Le Boxing Day, entre tradition, institution et industrie du divertissement

Le 26 dĂ©cembre est cĂ©lĂ©brĂ© le Boxing Day. Et, depuis 1871, c’est un jour fĂ©riĂ© en Angleterre. Il marque depuis quelques annĂ©es le lancement des soldes d’hiver dont l’intĂ©rĂŞt ne flĂ©chit pas en dĂ©pit du Black Friday et du dĂ©veloppement du commerce en ligne. Mais le Boxing Day est surtout devenu le coup d’envoi d’une sĂ©rie de rencontres sportives. Richard Bouigue revient, pour l’Observatoire du sport de la Fondation, sur cet Ă©vĂ©nement qui lie tradition, institution et industrie du divertissement. Alors que l’édition 2020 aura Ă©tĂ© inĂ©dite Ă  plus d’un titre, le Boxing Day a-t-il encore un sens aujourd’hui ? Et, si oui, lequel ?

Une origine incertaine, en lien avec un acte de gĂ©nĂ©rositĂ© 

L’origine du Boxing Day ne fait pas consensus parmi les historiens. Elle se perd dans un dĂ©dale de traditions orales et donne lieu Ă  plusieurs hypothèses, sans qu’aucune n’emporte dĂ©finitivement la partie. 

L’Oxford English Dictionary, qui fait souvent autoritĂ© en la matière, retrace sa première attribution en 1833 en rĂ©fĂ©rence Ă  une pratique du milieu du XVIIIe siècle consistant Ă  donner aux postiers, garçons de courses et serviteurs en tout genre des « boĂ®tes de NoĂ«l Â» après le 25 dĂ©cembre. 

L’explication mainstream est toutefois diffĂ©rente. Elle affirme que sous le règne de Victoria, les familles de l’aristocratie avaient coutume d’offrir Ă  leurs domestiques et employĂ©s, obligĂ©s de travailler le 25 dĂ©cembre, un jour de congĂ© le lendemain ainsi qu’une « boĂ®te de NoĂ«l Â» remplie des restes du repas de NoĂ«l, voire d’éventuels autres prĂ©sents. Cette boĂ®te renfermait en somme les Ă©trennes pour remercier les personnels de leurs bons et loyaux services Ă  l’occasion des fĂŞtes de NoĂ«l et plus gĂ©nĂ©ralement tout au long de l’annĂ©e.

Mais certains historiens ne sont pas convaincus et défendent plutôt l’idée que le Boxing Day perpétuerait une coutume plus ancienne, un héritage dû aux marins superstitieux. À l’époque des grandes découvertes, ils avaient l’habitude d’emporter sur le bateau une boîte porte-bonheur, dans laquelle chacun avait glissé son écot pour protéger l’équipage des caprices de leurs aventures. Cette boîte était scellée jusqu’à leur retour. Ceux qui rentraient en vie remettaient alors la boîte à une paroisse qui redistribuait son contenu aux plus démunis.

D’autres soutiennent encore que la coutume serait plus religieuse, qu’elle remonterait au XVe siècle. Ă€ l’époque, une boĂ®te Ă  offrandes Ă©tait installĂ©e Ă  l’entrĂ©e des Ă©glises pendant la pĂ©riode de l’Avent pour recueillir les dons des paroissiens. Son contenu Ă©tait distribuĂ© par les membres du clergĂ© aux plus pauvres le 26 dĂ©cembre, le jour de la Saint-Étienne, premier martyr chrĂ©tien connu pour avoir Ă©tĂ© choisi par les apĂ´tres pour distribuer l’aumĂ´ne aux pauvres.

Les hypothèses ne manquent pas, mais toutes font rĂ©fĂ©rence Ă  une action de charitĂ© le 26 dĂ©cembre. Par une facĂ©tie dont l’Histoire est coutumière, le jour sacrĂ© des marins, des domestiques et des « tradespeople Â» est devenu un rendez-vous commercial et sportif. Pour les fans de soldes et de stades, le Boxing Day a beau ĂŞtre un jour fĂ©riĂ©, il n’est pas de tout repos.

Le 26 dĂ©cembre, c’est jour de foot 

Comment le 26 dĂ©cembre est-il devenu une date importante du football au Royaume-Uni ?

