Pourquoi s’interdire d’examiner les expériences menées de l’autre côté de l’Atlantique, dans le domaine de l’enseignement primaire et secondaire ? Si l’attention des réformateurs s’était jusqu’à présent focalisée sur la Finlande, Christophe Sente recommande d’analyser le système des Charter Schools aux États-Unis, à la lisière de l’autogestion et de la concession de service public, pour utilement éclairer le débat sur ses bénéfices comme sur les limites, dans le même pays, des tentatives de privatisation.
Regarder de l’autre côté de l’Atlantique est une tradition ancrée chez les intellectuels européens depuis le XVIIIe siècle. Elle commence peut-être avec le marquis de La Fayette et François-René de Chateaubriand et ne s’arrête pas à Antonio Gramsci. Le voyage en Amérique peut susciter l’effroi ou l’inspiration. Reste que ce continent est un miroir, éventuellement déformant, pour qui le regarde en face et s’essaie à prédire l’avenir de l’Europe. Dans le domaine de l’enseignement primaire et secondaire, l’attention des réformateurs, jusqu’à présent focalisée sur la Finlande, gagnerait à se porter sur l’expérience des Charter Schools en cours aux États-Unis, à la lisière de l’autogestion et de la concession de service public, comme sur les limites, dans le même pays, des tentatives de privatisation.
Crises et réformes de l’enseignement en Europe et en France
Crises et réformes rythment l’histoire de l’école depuis sa sécularisation en Europe au XIXe siècle. La France en offre une excellente illustration.
Crises
Philosophiques d’abord, les crises, au cours desquelles chrétiens et libéraux s’opposent pour le contrôle d’une institution essentielle à la socialisation des individus, ont acquis ensuite, à la fin du siècle dernier, une dimension économique dans un contexte de contraction des budgets publics et d’arbitrage entre les secteurs de la dépense de l’État. Toutefois, depuis la publication par l’OCDE des rapports Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), ce n’est pas seulement le coût des systèmes nationaux d’éducation qui fait débat mais leur performance relative. Dans les classements que comportent ces rapports internationaux, ce sont des États asiatiques (Singapour, Chine, Corée du Sud) et, sur le continent européen, principalement la Finlande qui se distinguent à l’aune du critère de la qualité de l’acquisition de compétences en mathématiques, lecture et sciences. Sans que ses résultats soient catastrophiques, l’Europe affiche des scores moyens qui ne correspondent ni à ses prétentions, ni à ses ambitions.
Faisant écho aux travaux menés par le Prix Nobel d’économie Paul Romer depuis les années 1980, un rapport de l’OCDE, rédigé par les professeurs Eric A. Hanushek et Ludger Woessmann, rappelle en 2010 la part de l’éducation dans la croissance des nations et invite à considérer la dépense d’enseignement comme un investissement dont même un contexte de récession ne devrait justifier son détournement.
En Europe, la part des dépenses d’éducation dans le PIB est de 5,46% en France ; de 4,81% en Allemagne ; de 6% en Grande-Bretagne et de 7,09% en Finlande. En Chine, elle se situe entre 3 et 4% et elle se monte à 5% aux États-Unis. Elle est, enfin, de 2,9 % à Singapour, de 6,24 % au Brésil et de 6,13 % en Afrique du Sud.
Cette évaluation rapportée au PIB dissimule de plus grands écarts dans la proportion que représente l’éducation dans le volume des dépenses publiques. Si la part moyenne des dépenses consacrée par les pays de l’OCDE est de 12,9% du budget, cette part est inférieure à 10% en Italie et au Japon, mais supérieure à 20% au Mexique.
En outre, ces chiffres renvoient à une répartition également variable des dépenses publiques dans les différents niveaux d’enseignement.
En même temps, les analyses de l’OCDE indiquent que le volume de l’investissement ne constitue pas l’unique vecteur de la performance d’un système éducatif. Un niveau élevé de performance nationale n’exige pas non plus l’élimination darwinienne des plus faibles. Les facteurs de succès d’un système scolaire se situeraient plutôt, selon l’organisation internationale, dans sa capacité à se remettre en question et dans une déconcentration des responsabilités, pédagogiques et/ou gestionnaires, à l’échelle de collectivités locales, voire des écoles elles-mêmes. Peu d’États européens rencontrent ces critères.
Parallèlement, l’analyse des résultats des urnes en Europe depuis le tournant « populiste » amorcé dans les années 1990 tend à montrer que l’enjeu contemporain de l’éducation n’est plus seulement philosophique, économique ou financier. Il a atteint une nouvelle dimension politique depuis que l’origine familiale, la catégorie socioprofessionnelle ou le niveau des revenus ne sont plus les uniques déterminants du comportement électoral. La formation idéologique des citoyens échappant à la famille comme aux « corps intermédiaires » – partis, syndicats et Église –, le niveau d’éducation exprimé au travers de la durée des études tend à distinguer les votes et les réactions aux nombreuses facettes sociales, économiques et culturelles de la transformation des relations internationales que le terme de « mondialisation » tente de subsumer. Autrement dit, le pari de Jules Ferry qui consistait à fonder l’avenir de la république sur la qualité de l’éducation publique retrouve une actualité brûlante. Et ceci, dans des sociétés en crise, marquées tant par le décrochage scolaire et la permanence d’un illettrisme important que par l’abstention électorale et la remise en cause du fonctionnement démocratique d’États-nations qui peinent depuis les années 1980 à conserver le confort de vie des « trente glorieuses » de ses citoyens. Aussi la disposition du Code de l’éducation selon laquelle « la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République » retrouve-t-elle tout son sens.
