Alors que Les Républicains élisent leur nouveau président, que pensent les Français de Laurent Wauquiez, grand favori ? Analyse pour l’Observatoire de l’opinion avec Marie Gariazzo et Chloé Morin.
Ce qui frappe en premier lieu à la lecture des verbatims recueillis dans cette étude de la Fondation Jean-Jaurès, c’est que le nombre de personnes qui ne semblent pas avoir d’opinion, ou disent ne pas s’intéresser à lui, est beaucoup plus grand que ce que l’on peut observer – par exemple – pour d’autres figures politiques majeures comme Jean-Luc Mélenchon. On mesure là l’absence de passion des Français pour l’élection du président des Républicains et, évidemment, l’avantage de notoriété conféré par une participation à l’élection présidentielle. Il reste difficile d’émerger pleinement dans l’opinion lorsqu’on n’a jamais été président de la République, et une partie du défi de notoriété de Laurent Wauquiez reste devant lui – un problème qui se pose de manière plus aiguë encore chez les leaders potentiels du Parti socialiste.
Chez les personnes les plus intéressées par la politique parmi celles que nous avons interrogées, c’est le côté « trouble » souvent associé à Laurent Wauquiez, le questionnement sur la cohérence de son parcours et la sincérité de son engagement qui ressortent le plus dans les propos recueillis, tous bords politiques confondus (« il fait faux »). On a du mal à cerner l’homme et son positionnement. Si personne ne doute de l’ambition qu’il a pour lui mêmelui-même (« jeune loup ambitieux ») on peine à voir quelle ambition il porte pour la France et pour son parti, qui se remet difficilement de sa défaite historique à l’élection présidentielle.
Très peu d’idées ou de mesures lui sont en effet associées, en dehors d’une fermeté incontestée sur l’immigration et la sécurité.
Sa proximité perçue avec le Front national alimente par ailleurs une forme de rejet sans équivoque chez ses détracteurs (« je ne l’aime pas », « il ne me plaît pas du tout ») mais également des critiques assez acerbes au sein des électeurs Les Républicains. Cette porosité avec les idées du Front national constitue chez de nombreux Français la principale grille de lecture de son positionnement. Elle donne à voir un Laurent Wauquiez qui « joue sur les peurs », fait preuve de « violence » et de « radicalité » dans ses propos, ou adopte une position fermée sur l’Europe. Pour toutes ces raisons, il se révèle extrêmement clivant, même au sein de son propre camp. Il est intéressant de noter que très rares sont les références au rôle d’opposition crédible que Laurent Wauquiez pourrait jouer face à Emmanuel Macron, preuve que la droite se trouve aujourd’hui très affaiblie sur ce terrain-là.
Les divisions ressenties nourrissent les craintes d’une explosion du parti, tant on le sent dans l’incapacité de se poser en rassembleur. Chez beaucoup, l’adhésion à Laurent Wauquiez est avant tout une adhésion à la droite, dans un contexte de reconstruction où il est le seul à émerger réellement. Mais beaucoup doutent qu’il réussisse à répondre aux besoins de réforme et de renouvellement du parti, absolument indispensables pour assurer sa survie dans le paysage politique actuel.
Au-delà de son positionnement idéologique et de sa rhétorique nourrissant les soupçons sur ses relations avec le Front national, l’homme peine également à convaincre plus largement que le cœur de l’électorat des Républicains. Domine souvent, dans les propos recueillis, l’impression d’un personnage « opportuniste », « assoiffé de pouvoir », dans le « calcul permanent », coincé entre les Constructifs particulièrement silencieux et absents des débats internes au parti et l’aile dure de la droite républicaine. Il est, en effet, souvent question de tactique et, de stratégie dans les propos que nous avons recueillis, ce qui pose en creux la question de la sincérité des combats qu’il mène. Sa crédibilité semble également écornée :
- il est jeune mais ne parvient pas à incarner une forme de renouvellement tant il renvoie aux « hommes politiques traditionnels », « aux pratiques archaïques » : « ce discours tantôt républicain, tantôt extrême droite, les gens n’en veulent plus, c’est de l’ancienne politique » ;
- il joue la carte de la proximité avec le terrain mais n’arrive pas totalement à se départir de son image d’énarque ou de « bobo parisien » : « il se fait passer pour un Auvergnat » ;
- son ambition ne parvient pas à rassurer sur son engagement, tant il semble « prêt à tout pour arriver au pouvoir » : « son égocentrisme condamne d’avance tout rassemblement du parti ».
L’ensemble des impressions recueillies ci-dessus peuvent être considérées comme la conséquence logique d’un choix stratégique délibéré du candidat à la présidence de LR. Laurent Wauquiez semble en effet assumer une stratégie clivante pour s’imposer dans un paysage politique chamboulé et fragmenté, et ramener à lui une partie des électeurs FN désorientés par la performance de leur candidate à la présidentielle. Si ses inconvénients sont évidents, cette stratégie a-t-elle toutefois des chances de succès ? L’examen des propos recueillis auprès des sympathisants FN et LR permet d’en douter.