Au dĂ©but du XIXe siècle, les autoritĂ©s de Londres dĂ©cident d’encadrer les loisirs populaires, notamment le « mob football Â» ou « folk football Â», c’est-Ă -dire le football de masse. Très prisĂ©, ce jeu oppose alors deux villes – ou deux villages voisins – et prend fin lorsque l’une des parties parvient Ă  amener une boule, faite d’une vessie de porc – plus tard en cuir – dans l’en-but adverse, situĂ© Ă  chaque extrĂ©mitĂ© de la ville. NĂ©e au Moyen Ă‚ge, cette partie se dĂ©roule avec un nombre illimitĂ© de joueurs et s’achève souvent dans une pagaille gĂ©nĂ©rale et provoque de gros dĂ©sordres publics. C’est pourquoi, par le Highway Act de 1835, le Parlement dĂ©cide d’encadrer les jeux de balle, d’interdire leur pratique sur la voie publique et de ne l’autoriser dĂ©sormais que sur des terrains clos et dĂ©diĂ©s Ă  cet effet.

Le 24 octobre 1857, du cĂ´tĂ© de Sheffield, dans le comtĂ© du Yorkshire du Sud, William Prest et Nathaniel Creswick, les dirigeants d’un club de cricket, crĂ©ent Ă  Parkfield House, dans le quartier d’Highfield, le premier club non scolaire de toute l’histoire du football, le Sheffield FC. Il s’agit alors de remĂ©dier Ă  l’interruption de la pratique du cricket pendant les longs mois d’hiver qui ne permet pas de prĂ©parer les compĂ©titions estivales d’athlĂ©tisme. Les premiers matchs opposent les membres du club entre eux. Rien de très excitant…

L’équipe de Sheffield FC en 1860, auteur inconnu

Trois ans plus tard, les deux compères réussissent à convaincre le propriétaire d’un autre club de cricket de la ville de créer à son tour un club de football, ce sera le Hallam FC. Ils s’arrangent entre eux pour organiser un match quelques semaines plus tard, le 26 décembre 1860.

Ce match, qui deviendra historique, se dispute par un froid glacial et selon les « Sheffield rules Â» – Ă  16 contre 16, avec le droit de pousser l’adversaire, sans hors-jeu (et sans la VAR !), au cĂ©lèbre Sandygate Road, construit en 1804, Ă  Crosspool, dans la banlieue de Sheffield. Le terrain ce jour-lĂ  prĂ©sente des dimensions approximatives et sa topographie fait davantage penser Ă  un champ de patates qu’à un acadĂ©mique gazon anglais. Sheffield s’impose 2-0 dans ce match qui est aussi le premier derby officiel de l’histoire du football.

Le Sandygate Road

Onze ans avant que le Boxing Day ne soit dĂ©crĂ©tĂ© jour fĂ©riĂ© par les pouvoirs publics britanniques, cette rencontre marque donc l’histoire du football. En 2021, les deux clubs pionniers du football outre-Manche ne brillent plus par leurs performances en championnat. Mais ils s’affrontent chaque annĂ©e dans le « Alan Cooper Memorial Barstool Trophy Â» pour honorer ce premier derby.

En octobre 1863, onze clubs fondent la FĂ©dĂ©ration anglaise de football. Le jeu qu’ils ont codifiĂ© commence Ă  essaimer un peu partout en Angleterre et, le 20 juillet 1885, la FA accepte de « lĂ©galiser l’emploi de joueurs de football professionnels Â» pour Ă©viter le dĂ©part des clubs du Nord qui menacent, sinon, de crĂ©er leur propre fĂ©dĂ©ration. Trois ans plus tard, le championnat d’Angleterre voit le jour sous le nom de Football League. Dès la première saison, douze clubs sont en lice (tous des Midlands ou du nord de l’Angleterre) et le 26 dĂ©cembre est inclus dans le calendrier du championnat. La journĂ©e du Boxing Day est, autant que faire se peut, consacrĂ©e aux derbys et c’est ainsi que le 26 dĂ©cembre 1888 Preston North End Ă©trille Derby 6 Ă  0 – et inaugure les scores fleuves du Boxing Day.