En France, les études Pisa montrent que la performance globale du système éducatif est dans la moyenne de l’OCDE, mais que « la corrélation entre le milieu socioéconomique et pour la performance est bien plus forte que dans la plupart des autres pays ». En d’autres mots, le creusement des inégalités sociales impacte des résultats scolaires individuels que le système éducatif peine à améliorer. L’agenda politique, économique et pédagogique commande donc d’éviter un éclatement de la société dont les prémices sont, dans l’échelle des revenus comme dans les résultats scolaires, une différenciation marquée des plus forts et des plus faibles par rapport à une réalité médiane plutôt médiocre.
Réformes
L’histoire des réformes scolaires ne se résume pas à une succession de mesures ponctuelles issues de diagnostics de la crise des systèmes d’éducation ou de l’assainissement des finances publiques. Comme l’a montré Antoine Prost, le changement dans l’école repose sur une dynamique irréductible à l’impact de facteurs économiques ou à la seule contrainte budgétaire. En France, l’évolution de l’organisation scolaire est animée par la recherche d’une articulation entre les pouvoirs publics et les autorités religieuses ainsi que par celle d’une amélioration de la pédagogie.
De la laïcisation à la privatisation de l’enseignement confessionnel
Symbole puissant des relations entre l’Église et l’État, la loi du 9 décembre 1905 n’organise pas les rapports entre les pôles civils et religieux dans la sphère de l’enseignement.
Aussi, l’histoire française de la « question scolaire » est moins celle d’une sécularisation juridique linéaire que d’une tension sociale récurrente entre progressistes et conservateurs catholiques, inaugurée par le délitement d’un éphémère monopole d’État, instauré par Napoléon, sur l’enseignement secondaire. Si la laïcisation intégrale de l’enseignement a pu être à l’agenda d’Émile Combes en 1904, les décisions de l’Assemblée générale des Nations unies interdisent désormais l’atteinte complète de cet objectif. En France comme dans tous les États liés par la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), la liberté d’enseignement se conçoit comme une extension de la protection de la liberté de conscience. Elle englobe le droit de tout citoyen de confier l’éducation de ses enfants à des établissements indépendants de l’État, voire de fonder, dans le respect de prescrits nationaux, une école. Ainsi, si le droit constitutionnel prévoit bien que « La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État », cette disposition n’est pas jugée contraire à l’existence d’un enseignement privé, très majoritairement catholique.
À l’intérieur de l’histoire de la tension entre laïcs et catholiques sur la question scolaire, l’adoption de la loi, portée par le Premier ministre Michel Debré, du 31 décembre 1959 constitue un moment important que Bruno Poucet a subtilement analysé. En effet, si elle constitue le socle du financement de l’enseignement catholique par le budget national, elle ne consacre pas une relation entre les pouvoirs publics et un clergé mais dilue cette relation dans un rapport entre l’État et les « établissements d’enseignement privés ». Ce caractère de droit privé l’emporte sur toute considération confessionnelle. En vertu de cette loi, dont les contenus ont été intégrés dans le Code de l’éducation, lorsque des établissements privés nouent un lien contractuel avec l’État, ils reçoivent des moyens financiers en contrepartie de leur adhésion aux « règles et programmes de l’enseignement public ». L’établissement de ce lien contractuel n’est en rien obligatoire, la création d’une école privée étant légale à partir du moment où elle satisfait aux formalités de déclaration requises par la loi. En outre, si le défaut de conventionnement emporte l’absence de financement étatique, il ne signifie pas celle de tout soutien, notamment depuis qu’un décret du Premier ministre du 18 mars 2008 a reconnu d’utilité publique la Fondation pour l’école dont le projet est de diversifier l’offre scolaire en contribuant au développement d’écoles privées, indépendantes et à but non lucratif. Parmi celles-ci, les écoles regroupées par le réseau Espérance banlieues ont bénéficié d’une couverture médiatique importante et du mécénat d’entreprises. Selon Libération qui consacra en février 2018 un article en amont de l’adoption de la loi Gatel visant à moderniser la procédure d’ouverture des écoles hors contrat, celles-ci concernent « 60 000 élèves de primaire et secondaire sur les 12,5 millions d’élèves scolarisés en France… Ces établissements, bien que peu nombreux, sont en hausse depuis quelques années (+26% entre 2011 et 2014). On en dénombre aujourd’hui environ 1 300 sur le territoire, dont 300 confessionnels (quelque 160 établissements catholiques, 50 juifs, 40 musulmans et 30 protestants). La grande majorité ne revendique aucune appartenance religieuse et met en avant des pédagogies alternatives, type Montessori ou Steiner ». Sur ces écoles parfois soupçonnées de constituer des foyers de conservatisme religieux d’obédience chrétienne ou musulmane, l’État conserve un pouvoir de contrôle destiné à lui permettre « de s’assurer que l’enseignement qui y est dispensé respecte les normes minimales de connaissances requises » et que « les élèves de ces classes ont accès au droit à l’éducation tel que celui-ci est défini » par le Code. Si le rapport est négatif et « en cas de refus de la part du directeur de l’établissement d’améliorer la situation […] l’autorité académique avise le procureur de la République […] puis met en demeure les parents des élèves scolarisés dans l’établissement d’inscrire leur enfant dans un autre établissement ».
