Le chancelier allemand face à la guerre en Ukraine

La lenteur et la timidité d’Olaf Scholz à soutenir l’effort de guerre ukrainien suscitent la colère à Kyiv et les critiques jusqu’au sein de son propre gouvernement. Conseiller spécial du président de la Fondation Jean-Jaurès pour l’Europe, Ernst Stetter analyse l’équilibre que cherche à trouver Berlin pour soutenir utilement le peuple ukrainien.

Les derniers sondages sont inquiétants pour le chancelier Olaf Scholz. Il recueille nettement moins de soutien qu’au mois de mai dernier. Cette crise de confiance s’observe également dans les préférences exprimées envers les partis politiques : les sociaux-démocrates ne sont maintenant plus considérés que comme la troisième force politique, nettement devancée par les chrétiens-démocrates et les Verts. Ce sont désormais les écologistes, leurs partenaires de coalition, qui sont jugés comme la force politique la plus apte à résoudre à long terme les problèmes politiques actuels. De même, c’est à présent le ministre de l’Économie, Robert Habeck, qui apparaît comme le politicien le plus populaire en Allemagne. Le chancelier Olaf Scholz n’arrive que troisième, derrière sa ministre des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, elle aussi issue des Verts.

Le voyage à Kyiv, symbole de l’unité européenne

Il est bien évident que la situation de guerre continue en Ukraine ne facilite pas la tâche du chancelier allemand. Longtemps repoussé, son voyage en Ukraine a finalement eu lieu le 16 juin dernier, en compagnie du président français, du président du conseil italien et du président roumain. 

Depuis le début de l’invasion russe, Olaf Scholz et Kyiv écrivent ensemble une histoire faite d’incompréhensions, d’irritations, de doutes et d’occasions manquées. Alors que les premiers chefs de gouvernement étrangers commençaient à se rendre à Kyiv dans les premières semaines de la guerre, Olaf Scholz s’est contenté de répéter son mantra, expliquant qu’il travaillait très étroitement avec l’Ukraine et qu’il parlait régulièrement au président ukrainien par téléphone, qu’il ne voyagerait pas à Kyiv pour se contenter d’y faire une photo et qu’il s’y rendrait lorsque cela permettrait de faire bouger les lignes concrètement.

Lorsqu’il a finalement décidé de se déplacer dans la capitale ukrainienne, c’était pour montrer que, au travers de la visite du chancelier de la nation la plus puissante de l’Union européenne (UE), c’était l’Europe tout entière qui venait apporter son soutien au milieu d’une zone de guerre. Avec ce voyage en train en compagnie d’Emmanuel Macron, président actuel du Conseil de l’UE, du président du conseil italien, un pays membre fondateur de l’Union, et du président roumain, récemment intégré au sein des Vingt-Sept, tous trois ont indiqué leur volonté commune de mettre l’Ukraine sur les rails de l’Europe en lui offrant la perspective du statut d’État-candidat à l’adhésion à l’UE. C’est l’Europe tout entière qui tend la main à un pays agressé : le symbole est fort. Il est autant destiné à remonter le moral de Kyiv qu’à faire passer un message sans équivoque à Moscou : l’Europe n’entend pas laisser l’Ukraine seule pour défendre la démocratie et la liberté. 

La livraison des « armes lourdes » à l’Ukraine 

Aussi puissant qu’il soit, ce symbole ne mettra cependant pas un terme à cette guerre atroce. La question-clé de ces prochains mois sera bien évidemment la capacité de l’armée ukrainienne à résister contre l’artillerie lourde russe. Pour ce faire, elle aura besoin d’armes, de munitions et de soutien logistique. 

Alors que la guerre en Ukraine dure maintenant depuis plus de quatre mois, que des dizaines de milliers de civils ont perdu la vie et que des villes entières ont été détruites, l’Allemagne débat encore quotidiennement de la position à adopter sur la livraison d’armes lourdes. Pour certains, l’objectif n’est pas tant de soutenir l’Ukraine mais de marquer des points dans le débat politique national. 

Lorsque le chancelier déclare que la Russie ne doit pas gagner la guerre et que l’Ukraine doit survivre, il a assurément raison, mais cela ne suffit pas pour autant à ses détracteurs politiques. 