L’équipe de Preston North End Football Team in 1888, auteur inconnu (Source : Wikipedia)

Ces dispositions permettent aux spectateurs – et en particulier aux travailleurs et aux travailleuses, aux employés et employées de maison, libérés provisoirement de leurs labeurs – de se rendre au stade, d’éviter de longs trajets et d’assister à plusieurs rencontres entre clubs voisins. Le Boxing Day est une journée où l’on prend l’air, après avoir trop bu de Mulled wine et trop mangé de Christmas pudding la veille. Les dirigeants du football réussissent à en faire une journée où l’on a coutume de se rassembler, une journée où l’on prend l’habitude de se retrouver au stade.

Jusqu’à la saison 1957-1958, les organisateurs du championnat programment mĂŞme des matchs le jour de NoĂ«l, obligeant les joueurs Ă  s’aligner sur deux rencontres, deux jours d’affilĂ©e, notamment sous la forme de derbys aller-retour entre les deux mĂŞmes Ă©quipes. Parfois, les Ă©quipes enchaĂ®nent trois matchs en deux jours, comme ce fut par exemple le cas pour Everton en 1888. Dès l’annĂ©e suivante, le premier Christmas Day est jouĂ© en première division entre les « Invincibles Â» de Preston North End et Aston Villa. Plus de 9000 spectateurs assistent Ă  la rencontre, un record pour la jeune League.

« Ă€ l’origine, on jouait aussi Ă  NoĂ«l qui a toujours Ă©tĂ© un jour pour les activitĂ©s physiques Ă  l’extĂ©rieur et les fĂŞtes communales, appuie l’historien Martin Johnes. Dans le temps, les maisons de la classe ouvrière n’avaient rien de confortable et on allait dehors dès que possible. Lorsque le sport a commencĂ© Ă  devenir professionnel Ă  l’époque victorienne (Ă  partir des annĂ©es 1840), il Ă©tait donc naturel d’organiser des matchs Ă  NoĂ«l et au Boxing Day. »

L’engouement se transforme parfois en Ă©meute. Ainsi, en 1890, l’équipe de Darwen se rend Ă  Ewood Park pour dĂ©fier le rival Blackburn Rovers. Mais les deux Ă©quipes alignent leurs Ă©quipes rĂ©serves, suscitant un tollĂ© parmi les supporters des Ă©quipes prĂ©sents qui envahissent le terrain en signe de mĂ©contentement. « La foule impatiente a fait irruption sur le terrain, a brisĂ© les poteaux de but et endommagĂ© les tribunes, rapporte le Birmingham Daily Post, le chapeau d’un dirigeant de Blackburn fut mĂŞme arrachĂ© et la vitre du vestiaire brisĂ©e Â». C’est finalement la police qui disperse la foule. Une des premières Ă©meutes liĂ©es Ă  un match de football, le jour de NoĂ«l, Good Heavens !

Ce calendrier n’avait rien de festif pour les joueurs, obligĂ©s de disputer des rencontres par un froid glacial, avec des risques non nĂ©gligeables de blessures et pour un salaire de misère. Quant Ă  la chaleur des pubs avec les coĂ©quipiers, elle ne pouvait remplacer celle du foyer. Mais ces considĂ©rations sportives ont moins pesĂ© dans l’arrĂŞt de ces rencontres Ă  NoĂ«l que l’accord arrachĂ© par les ouvriers du rail du syndicat des transports pour conserver son jour fĂ©riĂ© le 25 dĂ©cembre, rendant les dĂ©placements des supporters plus difficiles. La pĂ©riode de l’après-guerre, liĂ©e au boom Ă©conomique et aux grands changements sociologiques de l’Angleterre, voit l’apparition sur le petit Ă©cran des premières retransmissions tĂ©lĂ©visĂ©es qui participent Ă  la dĂ©sertion des stades et Ă  la moindre rentabilitĂ© du Christmas Day. On considère que le dernier match un 25 dĂ©cembre a eu lieu en 1959 entre Blackburn et Blackpool. Avec un effet collatĂ©ral immĂ©diat : la fin du match de NoĂ«l a renforcĂ© le Boxing Day qui est mĂ©caniquement devenu encore plus important.

