L’Assemblée nationale n’est-elle pas trop figée dans le temps ?

Nous devons faire évoluer l’Assemblée nationale, l’ouvrir sur le monde et la société, la plonger dans les débats qui animent notre société. Nous devons la moderniser et lui donner les outils capables de répondre à ces objectifs. Le député du Val-de-Marne Guillaume Gouffier-Cha fait ses propositions pour l’Assemblée de demain.

Nous entrons, nous apprenons à nous repérer dans le dédale des couloirs et des salles. La première sensation est l’émerveillement, le sentiment d’être dans le cœur de notre démocratie, dans un lieu chargé d’histoire. Là, nous commençons à sentir le poids de la responsabilité qui nous incombe. Celle d’avoir un regard sur notre monde, ses réalités, ses réussites, ses inégalités, ses équilibres, ses injustices. Nous nous questionnons. Comment améliorer le quotidien de toutes et tous ? Comment améliorer notre vivre-ensemble ? Nos systèmes de solidarités ? Comment préparer notre société au monde de demain ? Nous nous passionnons, nous débattons. Nous échangeons, nous nous disputons. Nous avançons. Nous cherchons comment rester connectés à la France et à ses territoires, au quotidien que vivent les Françaises et les Français. Nous sommes à l’Assemblée nationale.

J’ai toujours aimé ce lieu. En tant que citoyen tout d’abord, lors du premier débat sur la conférence sur le changement climatique que j’étais venu suivre lors de mes études. En tant que collaborateur parlementaire ensuite, quand j’ai découvert le fonctionnement de cette institution, observé le travail des députés, des administrateurs, des huissiers, de toutes celles et tous ceux qui y travaillent au quotidien. En tant que député aujourd’hui, dans une époque de révolutions sociétale, technologique, écologique et citoyenne. Une période qui m’amène à me questionner sur l’évolution de cette institution. N’est-elle pas trop figée dans le temps et comment ne pas s’éloigner du terrain ? Ce questionnement n’est pas individuel. Il s’inscrit entièrement dans le cadre des travaux lancés par le président de l’Assemblée nationale François de Rugy qui nous pousse les uns et les autres à repenser actuellement cette institution.

Notre questionnement collectif de départ est, au fond, très français. Nous passons beaucoup de temps à nous interroger sur l’organisation de notre société, de nos entreprises, de nos administrations, de nos écoles et universités, sur nos territoires, sur nos institutions, sur notre démocratie. Nous sommes en permanence confrontés à un double questionnement conservateur et progressiste qui nous pousse à aller de l’avant. On pourrait voir là une certaine forme d’insatisfaction permanente. J’y vois pour ma part une volonté continue de progresser. Une seule constante ne changeant jamais, le respect de notre pacte républicain qui repose sur la liberté, l’égalité, la fraternité et la laïcité.

Notre questionnement n’est donc pas nouveau mais nécessaire car, oui, nous devons faire évoluer l’Assemblée nationale, l’ouvrir sur le monde et la société, la plonger dans les débats qui animent notre société. Nous devons la moderniser et lui donner les outils capables de répondre à ces objectifs. Pour ma part, je commencerai ici par les outils.

Quand je parle d’outils, je pense d’abord à la procédure législative qui est trop longue, répétitive et non aboutie. Le rôle du député n’est pas uniquement d’écrire et de voter la loi. Son rôle est d’assurer tout le processus de préparation, de fabrication, d’explication et d’évaluation de la loi. Son rôle est aussi de contrôler l’action du gouvernement. Le faisons-nous aujourd’hui ? J’aimerais pouvoir répondre oui. Mais ce n’est hélas pas le cas. La réalité est que nous nous concentrons bien trop sur le seul vote de la loi, ce qui nous a entraîné depuis plusieurs années dans une course à la surproduction législative hallucinogène. Ce qui compte, ce n’est pas de savoir si le texte législatif débattu est nécessaire et utile, s’il est de qualité. Ce qui compte, c’est de faire du chiffre ! La réussite d’une législature s’évalue au nombre de textes adoptés. Nous multiplions donc les textes en jouant sur la longueur de la procédure législative. Ce qui est regardé, c’est essentiellement l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, le scrutin public qui a lieu le mardi après-midi à 16h30 juste après la séance des questions au gouvernement. Après, pour ce qui concerne la suite du processus et la mise en application de la loi, l’attention et l’exigence d’efficacité sont moindres. Résultat, nous avons des lois qui sont pour partie désuètes à peine adoptées, de plus en plus volumineuses et qui pour un tiers ne reçoivent pas de décret d’application. Ce système ne peut perdurer car, au-delà d’affaiblir notre démocratie, c’est toute notre société et son fonctionnement qui en pâtissent.