Cette brève présentation de la structuration de la relation entre l’État et un enseignement qui n’est plus défini comme confessionnel par le législateur illustre la complexité de la poursuite simultanée, dans une société libérale, d’une ambition d’unification républicaine sous l’égide de la laïcité et de la promotion de l’innovation pédagogique par des acteurs d’enseignement dont la diversité est protégée par le droit international.
Ceci étant, en France, l’enseignement public a longtemps constitué un sujet privilégié de la réflexion pédagogique, voire le cadre de l’expérimentation de méthodes nouvelles. Si les techniques et programmes développés à Singapour et en Finlande sont aujourd’hui au centre de l’actualité internationale, un grand nombre de figures françaises, depuis Jean-Jacques Rousseau jusqu’à Philippe Meirieu en passant par Célestin Freinet, jalonnent l’histoire de la recherche sur les conditions de l’apprentissage dans le monde moderne.
Réformes pédagogiques
Passé le moment de la fondation républicaine auquel correspondent les lois de 1881 et 1882 qui, poussées par Jules Ferry, font de l’enseignement primaire obligatoire un « service public d’État », la réforme qui ouvre le champ des possibles pédagogiques est celle du très jeune ministre de l’Éducation nationale au sein du Front populaire, Jean Zay.
Au nom de Jean Zay, la prolongation en 1936 de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge de quatorze ans est souvent liée. Mais ce ministre est important pour une autre raison. En 1936, il lance également une réforme qui dissocie l’ambition républicaine du dirigisme jacobin traditionnel. Comme le rappelle Antoine Prost, « au lieu de prescrire un cadre précis… [il] se contenta dans une circulaire adressée aux inspecteurs d’académie de définir trois objectifs très généraux : renforcer et compléter les notions déjà acquises ; donner le goût de continuer la culture professionnelle et humaine ; rechercher la place qui convient le mieux à chaque élève dans l’activité économique du pays ». Et on pouvait lire dans cette circulaire « c’est à vous-mêmes, aux inspecteurs, aux instituteurs et aux institutrices, que je confie la charge, connaissant le but, d’y atteindre par des voies aussi variées que les conditions locales et les aptitudes des enfants ».
L’histoire de l’expérimentation pédagogique ne cesse certainement pas en France avec la fin du ministère de Jean Zay qui est assassiné par les fascistes en 1944.
Par contre, la manifestation d’un tel pragmatisme et d’une telle confiance dans les acteurs de terrain n’est guère rééditée par l’administration, exception faite de l’expérience avortée des « classes nouvelles » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les débats impulsés depuis par l’Éducation nationale et consacrés aux questions des filières et du socle commun, de la sélection et de l’évaluation ou encore de la discrimination positive sont riches et fondamentaux. Cependant, si l’attention se recentre sur l’enfant, l’intérêt pour le statut des maîtres s’affaiblit, sauf dans le chef des organisations syndicales. De même, comme le montrent les travaux d’Ismaïl Ferhat, celui porté à la structure de l’école primaire et secondaire et à sa relation avec l’administration centrale s’estompe, particulièrement dans les rangs de la gauche de gouvernement, après l’échec du projet de la loi Savary visant à articuler les établissements publics et privés à l’échelle de collectivités territoriales. Même l’engouement suscité par la réussite finlandaise ne dépasse guère les questions immédiates du contenu des programmes et du financement. L’entrepreneuriat pédagogique susceptible d’adapter une institution née au XIXe siècle aux enjeux contemporains de l’apprentissage reste aux marches du service public d’État. Ce sont plutôt des établissements privés qui perpétuent la tradition d’innovation ouverte par Rudolf Steiner, Maria Montessori comme Jean Piaget ou relèvent le défi de la performance scolaire dans les quartiers défavorisés. De la sorte, le débat sur l’avenir du cadre de gestion de l’apprentissage scolaire paraît aussi figé dans les mentalités que la séparation, demeurée sacro-sainte pour de nombreux progressistes, entre secteurs privé et public. Et, comme l’ont relevé Alain Bergounioux et Jean-Francois Merle, même une imagination politique réformatrice aussi féconde – et alimentée par la tradition autogestionnaire – que celle de Michel Rocard se préoccupe assez peu de la question scolaire.
Souvent assimilé en Europe à une compromission idéologique alors qu’il correspond à une tradition philosophique issue de Hegel, le pragmatisme, en tant que recherche d’une réconciliation de l’homme et de la société, est bien mieux représenté aux États-Unis où sa principale figure de proue, John Dewey reste une référence en matière d’éducation, à la fois en termes de pédagogie et de civisme.