Et, en effet, dans les annĂ©es 1960, le Boxing Day n’est plus une tradition mais devient une vĂ©ritable institution, avec les premières retransmissions tĂ©lĂ©visĂ©es qui instaurent le fameux « Match of the Day Â» et permettent de toucher un public plus large. Certains 26 dĂ©cembre entrent alors dans la postĂ©ritĂ©, comme cette fameuse annĂ©e 1963. Pas moins de 39 matchs sont disputĂ©s dans les deux premières divisions et 157 buts marquĂ©s ! Rien qu’en First Division, les spectateurs ont eu droit Ă  66 buts en 10 rencontres, dont un 10-1 Ă  Craven Cottage infligĂ© par Fulham Ă  Ipswich Town. Et sur tous les terrains, les filets tremblent : Chelsea s’impose 5-1 Ă  Blackpool, Burnley 6-1 contre Manchester United, mĂŞme score pour Liverpool aux dĂ©pens de Stoke et mĂŞme Nottingham Forest et Sheffield United se quittent sur le score de 3-3.

Le Boxing Day devient un Ă©lĂ©ment important dans la course au titre. Il impose aux Ă©quipes au moins trois matchs en une semaine et dĂ©signe avec ses 9 points minimums Ă  prendre – très systĂ©matiquement – le futur vainqueur de la Premier League. « C’est un moment clĂ© de la saison qui peut influer sur la course au titre ou Ă  la qualification en Coupe d’Europe Â», expliquait le regrettĂ© GĂ©rard Houllier, ex-entraĂ®neur de Liverpool. Pas de trĂŞve des confiseurs pour les footballeurs !

Une tradition so British et so business

En Angleterre, les traditions ont la vie dure. Ainsi, la journée du 26 décembre est toujours l’occasion pour les joueurs, entraîneurs et dirigeants de multiplier les gestes de charité, de rendre visite à des enfants malades dans les hôpitaux ou de participer à des campagnes de dons.

Du cĂ´tĂ© des tribunes, le taux de remplissage avoisine ce jour-lĂ  les 100%. Elles sont principalement occupĂ©es par des familles – pour beaucoup d’Anglais, c’est d’ailleurs la seule occasion de l’annĂ©e de se rendre au stade en famille. Mais elles le sont aussi par ceux qui y sont venus pour fuir les retrouvailles familiales et changer d’air. Ce jour-lĂ , on peut mĂŞme apercevoir des spectateurs dĂ©guisĂ©s en Père NoĂ«l. « Quand tu pĂ©nètres sur la pelouse, tu lèves les yeux vers le public et tu vois plein de Père NoĂ«l Â», rapporte Emmanuel Petit, alors joueur d’Arsenal. Il règne alors une ambiance et une saveur particulières dans les stades. « Les deux tiers des hommes en Angleterre se font offrir de l’after-shave Ă  NoĂ«l. Je peux assurer qu’ils inaugurent tous ce cadeau le 26 dĂ©cembre avant de se rendre au match si bien que ça cocotte dans les gradins. Â» Les plus cyniques pourront dire, non sans raison, que l’esprit Disneyland s’empare des tribunes anglaises !  

Mais derrière cette bonne ambiance et ces gestes de solidaritĂ© envers les plus vulnĂ©rables qui prolongent l’esprit d’une tradition, le Boxing Day est devenu une machine commerciale qui bat son plein. Ce jour-lĂ , la consommation dans les stades et alentour explose : boissons, sandwichs, maillots, tee-shirts spĂ©ciaux, souvenirs… On ne vient plus seulement assister Ă  un match de football, on vient vivre cette fameuse « expĂ©rience du spectateur Â» et profiter des Ă -cĂ´tĂ©s – boutiques, salons, musĂ©es… Si bien qu’au final les recettes match-day du Boxing Day sont jusqu’à 15% plus Ă©levĂ©es que celles habituellement rĂ©alisĂ©es tout au long de la saison.