Paradoxe de la situation, aujourd’hui, il nous faut reprendre le temps de construire la loi tout en accélérant le processus. Il nous faut reprendre le temps en décomposant bien les différents moments de la procédure législative et en respectant l’utilité de chacun de ces moments. Cela doit nous permettre de réduire le nombre de textes, chaque texte devant être nécessaire et utile, et d’améliorer la qualité des lois et leur applicabilité.

Prendre le temps de construire la loi, c’est renforcer le travail parlementaire en amont en associant davantage les parlementaires à la construction des études d’impacts et en mettant en débat ces études au sein des commissions qui, au regard d’éléments d’informations objectifs, pourraient délibérer sur la nécessité de recourir ou non à un projet ou à une proposition de loi. Prendre le temps nécessaire de ce débat sur le caractère nécessaire et utile d’un texte législatif nous permettrait de mieux maîtriser le contexte des lois, et de mettre de côté les textes à caractère émotionnel.

Prendre le temps de mieux construire la loi, c’est ensuite allonger le temps de débat sur un texte en commission et dans l’hémicycle mais limiter le nombre de lectures à une seule. Aujourd’hui, entre la commission et la séance publique, les textes sont discutés en urgence en moins de dix jours mais nous multiplions les lectures entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Je propose de généraliser l’étude d’un texte législatif à une seule lecture, en étalant sur trois semaines, les échanges sur les textes législatifs, à la fois en commission et en séance publique. Par ailleurs, afin de ne pas produire des lois qui perdraient tout leur intérêt entre le moment de leur dépôt auprès du bureau de l’Assemblée nationale et le moment de leur adoption, nous devrions mettre en place une obligation d’examen sur six mois. Passé ce délai, le texte serait jugé caduque. À côté de cette procédure générale, une procédure d’exception serait mise en place pour les textes qui nécessiteraient un temps d’étude et d’échange plus long.

Prendre le temps de mieux construire la loi, c’est enfin mieux évaluer l’applicabilité de celle-ci. Après toute adoption d’un texte législatif, une mission de suivi et d’évaluation devrait être mise en place pour assurer le suivi de son exécution sur une durée de deux ans avec présentation d’un rapport d’évaluation tous les six mois et un rapport conclusif au terme des deux années. Ce rapport conclusif, au-delà d’évaluer le taux d’applicabilité de la loi, mettrait également en lumière les impacts de la loi sur notre société.

Nous devons revoir le processus de décision qui nous conduit à recourir à la loi. Nous devons améliorer la qualité de sa fabrication, sa mise en œuvre et son évaluation. Mais la réflexion sur les outils du législateur ne doit pas s’arrêter là, bien entendu. Elle doit s’étendre également aux moyens de travail qui sont mis en place pour les parlementaires et des administrations. Je resterai là dans le cadre de l’Assemblée nationale.

Certains moyens de travail doivent être renforcés. L’enveloppe budgétaire consacrée aux collaborateurs parlementaires doit être revue à la hausse et un statut des collaborateurs parlementaires doit être définitivement mis en place. Nous devons tout simplement sortir de l’artisanat qu’est le système actuel pour le professionnaliser. Cela passe par la hausse de cette enveloppe afin de permettre aux députés de construire des équipes parlementaires complètes dans un cadre contractuel respectueux de notre code du travail.

