gerhard Schröder, en refusant de participer à la guerre en Irak et en menant à bien ses réformes sociales “Hartz IV”.
Une gouvernance forte qui s’annonce
Pour la première fois, le chancelier Olaf Scholz devra gouverner avec une coalition gouvernementale rassemblant trois partenaires : les sociaux-démocrates, les Verts et les libéraux. Les trois partenaires se sont entendus pour “Oser le progrès“, avec l’objectif d’accomplir la neutralité climatique de l’industrie allemande, de numériser l’économie du pays et de mener une politique sociale équilibrée. Pour mener sa coalition, Olaf Scholz devra faire preuve de leadership : non seulement parce que la pandémie n’est pas encore terminée, mais aussi parce qu’après Angela Merkel et ses seize ans de gouvernance consensuelle, les électeurs attendent de la nouvelle coalition une ligne plus claire et un style plus intransigeant.
Le nouveau chancelier dispose de circonstances politiques favorables : le temps des grandes coalitions réunissant des partis aux lignes opposées est définitivement révolu. En clarifiant les lignes parlementaires, la nouvelle coalition assouvit le besoin des électeurs d’une plus grande différenciation de l’offre politique : face au gouvernement Scholz, la CDU/CSU et le petit groupe parlementaire de Die Linke pourront incarner et proposer un discours véritablement alternatif au sein du Bundestag. Cette recomposition politique présente également des défis pour Olaf Scholz et son gouvernement : l’AfD s’est installée comme une force politique non négligeable dans la société allemande, et il faudra se montrer à la fois ferme pour contrer ses attaques extrémistes et habile pour éviter une rupture sociétale avec l’est de l’Allemagne.
Dans cette nouvelle configuration politique, la concurrence entre le Bundestag et le Bundesrat, la deuxième chambre, sera plus forte qu’à l’époque des gouvernements CDU/CSU-SPD. Malgré les apparences, la nouvelle coalition n’est pas aussi homogène qu’elle aimerait le faire croire, et les ministres devront batailler pour imposer leur autorité et leur nouvelle ligne politique au sein de leur ministères respectifs. À l’exception du ministre du Travail et des Affaires sociales, qui garde ses responsabilités, tous les autres ministères et les directions des administrations des ministères seront ainsi remplacés.
Il faut cependant avoir un fait en tête : Olaf Scholz dispose de plus d’années d’exercice gouvernemental que l’intégralité de son cabinet ministériel. L’expérience acquise au sein de ses nombreuses fonctions ministérielles lui a permis de se frotter à la réalité de l’exercice du pouvoir en Allemagne : un pays dans lequel le chef du gouvernement doit en permanence composer avec le contrôle exercé sur lui par les institutions et par les oppositions. En arrivant au pouvoir, le nouveau chancelier a affirmé ne pas avoir l’intention d’être prisonnier de cette réalité, et réitéré son mantra politique : respect, pragmatisme, mais aussi détermination.
Une politique réformatrice sans lignes rouges
En introduisant son programme de modernisation du pays, il est même allé plus loin que l’article 65 de la Loi fondamentale sur les compétences d’un chancelier en présentant un accord de coalition qui, dans un langage plutôt martial, assume vouloir “écarter” tous ceux qui s’y opposeront. L’idée selon laquelle son gouvernement ne se fixait pas de « lignes rouges » ne vaut donc manifestement pas que pour ce qui concerne les mesures à prendre pour faire face à la pandémie.
Cette audace n’est pas sans rappeler celle de Gerhard Schröder, auprès de qui Olaf Scholz avait pu montrer à la fin des années 1990 que l’Allemagne pouvait être fondamentalement réformée. Mais si le SPD avait su à l’époque mettre en œuvre des réformes importantes, il s’était cependant montré incapable de se maintenir au pouvoir, et c’est finalement Angela Merkel qui a pu recueillir les fruits des réformes du marché du travail. Une partie du succès de cette dernière tient en effet à sa capacité à faire fructifier le travail de son prédécesseur du SPD tout en s’éloignant du courant “néolibéral” qu’incarnait prétendument à l’époque Olaf Scholz. Une image qui lui a été accolée à l’époque et l’a empêché de devenir ensuite le président de son propre parti. En prenant la suite d’Angela Merkel à la chancellerie, Olaf Scholz obtient ainsi une sorte de réparation historique.
Malgré son ambition réformatrice, les premiers temps de son mandat ne seront pas consacrés à la politique sociale. À l’heure actuelle, et pour une durée indéterminée, son action sera guidée, contrainte et déterminée par le combat contre la pandémie. Alors que l’Allemagne connaît des taux de contamination inédits et un grand nombre de morts quotidiens, le premier défi d’Olaf Scholz sera ainsi de parvenir à réaliser sa promesse de parvenir à effectuer 40 millions de vaccinations supplémentaires avant la fin de l’année 2021. Si un consensus est déjà bien établi au sein de la coalition pour renforcer les mesures de distanciation et généraliser la troisième dose de rappel pour les vaccins, la question de l’obligation vaccinale est également sur la table. Une option à laquelle même les libéraux ne sont plus opposés s’agissant du personnel soignant. Nommé très tardivement par le chancelier, le très populaire nouveau ministre de la Santé, l’épidémiologiste Karl Lauterbach, a les mains libres pour agir.
La politique étrangère, un premier test pour la nouvelle coalition
Si le consensus autour de la lutte contre la Covid-19 est évident, la politique étrangère du nouveau gouvernement pourrait quant à elle constituer le déclencheur du premier conflit entre le SPD et les Verts, et particulièrement entre le chancelier Olaf Scholz et sa ministre des Affaires étrangères, l’écologiste Annalena Baerbock. Alors que cette dernière souhaite changer la ligne allemande vis-à-vis de la Russie et de la Chine, Olaf Scholz a clairement stipulé dans les interviews accordées après sa nomination que c’est lui, en tant que chancelier, qui déciderait de la politique de sécurité du pays, avec un souci de stabilité. Il a ainsi expliqué que sa politique étrangère serait guidée par le besoin de préserver le consensus avec ses partenaires européens et américains autour de leur sécurité commune. Puisant dans l’Histoire pour expliquer sa vision, il a rappelé que Willy Brandt avait su déployer sa politique de détente à un moment de fortes tensions sur la scène internationale. Une façon pour Olaf Scholz d’annoncer qu’il entendait mener une politique étrangère dans un esprit de continuité afin d’éviter de rompre avec la Chine, un des partenaires économiques le plus importants de l’Allemagne.
Même s’il concède qu’il lui faudra trouver un équilibre entre la “realpolitik” et ses valeurs humanistes, les nominations décidées par Olaf Scholz de plusieurs de ses conseillers-clés au sein de la chancellerie montrent que les grandes affaires de sécurité et de politique étrangère, particulièrement quand elles concernent Bruxelles, Moscou, Pékin et Washington, seront le domaine réservé du chef du gouvernement. En se rendant en visite officielle à Paris avant même son chancelier, Annalena Baerbock a ainsi crispé l’équipe Scholz et ses partenaires de la coalition. La nouvelle ministre des Affaires étrangères serait bien avisée de se montrer plus prudente à l’avenir et de ne pas sous-estimer le pouvoir du nouveau chancelier allemand. À défaut, une première crise pourrait rapidement survenir au sein de la coalition.