Cette Ă©volution des tribunes vers une plus grande marchandisation s’est installĂ©e au fil des dĂ©cennies. Mais on peut noter qu’elle s’est particulièrement accĂ©lĂ©rĂ©e Ă  la fin des annĂ©es 1980 et au dĂ©but des annĂ©es 1990. Ă€ la suite de l’incendie survenu le 11 mai 1985 au stade de Valley Parade Ă  Bradford (56 morts, 260 blessĂ©s), puis du drame du Heysel Ă  Bruxelles le 29 mai la mĂŞme annĂ©e (39 morts, 600 blessĂ©s), Margaret Thatcher, alors Première ministre, demande au Parlement d’adopter un arsenal lĂ©gislatif rĂ©pressif : le Sporting Events (1985) permet de rĂ©primer la consommation d’alcool, l’introduction dans le stade d’objets dangereux (pĂ©tards, fumigènes) et donne la possibilitĂ© Ă  la police d’élargir ses fouilles Ă  l’entrĂ©e des enceintes sportives ; le Public Order Act (1986) relatif aux dĂ©sordres et aux violences puis le Football Spectators Act (1989) qui permet des interdictions de stade et la mise en place d’une carte d’identitĂ© informatisĂ©e pour les supporters. Ces mesures ne s’appliquent pas Ă  l’encontre des seuls hooligans, elles visent Ă©galement Ă  dissuader les classes populaires de se rendre au stade.

Le drame de Hillsborough Ă  Sheffield, le 15 avril 1989 (96 morts, 766 blessĂ©s), conforte la Dame de fer dans cette politique. Pourtant, la commission d’enquĂŞte confiĂ©e au Lord of Justice Peter Taylor conclut que les supporters n’étaient pas en cause, l’origine du dĂ©sastre relevait plutĂ´t de la vĂ©tustĂ© et de l’insĂ©curitĂ© des stades anglais. Ainsi, le rapport publiĂ© en 1990 prĂ©conise la rĂ©novation pour la saison 1994-1995 de l’intĂ©gralitĂ© des stades de première et deuxième divisions et la suppression des fameuses terraces populaires – c’est-Ă -dire le chĹ“ur vibrant des supporters issus de la classe ouvrière – et de les remplacer par des gradins munis de sièges. Il n’est dès lors plus possible de voir un match debout.

Spion Kop at Anfield, the home of Liverpool F.C, Steve Daniels (Source : Wikipedia)

Ce public populaire subit une autre restriction, financière celle-lĂ , avec l’augmentation significative des tarifs des billets. Pourtant, le rapport Taylor prĂ©conise une augmentation « raisonnable Â» du prix des billets pour ne pas exclure financièrement les supporters les plus modestes.

Avec la crĂ©ation en 1992 de la puissante Premier League et l’organisation de l’Euro de 1996, l’Angleterre entame un processus de hausse considĂ©rable des prix des billets. Entre 1990 et 2011, notamment, le coĂ»t des places les moins onĂ©reuses Ă  Manchester United et Liverpool a respectivement augmentĂ© de 454% et de 1108%. Le prix moyen d’un billet pour un match de première division britannique est passĂ© de 4 livres sterling, en 1990, Ă  35 en 2012. Idem cĂ´tĂ© abonnement, oĂą les prix ont explosĂ©, jusqu’à 2542 euros, soit une tarification quatre fois plus Ă©levĂ©e que dans le reste de l’Europe.

Margareth Thatcher a gagnĂ© son bras de fer contre le hooliganisme. Et ouvert le football au libĂ©ralisme. Les propriĂ©taires des clubs ont profitĂ© des rĂ©formes structurelles pour gentrifier les tribunes, attirer au stade un nouveau public, moins turbulent, moins prolĂ©taire, plus familial et plus middle-class. Cette transformation des tribunes favorise le dĂ©veloppement d’une industrie du divertissement et du loisir, ce qui en fait un terrain convoitĂ© pour les diffuseurs.

Ainsi, en 1992, le magnat de la presse australien Rupert Murdoch, avec Sky Network et sa chaĂ®ne BSkyB, signe un contrat historique de 300 millions de livres pour obtenir le droit de diffuser pour cinq ans certains matchs de la première division anglaise. Si le public populaire ne peut plus aller stade, les matchs viendront Ă  lui, mĂŞme pour le Boxing Day ! Cette libĂ©ralisation conduit bientĂ´t la première division du Championnat anglais Ă  se sĂ©parer de la tutelle de la Ligue nationale et Ă  devenir la FA Premier League.