Certains moyens doivent être modernisés, l’Assemblée nationale doit tout simplement rentrer dans le XXIe siècle et prendre le virage de la révolution technologique et écologique qui est en cours. L’accès au numérique doit être généralisé et l’Assemblée nationale doit être à la pointe tout en mettant en place les dispositifs de cyber-protection indispensables à son bon fonctionnement. Dans ce cadre, une mission parlementaire d’étude et d’application, ouverte aux acteurs de la French Tech, doit être mise en place de manière urgente afin de moderniser le plus rapidement possible cette institution et ses outils de travail. Ce point représente un réel chantier sachant que certains bureaux, dont le mien par exemple, ne sont pas encore dotés du wifi.

La modernisation des moyens de travail passe aussi par l’adaptation de l’Assemblée nationale à la transition écologique. Au-delà de la question de la restauration qui doit recourir aux produits bio et aux produits issus des circuits courts, l’Assemblée nationale doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre, qu’il s’agisse de son parc automobile, de l’isolation de ses bâtiments ou du traitement et du recyclage de ses déchets et du papier

Modernisation technologique, virage écologique, l’Assemblée nationale doit enfin devenir exemplaire sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les situations de harcèlement, qu’il s’agisse de harcèlement sexuel, professionnel, physique ou moral. Dans ce cadre, et parce que l’Assemblée nationale est un lieu de travail, la place et le rôle des syndicats doivent être renforcés (en termes de locaux et de moyens), un comité économique, social, écologique et sanitaire devrait  être mis en place afin d’avoir un cadre de négociation et de protection des agents, des collaborateurs mais aussi des députés. L’Assemblée ne peut demeurer un lieu d’exception.

Bien entendu, cette réflexion sur les outils est incomplète, mais je tenais ici à avancer sur ces quelques propositions avant de passer au second point d’échange que je souhaite voir émerger. Comment ouvrir davantage l’Assemblée nationale sur le monde et la société ?

Je l’ai écrit plus haut, lorsqu’on y rentre pour la première fois, on est émerveillé. Au fur et à mesure, on peut s’y trouver enfermé. L’Assemblée nationale est un îlot à part dans Paris. On peut rapidement, voire très rapidement, y vivre de manière isolée. Comme dans un monde en soi et de l’entre-soi. À l’heure d’Internet, de l’accès à l’information en continu et partout, des chaînes d’actualité en continu, du fonctionnement (ou du désir) de plus en plus horizontal de notre société, au moment où nous vivons et travaillons de plus en plus dans un « nuage » interconnecté, il est évident qu’il nous faut réfléchir à l’ouverture de l’Assemblée nationale sur la société, les citoyens et les territoires.

Sur la société, en développant les échanges avec les différents secteurs d’activités, d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Avec les citoyens qui ont accès à l’information d’un simple clic et qui sont exigeants, qui veulent comprendre et voir leur expertise reconnue et prise en compte. Avec les territoires. L’Assemblée nationale est bien entendu une et indivisible mais elle doit avoir des relais physiques dans tous les territoires, dans toutes les circonscriptions, afin que les Françaises et les Français puissent accéder à la loi, la comprendre, la critiquer, l’amender, l’évaluer, la rêver pourquoi pas.

Concernant les liens entre l’Assemblée nationale et la société, au-delà de l’organisation de débats et de colloques, une méthode de travail institutionnel devrait se mettre en place entre l’Assemblée et le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Ce dernier multiplie les travaux qui donnent lieu à différents travaux qui sont transmis aux parlementaires sans qu’aucune discussion ne suive. Nous restons à un niveau d’information qui alimente trop peu les travaux des députés. Sans rentrer ici dans les réformes à apporter à notre CESE, les rapports produits par cette chambre devraient, au même titre que les textes législatifs, être déposés auprès du bureau de l’Assemblée nationale avant d’être présentés, étudiés et débattus dans les commissions respectives. Et ce afin de renforcer la fonction prospective des députés.