Crises et réformes de l’enseignement aux États-Unis
Malgré la figure tutélaire de John Dewey et même si le pays compte parmi les meilleures universités mondiales, l’histoire récente de l’enseignement primaire et secondaire aux États-Unis – ou plus exactement de la « K12 education » – n’est pas celle de la réussite exemplaire d’un modèle qui justifierait son importation par les États européens. Son examen n’en demeure pas moins important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce qu’il est rare qu’un État reconnaisse la sous-performance, rapportée aux moyens investis, de son système scolaire et invite à une mobilisation de la société. Ensuite, parce qu’indépendamment de toute controverse de nature philosophique ou confessionnelle, le cas américain illustre la difficulté du secteur privé à réconcilier une logique de recherche du profit et de service à la collectivité. Enfin, et surtout, parce que la plupart des États de l’Union se sont à présent engagés dans une expérience de concession partielle du service public d’enseignement qui révolutionne, sous le nom de « Charter Schools », le cadre de gestion de l’école tout en laissant la plus grande liberté pédagogique aux acteurs de terrain et en ne portant pas atteinte au principe de gratuité de l’accès.
Crises
S’il existe bien à Washington un Department of Education et une autorité ministérielle en charge de ce domaine politique, l’organisation de l’enseignement aux États-Unis demeure une compétence des États membres de l’Union dont l’autonomie est protégée par le dixième amendement, adopté en 1789. Cette décentralisation est renforcée par le fait que, comme l’écrit Malie Montagutelli, « chaque État délègue une grande partie de ses pouvoirs en matière d’éducation aux districts scolaires (il en existe environ 15 000), créant ainsi une sorte de mosaïque plutôt qu’un système au sens où on l’entend en France ». La répartition des compétences est claire en droit. Toutefois, démocrates et républicains n’en ont pas moins implicitement convenu, depuis l’ère Kennedy, qu’un pilotage fédéral de l’éducation était dans l’intérêt de la république.
Dans les cinquante États de l’Union, la très grande majorité des enfants scolarisés dans l’enseignement fondamental et secondaire fréquente des établissements publics. Leur nombre en 2016 est évalué à 50 millions tandis que l’enseignement privé, principalement catholique, en accueille 5 millions. Quels que soient les chiffres que l’on aligne au sujet de l’enseignement américain – qu’il s’agisse du nombre d’élèves, d’enseignants, des montants budgétaires dédiés ou des taux de pauvreté au sein des populations scolaires –, ils sont impressionnants et souvent en augmentation.
Le contraste est grand entre ces nombres et la relative faiblesse de la performance du pays qui, dans le cadre des tests Pisa, ne dépasse pas la moyenne des pays de l’OCDE. Cette faiblesse est reconnue et n’est pas attribuée par le département de l’Éducation à la situation particulière et défavorable d’États qui biaiserait le résultat global. Depuis 1969, le gouvernement fédéral assure, sur la base du National Assessment of Educational Progress (NAEP), placé sous la responsabilité d’un organe bipartisan, une évaluation régulière de la qualité de l’acquisition de connaissances et compétences dans le cadre scolaire. De ce fait, les pouvoirs publics américains n’ont pas attendu l’OCDE pour porter, dès les années 1980, dans des termes beaucoup plus tranchants, un diagnostic mettant en question la capacité de l’institution scolaire à assurer la formation des nouvelles générations comme l’unité nationale d’une société qui est multiculturelle depuis sa fondation.
Cette – rare – capacité d’auto-évaluation a trouvé son expression moderne la plus dramatique dans le rapport intitulé « A Nation at Risk », commandé à un groupe d’experts et remis au responsable de l’éducation au sein de l’administration Reagan, T. H. Bell. Publié en 1983, il est toujours abondamment commenté, voire contesté pour son ton alarmiste. Néanmoins, le contenu était limpide : le rapport de la commission soulignait la responsabilité de la dégradation de la qualité de l’enseignement américain dans la fragilisation de la position, longtemps dominante du pays, dans les échanges internationaux et la course à l’innovation technologique. Dans un langage qui était encore celui de la guerre froide et déjà celui de la globalisation, les auteurs du rapport écrivaient que, faute d’adapter leur système d’éducation à l’évolution de la concurrence internationale, les États-Unis avaient accompli un acte irresponsable de « désarmement unilatéral ». La conclusion était celle d’un déclin, entre les années 1960 et 1980, de la capacité des systèmes nationaux d’enseignement à assurer la formation des élèves dans un contexte d’augmentation de la demande des employeurs en profils professionnels qualifiés. Le rapport en voulait pour preuve que, à l’occasion d’évaluations internationales comparant la performance d’États industrialisés, « les étudiants américains n’occupaient jamais la première ou la seconde position, mais étaient fréquemment les derniers » et que « de l’ordre de 23 millions d’adultes américains étaient fonctionnellement illettrés, étant incapables de réussir les tests les plus élémentaires de lecture, écriture et compréhension ».