Les dirigeants de la Premier League mènent en parallèle une politique volontariste pour accroĂ®tre l’attractivitĂ© de leur championnat et parient pour cela sur la mise en place des abonnements tĂ©lĂ©visuels et la vente directe des droits Ă  l’étranger – ce qui permet Ă  la Premier League d’être aujourd’hui suivie dans 185 pays diffĂ©rents. Et le Boxing Day est l’occasion rĂŞvĂ©e de diffuser des matchs en situation de quasi-monopole, quand les concurrents europĂ©ens font relâche. Une aubaine !

Pour la pĂ©riode 2019-2022, la Premier League a nĂ©gociĂ© ses droits TV Ă  hauteur de 5 milliards d’euros avec Sky Sports et BT Sports. Le lot concernant le Boxing Day a Ă©tĂ© raflĂ© par Amazon qui cherche Ă  Ă©largir son influence et le nombre d’adhĂ©rents Ă  son programme Amazon Prime – la retransmission des matchs Ă©tant rĂ©servĂ©e aux dĂ©tenteurs de ce service premium.

Source : Ecofoot 

Comme le dit Martin Johnes, historien du football Ă  l’universitĂ© de Swensea : « Peu importe ce que demandent les joueurs, la Premier League va toujours privilĂ©gier l’argent. Â»

On pourrait s’interroger, comme au XIXe siècle, sur l’utilitĂ© d’imposer aux joueurs un calendrier aussi infernal Ă  cette Ă©poque de l’annĂ©e, de multiplier ainsi les rencontres – entre le Boxing Day et le troisième tour de Cup lors du premier week-end de janvier – jusqu’à obliger des Ă©quipes Ă  s’aligner un jour sur deux. « Nous allons tuer les joueurs, dĂ©clarait mĂŞme Pep Guardiola en 2016. Je sais qu’ici en Angleterre, le show doit continuer, mais ce n’est pas normal ! Ils jouent onze mois d’affilĂ©e. Il faut penser aux artistes. Je sais que cela ne changera pas, mais pourquoi ? Le monde survivrait si on ne jouait pas tous les deux jours. Â» Jurgen Klopp, l’entraĂ®neur de Liverpool lui emboĂ®te le pas en s’agaçant de la proximitĂ© des matchs : « Aucun des managers n’a de problème pour jouer le lendemain de NoĂ«l. Mais jouer les 26 et 28 dĂ©cembre est un crime. Â»

Mais ces considĂ©rations sportives, encore une fois, pèsent bien peu au regard de la tradition – qui a quand mĂŞme bon dos – et surtout des diffuseurs et de leurs milliards de droits TV. « Ce sont les chaĂ®nes de tĂ©lĂ©vision qui font la pluie et le beau temps et je ne vois pas pourquoi elles voudraient une trĂŞve d’hiver, comme le dĂ©clare Martin Johnes. Peu importe ce que demandent les joueurs, peu importe si c’est nĂ©faste pour l’équipe nationale, la Premier League danse aux millions de Sky et va toujours privilĂ©gier l’argent. Si la Premier League se sentait concernĂ©e par les rĂ©sultats de l’équipe d’Angleterre, ça ferait longtemps que le calendrier serait rĂ©formĂ©. […] NoĂ«l est une affaire de traditions. L’idĂ©e que certaines choses vont toujours exister participe Ă  l’essence mĂŞme de NoĂ«l. Les supporters tiennent au Boxing Day parce que cela fait partie de NoĂ«l. Le football du Boxing Day est comme NoĂ«l, il ne disparaĂ®tra jamais. »

Puis, quand les résultats sont là, tout va. Sur les quinze dernières saisons, les clubs anglais collectionnent onze apparitions en finale de Ligue des champions. La dernière a même réuni Liverpool et Tottenham. L’absence de trêve hivernale, et les blessures qui inévitablement en découlent, est compensée par l’ampleur des effectifs de Premier League. Et les succès des clubs anglais sur la scène européenne mettent les dirigeants de la Premier League en position de force pour renégocier des droits TV toujours plus importants et assurer des retombées financières à sa lanterne rouge supérieures à celles allouées au champion de France – 59 millions d’euros pour le PSG contre 109 millions d’euros pour Huddersfield, qui évolue cette année en Championship (deuxième division).