Chez LR, il bénéficie d’un socle de soutiens solide et mobilisé. Ses soutiens valorisent sa jeunesse mise au service d’un volontarisme à tout crin et son expérience locale perçue comme prometteuse pour l’avenir de la droite et de la France (« son dynamisme, son investissement pour sa région, sa jeunesse », « virer tous les mammouths et faire peau neuve », « Laurent Wauquiez a les idées claires et est un meneur, il mènera son parti de main de maître pour lui redonner la splendeur hélas perdue »). Pour d’autres, c’est sa façon de s’attaquer aux « vrais sujets » (au premier rang desquels l’immigration et la laïcité) qui compte et renforce leur adhésion: « il assume les idées de droite, une France des familles, une Europe différente, une France arrêtant d’être naïve », « il a une position ferme sur l’immigration, que nous devons endiguer », « Laurent Wauquiez semble le plus à même de lutter contre les phénomènes de migrants et de sécurité que nous subissons », « brut de brut, jeune et efficace », « une droite qui retrouvera ses valeurs et arrêtera de faire des concessions », « le respect des traditions, le retour à l’ordre, la rigueur économique et la fin du tout impôt ».
Mais on note toutefois qu’au delà du seul cercle militant, il est loin de faire l’unanimité. Les divisions ressenties (« il ne fait pas l’unanimité dans son camp », « je ne pense pas qu’il soit le leader capable de rassembler », « trop à droite pour moi », « trop centré sur les problématiques d’identité », « c’est une droite fermée », « il doit se rapprocher des préoccupations quotidiennes des français, s’ouvrir davantage, se rapprocher des militants proches du centre ») alimentent en effet les craintes d’une explosion du parti, tant on le sent dans l’incapacité de se poser en rassembleur – rappelons à ce titre que, selon un sondage Elabe pour BFMTV, seulement la moitié des sympathisants LR jugent Laurent Wauquiez « capable de rassembler » sa famille politique. Pire, certains le perçoivent comme « très isolé ».
Dans l’ensemble, les verbatims recueillis chez de nombreux électeurs LR ne témoignent pas vraiment d’un enthousiasme très fort – à l’image de celui suscité par un Nicolas Sarkozy à la même étape de son parcours personnel – ni d’élan nouveau (il est neuf, tout en étant inscrit dans les jeux politiques depuis longtemps).
Chez beaucoup, on note plutôt que l’adhésion à Laurent Wauquiez est avant tout une adhésion à la droite (« je le soutiens car j’aime pas la gauche », « il est de droite, c’est tout »), dans un contexte de reconstruction où il est le seul à émerger réellement (« je ne vois personne de valable avec du charisme pour prendre le parti à part lui, certains cadres de LR sont totalement absents comme Pécresse, Baroin, Bertrand, cela montre la déconfiture de la droite »), et où les cotes de popularité des principaux ténors de la droite – Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez – sont bien moindres que ce qu’elles étaient lorsque l’avenir de LR s’appelait Alain Juppé, Nicolas Sarkozy ou François Fillon. « L’avenir de LR est trouble du fait de la disparition ou de la discrétion actuelle des grandes figures d’hier: de Fillon à Juppé en passant par Raffarin ». Beaucoup doutent qu’il réussisse à répondre aux besoins de réforme et de renouvellement du parti, absolument indispensables pour assurer sa survie dans le paysage politique actuel.
Ainsi, il ne parvient pas en l’état à susciter un réel espoir pour l’avenir de LR, d’où l’attente chez certains de voir « d’autres jeunes ténors du parti créer la surprise ».
Quant aux électeurs proches du FN, l’examen des propos recueillis sur Laurent Wauquiez permet de mesurer l’ampleur du défi pour le futur président des Républicains s’il souhaite les conquérir un jour. Ceux qui le connaissent témoignent avant tout d’un certain désintérêt, voire d’une défiance marquée à l’égard d’un discours jugé opportuniste. Ils le renvoient aux trahisons et aux doubles discours tenus par ses prédécesseurs de droite, ou à ses propres incohérences : il « change de comportement au fur et à mesure », « jeune loup ambitieux », « je ne supporte pas ses tergiversations », « il ne tiendra pas parole », « il reniera toutes ses promesses, comme les autres, il est tenu par les énarques de Bruxelles comme les autres », « il n’y en a que pour eux, magouilles et compagnie, tous dans le même sac ! Wauquiez ne changera rien, c’est en premier leurs intérêts et ensuite ceux des Français ».
Toutefois, le futur président des Républicains peut espérer surmonter, à force de persévérance et de cohérence, les réticences des nombreux sympathisants FN n’exprimant aucun avis sur sa personne – un potentiel important, car l’immense majorité ne se prononce pas à ce jour. De plus, on note qu’en mineur, certains électeurs FN louent sa « poigne », le fait qu’il « ne prend pas les gens pour des débiles », qu’« il est resté républicain et n’a pas retourné sa veste ». Enfin, on observe que quelques-uns – à l’image de ce que l’on retrouve dans les études quantitatives, où une nette majorité souhaitent des alliances entre leur parti et LR – expriment clairement le souhait d’alliances, seule voie perçue actuellement pour désenclaver le FN et espérer briser enfin le plafond de verre.