Le rapport concluait à la responsabilité du système scolaire dans la dégradation de la qualité de l’enseignement. Il pointait en particulier la déstructuration des programmes – décrits comme des « menus de cafétéria » dans lesquels, confrontés à l’obligation de choisir entre les plats proposés, les clients étaient incapables de faire la différence entre les plats principaux, les entrées et les desserts –, la faible attractivité des emplois d’enseignants pour les diplômés les plus qualifiés pour les occuper ainsi qu’une mauvaise gestion du temps nécessaire à l’apprentissage.
Autrement dit, en 1983, en parlant alors de « learning society », les responsables américains pointaient déjà les défis de ce que l’Europe allait appeler « l’économie de la connaissance » lors du lancement de la « stratégie de Lisbonne » en mars 2000. Des solutions efficaces se sont par contre fait attendre.
La tentation de la privatisation
Si l’administration Reagan endossa bon gré mal gré un rapport qui, en 1983, soulignait notamment la faiblesse de la rémunération des enseignants, son agenda initial ne prévoyait pas un réinvestissement massif dans l’école publique. Le contexte idéologique des années 1980 était plutôt favorable à la diffusion d’un discours réformateur néolibéral proposant d’étendre à l’enseignement des techniques empruntées à l’économie de marché.
À cet égard, Milton Friedman plaidait depuis les années 1950 en faveur de l’introduction d’un chèque éducation permettant aux parents d’orienter la dépense de l’État vers les écoles, publiques ou privées, dans lesquels ils choisiraient d’inscrire leurs enfants. En 2019, bien qu’elle ait essaimé en dehors du pays, cette réforme du financement scolaire, tentée par Ronald Reagan, qui consisterait à doter chaque foyer d’un capital éducatif monétisé n’a toujours pas eu lieu aux États-Unis et son opportunité, contestée par les syndicats comme par les autorités locales scolaires (school districts) en charge des établissements publics, est toujours débattue à l’occasion de campagnes électorales. Pour les uns, il s’agirait d’une technique de définancement de l’enseignement public au profit du secteur privé. Pour les autres, le procédé permettrait de mieux identifier et de pénaliser les établissements publics qui ne satisfont pas les « clients » du système éducatif et auxquels le système actuel d’inscription, basé sur le lieu de résidence, garantit le volume d’élèves nécessaire à leur fonctionnement et à leur subsidiation. Comme le rappelle Jeffrey R. Henig, coexistent en fait au moins deux versions politiques du projet de chèques éducation. L’une, qui est directement inspirée de Milton Friedman, entend verser à chaque famille le même montant quels que soient les revenus du ménage ou le coût des études dans les écoles du district. L’autre envisage de coupler à cette logique de concurrence et de libre choix théorique un dispositif de régulation, destiné à corriger les distorsions sociales assumées par les néolibéraux et à permettre à des familles dont les revenus sont modestes d’accéder à des établissements privés dans lesquels les droits d’inscription sont supérieurs au montant du chèque.
Si le chèque éducation n’a pas constitué le socle d’une libéralisation de l’enseignement dans la direction d’une marchandisation, un renouvellement de l’approche de l’enseignement par le secteur privé a toutefois bien eu lieu sous l’impulsion du projet Edison dans les années 1990. À court terme, ce projet a sans doute constitué un échec dans son ambition initiale d’augmenter la performance pédagogique et la rentabilité financière de l’enseignement public par l’introduction d’un management privé. Il a toutefois contribué, en dissociant idéologiquement le secteur privé de l’enseignement et les établissements confessionnels, à l’acclimatation des esprits à la plausibilité d’une réforme du service public d’éducation basée sur la compétition et l’autonomisation des établissements. En outre, en se déployant notamment dans des quartiers défavorisés, il a également montré que la conception entrepreneuriale de l’enseignement était irréductible à la reproduction en vase clos des élites sociales.
Le projet Edison, lancé en 1991 et dont Samuel E. Abrams a retracé l’histoire dans une somme récemment publiée par les presses universitaires de Harvard, était porté par un magnat des médias, Chris Whittle, et un ancien président de l’université de Yale, Benno C. Schmidt Jr. Il avait également la faveur d’intellectuels républicains, favorables à l’introduction de chèques éducation. Son financement ne dépendait par contre pas de ce chèque. Les ressources de la première génération d’écoles fondées dans le cadre de ce projet provenaient des contrats conclus entre le groupe et les « school districts » désireux de s’assurer ses services. En outre, le projet Edison entendait trouver des moyens complémentaires sur le marché boursier de manière à offrir aux élèves, notamment dans les quartiers les plus défavorisés, un cadre de vie agréable et l’accès aux technologies modernes. L’insuffisance des ressources accumulées, ajoutée à l’hostilité des syndicats, contraria la démarche et les écoles parties prenantes ne purent démontrer qu’elles dépassaient systématiquement en qualité les établissements traditionnels. Depuis le début des années 2000, la société en charge du projet Edison s’est progressivement détachée du projet d’une reprise d’écoles publiques et a constitué son propre réseau d’écoles privées aux États-Unis et dans le monde.
Reste que, au fil de cette expérience, le secteur privé démontra la capacité d’entreprises non confessionnelles à assurer un service d’enseignement, notamment à destination de publics défavorisés.