En avril 2020, en pleine crise de la Covid-19, le Times rapporte que Sky Sports et BT Sport avaient rĂ©glĂ© l’intĂ©gralitĂ© de leurs droits de diffusion Ă  la Premier League (1,7 milliard d’euros par saison) pour Ă©viter une crise de trĂ©sorerie des clubs et qu’il en avait Ă©tĂ© de mĂŞme pour l’ensemble des paiements des droits internationaux (1,59 milliard d’euros par saison).

Ce cercle vertueux fait le succès de la Premier League et le Boxing Day y contribue Ă  sa manière. Seule la perspective de jouer en hiver la Coupe du monde 2022 au Qatar a fait planer un temps une menace sur la tenue du Boxing Day. Mais Alastair Bennett, directeur de la communication de la Premier League, a rassurĂ© tout le monde en indiquant que « les dates du Mondial nous permettront de prĂ©server la tradition ». What else?

MĂŞme le coronavirus ne semble pas en mesure de remettre en question le Boxing Day ! Face Ă  la dĂ©gradation de la situation sanitaire consĂ©cutive Ă  la propagation d’une nouvelle souche du virus en Angleterre, le Premier ministre, Boris Johnson, a dĂ» annoncer un nouveau confinement total du pays, incluant mĂŞme cette fois la fermeture des Ă©coles. Alors que la prĂ©valence du virus en Premier League est supĂ©rieure Ă  celles des grandes villes les plus touchĂ©es d’Angleterre et que plusieurs dirigeants plaident pour interrompre momentanĂ©ment la compĂ©tition, Boris Johnson a prĂ©fĂ©rĂ© exclure le sport professionnel de ces restrictions, ce qui vaut pour les clubs de Premier League dont les compĂ©titions peuvent se poursuivre. Boris Save The Foot!

Une tradition remise en question ?

Pour beaucoup de commentateurs, l’affaire est entendue. Le Boxing Day a de belles annĂ©es devant lui. Certes. Mais, dans l’immĂ©diat, la belle machine parfaitement huilĂ©e pourrait bien toussoter dans les prochains mois. La Premier League est devenue « tĂ©lĂ©dĂ©pendante Â» et la crise liĂ©e Ă  la Covid-19, couplĂ©e au Brexit, pourrait bien augurer des jours moins fastes pour le football outre-Manche.

Dans le mĂŞme temps, de nombreux supporters contestent les nouvelles formules d’abonnements qui impactent aussi le Boxing Day. La Premier League a, en effet, annoncĂ© qu’en dehors des matchs les plus regardĂ©s, les rencontres devront dorĂ©navant ĂŞtre payĂ©es Ă  l’unitĂ© pour le prix de 14,95 livres (16,50 euros) – en plus des 70 livres (77 euros) pour l’accès aux deux chaĂ®nes – quand elles pouvaient jusqu’à prĂ©sent ĂŞtre accessibles gratuitement. « Tu payes 70 pounds par mois pour six matchs de Premier League par week-end et après il faut payer 15 livres par match pour les quatre autres Â», s’indigne, comme beaucoup d’autres, un supporter de Southampton repris par Ouest-France. Des tarifs infernaux qui ne permettent plus Ă  de nombreux supporters de vivre leur passion et encouragent le dĂ©veloppement du streaming.

Le Boxing Day 2020 a subi quand mĂŞme les contrecoups de la crise Ă©pidĂ©mique et sanitaire. Si les matchs ont pu reprendre, les tribunes des stades Ă©taient dĂ©sespĂ©rĂ©ment vides (2000 spectateurs maximum), loin de l’ambiance habituelle qui caractĂ©rise ce jour festif. Et, pour la première fois, des rencontres ont Ă©tĂ© dĂ©programmĂ©es, parfois Ă  la dernière minute, en raison du nombre de cas positifs Ă  la Covid-19 au sein d’une des Ă©quipes.

Avis de tempĂŞte sur le Boxing Day ou simple orage qui sera vite passĂ© ?

Au pays de Sa Gracieuse Majesté, les traditions ont la vie dure et le Boxing Day en est devenu l’une des plus belles institutions. Mais la Premier League devra probablement s’interroger sur son modèle de développement dans une économie du football bouleversée par la crise liée à la Covid-19, affectée par la crise des droits TV et sans égard pour les supporters…

Du mĂŞme auteur

Sur le même thème