Le lien entre l’Assemblée nationale et la société passe aussi selon moi par le développement de son activité, sa présence hors les murs du 7e arrondissement de Paris. En tant que nouveau député, j’ai été marqué par la difficulté que représente la recherche d’un local en circonscription pour y établir ma permanence que j’ai appelée « atelier législatif ». Il y a là un problème. La présence du député, c’est-à-dire de la représentation nationale, dans les territoires ne peut pas dépendre uniquement du bon vouloir des acteurs publics et privés locaux. Et, même si nous vivons à l’heure du numérique, je pense qu’une antenne locale de l’Assemblée nationale devrait être installée dans chacune de nos circonscriptions. Selon un cahier des charges précis élaborés par le bureau de l’Assemblée nationale et les présidents des différents groupes parlementaires, de tels locaux seraient, au-delà d’un lieu de travail et d’accueil pour le député, un espace d’information, de consultation et d’échange ouvert à l’attention de tous les citoyens. Cela recréerait un véritable lien entre l’Assemblée nationale et les territoires, un lien profondément affaibli aujourd’hui.

Si le lien avec les territoires doit être repensé, celui avec les citoyens doit lui être complétement refondé. D’abord, il faut rappeler que le député est un élu de la Nation, il n’est pas un élu local, pas un maire bis, pas un-e assistant-e social-e. Sa fonction, je l’ai écrit plus haut, est de préparer, fabriquer, écrire, voter puis évaluer la loi. Et il doit le faire avec une exigence de qualité et d’efficacité. Il doit pour cela s’appuyer sur ses concitoyens. Il doit le faire car il n’est pas expert de tous les sujets et parce que les citoyens ont une expertise qui peut améliorer la loi. Cela participe à une meilleure compréhension de la loi, à son partage et à son acceptation. Pour y arriver, il faut revoir la manière dont le député travaille en circonscription. Il faut sortir de l’habitude de la permanence parlementaire qui concurrence inefficacement l’action des autorités locales et qui tombe parfois dans le clientélisme. En effet, que peut faire le député face aux multiples demandes de logements ou de places en crèches qu’il reçoit ? De tels dossiers ne relèvent pas de sa compétence. Il faut le dire et l’expliquer.

En l’espèce, cette réflexion appartient à chaque parlementaire. Je lance pour ma part l’expérience d’un atelier législatif sur la sixième circonscription du Val-de-Marne qui a pour objectif d’être un lieu où je vais de manière très régulière présenter les textes législatifs, les mettre en débat, mesurer auprès des habitants des villes de cette circonscription leurs ressentis.

Sur cette question du lien entre le Parlement et le citoyen, un organe pourrait être créé, sur le modèle de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Je propose que soit créé un office parlementaire d’évaluations citoyennes des textes législatifs en lien avec la Commission nationale du débat public. Cet office aurait pour vocation de piloter la mise en place de jurys citoyens qui seraient tirés au sort et mandatés pour évaluer les différents textes législatifs. Là aussi, les travaux de ces jurys citoyens, qui seraient assortis de propositions, seraient transmis au bureau de l’Assemblée nationale avant présentation devant les commissions compétentes pour mise en débat. À l’heure où la défiance des Français envers leur Parlement est forte et où notre société aspire à davantage d’horizontalité et de transparence, il nous faut avancer sur de telles idées démocratiques innovantes.

Dans un contexte de transformations sociétales, technologiques et environnementales importantes, notre démocratie traverse aujourd’hui une crise de représentation, c’est un fait. Nos institutions ont traversé le temps, elles ont une histoire, elles sont solides. Elles sont les gardiennes de nos valeurs démocratiques mais elles se doivent d’évoluer pour davantage prendre en compte les réalités propres à notre époque et redensifier le lien démocratique avec les Françaises et les Français. Ce lien ne peut uniquement se manifester réellement tous les cinq ans lors des différentes élections nationales. Il est donc nécessaire que nous travaillions sous cette législature à apporter des modifications à nos institutions, à commencer par le cœur de notre République, l’Assemblée nationale.

Du même auteur

Sur le même thème