Les Charter Schools
Dans les années 1990, les entrepreneurs du projet Edison n’étaient pas les seuls acteurs privés à prendre le pouls de la société américaine et à conclure à la nécessité d’une mobilisation de la société civile pour assurer un service universel de scolarisation et d’enseignement. Wendy Kopp, Richard Barth et Eva Moskowitz comptent parmi les pionniers de cette mobilisation et ont fondé des réseaux désormais célèbres d’enseignement privé à but non lucratif tels que Teach for America, KIPP (Knowledge is Power Program) ou les Success Academies. De tels réseaux montrèrent notamment leur capacité à se déployer dans la Nouvelle-Orléans lorsque, confrontées à la désorganisation des services publics engendrée par les ravages de l’ouragan Katrina, les autorités de la ville firent appel aux Charter Schools. Dans les premières années du nouveau millénaire, leur nombre explosa aux États-Unis et le nombre d’élèves passa ainsi de 340 000 à deux millions en 2012. Actuellement, la demande des parents augmente toujours, mais le volume annuel de la création nette de Charter Schools – soit de l’ordre de 300 en 2016 – tend à diminuer sous les effets de fermetures d’établissements et de la sélectivité des instances de régulation qui, au sein de la quarantaine d’États recourant à ce type de structures, sont chargées d’approuver les projets pédagogiques qui leur sont présentés. Le nombre de Charter Schools est actuellement évalué à 6 900 et elles sont fréquentées par 6% des élèves inscrits dans l’enseignement public. À Washington DC, ce taux est de 40%. Le phénomène, encore peu discuté en Europe sinon à l’intérieur d’une critique générale du néolibéralisme américain sous-tendant un refus de principe de la réforme du secteur public, retient en revanche l’attention des pédagogues chinois. Mais l’évolution majeure en cours aux États-Unis ne tient pas seulement à l’apparition d’une nouvelle génération d’organisations non gouvernementales dans le secteur de l’enseignement : elle est dans la relation que celles-ci ont installée avec les autorités publiques.
Ce que l’on appelle aujourd’hui les Charter Schools pour désigner des écoles privées dans lesquelles l’inscription demeure gratuite grâce à un financement public et des ressources externes innove en effet à plusieurs points de vue.
Libre choix des parents et concurrence des établissements
Le soutien financier accordé aux Charter Schools par les États américains, dans le cadre d’un régime juridique apparenté à celui de la concession en droit européen, indique que les États ont renoncé à une organisation monopolistique de l’enseignement public.
En effet, l’absence de droits d’inscription dans les écoles publiques comme dans ce type particulier d’écoles privées signifie, sans qu’il soit besoin de chèque éducation, la liberté de choix des parents qui ne sont plus tenus par les limites de l’offre de leur lieu de résidence. Non seulement le nombre d’établissements est augmenté, mais une diversification des contenus d’enseignement et des méthodes pédagogiques est assurée puisque les Charter Schools sont tenues, en contrepartie de leur financement, à des résultats en termes d’apprentissage, mais non au respect de programmes ou de règles d’organisation. La seule règle éventuellement imposée par les États est d’assurer l’égalité d’accès des familles pour leurs enfants par un système de tirage au sort si la demande d’inscriptions excède l’offre de places.
Bien que leur nombre soit encore insuffisant pour représenter partout une concurrence réelle pour les établissements traditionnels, la seule existence des Charter Schools ne peut qu’inciter les pouvoirs publics à ne plus seulement alimenter la statistique fédérale relative à la qualité nationale de l’apprentissage, mais à comparer les performances des établissements qu’ils financent.
À ce jour, la performance relative des établissements traditionnels et des Charter Schools est toujours étudiée au sein des universités et débattue dans les médias. Elle n’a pas encore conduit les États à renoncer à l’exercice traditionnel de leur compétence en matière d’enseignement, mais les succès de cette nouvelle génération d’écoles ont suffisamment impressionné pour que chaque État, ou presque, dispose à présent d’un cadre légal pour organiser leur action. En outre, l’État fédéral a initié un programme de soutien financier à cette expérimentation pédagogique qui touche plus le cadre de gestion de l’école que les contenus mêmes de l’enseignement.
Entre révolution managériale et autogestion
L’existence des Charter Schools ne signifie pas seulement l’introduction de la concurrence au sein du secteur public et la poursuite de l’expérimentation d’une gestion managériale telle que préconisée par le projet Edison. Si la flexibilisation de l’emploi et l’émancipation de ces pouvoirs organisateurs par rapport à l’équivalent de statuts du personnel constituent aussi des caractéristiques notables du fonctionnement de ces écoles, l’importation dans le secteur public de la notion de faillite constitue la vraie révolution.
Alors que le système scolaire ne connaissait d’échec que celui de l’élève, le principe de la Charter School y ajoute celui de l’établissement scolaire et prévoit la sanction de celui-ci, c’est-à-dire la fermeture de l’établissement. Si, compte tenu de la jeunesse de l’expérience, il est jusqu’à présent rare que des pouvoirs publics ne reconduisent pas un contrat pluriannuel – qui est généralement d’une durée de quatre ans – avec une Charter School, il est beaucoup plus fréquent que des écoles de cette catégorie ferment d’elles-mêmes ou sur la base d’une décision rendue par leur réseau qui assure sa propre évaluation.