En outre, la question de savoir ce que recouvre le terme « d’armes lourdes » est en réalité difficile à trancher. Selon des experts militaires tels que Harald Kujat, l’ancien inspecteur général des forces armées allemandes, plutôt que la “lourdeur des armes”, le critère le plus important est leur “interopérabilité », c’est-à-dire l’interaction fonctionnelle de différents systèmes d’armes. Sans coordination, les armes modernes ne sont pas utilisables, tombent rapidement entre les mains de l’ennemi ou sont simplement détruites. À envoyer des armes sans y faire attention, on risque donc de produire l’effet inverse de ce qui était souhaité. C’est par exemple une des raisons pour lesquelles l’OTAN et les alliés occidentaux n’ont jusqu’à présent pas livré de chars de combat principaux.

La diplomatie européenne et internationale pour soutenir l’Ukraine 

L’objectif principal de la communauté internationale doit être de sécuriser l’existence de l’Ukraine et de préparer sa reconstruction. L’honnêteté et le réalisme obligent à dire que c’est par la diplomatie qu’il sera possible d’y arriver. C’est le message de Joe Biden dans l’éditorial qu’il a fait publier le 31 mai 2022 dans le New York Times. Titré « Ce que l’Amérique fera et ne fera pas en Ukraine », son texte explique entre les lignes que, tout en continuant à livrer des armes, la stratégie de la victoire militaire poursuivie depuis le mois d’avril dernier n’était pas viable. 

Cette guerre ne prendra fin que par la diplomatie. L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN paraît même un horizon encore plus lointain qu’auparavant. Cependant, il faut noter que la future entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN constitue un gain géostratégique pour l’alliance, et ce d’autant plus que la défense du flanc oriental de l’OTAN a été dans le même temps considérablement renforcée. Quoi qu’il arrive, l’Ukraine ne sera donc pas abandonnée : elle est appelée à rester un partenaire stratégique des États-Unis et de l’Europe, un avant-poste politique vis-à-vis de la Russie, qui demeurera un rival géopolitique. La coopération militaire étroite se poursuivra pendant, mais aussi après la guerre.

C’est dans cette perspective que les trois leaders européens ont discuté avec le président ukrainien. Certaines choses sont possibles et souhaitables, d’autres non. C’est là la limite du discours de ceux qui parlent de livrer des chars de combat principaux, de l’artillerie lourde d’un calibre supérieur à 100 mm, des avions de chasse, des navires de guerre ou des sous-marins. Ceux qui, en Allemagne, militent avec véhémence pour une politique de « victoire dans la guerre » doivent aller au-delà des slogans et définir précisément en quoi celle-ci consisterait. 

Attendre le moment opportun pour négocier un cessez-le-feu

L’objectif est de parvenir à un cessez-le-feu. Pour la communauté internationale, il faut suivre la situation et soutenir notre partenaire ukrainien quand le moment opportun sera venu de reprendre les négociations et de faire des compromis pour mettre fin aux combats. À défaut, la seule alternative serait de voir la guerre se prolonger pendant des années, avec des risques d’escalade susceptibles d’entraîner des bouleversements géopolitiques irréversibles. 

Au-delà de la nécessité de soutenir l’Ukraine militairement et d’être solidaire avec le peuple ukrainien, la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et l’engagement de l’OTAN à maintenir sa présence seront les deux éléments-clé pour réussir l’après-guerre, quand bien même personne ne sait encore à quoi il va ressembler ni quand il adviendra. En attendant, l’objectif du chancelier et de ses homologues européens est simple : la Russie ne doit pas gagner la guerre, et l’Ukraine doit survivre. Le sommet du G7 qui aura lieu à la fin du mois à Ellmau en Allemagne sera pour eux l’occasion de le répéter. En tant qu’organisateur, cela sera là l’occasion pour Olaf Scholz de regagner quelques points de popularité auprès de la population allemande. Comme l’ont prouvé ses prédécesseurs sociaux-démocrates, la politique étrangère est souvent la meilleure façon de gagner ses galons de chancelier respecté auprès des électeurs allemands.

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