Ce principe de l’exposition d’une école à la faillite et à son remplacement par un autre établissement est révolutionnaire à deux égards. D’abord, il signifie que familles et contribuables sont moins longtemps exposés à supporter le coût d’écoles médiocres. Ensuite, il implique la responsabilité solidaire des enseignants. Ceux-ci perdent en effet la garantie d’une protection de leur emploi quelle que soit la qualité de leur travail et leur sort individuel est ainsi lié à une réussite, ou à un échec, qui sont collectifs.
Souvent regardées avec méfiance par le monde syndical dès lors qu’elles déterminent librement les conditions de la rémunération de leur personnel, les Charter Schools suscitent pourtant un engagement qui dépasse l’intégration d’employés à une « culture d’entreprise ». Cet engagement revêt deux formes que l’on peut schématiser comme étant celles, d’une part, de la vocation individuelle et, d’autre part, de l’appropriation collective.
Cette vocation individuelle renvoie au portrait-type de l’enseignant d’une Charter School : jeune, plus ou moins nouveau dans la profession et disposé à assurer de longues journées de cours. Car si les contenus des enseignements et des méthodes varient, un trait partagé, particulièrement dans le cas des écoles qui interviennent dans les quartiers défavorisés, est de réclamer des élèves de consacrer une part importante de leurs journées à l’enseignement.
L’appropriation collective renvoie, quant à elle, au phénomène encore minoritaire des « teachers’ schools », mais suffisamment développé pour démontrer que la spécificité des Charter Schools en tant qu’entreprises privées ne tient pas seulement à l’introduction d’objectifs collectifs de performance. Elles comportent également un potentiel autogestionnaire dont les enseignants peuvent se saisir pour adapter, en toute liberté ou presque, l’école aux transformations du monde et à leurs talents.
C’est à partir du Minnesota, l’un des foyers de la réforme scolaire, qu’un des réseaux les plus structurés d’écoles administrées par leurs enseignants s’est développé. Sous l’impulsion d’Education Evolving dirigée par Lars Esdal et Ted Kolderie ainsi que de la Teacher-Powered Schools Initiative, l’espoir de Jean Zay renaît sous une forme sans doute plus radicale que celle qu’il avait esquissée. Selon Emily Langhorne qui étudie les transformations de l’école américaine au sein du Progressive Policy Institute dirigé par Will Marshall, cette déclinaison particulière des Charter Schools constitue une rupture totale avec le cadre traditionnel de gestion de l’enseignement, typique du secteur public dans lequel les enseignants sont traités non pas en tant que professionnels mais comme des employés de l’industrie soumis à l’exercice vertical d’une autorité patronale définissant leurs tâches à partir de directives. Dans les Teacher-Powered Schools, le modèle organisationnel ne revendique pas une référence européenne à l’autogestion, mais plutôt au partenariat, jusqu’à présent surtout typique de professions libérales, d’associés placés sur un pied d’égalité dans le cadre de l’exercice d’une activité commune. À l’intérieur de ce cadre coopératif, il n’existe pas encore, dans les expériences en cours, de formule unique et l’on assiste tout autant à une démocratisation de structures préexistantes qu’à la création d’écoles à partir d’associations d’enseignants qui recrutent des administrateurs soumis à leur autorité. Une étude du Consortium for Policy Resarch In Education, citée par Emily Langhorne, indique que les écoles qui conjuguent l’implication des enseignants dans la définition de leur fonctionnement et une culture de transparence des résultats connaissent le taux de réussite scolaire le plus élevé.
Évaluation des élèves et des établissements
La question de l’évaluation est l’une des bouteilles à encre de la pédagogie moderne. Sans y apporter une réponse définitive, l’expérience des Charter Schools lui donne une autre dimension en ne réservant plus l’évaluation de la performance scolaire à celle de l’élève intramuros, mais en invitant à compléter celle-ci par un suivi du parcours post-scolaire de l’ensemble des étudiants issus d’un même établissement, corrélé à une analyse des capacités et des faiblesses de l’école. De la sorte, l’accès à l’enseignement supérieur et la qualité de l’intégration professionnelle pourraient rentrer dans la liste des critères de l’évaluation des écoles qui devront être également pondérés par la prise en considération de l’origine sociale, économique et culturelle des enfants dont elles ont la responsabilité. Le développement des big data autorise, sur le plan technique, la mise en place de tels outils. L’argument de la protection de la vie privée ne pourra lui être opposé si parents et élèves consentent à ce traitement de l’information et s’impliquent dans le processus pédagogique au-delà de leurs rôles traditionnels.
Si cette dynamique favorable à la mise en place d’une évaluation à 360° des écoles publiques n’a pas encore pleinement abouti aux États-Unis à des résultats invitant l’Europe à suivre, des jalons ont été posés dans le nouveau contexte idéologique à l’installation duquel la naissance des Charter Schools a contribué.
Ainsi le No Child Left Behind Act, adopté, dans un contexte bipartisan, par le Parlement fédéral sous la présidence de George Bush, a-t-il permis, à partir de 2002, la mise en place, au sein de l’ensemble du secteur public, d’un lien entre évaluation externe et financement en réclamant des établissements une meilleure performance au bénéfice des enfants les plus défavorisés.
Comme en atteste la révision en 2015 de ce texte de loi, critiqué pour l’obsession de l’évaluation qu’il avait alimentée, le débat n’est pas clos, mais progresse dans la direction de la réinstallation des élèves au cœur du projet scolaire. Et ce, sans que ce processus soit marqué par un démembrement du secteur public qui transformerait parents et enfants en clients, éventuellement titulaires de chèques éducation. Les États-Unis doivent déjà beaucoup aux Charter Schools et les progressistes des deux rives de l’Atlantique gagneraient à déconstruire la notion de « privatisation de l’enseignement » comme le travail de Samuel Abrams ou d’Emily Langhorne y invite au lieu de la condamner à partir de prémisses idéologiques manichéennes.
Naissance d’une revendication
La percée du Parti démocrate aux élections législatives de l’automne 2018 est, pour partie, attribuée à la capacité de sa direction à imposer à sa base une campagne axée sur la promotion de la Sécurité sociale plutôt que sur la critique de la personne de Donald Trump. De façon plus discrète, le thème de l’éducation s’est également invité dans la campagne de plusieurs candidats et a pu contribuer à augmenter leur audience. En d’autres termes, dans le contexte d’une sensibilité croissante des électeurs à la question de la disparité des revenus, le thème des services publics fédère à nouveau.
Le phénomène n’est d’ailleurs pas qu’électoral. L’année 2019 s’est ouverte aux États-Unis avec la grève de 30 000 enseignants employés par le district de Los Angeles. Soutenus notamment par le sénateur démocrate de Californie, Kamala Harris, les manifestants réclament un refinancement qui permettrait une augmentation des salaires ainsi qu’une diminution du nombre d’élèves par classe.
À ce stade, il est difficile d’en conclure que ceci est favorable aux Charter Schools car elles sont identifiées, de façon idéologique et réductrice, à une privatisation de l’enseignement public par certains nouveaux élus américains, notamment dans l’État de New York. En d’autres termes, parce qu’il a été notamment soutenu au sein du gouvernement fédéral par Betsy DeVos, ce nouveau cadre de gestion de l’école pourrait faire les frais d’une bipolarisation politique alors qu’il a jusqu’à présent bénéficié d’un consensus bipartisan.
Mais à ce stade, bien que des voix au sein du think tank Center for American Progress se soient exprimées en faveur du modèle des Charter Schools, le Parti démocrate ne s’est pas encore pleinement approprié la question scolaire et le discours officiel se limite encore souvent à réclamer une augmentation de la dépense publique. La question de la performance scolaire qui ne constituait pas un tabou pour l’administration Obama n’est plus ouvertement abordée.
Il ne peut être exclu que ceci évolue rapidement si le parti ne limite pas son offre politique à une critique de l’administration présidentielle et présente à ses électeurs un projet éducatif aussi détaillé que celui qu’il défend pour la santé publique. En effet, non seulement pointe une nouvelle génération politique au sein du parti, mais le monde de l’enseignement américain, confronté aux défis identifiés dans les années 1980, est aussi caractérisé par l’arrivée de jeunes professeurs qui pourraient être plus ouverts que certains de leurs aînés à une transformation du métier et de ses structures. Cette ouverture de la jeunesse au changement est d’autant plus vraisemblable que si les chiffres attestent des modifications dans la pyramide des âges, ils indiquent aussi que le taux de départ de jeunes enseignants au cours des cinq premières années de carrière est de 42%. Selon Richard Ingersoll, de l’université de Pennsylvanie et spécialiste de la matière, le peu d’autonomie dont disposent les enseignants dans l’exercice de leur métier est l’un des facteurs d’explication de ces départs.
Si les progressistes des partis et des mondes de l’enseignement convergent pour adapter le cadre de gestion des écoles aux talents des professeurs et aux besoins de la société, le dernier livre de David Osborne a l’ambition d’offrir le socle d’une stratégie et d’un programme.
David Osborne a été l’un des proches conseillers d’Al Gore au sein du gouvernement américain et il dirige actuellement le projet Reinventing America’s Schools – dont son livre porte le nom – au sein du Progressive Policy Institute, intellectuellement proche du Parti démocrate. Son ouvrage n’est pas un plaidoyer en faveur d’une organisation duale de l’enseignement public dont les Charter Schools constitueraient l’une des branches. Il va plus loin en demandant que les pouvoirs publics réorganisent les structures d’enseignement à partir des caractéristiques premières de ces nouvelles écoles.
Pour David Osborne, l’enjeu n’est pas d’importer au sein du secteur public une forme de management inspirée du secteur privé. Il est de réinstaller l’école dans ce qui a fait son succès – sa capacité à enchanter les élèves et non à les ennuyer – et sa nécessité : éduquer et former des nations à la démocratie et à l’innovation sociale comme économique.
Un livre à lire et à traduire qui complète l’ouvrage, déjà cité, de Samuel Abrams auquel il faut réserver le même sort. En continuant à regarder par-delà les océans.